Méthodes d’analyse de l’impact d’une décharge électrostatique survenant sur un système électronique sur puce Nicolas MONNEREAU Université de Toulouse; UPS, INSA, INP, ISAE ; UT1, UTM, LAAS ; CNRS ; LAAS ; 7 avenue du colonel Roche, F-31077 Toulouse, France Email : [email protected] Résumé Dans ce papier, des méthodes de modélisations et des techniques de caractérisations d’un système soumis à des décharges électrostatiques sont décrites et les résultats obtenus sont mis en évidence. 1. Introduction Durant leurs utilisations, les produits électroniques sont soumis à des décharges électrostatiques (en anglais : ESD ElectroStatic Disharge) pouvant induire des défaillances de fonctionnements et/ou de destructions. Pour s’affranchir de ce type de défaillances, des tests sont effectués dans l’industrie suivant les standards IEC61000-4-2 [1] et ISO10605 [2] pour l’automobile. Lorsqu’une défaillance du produit est révélée, il n’existe aucun outil, aucune méthode permettant d’analyser ou de prédire le comportement du système. Les concepteurs du système remanient le produit jusqu'à ce que celui-ci remplisse les exigences du standard, sans avoir suffisamment de méthodes d’investigation pour comprendre ce qui se passe durant la décharge. Ceci peut conduire à de nombreuses conceptions incorrectes avant de trouver une solution qui n’est pas forcément la plus efficace et la plus économique. Les travaux de ma thèse sont orientés sur le développement de méthodes de modélisation et de caractérisation permettant d’analyser un système et de comprendre les modes de propagation et de défaillance lorsque survient une décharge électrostatique. Ce papier est organisé en trois parties. Suite à l’introduction, la première partie décrit une méthode de modélisation d’un système utilisée pour analyser la propagation d’une ESD et la susceptibilité. La deuxième partie détaille les différentes méthodes d’injections et de mesures. Enfin la dernière partie conclue ce papier. 2. Développement d’une méthode de modélisation. Cette section décrit une méthode de modélisation comportementale permettant d’analyser la propagation du courant de décharge dans un système depuis un générateur ESD jusqu’aux phénomènes internes pouvant induire des perturbations dans les circuits. La partie 2.1 illustre le principe de cette méthode, la partie 2.2 détaille les difficultés de modélisation d’un système et la partie 2.3 donne quelques résultats obtenus. 2.1 Principe Le système est décomposé en plusieurs parties : les circuits intégrées, le PCB (circuit imprimé, en anglais : Print Circuit Board), et les éléments extérieurs au système (source de la décharge). Chacune de ces parties est modélisée de manière indépendante en VHDL-AMS [3]. (en anglais : Very-high-speed integrated circuit Hardware Description Language – Analog and Mixed Signals) formant un block élémentaire. Le VHDL-AMS permet la description de modèles comportementaux multi abstractions et la simulation de signaux mixtes nécessaire pour cette technique de modélisation. Les modèles des pistes du circuit imprimé sont basés sur les travaux précédemment réalisés par N. Lacrampe [4]. La modélisation de la fonctionnalité des circuits est elle basée sur un modèle comportemental de circuit existant appelé IBIS [5] (en anglais : Input/output Buffer Information Specification.). Développé à l’origine pour effectuer des simulations d’intégrité du signal, ces modèles ont été adaptés pour prédire des phénomènes ESD dans [6-7]. Le concepteur de système dispose ainsi d’une bibliothèque de blocks élémentaires qu’il peut assembler de manière hiérarchique pour modéliser le système complet comme illustré dans la figure 1. La construction de chaque block élémentaire est décrite dans [6]. En suivant ce principe, il est possible de modéliser n’importe quel système suivant sa topologie et d’effectuer la simulation de systèmes complexes. 2.2 Difficultés de modélisation Le principe de la méthode de modélisation reste relativement simple. Cependant, de nombreuses difficultés sont à prendre en considération pour réaliser des modèles et effectuer des simulations ESD. En effet, d’un point de vue concepteur de système, aucune information sur le réseau de protection ESD nécessaire à la modélisation, n’est disponible. Les fondeurs de circuits intégrés ne fournissent pas ces informations par soucis de propriété intellectuelle. Des mesures avec des outils de caractérisations tel que par exemple le TLP [8] (en anglais : Transmission Line Pulsing) sont nécessaire pour extraire des paramètres utile à la modélisation. Une fois identifié et avec des paramètres extraits des mesures, la modélisation d’une protection ESD n’en est pas simple pour autant. Des structures complexes tels que des thyristors ou des transistors bipolaires auto polarisés typiquement utilisées comme protection, induisent de fortes discontinuités lors de leurs déclenchements. Pour prendre en compte ces discontinuités, deux solutions ont été comparées: modéliser le comportement à partir du fonctionnement physique [9] ou le modéliser de manière purement comportemental en utilisant astucieusement la possibilité de réaliser des simulations mixtes du VHDLAMS [10]. Le réglage du simulateur, (pas de calcul, précision, initialisation DC…) doit être effectué finement. En effet, les transitions de courant liées aux décharges électrostatiques sont très fortes, quelques ampères en une nanoseconde (di/dt très grand), pouvant induire des problèmes de convergence. De plus, les fortes différences de tension des générateurs ESD (quelques kilovolts) et les tensions de fonctionnement du système (quelques Volts) peuvent provoquer des mauvaises initialisations DC du système. Enfin, une décharge peut survenir entre deux points d’un système et pas seulement entre un point et la masse. Le courant de décharge peut donc circuler par la masse sans forcement être évacuer par celle ci. Il est donc nécessaire de reconsidérer la « masse » du simulateur, que nous appelons « référence » et que nous plaçons judicieusement en un point du système. Les simulations sont alors analysées en différence de potentiel. Toutes les informations nécessaires sont extraites d’éléments disponibles (documentation technique, modèle IBIS) ou par mesure. La modélisation est comportementale et peut être réalisée par n’importe quel ingénieur système souhaitant analyser sont système face au ESD. Figure 1. Assemblage de blocks élémentaires suivant la topologie du système pour le modéliser. 2.3 Résultats Cette méthode de modélisation, a dans un premier temps, été mise en œuvre pour analyser l’impacte d’une capacité de découplage d’un circuit sur la propagation du courant issue d’une décharge électrostatique [6]. La figure 2 donne les résultats de simulations du courant qui circule dans le circuit corrélés avec les mesures. Sans capacité de découplage, tout le courant injecté avec le TLP (1A) circule dans le circuit comme attendu pour le réseau de protection donné. L’ajout d’une simple capacité externe de découplage dans le système modifie la propagation du courant ainsi que le comportement du réseau de protection du circuit. Des interactions complexes sont apparues entre le système, les effets inductifs du boitier (package) et les protections ESD intégrées. Tous ces phénomènes ont pu être expliqué dans [6] à partir de l’analyse de la simulation. Figure 2. Comparaison des mesures et des simulations du courant qui circule dans le circuit intégré pour différentes valeurs de la capacité de découplage externe [6]. Une autre étude visant à étudier la susceptibilité d’un système soumis à une décharge électrostatique a été réalisée dans [7]. La piste d’alimentation d’une bascule D montée en diviseur de fréquence est perturbé par une décharge et la tension de sortie du circuit est observée pour voir si une défaillance de fonctionnement a lieu. Le critère de défaillance, prise en compte pour cette étude de susceptibilité est la perte d’un front d’horloge. Les simulations du système, modélisé suivant la méthode décrite précédemment, permettent de reproduire les défaillances obtenues comme le montre la figure 3. Dans la simulation 1, il n’y a pas de défaillance suivant le critère choisi. Dans la simulation 2, une perte de front d’horloge a lieu induisant une défaillance comme l’avaient laisser présager les travaux [11-12]. La simulation du système complet nous a permis de comprendre le mécanisme de génération de la défaillance et de mettre en place une loi de probabilité définissant le taux d’erreurs en fonction du niveau de courant ESD injecté et de la valeur de la capacité de découplage. transmissions, permet de s’affranchir de ces problèmes tout en ayant une forme simple à analyser. Une corrélation entre les défaillances générées par ce générateur et le pistolet ESD reste toutefois à réaliser. Une méthode d’injection indirecte a été mise en œuvre pour l’injection de perturbations transitoires. Cette technique consiste à injecter les perturbations à l’aide de pistes PCB couplé ou d’une sonde de champs proche placé au dessus d’une piste ou d’une broche d’un circuit. Cette technique, transcription directe de la norme IEC 61967 [18], est destinée à évaluer l’immunité des systèmes face aux rayonnements électromagnétiques liés aux décharges ou la susceptibilité aux perturbations couplées à l’intérieur du système. 3.2 Techniques de mesure Figure 3. Comparaison des mesures et des simulations de la tension de sortie dans deux cas : (a) la perturbation ESD n’induit pas de perte de front d’horloge. (b) la perturbation ESD induit une perte de front d’horloge [7]. Enfin, l’application sur un cas d’étude industrielle a permis de valider la technique de modélisation [13]. Cette étude met en évidence l’impact d’une capacité utilisée comme filtre EMI (en anglais: ElectroMagnetic Interference) sur la propagation du courant dans un circuit. 3. Développement de techniques de caractérisation Cette section décrit les techniques d’injection et de mesure, développées au cours de la thèse, permettant d’obtenir une caractérisation précise d’un système soumis à des ESD. Ces techniques ont notamment été utilisées pour effectuer des corrélations de mesures avec les simulations obtenues par la méthode de modélisation précédemment décrite. 3.1 Techniques d’injection Une technique d’injection direct appelé DPI (en anglais : Direct Power Injection), inspiré de la norme EMC (en anglais : ElectroMagnetic Compatibility) IEC 62132-4 [14], a été développée pour étudier la susceptibilité des systèmes face aux ESD. Cette technique consiste à ajouter des réseaux de découplage entre les générateurs ESD et les pistes polarisées du système. Cela permet de stresser un système sans que l’alimentation de celui-ci ne débite du courant dans le générateur ESD. Cette technique a notamment été utilisée dans l’étude [7] pour perturber l’alimentation. Un générateur 50Ω « double impulsion », inspiré de [15], a été développé pour reproduire de manière la plus simple possible la forme du courant de décharge définie par le standard IEC61000-4-2[1]. En effet, les générateurs de décharge conforme à ce standard (ou pistolets ESD) souffrent de problèmes de reproductibilité [16]. De plus, ils émettent des champs électromagnétiques [17] pouvant perturber les mesures effectuées lors des tests. Le générateur double impulsion, réalisée autour de lignes de Une mesure, appelé « mesure 1Ω » a été mise en œuvre dans [6] pour mesurer le courant circulant dans un circuit. Cette technique, extraite de la norme IEC 61967 [18] et adapté pour les ESD, consiste à ajouter une résistance de 1Ω sur le chemin entre le circuit et le plan de masse. Le courant issue du circuit et circulant vers la masse induit une différence de potentiellement aux bornes de cette résistance. Une sonde formée de la 1Ω et d’une résistance de 49Ω, permettant de conserver une adaptation 50Ω, est utilisée pour mesurer cette tension. On obtient ainsi une image du courant qui circule dans le circuit. Bien que la mesure 1Ω présente un certain intérêt de part la facilité de sa mise en œuvre et l’analyse des résultats, elle reste invasive car elle décale le potentiel de référence du circuit. Ainsi, une autre méthode a été mise en œuvre pour mesurer le courant circulant dans une piste PCB. Une sonde de champ proche est positionnée au dessus d’une piste du PCB ou d’une broche du circuit, comme illustré à droite sur la figure 4, pour capter les champs magnétiques émient lors du passage des forts courant ESD. En intégrant les champs mesurés, il est possible de recalculer le courant qui a circulé dans la piste. Cette technique de mesure a été validée par corrélation avec une mesure 1Ω dans [19]. La figure 4 montre une comparaison du courant obtenue avec la technique de mesure 1Ω et le courant recalculé à partir des champs magnétiques mesurés avec la sonde de champ proche. Figure 4. Comparaison des mesures du courant ESD circulant dans une piste PCB obtenues avec la méthode de mesure 1Ω et la technique de la sonde de champ magnétique. Une extrapolation de la mesure de courant par champ proche a été développée pour être appliquée à l’ensemble d’un PCB. La sonde de champs est balayée sur la surface du PCB. A chaque pas de la sonde, la perturbation ESD est répétée et les champs émis sont enregistrés. Cela permet de réaliser une cartographie de la répartition du champ magnétique dans l’ensemble du système. D’autre part, il est possible en intégrant les champs obtenus de calculer la répartition dynamique du courant dans le système. Le rendu obtenu, illustré figure 5, permet de quantifier où le courant circule durant l’impulsion ESD. La méthode de scan de champ proche donne de très bon résultat sur la répartition de courant dans le système. Cette technique peut être améliorée en réalisant des sondes de champ plus fines et en améliorant l’algorithme qui recalcule le courant à partir du champ Terrestre), E-SAFE (Esd SAFE electronic producs for automotive applications) Références [1] [2] [3] [4] [5] [6] [7] [8] [9] [10] Figure 5. Cartographie du courant ESD se répartissant dans le système, mesure obtenue par la technique de scan de champ proche. 4. Conclusions Ce papier présente des méthodes de modélisations et des techniques de caractérisations qui ont été développées pour permettre de prédire l’impacte d’une décharge ESD dans un système aussi bien d’un point de vue robustesse que susceptibilité. Ces méthodes permettent d’analyser la propagation du courant ESD dans tout le système et comblent ainsi les manques actuels de techniques d’investigation. Les différentes études exposées dans ce papier illustrent la validité des méthodologies développées. De bonnes corrélations entre les mesures et les simulations sont obtenues. Ces techniques sont proposées aux comités de standardisation ESDA (en anglais : ElectroStatic Discharge Association) de façon à être largement utilisées dans le milieu industriel. Outre les techniques de mesures qui peuvent être utilisées directement, il faut cependant influencer les industriels à améliorer les modèles IBIS (qui sont la base de notre technique de modélisation) pour permettre la simulation de phénomènes ESD. [11] [12] [13] [14] [15] [16] [17] [18] Remerciement L’ensemble de ces travaux a été réalisé dans le cadre du projet ANR VTT (Véhicule pour les Transport [19] IEC 61000-4-2. Electromagnetic compatibility (EMC) – Part 4-2: testing and measurement techniques – electrostatic discharge immunity test. Ed 2.0, 2008-12. ISBN: 2-8318-1019-7. 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