DEPRESSION à L’ADOLESCENCE Spécificité et modalités de prise en charge Pr P. GERARDIN Psychiatre de l’enfant – adolescent CHU/CH Rouvray DEPRESSION CHEZ L ’ENFANT ET L ’ADOLESCENT Existe t ’il une spécificité de la dépression en fonction de l ’âge ? Dépression chez enfant-adolescent non reconnue jusque dans les années 60/70 Actuellement dépression chez l ’enfant et l ’adolescent reconnue avec sa spécificité clinique Importance de son dépistage en raison des conséquences ultérieures (pathologies associées comme tentative de suicide, retentissement familial, scolaire, social, etc…) PLAN DE L ’INTERVENTION Définir la dépression Spécificité de la dépression chez l ’adolescent Diagnostic différentiel / Comorbidité Suicide et dépression Dépression de l ’enfance à l ’âge adulte Facteurs de risque de dépression/ Enjeux de l’adolescence Entretien avec l’ado. Quand s’inquiéter ? Orienter ? • Les soins • • • • Thérapies Traitement hospitalisation Psychotropes autres EPIDEMIOLOGIE DE LA DEPRESSION DE L ’ENFANT ET DE L ’ADOLESCENT Estimation de la prévalence chez l ’enfant environ 1% chez l ’adolescent environ 5% Dépressivité 30% à 40% des adolescents Récurrence fréquente dans les 5 ans Répartition selon le sexe Comorbidité = enfant : garçon = fille adolescent après 13 ans 2 filles= 1 garçon plus fréquentes que chez l ’adulte plus de retentissement que chez l ’adulte car : évolution plus longue impact important sur le fonctionnement social • Proportionnel gravité dépression ⁆ même si peu sévère plus grande fréquence des comportements suicidaires plus grandes difficultés scolaires moins bonnes réponses thérapeutiques importance du dépistage précoce (+++) DEFINIR LA DEPRESSION Association : – d ’un trouble du contenu de la pensée (dévalorisation, culpabilité, pessimisme) – d ’un trouble de l ’humeur (tristesse, anhédonie, anesthésie affective) – d ’un retentissement psychomoteur et somatique (ralentissement moteur et psychique, troubles du sommeil, troubles alimentaires, asthénie…) Tableau en rupture avec l ’état antérieur et avec conséquences Variabilité nycthémérale des troubles Risque vital à ne pas négliger SPECIFICITE DE LA DEPRESSION DE L ’ADOLESCENT Importance du cognitif et du ralentissement Le tableau est souvent trompeur Pensée, humeur : – – – – – – – absence de plainte humeur labile (++) sentiment de vide, d ’ennui dévalorisation centrale pessimisme, monde vécu comme décevant, inutile hostilité, morosité hargneuse, conduites d ’évitement Idées suicidaires fréquentes (77%) SPECIFICITE DE LA DEPRESSION DE L ’ADOLESCENT (2) Troubles du comportement : comportements anti-sociaux, toxicomanie, alcoolisme, recherche compulsive de contacts sociaux et sexuels, volonté d ’assumer une identité négative Ralentissement psychomoteur : – ralentissement idéique, abattement, apathie – altération des activités intellectuelles – moment d ’activité contrastant avec le vécu dépressif Désordres centrés sur le corps : – simple préoccupation à la dysmorphophobie, peur de rougir, de parler en public, – plaintes somatiques : fatigue, céphalées, troubles digestifs – troubles alimentaires : anorexie, boulimie – troubles du sommeil : insomnie ou hypersomnie Dépressions délirantes. Dysthymie La dépression à l’adolescence Classiquement atypique Humeur irritable, dysphorique Perte sélective d'intérêt Boulimie – Hyperphagie Hypersomnie Agitation psychomotrice Fatigue, anhédonie relatives Présence très affirmée Baisse rendement scolaire Passages à l'acte, comportement à risque Troubles psychotiques Idéations suicidaires La dépression à l’adolescence L’irritabilité et la colère sont les symptômes les plus fréquents L’humeur est réactive (les bonnes nouvelles améliorent l’humeur) Sensibilité au rejet COMORBIDITE Chez l ’enfant – Troubles anxieux fille > garçon – A.D.H.D garçon > fille Hypothèse d ’un continuum entre angoisse de séparation, hyperanxiété et dépression Chez l ’adolescent – troubles des comportements alimentaires : TCA fille > garçon (comorbité 11 à 66%) – troubles des conduites TC garçon > fille – troubles liés à l ’utilisation de substances psychoactives • dépression comme facteur de risque d ’un début d ’usage de drogue • dépression aggrave ou auto-entretient l ’abus de toxique • abus de drogue peut aggraver la dépression et faciliter la tentative de suicide DEPRESSION DE L ’ENFANCE A L ’AGE ADULTE Existe t ’il une continuité ? – Faible continuité enfant adulte – forte continuité ado adulte – risque de rechute à l ’adolescence d ’un épisode dépressif de l ’enfant : si épisodes dépressifs majeurs mais pas si dépression réactionnelle. Risque d ’évolution vers une bipolarité (chronicité) : – antécédents familiaux – existence d ’éléments psychotiques – virage maniaque ou hypomaniaque sous traitement antidépresseur Indicateurs d’un trouble bipolaire devant un épisode dépressif à l’adolescence Arguments cliniques Argument familiaux et génétiques – Ascendants au premier degré de TB Arguments pharmacologiques – Virage de l’humeur sous ATD – Efficacité des thymorégulateurs – Début brusque – Signes psychotiques congruents à l’humeur régressant totalement sous traitement Thymorégulateur – Hallucinations transitoires non élaborées – Pas d’émoussement affectifs – Ralentissement psychomoteur massif LES ENJEUX DE L’ADOLESCENCE Rappel.. - Temps de passage enfance adulte - Acceptation des transformations corporelles et psychiques - Doutes sur potentialités ;Image de soi, identité - Deuil enfance, inquiétude avenir (confiance dans le monde adulte ? ) LES ENJEUX DE L’ADOLESCENCE Rappel.. - Temps de l’accession : • à une autonomie progressive, • à une juste distance parents (et inversement), • à des relations entre jeunes, • ouverture sur le monde Peur de la dépendance (+++) Se Séparer : autonomisation ou perte ? Réaménagement des liens ou rupture des liens ? NOTIONS GENERALES SUR L ’ADOLESCENCE Le temps…..L’agir Temps de passage: Plus enfant, pas encorde adulte……………..le temps nécessaire Temps de l’accession: à une autonomie progressive, à une juste distance parents À des relations entre paires, Ouverture sur le monde Temps mouvant Variabilité (+++) des comportements (et symptômes) selon moment, lieux, personnes NOTIONS GENERALES SUR L ’ADOLESCENCE Modification des rapports sociaux : - - Fuite, refus de la famille Investissement du groupe source de réassurance, de compensation, d’enveloppe identitaire mais aussi de risque L’appui sur des adultes « relais » L’importance des codes, attrait pour ce qui fait différence avec monde des adultes Le questionnement sur le monde NOTIONS GENERALES SUR L ’ADOLESCENCE CONSTRUCTION PERSONNALITE Jeux complexes d ’identification à des figures parentales sans perdre son identité et son autonomie Nécessaires « bonnes » images parentales en même temps que « désillusion » de parents parfaits Accession à autonomie de + en + retardée socialement Poussées pulsionnelles : sexuelles, agressives REACTIONS FAMILIALES Parents confrontés : à la séparation à la crise du milieu de vie aux critiques et à l ’opposition à la « désidéalisation » de leur enfant Parents renvoyés : à leur adolescence à la nécessité de se poser comme adulte et non comme copain Parents et adolescents de famille transplantés : écart culturel conflit d ’appartenance ADOLESCENCE ET SOCIETE Logique d ’une société de surconsommation où l’apparence, l’image, l’ « avoir » , soi prédomine sur l’interne, « être », le lien aux autres interdits libération mœurs, valorisation performance, maîtrise problématique narcissique plus que névrotique (conflits) Disparition des rites de passage Augmentation de la dépendance dont financière aux parents NOTIONS GENERALES SUR L ’ADOLESCENCE Hypothèses - Enjeux Interactions psyché-soma - Toute maladie chronique interfère avec processus adolescence Pathologies (soma, psy) en interaction adolescence - Adolescence : le corps s’impose à la psychée Sensibilité aux facteurs environnementaux - - Importance des interventions Importance des intervenants, différenciés mais complémentaires L’intérêt des médiations NOTIONS GENERALES SUR L ’ADOLESCENCE Hypothèses - Enjeux La peur de la dépendance - Balance dont équilibre toujours précaire : Perte comme signal d’alarme ? comme processus deuil ouvrant à une plus grand autonomie ? Adolescence et pathologies - Menace d ’une dépression existe chez tout adolescent - Q de la depression= mécanisme centrale dans la pathologie psychiatrique de cet âge FACTEURS DE RISQUE DE TS à l’Adolescence (1) Adaptation aux enjeux de l’adolescence Prendre en compte : – Eléments familiaux – lutte active contre cette dépendance; vécu séparation – Eléments sociaux – confrontation aux incertitudes sociales, scolaires. Ecole =se séparer, penser par soi-même/ capacités/estime de soi, groupe social – Modes de réaction aux conflits propres à l ’adolescence : – tendance à agir à la place de la mentalisation, expression par le corps, impulsivité, conduites dangereuses comme équivalents FACTEURS DE RISQUE DE TS à l’Adolescence : (2) Contexte • Antécédents de maltraitance ou d ’abus sexuel • (souvent chez l ’adolescent faisant des TS à • • • • • • • répétition) Antécédents TS ou suicide entourage (amis, famille..) (10 à 43% des suicidants) Antécédents familiaux d’affection psychiatrique, d ’alcoolisme (20%) Situation familiale : Perturbations affectives réactionnelles, surtout perception négative de la famille (sentiment de solitude) Ruptures de lien (divorce, placement…) Grossesse à l’adolescence Difficultés scolaires, absentéisme, déscolarisation FACTEURS DE RISQUE DE TS à l’Adolescence (3) Existence pathologie psychiatrique • Dépression, souvent masquée (désinvestissement • • • • • • scolaire, relationnel hostilité, agitation….) suicide : 50 à 75% dépressions T.S : 25 à 60% dépressions Trouble des Conduites, impulsivité Troubles psychotiques : 10% Abus de : drogues, tabac, alcool, psychotropes TCA ( Troubles des comportements alimentaires ) Pathologies somatiques chroniques concomitantes (asthme, diabète, obésité, épilepsie…) En pratique Attention si : - Idées suicidaires augmentent - Préoccupations morbides Evaluer : - Niveau de souffrance - Niveau de critique - Degré d’intentionnalité : projets, moyens dispo - Impulsivité - Soutien, facteurs protecteurs - Événements de vie ENTRETIEN AVEC L ’ADOLESCENT BUT : repérer repérer repérer repérer les les les les ruptures dans la conduite effets de renforcement de l ’entourage bénéfices secondaires situations à risque d ’autonomisation symptôme tendance à l ’agir (violence, fugue, vol, addiction) toxicomanie, alcoolisation anorexie, boulimie tentative de suicide ou conduites de mise en danger rupture relationnelle (repli, absentéisme scolaire, délire…) Durée>+/- 6 mois avec conséquences sur les investissements relationnels et/ou scolaire ENTRETIEN AVEC L ’ADOLESCENT Qui fait la demande et pourquoi, adolescent au cœur consultation Introduire un dialogue qui ne soit ni séduction ni réplique attitude parentale Beaucoup de prudence, de bienveillance en même temps que de distance sur discours, sans complicité, en maintenant des limites Permettre verbalisation conflits, angoisse, Evaluer idées suicidaires (++), risque suicidaire Idem du côté parents, avec parfois retour sur propre adolescence Rôle de médiateur entre parents et ado (sans prendre la place) et de passeur de l ’enfance à l ’âge adulte LES SIGNES POSITIFS D ’UNE CRISE TRANSITOIRE Attitudes normales = désirs sexuels, fuite et opposition à la famille, attirance pour les groupes ou des projets idéalisés, note dépressive Troubles du comportement non figés, possibilité de passer d ’un registre à un autre, contradictions gérées sans trop d ’angoisse et sans trop de décharge dans l ’acte ou l ’addiction Absence de difficultés notables dans l ’enfance Tolérance du milieu ( intransigeance ou démission) Symptômes transitoires ( répétition, durée, conséquences) Conflits et contradictions abordés, sans démission (passivité) ni fuite dans délire, ni déplacement sur entourage L ’ORIENTATION EN PEDOPSYCHIATRIE A - Risque d ’étiquetage psychiatrique à un âge où identifications négatives destructrices, ou possibilité de se créer une pseudo identité psychiatrique Abstention permet renforcement narcissique, désamorce escalade passage à l ’acte, dédramatise reproches et agressivité parents/ado Meilleurs traitements à l ’adolescence = le temps (Winnicott) L ’ORIENTATION EN PEDOPSYCHIATRIE B - Consultations spécialisées indispensables si installation des symptômes et fossé parents/ado Tests psychologiques peuvent rassurer sur fonctionnement psychique Prise en charge par plusieurs intervenants évite rupture propre à l ’adolescence et crainte de dépendance Intérêt = groupes, atelier, médiation autour du corps... LIEN PARENTS / ADOLESCENTS PATHOLOGIQUE Les difficultés ne sont jamais d ’un seul côté Résonance entre un adolescent avec ses propres fragilités et un entourage en difficulté Situations souvent très complexes derrière un tableau parfois évident Nécessite le plus souvent prise en charge multidisciplinaire TRAITEMENT DE LA DEPRESSION Thérapies Reconnaître la souffrance de l’adolescence Poser et expliciter le diagnostic de dépression Relecture des plaintes de l’adolescent et de son entourage à la lumière du diagnostic. Mettre en lien symptômes avec vécu /histoire du sujet = réappropriation ⇛ avec enfant, adolescent ⇛ avec sa famille ⇛ relations / cognition-comportement/ affectsfonctionnement psychique / +/- psychotropes Psychothérapie interpersonnelle 4 domaines de travail : - Deuil pathologique : sentiments-souvenirs passés versus relations actuelles - Transition de rôle difficiles (passage lycée, divorce..) : faire liens humeurs/symptômes, travail sur nouveau rôle +/- parents - Déficits interpersonnels : - rechercher situation passée et ressenti/isolement, situation actuelle et nouvelles stratégies - Conflits interpersonnels (Peut se faire avec personne concernée) : - Négociation et résolution du conflit / Impasse et révision des attentes mutuelles / Dissolution de la relation et gestion de la perte. TRAITEMENT DE LA DEPRESSION Thérapies bifocales psycho-dynamiques à l’adolescence Winnicott : 3 pôles de vulnérabilité dépressive Dépendance affective (carence…) Surestimation narcissique, idéal du moi (+/- poids attentes parentales) Sadomasochisme, sabotage (non gestion agressivité) • Problème bonne distance relationnelle : Dualité narcissico-objectale / séduction - abandon TRAITEMENT DE LA DEPRESSION HOSPITALISATION Indications : – Risque suicidaire ou prise en charge après TS – Repli ou impasse relationnelle (familiale ++)/comportement – Délire / Evaluation Prise en charge : – – – – Mise à distance de la famille et de l’environnement Travail avec famille et adolescent « Nursing » tolérable, diffraction des investissements Recentrer : • l’enfant sur sa vie d’enfant • l’adolescent sur les enjeux de l’adolescence Intérêt : (maladie psychiatrique à l’adolescence) – Rupture; prise en charge globale-intensive; protection;médiations, groupe, +/- psychotropes PROBLEMES DE LA PRESCRIPTION CHEZ ENFANT ET ADOLESCENT Troubles non univoques Origine multifactorielle : génétique, somatique, développmentaux, environnementaux Labilité des troubles Risques : – de rigidification des troubles – de « dépossession » (pour l’enfant, pour la famille) Nécessité d’un consentement et d’une adhésion parentale à la prescription. ANTIDEPRESSEURS : INDICATIONS le traitement de première intention de la dépression chez l’enfant et l’adolescent est la psychothérapie Antidépresseur en deuxième intention chez l’enfant de plus de 8 ans – en cas d’efficacité insuffisante de la prise en charge psychothérapeutique (après 4 à 6 séances) ou d’aggravation de la symptomatologie – en cas de dépression récurrente, de dépression sévère, ou de réponse positive chez un membre de la famille Plus rapidement chez l’adolescent dans les épisodes dépressifs caractérisés d’intensité sévère définis par la classification DSM-IV ou CIM-10 ANTIDEPRESSEURS : Règles de prescription En 1ère intention : ISRS (pas d’AMM) – fluoxétine (AMM européenne pour traitement des troubles dépressifs chez l’enfant à partir de 8 ans), Prozac :5 à 20 mg – Sertraline (Zoloft) 25 à50 mg au début à l’adolescence : important taux de réponse au placebo (environ 30%) Chez les ados prépubères (-12 ans) seule la fluoxétine a montré une efficacité ANTIDEPRESSEURS : Règles de prescription Au delà de 3 mois de prescription – la prescription d'un ISRS nécessite une surveillance de la courbe staturo-pondérale et du stade de développement pubertaire (si doute avis pédiatre endocrinologue et bilan endocrinien). En cas d’anomalie, le bénéfice/risque de la poursuite du traitement doit être réévalué Pour les ISRS, pas de contre-indication absolue ni de bilan obligatoire ANTIDEPRESSEURS : Règles de prescription Prescription discutée avec l’adolescent et ses parents et l’obtention en vue d’une alliance thérapeutique Pas une prescription d’urgence Traitement débuté à la dose la plus faible pour atteindre progressivement la dose minimale efficace. traitement à maintenir 6 à 8 semaines pour juger de l'efficacité. la rémission obtenue, 6 mois à 1 an dans la dépression et 18 mois dans les TOC. arrêt progressivement sur plusieurs semaines AUTRES Thérapies familiales, multi-familiales Internat thérapeutique HDJ Traitement spécifique : D’un trouble du langage D’un soutien psycho-pédagogique Au final Adolescents au besoin de s’appuyer sur des adultes fiables, les investissant, à bonne distance La rencontre avec un adolescent est un moment toujours clé, fiabilité en jeu. La formation (DIU Ado…) et le travail en équipe permet la bonne distance, et le relai ! MERCI!