Les entretiens du Haut-Pas « Un projet pour l`homme, selon le projet

Les entretiens du Haut-Pas
« Un projet pour l’homme, selon le projet de Dieu, lecture de Laudato si »
Le 9 décembre 2015
Par Joël Molinario
Un humanisme écologique ?
L’Encyclique Laudato si du Pape François est incontestablement un grand texte.
Il est remarquable par la nouveauté des sujets qu’il traite mais il est surtout neuf
par la manière dont il aborde la question principale à savoir l’écologie. François
parvient à penser l’écologie, l’économie, le politique, la pauvreté, la technologie
et l’anthropologie comme un ensemble solidairement complexe : en termes
scientifiques on peut dire que l’ensemble fait système, « étant donné que tout est
intimement lié » comme le dit le pape François §1371. A cause de cela, il est
difficile de détacher un aspect de cette Encyclique pour le traiter à part, c’est
pourtant ce que je vais tenter de faire. En effet, au cœur de Laudato si, le
chapitre III introduit une réflexion fondamentale sur des liens entre technologie,
anthropologie et écologie. Plus précisément les § 101 à 123 avancent des
arguments décisifs en vue de fonder un humanisme écologique sur une
anthropologie chrétienne. Il n’est évidemment pas question de réduire
l’encyclique de François à ce chapitre, mais à partir de ce chapitre III nous
avons une clé pour comprendre l’ensemble du texte.
Avant d’atteindre ce cœur de Laudato si, je voudrais commencer par situer les
grandes lignes de pensée du pape François et notamment son approche de
l’évangélisation qu’il a exprimé à plusieurs reprise et notamment dans EG.
Puis nous regardons brièvement la logique d’ensemble de l’Encyclique Laudato
si afin d’en apprécier la cohérence.
Dans un troisième temps nous nous attacherons à montrer l’anthropologie que
développe l’Encyclique. Puis quelles sont les ressources théologiques et
bibliques de cette anthropologie que l’on peut qualifier d’humanisme
écologique.
Enfin, quel débat avec la société et culture contemporaine François engage-t-il ?
I La pensée du pape François : une Eglise missionnaire. Quelques clés
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1TouslesnumérosrenvoientauxparagraphesdeLaudatosi.
1
Deux principes de base : l’Eglise existe pour évangéliser – pas d’évangélisation
si l’Eglise ne s’évangélise pas elle-même. Cette évangélisation prend racine
dans le baptême. (Disciples missionnaires)
a. Rencontrer et se convertir
3. J’invite chaque chrétien, en quelque lieu et situation où il se trouve, à
renouveler aujourd’hui même sa rencontre personnelle avec Jésus Christ ou, au
moins, à prendre la décision de se laisser rencontrer par lui, de le chercher
chaque jour sans cesse. Il n’y a pas de motif pour lequel quelqu’un puisse penser
que cette invitation n’est pas pour lui, parce que « personne n’est exclus de la
joie que nous apporte le Seigneur ».[1] Celui qui risque, le Seigneur ne le déçoit
pas, et quand quelqu’un fait un petit pas vers Jésus, il découvre que celui-ci
attendait déjà sa venue à bras ouverts. EG Laudato si appelle à une conversion
écologique, qui n’est pas d’abord l’adhésion à nouvelle doctrine, mais la
conséquence de la rencontre avec le Dieu créateur et ses créatures.
La foi n’est pas une idée, ni réductible à une doctrine, c’est d’abord une
rencontre avec quelqu’un. Cette rencontre nous transforme.
b. Rien n’est plus solide que le Kérygme
164. Nous avons redécouvert que, dans la catéchèse aussi, la première annonce
ou “kérygme” a un rôle fondamental, qui doit être au centre de l’activité
évangélisatrice et de tout objectif de renouveau ecclésial. Le kérygme est
trinitaire. C’est le feu de l’Esprit qui se donne sous forme de langues et nous fait
croire en Jésus Christ, qui par sa mort et sa résurrection nous révèle et nous
communique l’infinie miséricorde du Père. Sur la bouche du catéchiste revient
toujours la première annonce : “Jésus Christ t’aime, il a donné sa vie pour te
sauver, et maintenant il est vivant à tes côtés chaque jour pour t’éclairer, pour te
fortifier, pour te libérer”. Quand nous disons que cette annonce est “la
première”, cela ne veut pas dire qu’elle se trouve au début et qu’après elle est
oubliée ou remplacée par d’autres contenus qui la dépassent. Elle est première
au sens qualitatif, parce qu’elle est l’annonce principale, celle que l’on doit
toujours écouter de nouveau de différentes façons et que l’on doit toujours
annoncer de nouveau durant la catéchèse sous une forme ou une autre, à toutes
ses étapes et ses moments.[126] Pour cela aussi « le prêtre, comme l’Église, doit
prendre de plus en plus conscience du besoin permanent qu’il a d’être évangélisé
».[127]
c. La hiérarchie des vérités
2
« Une pastorale en terme missionnaire n’est pas obsédée par la transmission
désarticulée d’une multitude de doctrines qu’on essaie d’imposer à force
d’insister. Quand on assume un objectif pastoral et un style missionnaire, qui
réellement arrivent à tous sans exceptions ni exclusions, l’annonce se concentre
sur l’essentiel, sur ce qui est plus beau, plus grand, plus attirant et en même
temps plus nécessaire. La proposition se simplifie, sans perdre pour cela
profondeur et vérité, et devient ainsi plus convaincante et plus lumineuse. »
EG35.
Toutes les vérités révélées procèdent de la même source divine et sont crues
avec la même foi, mais certaines d’entre elles sont plus importantes pour
exprimer plus directement le cœur de l’Évangile. Dans ce cœur fondamental
resplendit la beauté de l’amour salvifique de Dieu manifesté en Jésus Christ
mort et ressuscité. En ce sens, le Concile Vatican II a affirmé qu’ « il existe un
ordre ou une ‘hiérarchie’ des vérités de la doctrine catholique, en raison de leur
rapport différent avec le fondement de la foi chrétienne ».[38] Ceci vaut autant
pour les dogmes de foi que pour l’ensemble des enseignements de l’Église, y
compris l’enseignement moral. EG 36.
d. La réalité de la foi plus que l’idée
Le pape s’attache toujours à la résistance des faits… la crise actuelle n’est pas la
perte d’une idéologie, mais la perturbation de quelque chose : perturbation de la
relation à la terre, perturbation de la relation à autrui. (cf N.Hulot)
e. Le temps supérieur à l’espace
Cet aspect de la pensée de François est fort impliquant pour nous notre lecture
de Laudato si. Héritage du renouveau théologique qui a permis Vatican II, il
s’agit pour lui de déployer le principe de l’historicité de la foi chrétienne comme
une caractéristique première du fait d’être chrétien. Développé dans EG nous le
retrouvons ici. « Le drame de l’immédiateté politique, soutenue aussi par des
populations consuméristes, conduit à la nécessité de produire de la croissance à
court terme. On oublie que le temps est supérieur à l’espace, que nous sommes
toujours plus féconds quand nous nous préoccupons plus d’élaborer des
processus que de nous emparer des espaces de pouvoir ». Laud. 178
f. La périphérie est au centre
Le terme périphérie est emprunté à la sociologie urbaine. Mais François en
change le sens. Dans la sociologie urbaine la périphérie de se situe par rapport
au centre comme un processus de décadence. Au centre la richesse culturelle et
économique, le dynamisme des initiatives, the place to be. Plus on s’en éloigne,
plus la pauvreté gagne, moins la culture est présente, plus les populations sont
3
délaissées. Cela a donné nos cités et banlieues d’aujourd’hui. Sauf que pour
François, c’est à la périphérie qu’il faut aller justement parce qu’y sont présents
les délaissés de la terre, les délaissés de la croissance et du dynamisme d’un
pays. C’est donc là qu’il faut être dit François, parce que c’est là qu’est le Christ.
Le mot périphérie s’élargit. Il ne désigne plus seulement le rapport centre
banlieue. Il est aussi culturel et spirituel, il est aussi planétaire. Les pays riches
occidentaux ont pollué, polluent encore et les plus pauvres subissent. Le cœur de
la foi, le kérygme nous invite à aller là. Bref quand vous allez à la périphérie
vous êtes au centre là où le Christ nous attend.
L’Église “en sortie” est la communauté des disciples missionnaires qui prennent
l’initiative, qui s’impliquent, qui accompagnent, qui fructifient et qui fêtent. «
Primerear – prendre l’initiative » : veuillez m’excuser pour ce néologisme. La
communauté évangélisatrice expérimente que le Seigneur a pris l’initiative, il l’a
précédée dans l’amour (cf. 1Jn 4, 10), et en raison de cela, elle sait aller de
l’avant, elle sait prendre l’initiative sans crainte, aller à la rencontre, chercher
ceux qui sont loin et arriver aux croisées des chemins pour inviter les exclus.
Pour avoir expérimenté la miséricorde du Père et sa force de diffusion, elle vit
un désir inépuisable d’offrir la miséricorde. Osons un peu plus prendre
l’initiative ! En conséquence, l’Église sait “s’impliquer”. EG 24.
II La cohérence d’ensemble de Laudato si
L’Encyclique de François commence par un regard à la fois de pasteur et de
scientifique sur la réalité écologique de notre planète, qu’il qualifie de maison
commune. De pasteur, parce qu’il regarde le monde d’aujourd’hui avec les yeux
de la foi de François d’Assise, de scientifique parce que les constats qu’il fait
s’appuient sur des grandes recherches internationales les plus sérieuses (GIEC,
groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat et son 5è
rapport). Que se passe-t-il dans notre maison commune ? C’est la question à la
laquelle répond l’Encyclique dans ce premier chapitre. Les questions de
pollution, de climat, de biodiversité, de l’eau, de détérioration de la vie humaine
et les liens qu’il tisse entre le changement climatique et la dégradation de la vie
humaine et sociale en certains endroits de la planète. Les plus riches polluent le
plus, les plus pauvres subissent le plus.
Le second chapitre est théologique. Il a pour titre l’Evangile de la création. La
foi permet de penser l’écologie parce que la terre c’est la vie donnée par Dieu
aux hommes. La lumière de la foi à travers la sagesse biblique permet de
comprendre les ressorts de la crise écologique contemporaine. Il y a un lien
intrinsèque entre la fragilité de la créature et la dégradation de la création.
4
Le troisième chapitre, celui sur lequel nous nous arrêterons évoque la racine
humaine de la crise écologique.
Le chapitre 4 porte sur l’écologie intégrale, qui est la conséquence du chapitre 3
où François énonce le principe systémique du paradigme technologique, il
montre que le l’écologie n’est pas une question sectorielle, parmi d’autres, mais
bien une question globale qui touche la culture, la vie quotidienne le bien
commun la justice lien entre les générations.
Le chapitre 5 porte sur l’action de l’homme afin d’enrayer cette crise écologique
et c’est le dialogue qui est le principal instrument d’une prise de conscience et
d’une action commune de l’humanité.
Enfin, le dernier chapitre parle d’éducation et de spiritualité écologique. Dans
cette fin d’Encyclique François remonte en amont de toute action humaine, à
l’éducation à un autre style de vie et à une conversion écologique. Ici il ne s’agit
pas seulement de réparer mais d’entrer dans une manière de vivre en harmonie
avec la création attitude, style de vie qui reçoit la planète comme un cadeau.
L’écologie est donc un projet de vie intégrale.
A travers ces 6 chapitres, nous reconnaissons une structure pastorale que la
Conférence des évêques sud-américains a souvent fait jouer : le triptyque voir/
juger/agir. Mais on sait la manière avec laquelle le pape François fait jouer le
voir/juger/agir. En effet, le voir n’est pas seulement le regard extérieur et froid
de l’observateur, il s’agit du regard du pasteur avec les yeux de la foi qui se
conjugue avec celui du scientifique pour porter un regard d’amour sur une
situation blessée. De même l’action, n’est pas seulement la conséquence de
principes ou de jugement, elle est aussi ce qui doit anticiper le jugement par
l’éducation. Le jugement, celui de la Parole de Dieu, n’est pas une parole
extérieure mais elle rejoint l’homme et révèle celui-ci dans sa situation et lui
offre une manière de se convertir.
III La vision anthropologique de Laudato si
Allons maintenant au cœur de l’Encyclique où François explique les racines
humaines de la crise écologique
« On peut dire par conséquent, qu’à l’origine de beaucoup de difficultés du
monde actuel, il y a avant tout la tendance, pas toujours consciente, à faire de la
méthodologie et des objectifs de la technoscience un paradigme de
compréhension qui conditionne la vie des personnes et le fonctionnement des
sociétés. » nous explique François. (§107) Nous sommes au cœur de la
cohérence de l’Encyclique. La technique n’est pas seulement un moyen dont les
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