Thermodynamique de l`économie

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Thermodynamique de l’économie Par François Roddier – physicien et astronome in revue ORBS N°2 mai 2014 – pages 130 et ss (Notes de lecture de Benoît Heitz) Les lois de la thermodynamique Une des leçons de la thermodynamique est que la sélection naturelle n’agit pas sur les individus, mais sur l’information qu’ils transmettent et mémorisent. Les biologistes s’en sont rendus compte, sans même invoquer la thermodynamique. Chez les plantes ou les animaux, cette information est mémorisée dans les gènes. La sélection naturelle agit donc sur les gènes et non pas sur les individus. C’est la base de la biologie moderne dite « néo-­‐darwinienne ». Chez l’homme, l’information transmise est essentiellement mémorisée dans le cerveau. La transmission se fait par l’éducation au moyen de l’oral et de l’écrit, c’est à dire de la parole et des livres. La sélection naturelle agit donc sur la culture. Rares, semble-­‐t-­‐il, sont ceux qui l’ont compris. Il est grand temps de réaliser que, de génétique, l’évolution de l’homme est devenue fondamentalement culturelle, d’où l’aberration des idées racistes. Pour le physico-­‐chimiste Ilya Prigogine, les êtres vivants sont des structures dissipatives, c’est à dire des structure qui, comme les cyclones, se forment pour dissiper l’énergie. Le statisticien Alfred James Lotka, dès 1922, avait pressenti l’existence d’une troisième loi de la thermodynamique. Pour Lotka, la sélection naturelle favorise les individus les plus aptes à dissiper l’énergie. Ce principe apparaît aujourd’hui comme général. Les structures dissipatives s’auto-­‐organisent pour maximiser la vitesse à laquelle l’énergie se dissipe dans l’univers. Cela s’applique aussi bien aux atmosphères planétaires qu’aux sociétés humaines. Les structures dissipatives s’organisent en oscillant entre l’ordre et le chaos de façon à rester constamment au voisinage d’un point critique de dissipation optimale. En biologie, cela implique une alternance entre coopération et compétition. En s’adaptant à son environnement de façon à maximiser sa dissipation d’énergie, la société humaine modifie son environnement, ce qui l’oblige sans cesse à se réadapter. Cette boucle de rétroaction positive fait que l’évolution s’accélère constamment. Un phénomène appelé « effet de la reine rouge »1 par le biologiste Leigh van Valen. Le temps mis par une société humaine pour s’adapter aux changements est nécessairement limité. Lorsqu’une société n’a plus le temps de s’adapter, elle s’effondre. D’autres la remplacent, puis s’effondrent à leur tour. Les physiciens qui s’intéressent aux écosystèmes ont compris que la vie est un compromis entre l’efficience et la résilience. La coopération maximise l’efficience avec laquelle l’énergie se dissipe, mais cela entraîne une évolution de l’environnement. Les écosystèmes s’adaptent à cette évolution grâce à leur résilience. Celle-­‐ci est maintenue par la biodiversité et la compétition entre les espèces. Il en est de même des sociétés humaines. La mondialisation de l’industrie a entraîné une croissance économique et démographique accélérées de notre société dont l’environnement s’est considérablement modifié. Pour s’adapter, notre société cherche à augmenter sa résilience, en accroissant la diversité et la compétitivité de ses entreprises. En biologie, ce processus conduit à des extinctions d’espèces. Chez l’homme, il conduit à des effondrements. La vie et « le développement durable » Aux périodes dites de « vaches grasses » caractérisées par des explosions démographiques, succèdent des périodes de « vaches maigres » durant lesquelles des sociétés s’effondrent. Les premières machines à vapeur utilisables industriellement sont dues à l’introduction du régulateur à boules par l’ingénieur James Watt. De même, l’homme devra apprendre à réguler son économie. Tout le monde sait aujourd’hui qu’un moteur de voiture a un régime pour lequel son rendement est optimum. On ne peut accroître son régime indéfiniment sans endommager le moteur. De même, en économie, la croissance ne peut se poursuivre indéfiniment. L’homme devra apprendre à faire tourner son économie à son régime optimal. La biologie nous montre que cela ne peut se faire qu’à l’échelle de la biosphère. L’effondrement inéluctable Pour la première fois de son histoire, l’humanité prend conscience de sa fragilité. Un besoin pressant se fait sentir de reconstruire l’économie humaine sur des bases plus solides et plus sûres. Quel modèle suivre ? La biologie nous montre les processus naturels. Après un incendie, les écosystèmes se reforment spontanément par accroissement de la diversité et de l’interconnectivité. Ce sont des processus statistiques auxquels obéissent aussi bien les sociétés humaines. Lorsque, après les deux guerres mondiales, les empires coloniaux se sont effondrés, de nouvelles sociétés sont nées grâce au développement d’une certaine diversité culturelle, préservée par la Déclaration des droits de l’homme. La mondialisation de l’économie a assuré l’interconnectivité. En écologie, ce processus conduit à une nouvelle explosion végétale et animale. Chez l’homme, cela a provoqué une explosion économique et démographique : le baby-­‐
boom. Mais les écosystèmes vieillissent et deviennent vite propices à de nouveaux incendies. Il en est de même des sociétés humaines. Aujourd’hui, l’importance des dégâts infligés à l’environnement laisse présager une catastrophe majeure à l’échelle mondiale, d’ampleur semblable à celle survenue à la fin du paléolithique. On sait qu’à cette époque, par suite de la pénurie de nourriture, de chasseur-­‐cueilleur, l’homme est devenu éleveur-­‐agriculteur. On peut s’attendre à un changement de même ampleur du comportement humain. 1 Inspiré par un personnage de la suite des aventures d’Alice, De l’autre côté du miroir, de Lewis Carol L’effondrement des systèmes scolaires nationaux, remplacés par des écoles privées a pour effet d’accroître la diversité culturelle, tandis que le téléphone portable et l’Internet accroissent l’interconnectivité. Les comportements sont de plus en plus individualistes, mais de plus en plus influencés par les médias. Autant de signes qui annoncent un changement majeur de société. Que va-­‐t-­‐il se passer ? Là encore, la biologie peut servir de modèle. Lorsque survient une pénurie de nourriture, l’amibe du terreau met toutes ses ressources génétiques en commun pour former un être multicellulaire unique capable de se reproduire. On peut penser que, de même, l’humanité saura mettre toutes ses ressources culturelles en commun pour former une société planétaire unique capable de survivre au désastre qui s’annonce. A la fois diverse mais unie, cette société nouvelle sera non seulement plus efficace que nos sociétés actuelles, mais aussi plus résiliente aux changements de l’environnement. L’économie de coopération Ainsi l’humanité passera d’une économie de compétition à une économie de coopération. Là encore, les lois de la thermodynamique éclairent le processus et la biologie peut servir à l’illustrer. Comme toute société humaine, une entreprise est une structure dissipative. La sélection naturelle favorise les entreprises qui dissipent le plus d’énergie. Elle favorise donc la formation de grosses entreprises mais, soumise à l’effet « de la reine rouge », il leur est de plus en plus difficile de se restructurer suffisamment rapidement. Il faut les « dégraisser ». Cela se fait par des incitations à sous-­‐traiter tout ce qui est possible à des entreprises plus petites qu’elles tentent d’exploiter au maximum. De nos jours, un bon nombre de grosses entreprises sont au bord de la faillite. Beaucoup sont maintenues artificiellement en vie grâce à de l’argent public provenant de gouvernements de plus en plus endettés. Cela ne fait que retarder l’effondrement inéluctable de l’économie. Plus l’effondrement sera tardif, plus les dégâts subis par l’environnement seront graves et plus la restructuration de la société sera difficile. Les écosystèmes se reforment grâce à leur diversité génétique. De même, les sociétés humaines se reconstruisent grâce à leur diversité culturelle. Lorsque le climat change, les grands arbres sont remplacés par la savane. De même, les grandes entreprises multinationales seront remplacées par une multitude de petites entreprises très diverses. Celles-­‐ci prendront principalement la forme de coopératives. Les abeilles d’un essaim coopèrent parce qu’elles partagent les mêmes gènes. Les membres d’une coopérative font de même parce qu’ils partagent les mêmes idées. A l’instar du miel, les produits des coopératives sont des produits du « terroir », pas des produits standardisés. Il est à noter que des petits mammifères ont existés à l’époque des dinosaures. Ils sortaient la nuit pour échapper à leurs prédateurs. De façon similaire, une économie solidaire profite aujourd’hui des faiblesses des grosses entreprises pour tenter de s’instaurer. On sait que les mammifères ont pris leur essor peu après l’extinction des dinosaures. De même une économie solidaire se développera dès les disparitions des grosses entreprises. On voit déjà la coopération s’étendre à plus grande échelle, sous la forme d’associations de coopératives. Ces associations continueront à se développer, mais certaines pourront s’effondrer. Les plus durables seront celles qui sauront préserver leur environnement en créant des cycles d’échange capables de ramener constamment leur environnement à l’état initial, à l’image des cycles de Carnot. Ainsi progressivement, l’homme apprendra à maîtriser les mécanismes thermodynamiques mis en jeu jusqu’à un niveau international. D’appliquée, la recherche scientifique redeviendra fondamentale. De spécialisée, elle redeviendra multidisciplinaire. On assistera au développement progressif d’une intelligence planétaire, un cerveau global capable de maîtriser son environnement. Alors l’humanité sera enfin capable de prendre collectivement en charge son destin. 
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