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Découvrez le corrigé de la dictée de Bourg-en-Bresse
Samedi 13 avril 2013
Une histoire sans fin…
Hier soir, à la fin du dîner, je voulus raconter la chose la plus drôle qui, selon moi, nous
fût arrivée quand, mon épouse et moi, nous visitâmes pour la première fois Bourg-en-Bresse…
La dame qui me faisait face, une personne haute en couleur quoique stricte végétarienne, et qui
avait été pharmacienne dans sa jeunesse, m’interrompit sur-le-champ pour dire qu’elle-même
avait découvert le chef-lieu de l’Ain dans les années quatre-vingt. Elle se souvenait, avec une
émotion hyperbolique, de girolles et de pieds-de-mouton safranés dont elle s’était régalée en
centre-ville. Ah ! Si seulement elle pouvait se souvenir du nom du restaurant… !
Les contes de l’apothicaire incitèrent la dame qui était à sa droite à enchaîner pour
parler avec emphase d’une auberge franc-comtoise où l’on servait les plus savoureux
épigrammes qui soient… Ce second laïus terminé, je repris mon récit, avec le souci de ménager
mes effets à l’intention de commensaux censés être attentifs… puisque cela signifie « quatre
vingtaines »
Mais un autre massacreur d’histoire(s) survient, qui n’avait pas besoin de parler pour
vous couper la chique : le retardataire qui surgit de la cuisine ! Il esquisse un sourire d’excuse
et, d’un signe amical de la main, vous incite à poursuivre sans vous préoccuper de lui… Quand
sa chaise a fini de craquer, vous recommencez votre narration. Cependant, il écoute avec un
intérêt trop intense pour être vrai, et, tandis que ses petits yeux marron foncé ne quittent pas
votre visage, il cherche dans ses poches sa vieille pipe en sépiolite, la tape élégamment contre
l’assiette à dessert, souffle dedans une ou deux fois, et, à tâtons, sort sa blague et bourre son
brûlot de scaferlati.
Vous avez à grand-peine réuni à nouveau vos anecdotes qu’entre en scène dans cette
saynète le freineur d’histoire(s), qui vous reprend gentiment, qui vous corrige obligeamment à
chaque mot, contestant une date, rectifiant un solécisme, ajoutant une digression qu’il juge des
plus indispensables. Bref, le cuistre que plus d’un, ici, juge horripilant… sauf quand il gâche vos
allocutions !
Néanmoins, vaille que vaille, vous allez aborder l’acmé, sans air des clochettes, c’est-àdire le point culminant, et enfin passionnant, de votre récit, quand la maîtresse de céans, toute
radieuse, apporte le dessert, qui doit absolument se consommer au moins tiède, mais pas
brûlant : attention aux chauds fars ! Vous consentez alors à différer la suite, qui, bien souvent,
sera reportée sine die…
D’ailleurs, j’y pense tout à coup, vous ai-je raconté l’histoire qui nous est arrivée quand,
pour la première fois, nous sommes venus à Bourg-en-Bresse ?...
© Jean-Pierre Colignon, avril 2013.
Une histoire sans fin… : « Qui n’a pas de fin », comme la vis sans fin… Fin reste normalement au
singulier.
dîner : Avec un accent circonflexe qui s’est substitué à un s (cf. le latin disjunare, « rompre le
jeûne »).
drôle : Il y a dans drôle un accent circonflexe sur le o, parce qu’il précède une syllabe muette, ce qui
n’est pas le cas de drolatique (pas d’accent).
qui nous fût arrivée : Plus-que-parfait du subjonctif (au pluriel = qui nous fussent), d’où l’accent
circonflexe.
nous visitâmes : Passé simple = il y a toujours un accent circonflexe aux deuxième et troisième
personnes du pluriel.
Bourg-en-Bresse : Entité politique et administrative, puisque c’est une commune, d’où les traits
d’union. Majuscules à tous les mots, sauf aux articles et aux prépositions : donc, minuscule à en. On
prononce « Bourken » ; les habitants et/ou natifs de cette préfecture de l’Ain sont les Burgiens et
Burgiennes.
haute en couleur : Haut s’accorde en genre et en nombre, mais couleur est figé au singulier, même au
sens figuré. Au sens propre, il est question d’une seule couleur, de la carnation de la peau du visage :
c’est avoir un teint coloré... Au sens figuré, le terme est également cantonné au singulier = on parle de
personnes truculentes, prolixes, voyantes, bruyantes, pittoresques, qui ont de la verve, du bagout, DE
LA couleur…
quoique : Conjonction (en un seul mot) ayant la signification concessive de « bien que », « malgré le
fait que ». Elle précède un adjectif, ou un verbe au subjonctif. On ne fait l’élision que devant il, elle,
ils, elles, on, en, un et une.
Ne pas confondre avec quoi que en deux mots : « quoi qu’il fasse » (= quelle que soit la chose qu’il
fasse).
sur-le-champ : Locution adverbiale signifiant « immédiatement », « tout de suite ». Les deux traits
d’union soulignent la différence de signification avec la locution sur le champ (= sur le pré, dans la
prairie…).
elle-même : Même est lié par un trait d’union aux pronoms personnels qu’il renforce (eux-mêmes,
vous-même…).
chef-lieu : Mot composé avec trait d’union. Les deux éléments étant des substantifs, il y a double
accord au pluriel : des chefs-lieux.
les années quatre-vingt : Adjectif numéral cardinal, quatre-vingts s’écrit avec un s, puisque cela
signifie « quatre vingtaines », mais ce s disparaît quand un autre adjectif numéral suit (quatre-vingthuit euros, quatre-vingt-treize concurrents). Lorsque quatre-vingt est un adjectif numéral ORDINAL,
au sens de « quatre-vingtième », il demeure invariable : la page quatre-vingt de ce livre, les années
quatre-vingt.
hyperbolique : Dérivé d’hyperbole, ce mot a pour préfixe hyper, tiré du grec huper, « au-dessus »
(l’upsilon grec est transcrit en français par un y).
de girolles et de pieds-de-mouton safranés : L’emploi de de entraîne évidemment le pluriel (sinon,
on dirait « d’une girolle », « d’un pied-de-mouton ». Notez les deux l du nom féminin girolle,
désignant un champignon très apprécié. Autre champignon bien connu : le pied-de-mouton ! Comme
la pharmacienne est une végétarienne convaincue, elle ne mange pas de viande ; elle ne saurait manger
des… pieds de mouton ! En revanche, elle consomme des champignons, et les deux traits d’union à
pieds-de-mouton marquent la métaphore due à la ressemblance de forme : il n’y a ni vrais pieds ni
mouton(s)… La marque du pluriel des mots composés appartenant à la catégorie « substantif + de +
substantif » ne porte que sur le premier élément (cf. : des langues-de-chat, des dents-de-lion, des œils de-bœuf…).
Safrané dérive d’un mot masculin se terminant en -an : le n n’est donc pas doublé. Cf. : la colonne
Trajane, la Poste vaticane, une faisane… (Très rares exceptions : Jeanne, paysanne…)
régalée : Accord sur le COD s’ reprenant le sujet elle. (Si l’on reconstruit la phrase avec avoir, on a :
« Qui a-t-elle régalé ? s’, c’est-à-dire elle-même.)
centre-ville : Nom commun composé masculin, comportant un trait d’union. (Au pluriel, accord
normal de cette catégorie de mots formés de deux substantifs : double pluriel = des centres-villes.)
Ah ! : Interjection marquant divers sentiments : la surprise, l’étonnement, le soulagement, le dépit, la
douleur… (Ah zut alors !, Ah bon ?!..., Ah ! Que j’ai mal !...) Les interjections, simples ou
composées, sont suivies directement du point d’exclamation.
Ne pas confondre avec ha !, autre interjection, dont l’emploi se restreint de plus en plus, simple ou
redoublée, à l’expression du rire : « Ha, ha, ha ! ».
contes de l’apothicaire : On appelle compte(s) d’apothicaire des comptes compliqués, excessivement
détaillés donc confus, par comparaison avec les décomptes et factures des apothicaires, soupçonnés de
malhonnêteté. Ici, il n’y a pas de comptes, mais les souvenirs, les histoires contées par la
pharmacienne !
Apothicaire tire son orthographe du grec apothêkê : « boutique ».
franc-comtoise : Le gentilé, ou ethnonyme, de Franche-Comté est franc-comtois, franc-comtoise. Au
pluriel, franc reste invariable, alors que le second élément varie au féminin : des bourgs franc-comtois,
les fermes franc-comtoises. Quand le terme est en emploi de nom propre, il y a évidemment des
majuscules : de jeunes Franc-Comtoises, les Franc-Comtois.
savoureux épigrammes : Si épigramme est un mot féminin au sens d’écrit satirique (généralement
des quatrains), c’est un mot masculin quand il désigne des tranches minces de poitrine d’agneau à
griller ou à sauter.
L’épigramme satirique la plus connue est certainement celle de Voltaire visant son ennemi intime Jean
Fréron :
L’autre jour, au fond d’un vallon
Un serpent piqua Jean Fréron.
Que croyez-vous qu’il arriva ?
C’est le serpent qui creva.
laïus : Nom commun issu du nom propre de Laïos, ou Laïus, père d’Œdipe. En 1804, le premier sujet
de composition proposé au concours d’entrée à Polytechnique fur « Le discours de Laïus ». Les
postulants durent donc « faire un… Laïus », et le nom propre devint rapidement un nom commun au
sens de « discours, allocution », puis de « baratin, blabla… ».
commensaux : Pluriel de commensal, « convive ».
censés : Censé, homonyme de sensé, « sain d’esprit », s’écrit donc avec un c à l’initiale et signifie
« supposé, présumé, réputé »… (Du latin censere, « estimer, juger ».)
massacreur d’histoire(s) : Au singulier ou bien au pluriel, peu importe… On peut dire que c’est ou
bien quelqu’un qui massacre l’histoire en cours, celle qui se déroule, ou bien quelqu’un qui a
l’habitude de massacrer toutes les histoires.
marron foncé : Invariabilité. Quand un vrai adjectif de couleur simple est suivi d’un terme qui en
précise la nuance, il n’y a jamais de trait d’union et l’ensemble reste invariable, parce que c’est une
ellipse pour : « qui est D’UN marron foncé ».
sépiolite : Ce substantif féminin (du grec sêpion, « os de seiche » ; cf. sépia, « liquide noirâtre sécrété
par la seiche ») désigne un silicate hydraté naturel de magnésium, appelé aussi « écume de mer », qui
sert à fabriquer des pipes.
tape : Attention : un seul p !
à tâtons : « En tâtonnant ». Cette locution adverbiale est figée au pluriel.
brûlot : En argot, variante de brûle-gueule, pour désigner une bouffarde, une pipe à tuyau court, qui
est donc près du visage. De la famille de brûler, d’où l’accent circonflexe.
scaferlati : L’origine de ce mot masculin désignant un tabac utilisé pour la pipe comme pour la
cigarette est inconnue, semble-t-il.
à grand-peine : Le trait d’union, dans cette locution adverbiale, remplace le e disparu de grande.
saynète : Ce mot n’est pas un dérivé de scène, et ne s’écrit donc pas « scénette ». C’est un substantif
d’origine espagnol, sainete, lié à sain, « graisse ». Le terme a désigné les morceaux de viande que l’on
donnait aux oiseaux de proie dressés pour la chasse, puis, ou aussi, les morceaux onctueux, succulents,
bien gras, qui restaient attachés au fond des marmites. Toujours dans la langue de Cervantès, de saveur
en cuisine on est passé à saveur en littérature et au théâtre, avec en particulier l’acception de pièce
bouffonne courte jouée en intermède. C’est avec cette dernière signification que le mot est entré dans
le lexique français : « comédie très courte, parfois réduite à une scène », « sketch ».
freineur d’histoire(s) : Même commentaire que pour massacreur d’histoire(s) = voir plus haut.
obligeamment : Adverbe forgé sur obligeant(e), dont il conserve donc ea.
solécisme : Ce nom commun désigne une faute de grammaire, une erreur de syntaxe (« C’est le vélo à
Pierre », « Elle a été au boucher », etc.). Vient du nom de la ville de Soles, en Cilicie (Asie Mineure),
dont les colons athéniens parlaient un grec relâché, corrompu…
digression : Ce nom féminin (= parenthèse) ne doit pas être déformé en « disgression » !
des plus indispensables : « Parmi les plus indispensables ». Pour l’instant, la règle est de suivre les
règles normales d’accord. Une évolution de l’usage entérinera officiellement, peut-être, dans le futur,
un accord au singulier, en faisant de des plus un équivalent de « très ».
plus d’un, ici, juge : Avec plus d’un et plus d’une, le verbe qui suit se met au… singulier, parce que
dans l’oreille reste le mot un ou le mot une. Pour la même raison, et bien que cela soit intrinsèquement
illogique, on accorde au… pluriel les verbes, adjectifs, participes qui suivent moins de deux : on a dans
l’esprit le mot deux (moins de deux candidats se sont présentés).
Il y a deux exceptions où l’on met le pluriel derrière plus d’un(e) : a) quand il y a répétition = Plus
d’un cadre, plus d’un employé, plus d’un ouvrier sont menacés de chômage ; b) quand le verbe qui
suit impose nettement l’image de la participation d’au moins deux personnes : Plus d’une cliente
s’arrachaient les robes en solde.
horripilant : Deux r. Horripiler a pour étymon un verbe latin signifiant « avoir le poil hérissé » !
l’acmé : « Sommet, point culminant, zénith, apogée » (du grec akmê, « partie aigu d’un objet »).
Ne pas confondre avec l’acné juvénile ! Aucun rapport avec l’opéra Lakmé, du Français Léo Delibes,
où l’air dit « des clochettes » est un morceau de bravoure pour les cantatrices.
c’est-à-dire : Notez les deux traits d’union. En bout de ligne, dans un texte composé, on coupe en
respectant la liaison : « c’est-à / dire ».
céans : C’est-à-dire : « ici », « des lieux » (de l’ancien français çaenz, « ça dedans »). Ne pas
confondre avec séant (être assis sur son séant) !
aux chauds fars ! : Calembour sur le nom du flan aux pruneaux spécialité de la Bretagne = on parlait
d’un dessert qui ne devait pas être servi brûlant ! Jeu de mots sur chauffard(s), bien sûr, mot qui
n’avait aucune raison d’être là… Le singulier au chaud far ! était licite.
sine die : « Sans date fixée ». Deux mots sans trait d’union ni accents dans cette locution adverbiale
latine.
venus : Le masculin pluriel devait être appliqué, puisqu’il renvoyait au tout début du texte, c’est-àdire au narrateur et à son épouse.
© Jean-Pierre Colignon, avril 2013.
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