actualité, info point de vue En Europe, souvent le droit à se reproduire varie (1) D.R. C’est une étonnante et bien riche communi­ cation. Elle vient d’être faite sous les ors de l’Académie nationale française de médecine par le Dr Françoise Shenfield (Reproductive medicine unit, University College London). Sujet : «Droit comparé en santé de la repro­ duction : un droit à se reproduire ? Une vision européenne». Il s’agissait là, précise l’auteur, de détailler la signification, à la fois «en droit et en bioéthique» des droits en santé de la reproduction au niveau européen. En n’omet­ tant pas d’établir une différence entre «droits en santé de la reproduction» et «droit à se reproduire ou à fonder une famille». Sans oublier cet élément d’actualité, qui bouleverse (quand il n’angoisse pas) les spécialistes du droit comparé : l’émergence du phénomène des «soins transfrontaliers de la reproduc­ tion», conséquence directe de l’inégalité de 690 42_45.indd 1 ces mêmes droits sur le sol du Vieux Conti­ nent. Pour le dire simplement cette présentation propose un traitement à froid d’une contro­ verse méconnue du grand public et qui a évolué pendant une période dite «de tran­ sition» entre les XXe et XXIe siècles. Cette controverse est centrée sur la signification des droits en santé de la reproduction : les «droits reproductifs». «Ces droits sont men­ tionnés pour la première fois lors de la Con­ férence Internationale des Nations Unies sur la Population et le Développement en 1994 au Caire, et comprennent maintes disposi­ tions qui permettent aux femmes d’avoir un enfant quand elles le désirent : l’accès à la contraception, l’interruption de grossesse, les soins appropriés à la grossesse et à l’ac­ couchement» rappelle le Dr Shenfield. Elle analyse quant à elle plus spécifi­ quement l’accès aux soins des pa­ tients infertiles dans différents pays d’Europe, ainsi que la conséquence de la mosaïque juridique interna­ tionale que constituent, dans ce do­ maine, les prises en charge spéciali­ sées transfrontalières. Ces questionnements sont aujour­ d’hui formulés trente ans après l’émergence de cette révolution que fut la mise au point de la technique de la fécondation in vitro dans l’es­ pèce humaine par Robert Edwards (prix Nobel de médecine 2010). On observera incidemment que ces mê­ mes questionnements passent gé­ néralement totalement sous silence le rôle que peut jouer l’homme dans le projet de fonder une famille dès lors que la médicalisation se révèle sinon suffisante, du moins néces­ saire. La parité généralement (et fort justement) revendiquée dans tous les espaces de l’activité humaine n’a pas véritablement ici droit de cité. L’aura­t­elle jamais ? Existe­t­il, précisément, un droit (européen) à l’assistance médicale à la procréation (AMP) parfois dé­ signée sous l’appellation «procréa­ tion médicalement assistée» ? Quelles sont les significations respectives des droits en santé de la reproduction et des droits à la procréation ? Quelles sont les différences européennes en matière de droit concernant l’AMP ? Quelles sont les conséquences de ces différences en Europe ? Qu’en est­il de ce point de vue du phéno­ mène des soins reproductifs transfrontaliers (cross border reproductive care). On peut préfé­ rer cette formule à celle de tourisme procréatif dont la connotation négative peut stigmatiser les personnes concernées et qui, plus que pour faire du tourisme, s’absentent de leur pays pour donner la vie. Clef de voûte de cette problématique mo­ derne : le droit aux soins. Il se prolonge ici par le droit à procréer, le droit à l’AMP. Pré­ caution : ne pas confondre avec le droit à ne pas procréer ou encore le droit à procréer sans risques évitables – on parle ici de «droits en matière de santé de la reproduction» ou «reproductive rights». Ils concernent surtout le droit à la contraception, à l’avortement et aux soins pendant la grossesse. C’est là un terrain complexe. Car les progrès enregis­ trés en matière d’éducation, de plus grande autonomie et de parité ne conduisent pas de manière automatique à un contrôle toujours Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 27 mars 2013 25.03.13 11:57 conscient, plein et entier de la fonction repro­ ductive. Les spécialistes de la psyché humaine de même que les sexologues et les gynécolo­ gues­obstétriciens pourraient ici écrire bien des pages. Selon le Dr Shenfield, l’obtention de droits reconnus et inscrits dans la loi est souvent, d’une manière générale, la conséquence d’une volonté politique faisant suite à de nom­ breuses discriminations subies au cours des siècles par les minorités respectives aux­ quelles ils étaient refusés. «Le parcours his­ torique de la reconnaissance des droits re­ connus aux femmes de nos jours en matière de santé de la reproduction, qui date d’environ une cinquantaine d’années, est comparable à celui (…) concernant les minorités ethni­ ques des Etats­Unis, souligne­t­elle. Mais il est bien sûr ironique de décrire la gente fé­ minine comme une minorité. Elle forme en effet 50% de la population, sauf lorsqu’elle est sélectionnée hors existence ou possibilité de naître, au stade fœtal, grâce aux progrès de la technologie moderne de l’échographie, et ce particulièrement en Chine ou en Inde.» Ainsi le droit «de se reproduire» ne fait­il pas partie des «droits en santé de la repro­ duction». On pourra y voir le reflet du fait que la stérilité (d’une personne, d’un couple) peut ne pas être considérée comme une ma­ ladie mais comme une forme de fatalité. Y voir aussi le fait que l’adoption peut être perçue et présentée comme une forme sociale de procréation. Il faut encore compter avec les restrictions variées concernant l’accès à l’AMP : elles font que l’exercice de droit com­ paré conduit à brosser le tableau d’une peu banale mosaïque législative internationale. On n’omettra pas non plus de sous­estimer le poids de la religion catholique. La haute hiérarchie de cette dernière s’est toujours opposée officiellement et souvent de ma­ nière forte à tout compromis sur ce terrain. L’interdiction absolue de toute interruption volontaire de grossesse a été suivie d’inter­ dictions en cascade : celles de la manipula­ tion des cellules sexuelles humaines, de la fécondation in vitro, de la congélation d’em­ bryons et plus généralement de l’ensemble des techniques de l’AMP. Où l’on retrouve la dimension extra­médicale de la stérilité humaine. Et en l’état des données actuelle­ ment disponibles, il semble peu vraisem­ blable que le nouveau successeur de Pierre, jésuite de formation, modifie notablement les termes de l’équation. Sans doute serait­il intéressant de doubler la lecture du droit européen comparé en matière d’accessibilité à l’AMP d’une grille d’histoire des religions et de science politique. Et de ce point de vue, il apparaît bien vite que la Grande­Bretagne demeure bien, déci­ dément, une île. Une île où le pragmatisme a décidément force de loi. Et où les sujets de la Reine peuvent disposer de leur corps sans les quelques interdits qui peuvent encore exister dans nombre des pays du Vieux Con­ tinent. (A suivre) Jean-Yves Nau [email protected] Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 27 mars 2013 42_45.indd 2 691 25.03.13 11:57