Que le patient soit ou non déjà porteur de lentilles,
il faut distinguer deux situations :
• le problème est antérieur au port des lentilles ou
indépendant de celui-ci
• le problème est la conséquence du port des len-
tilles.
Le problème est indépendant du port
des lentilles
Pathologies conjonctivales et palpébrales
intrinsèques
Allergie
Elle induit une réaction inflammatoire des conjoncti-
ves (
figure 1
), avec un risque de sécrétions, et une
atteinte inconstante du film lacrymal pouvant aller
jusqu’à la sécheresse.
Il est donc nécessaire d’orienter l’adaptation vers des
lentilles à renouvellement journalier, ou à renouvelle-
ment très fréquent, en utilisant des matériaux à faible
potentiel de déshydratation (silicone-hydrogels,
phosphoryl-choline). Dans ces cas, l’entretien doit
exclure les molécules de synthèse et donner la préfé-
rence aux systèmes oxydants.
Conjonctivite vernale
Les lentilles sont parfois une aide précieuse pour pré-
server la cornée de l’agression mécanique des papilles
géantes présentes au tarse. L’utilisation de silicone-
hydrogels à hyper Dk permet un port nocturne qui
assure la continuité de la protection. L’hygiène lors des
manipulations doit évidemment être particulièrement
Lentilles et surface oculaire à problème
Marie-Noëlle George
oute pathologie ou anomalie de la sur-
face oculaire a été longtemps une
contre-indication à l’adaptation et au port
de lentilles de contact, en dehors de
l’usage des lentilles dites thérapeutiques.
Ces dernières années, les innovations concernant les matériaux et les géométries des
lentilles, et une meilleure connaissance des réactions inflammatoires et immunitaires
du tissu conjonctival en présence des solutions d’entretien, ont amené à modifier les
indications et contre-indications aux lentilles de contact, permettant bien souvent de
continuer sans risque le port de lentilles alors même qu’il existe un terrain a priori
défavorable.
Nous dressons ici une liste non exhaustive des différents cas qui peuvent se présenter
en pratique quotidienne de contactologie.
T
Les Cahiers 13
Contactologie
CHU Nantes
Figure 1.
Papilles
géantes chez
un patient
porteur de
kératocône
stade IV avec
terrain ato-
pique associé
On appelle surface oculaire l’ensemble
formé par l’épithélium cornéen, l’épi-
thélium conjonctival, et le film lacrymal.
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Les Cahiers
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Contactologie
stricte, en raison de la fréquence des atteintes cor-
néennes épithéliales, et du risque infectieux pour la
cornée. Cette pathologie atteint en outre le plus sou-
vent des enfants, et l’implication des parents dans la
surveillance du risque infectieux est essentielle.
Blépharites chroniques et rosacée oculaire
Ces terrains sont caractérisés par la présence
d’agents infectieux. L’hygiène palpébrale est la condi-
tion préalable au port des lentilles dont la fréquence
de renouvellement doit être accélérée, et l’entretien
rigoureux.
Syndrome de Stevens-Johnson
Le contexte mécanique est le même que dans les cas
de conjonctivites vernales, et les solutions sont les
mêmes.
Pathologies conjonctivales et palpébrales d’origine
iatrogène
Post-traumatiques et post-chirurgicales
(blépharoplasties)
Dans les deux cas on peut être en présence d’une
lagophtalmie, parfois discrète, parfois présente uni-
quement durant les périodes de sommeil, relative-
ment silencieuse, et qui doit conduire à un examen
soigneux de l’épithélium cornéen à la recherche de
défects le plus souvent inférieurs, sources de porte
d’entrée infectieuse. Là encore, les lentilles en sili-
cone-hydrogel en port continu peuvent apporter une
réponse en évitant le dessèchement nocturne.
Pathologies cornéennes
Kératopathies virales
Quel que soit le virus en cause, il est longtemps pré-
sent dans la cornée, et prompt à se réactiver en pré-
sence d’une quelconque stimulation. Il est impératif de
suspendre le port des lentilles tout au long de la pous-
sée, et une extrême prudence avec une surveillance
soigneuse est de règle lors de la reprise du port.
Cependant, après des kératites herpétiques responsa-
bles de cicatrices cornéennes avec astigmatisme irré-
gulier induit, le port de lentilles rigides à hyper Dk peut
apporter une solution optique sécuritaire.
Kératites filamenteuses
Elles témoignent d’une sécheresse réelle qui est géné-
ralement une contre-indication au port des lentilles.
Kératalgies récidivantes et dystrophie de Cogan
Le port de lentilles souples en silicone-hydrogel en
port continu, outre son action antalgique, permet
d’éviter le décollement de l’épithélium cornéen durant
les secousses oculaires nocturnes exacerbées lors
des périodes de sommeil paradoxal.
Kératopathies bulleuses, kératopathies post-
traumatiques
Quelle qu’en soit l’origine, elles ont été longtemps les
seules indications des lentilles dites thérapeutiques.
Les matériaux à hyper Dk apportent dans ces indica-
tions le bénéfice de leur forte transmissibilité à l’oxy-
gène (
figure 2
).
Cicatrices post-traumatiques ou après chirurgie
réfractive
Si la cicatrice atteint le limbe, seules des lentilles n’in-
duisant aucune hypoxie peuvent être adaptées.
Lentille rigide s’il existe un astigmatisme irrégulier,
lentille souple en silicone-hydrogel dans les autres
cas, pourvu que le profil cornéen le permette, ce qui
n’est pas toujours le cas après chirurgie réfractive (
fi-
gure 3
).
Pathologies du film lacrymal
Les syndromes secs avérés
sont rares et entrent géné-
ralement dans un tableau identifiable, qui doit toujours
faire l’objet d’une exploration scrupuleuse avant de
récuser un port de lentilles.
Une pathologie systémique
doit être évoquée.
Plus fréquentes sont les causes iatrogènes
, et l’interroga-
toire doit rechercher devant une déficience évidente du
Figure 2.
Kératopathie
œdémateuse
sur aphaquie
post-trauma-
tique. Acuité
visuelle avec
une LRGP
hyper Dk : 8/10
e
Figure 3.
Lentille de
géométrie
kératocône
après chirur-
gie de l’hyper-
métropie
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Les Cahiers 15
Contactologie
film lacrymal une prise médicamenteuse telle que des
psychotropes de toutes catégories, antitussifs, vaso-
constricteurs, etc.
Les dysfonctionnements des glandes de Moebomius
ont
été abordés dans les pathologies palpébrales.
Traitement par Isotrétinoïne
L’utilisation de cette molécule par voie orale induit
deux conséquences : une modification majeure du film
lacrymal par diminution, voire disparition de sa couche
lipidique, et une augmentation très importante des
colonies de staphylocoques dorés dans la flore
conjonctivale. La première donne des signes subjectifs
alertant le patient, mais la seconde est silencieuse et
l’expose à un risque infectieux important. Pour cette
raison, les lentilles souples sont à proscrire durant le
traitement. Les lentilles rigides peuvent être portées
avec une hygiène rigoureuse et l’adjonction de substi-
tuts des larmes en cas d’inconfort.
L’évaporation du film lacrymal
doit être évoquée devant
une rareté du clignement, et la rupture d’un film lacry-
mal fragile est accélérée par la présence d’une len-
tille.
Le problème est consécutif au port
de lentilles
Une intolérance de survenue progressive ou
brutale chez un porteur qui jusqu’alors n’avait
aucun symptôme
a toujours une cause, et la notion
de l’épuisement du “capital lentille”, si souvent
incriminée, doit être bannie.
L’interrogatoire doit
être systématique, et faire préciser les habitudes
du patient : manipulations, fréquence de renouvel-
lement des lentilles, entretien avec le nom
exact
de la solution utilisée, recours éventuel à des
produits de rinçage ou à des collyres, connaissance
et respect de l’information donnée lors de la
prescription des lentilles.
Pathologies conjonctivales et palpébrales
Les conjonctivites giganto-papillaires (figure 4)
C’est une cause fréquente d’intolérance aux lentilles
de contact, et leur origine est généralement facile à
retrouver par l’interrogatoire. Elles se développent
préférentiellement sur des terrains atopiques. Il s’agit
le plus souvent d’un renouvellement insuffisant des
lentilles, ou d’un manque de rigueur de l’entretien.
Elles sont plus rarement observées chez des patients
ayant bénéficié, lors de leur adaptation, d’une infor-
mation rigoureuse concernant ces deux points. Elles
sont susceptibles de se développer très rapidement
chez les sujets jeunes, ce qui nécessite au cours de
leur adaptation d’avoir ce risque à l’esprit lors du choix
de la lentille à prescrire.
Il est nécessaire de rompre le cycle inflammation,
sécrétions, encrassement. Chez le porteur de lentilles
souples, on accélérera les fréquences de renouvel-
lement, si possible avec des lentilles jetables journa-
lières. Si l’amétropie ne le permet pas, l’entretien par
système oxydant s’impose. S’il s’agit d’un porteur de
lentilles rigides, le nettoyage intensif au chlore actif
doit être impérativement hebdomadaire, après renou-
vellement des lentilles dont on visualisera les dépôts
en tenant les paupières ouvertes jusqu’au moment de
rupture du film lacrymal.
Il est souvent opportun d’adjoindre pendant quelques
jours un traitement anti-inflammatoire de type
Bacicoline®, avant de prendre le relais avec un collyre
antiallergique sans conservateur.
Pathologies cornéennes
Infiltrats cornéens inflammatoires
Après avoir évalué leur nombre, leur taille et leur loca-
lisation, il faut déterminer leur cause. Si on rattache
directement leur présence au port des lentilles, un
arrêt de quelques jours s’impose, et la reprise peut se
faire sous surveillance. S’ils réapparaissent ou persis-
tent, on ne doit pas faire reporter les lentilles sans
avoir trouvé la cause de leur présence.
Figure 4.
Conjonctivite
giganto-
papillaire
stade II
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Les Cahiers
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Contactologie
Cicatrices cornéennes
La présence de cicatrices minimes, arrondies, uniques
ou multiples chez un porteur de lentilles, générale-
ment souples, doit faire rechercher par l’interrogatoire
l’existence d’épisodes infectieux antérieurs, et doit tou-
jours éveiller la méfiance sur la vigilance du patient, et
sur sa compliance à l’entretien et à l’hygiène.
KPS diffuses
Qu’elles soient diffuses sur toute la cornée, centrales,
ou en couronne, elles évoquent une toxicité de la solu-
tion d’entretien utilisée et doivent orienter l’interroga-
toire dans ce sens. Elles diminuent souvent au décours
de la journée, après lavage de la solution par les lar-
mes et reconstitution des cellules épithéliales lésées.
KPS localisées
en arc supérieur ou inférieur : elles sont
souvent en relation avec la géométrie de la lentille et
nécessitent un changement de l’équipement.
Syndrome 3h-9h sous lentilles rigides
Il nécessite un rééquipement, et en cas d’échec avec
d’autres géométries de lentilles, il peut être néces-
saire de passer temporairement ou définitivement aux
lentilles souples.
Corneal warpage
Cette déformation cornéenne irrégulière le plus sou-
vent réversible, diagnostic différentiel du kératocône,
procède d’un mécanisme mal connu. Elle relève de
causes liées à l’anoxie et à l’appui mécanique de la len-
tille. Elle est observée avec des LRGP comme avec des
LSH, mais elle est beaucoup moins fréquente aujour-
d’hui avec la haute perméabilité à l’oxygène des maté-
riaux. La réversibilité s’obtient avec l’arrêt de la lentille
pendant plusieurs semaines, jusqu’à obtenir une régu-
larité parfaite de la kératométrie et une stabilité de
cette dernière, ainsi que de la réfraction, lors de deux
examens successifs. Chez des patients avec une forte
amétropie, il peut être proposé un port transitoire de
lentilles souples en silicone-hydrogel ou de lentilles
souples ultra-fines, qui sera souvent préféré malgré
une acuité moins performante, à une reprise des lunet-
tes. Une nouvelle adaptation pourra alors être propo-
sée en tenant compte de la malléabilité de la cornée.
Abcès
Quelque soit l’agent infectieux en cause, c’est la
pathologie la plus redoutée sous lentilles. Il survient le
plus souvent à la suite d’un mésusage des lentilles,
des solutions d’entretien ou d’un manque de propreté
des étuis, et le plus souvent en raison d’un retard du
patient à réagir et à consulter. Mais il s’observe parfois
en l’absence de toute cause identifiable. Après guéri-
son complète et une période de latence de quelques
semaines, une réadaptation peut être envisagée, dans
un cadre d’adaptation et d’information très strictes,
excepté chez un patient dont on peut soupçonner qu’il
présente des risques de négligence.
Pathologie du film lacrymal
Induite par les solutions d’entretien
L’interrogatoire met le plus souvent en évidence un
comportement volage des patients vis-à-vis des pro-
duits utilisés. Le choix d’un système oxydant permet
de diminuer l’intolérance, mais la restitution
ad inte-
grum
des cellules à mucus nécessite de longs mois.
Induite par les protéines dénaturées
déposées à la sur-
face ou dans la trame de la lentille: Il n’est pas super-
flu de redire que l’état d’une lentille, en particulier
souple, ne peut en aucun cas être évalué par un exa-
men à la LAF. Il est donc indispensable de se confor-
mer aux délais de renouvellement préconisés par les
fabricants, d’utiliser si besoin une déprotéinisation
hebdomadaire, qui doit être de règle pour toutes les
LSH à renouvellement traditionnel quel que soit le type
de solution utilisée.
En bref
Les pathologies de la surface oculaire sont multiples,
et font partie de la consultation courante en ophtalmo-
logie. Dans la majorité des cas, et quelle que soit leur
étiologie, elles ne sont plus une contre-indication au
port des lentilles. Mais il est indispensable :
– d’en définir la localisation,
– d’en identifier l’origine,
– d’en analyser la pathogénie.
La connaissance de la surface oculaire et de sa physio-
logie, les gammes très étendues de lentilles aujour-
d’hui à notre disposition, les modes d’entretien aux-
quels nous pouvons avoir recours, permettent
d’éliminer la majorité des contre-indications clas-
siques au port des lentilles, sans pour autant perdre la
notion de prudence que nous devons respecter devant
tout accident infectieux ou inflammatoire.
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