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Sesia apiformis
par Daniel Marin
A une heure, une heure et quart de Conflans, pour les passionnés d'orchidées et d'insectes, un petit pa -
radis existe. Et ce dimanche 16 juin un petit miracle y eut lieu.
Au cœur du Pays de Bray, le mont Saint-Hélène, de-
venu réserve naturelle, domine de ses 218 m le village de St-
Pierre-des-Champs. Plusieurs sentiers mènent au sommet d'où
l'on découvre un panorama exceptionnel. On traverse, au fur et à
mesure de la montée, pelouses calcaire ensoleillées et bois om-
breux. Le chemin suit ensuite la ligne de crête séparant forêt et
larris, longe un énorme tilleul pluricentenaire et une table
d'orientation revêtue de céramique. A partir de là, la descente de-
vient plus abrupte et donc plus courte que la montée.
C'est sur les larris1 du sommet que se produisit le mi-
racle. Des frelons s'envolaient en ligne droite avant de se poser
une vingtaine de mètres plus loin. Nous approchant, nous décou-
vrîmes la supercherie. Les redoutables hyménoptères se révé-
lèrent être d'inoffensifs papillons aux ailes transparentes, revêtus
de la livrée jaune et noire des premiers, signal de danger pour les
prédateurs. Nombreux sont les insectes et même araignées re-
courant à une telle ruse, connue sous le nom de mimétisme baté-
sien 2.
Ces lépidoptères, vous l'avez deviné, sont des Sésies.
La famille compte 57 espèces en France, l'une des plus grosses et la seule jusqu'ici rencontrée, est la Sésie-frelon ou
Sésie du Peuplier (Sesia apiformis). Présente dans presque toute
l'Europe, on l'aperçoit pourtant rarement.
Pour assister à ces envols, il aura fallu un fabu-
leux concours de circonstances : parcourir un milieu (biotope)
protégé où poussent des arbres acceptés par les chenilles, (ces
dames sont délicates) : peupliers, frênes, à la rigueur tilleuls),
un temps chaud et ensoleillé et surtout, être là au jour J, sinon à
l'heure H.
La vie des Sésies adultes est brève. Aussi, à
peine écloses, les femelles émettent des phéromones qui attirent
les mâles, « par l'odeur enivré ». L'accouplement têtes oppo-
sées, classique chez les papillons, peut durer deux heures. La
ponte débutera presque aussitôt. Les œufs, très nombreux (entre
1000 et 1500) et très petits (3/10ème de mm) seront déposés ou
tout simplement largués en vol au pied des arbres nourriciers. Leur grand nombre compensera les pertes. L'éclosion
aura lieu 15 jours après et les petites chenilles vont creuser des galeries dans le collet3 de l'arbre et dans les grosses ra-
cines superficielles. Elles vont s'y développer deux ans, parfois trois.
Arrivé à maturité, au printemps, la chenille abandonne l'obscurité des ses galeries creusées au cœur du
bois pour se rapprocher de la surface, juste sous l'écorce qu'elle va pré-découper, la chrysalide étant incapable de le
faire. Elle confectionne ensuite un cocon constitué de particules de bois et d'écorce dans lequel aura lieu sa transfor-
mation. (Rappelons que les Lépidoptères sont des insectes à métamorphose complète. Le papillon passe par trois phases : œuf, chenille, chry-
salide, insecte parfait ou imago)
1 Un larris est un terme d'origine picarde désignant des coteaux calcaires non boisés. Laissés à l'abandon, les larris
s'embroussaillent et perdent leur flore spécifique.
2 Bates était un naturaliste anglais du 19ème siècle. Le mimétisme batésien consiste pour une espèce comestible ou inoffensive,
à prendre l'aspect d'une autre espèce toxique ou dangereuse afin d'en dissuader le prédateur.
3 Collet : partie ligneuse située entre le sol et la partie aérienne de l'arbre.
Sésia apiformis. Envergure : 30-45 mm