L’EXCEPTION ENVIRONNEMENTALE :
L’EXEMPLE DU SYSTÈME COMMERCIAL
MULTILATÉRAL
Véronique GUEVREMONT
L’émergence de valeurs environnementales au sein du système
commercial multilatéral est née d’une union, celle de la règle et de
l’exception, dont le couple « est au cœur de la plus élémentaire
herméneutique juridique »1. L’exception est d’ailleurs particulièrement bien
adaptée à la prise en compte de valeurs « étrangères » à un système
puisqu’elle permet de moduler l’application de la règle lorsqu’un objectif
légitime le justifie. Elle se fonde en effet « sur l’idée de préservation, de
protection, de défense, de sauvegarde d’un intérêt jugé supérieur au respect
scrupuleux pour la règle à un moment donné »2. Dans le contexte d’un
système orienté vers la poursuite d’intérêts économiques et commerciaux,
cette technique intervient alors au profit de préoccupations inspirées d’autres
valeurs, notamment environnementales. L’exception n’est cependant pas
synonyme d’incorporation des valeurs qu’elle défend et seul un regard sur sa
mise en œuvre permet de mesurer son efficacité en tant que mode de
circulation des valeurs environnementales au sein d’un système. Pour rendre
compte de cette dynamique, l’exception doit toutefois être définie3.
1 S. REGOURD, L’exception culturelle, Paris, Puf, Que sais-je ?, 2002, pp. 21-22. L’auteur
poursuit : « Or, lorsqu’un traité international est tout entier bâti sur le principe de la libéralisation de
l’échange marchand, à quel dispositif plus adapté que l’exception peut-on recourir, s’agissant
d’écarter l’application du principe à certaines activités ? ».
2 D. ALLAND, S. RIALS, (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Puf, Paris, 2003, p. 675.
3 Et ce, d’autant plus que le sens attribué à l’exception varie d’un champ d’étude à un autre.
Ainsi, doit-on distinguer l’exception en droit privé, national ou international, de l’exception en droit
international public. En outre, l’exception en droit international public ne saurait être assimilée à
l’exception du système commercial multilatéral. Par exemple, dans ce système, l’exception n’en est
pas une au sens d’une « exception de procédure », c’est-à-dire « d’un moyen de défense qui tend,
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Dans un langage courant, l’exception désigne « ce qui est hors de la
règle commune »4. On l’assimile ainsi à la « dérogation », à l’« exclusion »,
à la « réserve », voire à la « restriction »5, et l’exception signifie alors
simplement un « cas soustrait à l’application normale de la règle par l’effet
d’une mesure individuelle (exorbitante) de dérogation »6. Mais « [p]lus
souvent (et plus proprement) », il s’agirait d’un « cas soumis à un régime
particulier par l’effet d’une disposition spéciale dérogeant à la règle »7.
L’exception permet ainsi de sortir du régime général ou d’écarter
l’application de la règle dans certains cas spécifiques, sous réserve que
certaines conditions soient respectées. En ce sens, l’exception introduit
l’idée d’une rupture du fonctionnement normal d’un système en limitant le
champ d’application de ses règles. Mais, paradoxalement, on dira également
que « [l]’exception ne doit son existence qu’à la règle de droit »8. Elle
entretient donc un lien très étroit avec cette règle car « elle tient une place à
côté de [celle-ci] mais lui reste en principe étrangère »9. Par ailleurs, d’un
point de vue procédural, l’exception constitue un moyen de défense et peut
être alléguée par la partie reconnue coupable de violation d’une règle. De ce
fait, elle « influence directement le résultat d’un litige »10.
Enfin, en ce qui concerne spécifiquement le système commercial
multilatéral, l’exception permet de soustraire définitivement une catégorie
de mesures, poursuivant certains objectifs jugés légitimes et d’intérêt
supérieur, de l’application des règles et principes généraux dictés par
l’accord qui la contient11. Son caractère est « définitif » puisque la règle ne
pourra s’appliquer tant que les conditions posées seront respectées et sans
avant tout examen au fond ou contestation du droit d’action, à faire déclarer la procédure irrégulière
ou éteinte (exception d’incompétence, exception de nullité), soit à en suspendre le cours (exception
dilatoire) », in G. CORNU, (dir.), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, Quadrige, 1987, 925 p.
4 Le Petit Larousse, 2007.
5 H. BERTAUD DU CHAZAUD, Dictionnaire de synonymes et de contraires, Le Robert, Les
usuels, Paris, 2000, 768 p.
6 G. CORNU, op. cit., note 3.
7 Id. Il est à noter que de nombreux dictionnaires juridiques n’offrent aucune définition de
l’exception. En outre, certains observateurs ont noté l’absence d’une définition de l’exception
généralement acceptée en droit international. V. notamment C. CARMODY, « When "cultural
identity" was not as issue: thinking about Canada – Certain measures concerning periodicals », Law
and policy in international business, Vol. 30, 1999, p. 309.
8 D. ALLAND, S. RIALS, op. cit., note 2, p. 673.
9 Id., p. 674.
10 Ibid., p. 675.
11 D’autres l’ont qualifiée de « technique de modulation des obligations, à savoir ici de la mise
en échec des conséquences normales de leur non-respect ». V. H. HELLIO, L’Organisation
mondiale du commerce et les normes relatives à l’environnement. Recherche sur la technique de
l’exception, Thèse Université Paris II-Panthéon-Assas (Paris II), 2005, p. 30.
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qu’aucune formalité préalable n’ait à être accomplie12. Cette définition ne
fournit toutefois qu’un portrait statique de l’exception et, pour rendre
compte de sa fonction réelle dans un système, notamment en tant que mode
de circulation des valeurs environnementales, il est indispensable de se
pencher sur son évolution. Une analyse en deux temps permet alors de
traduire ce mouvement qui, en réalité, reflète un certain « renouvellement »
de la technique de l’exception depuis son intégration dans le premier accord
commercial multilatéral jusqu’à ce jour.
En effet, l’exception s’est initialement révélée être la voie privilégiée
pour exclure un certain nombre de politiques nationales du champ
d’application des règles du système commercial multilatéral. En ce sens, la
technique de l’exception est d’abord apparue comme un moyen d’écarter la
prise en compte de valeurs environnementales dans la mise en œuvre de la
règle (I). L’évolution de l’exception a cependant permis à une autre logique
de se dessiner, soit celle d’une intégration de ces valeurs dans le système
(II). L’histoire de l’exception révèle ainsi une double impulsion dans la
circulation des valeurs environnementales au sein de l’OMC, ces valeurs
étant d’abord apparues comme un obstacle à la poursuite d’objectifs
commerciaux, puis, ultérieurement, comme une composante de l’action des
États dans la poursuite de ces objectifs.
I. L’EXCEPTION : TECHNIQUE D’EXCLUSION DES VALEURS
ENVIRONNEMENTALES DU SYSTÈME
La nature même de l’exception, destinée à faire échapper une mesure
du champ d’application de la règle, a conduit les négociateurs du premier
accord commercial multilatéral à envisager cette technique pour permettre à
des objectifs légitimes jugés supérieurs de prévaloir dans certaines
circonstances. Des préoccupations de nature environnementale exprimées à
cette époque avaient reçu ce statut et les mesures liées à ces dernières
devaient par conséquent tomber à l’extérieur de cet accord. Cette exception
12 L’exception, telle qu’envisagée par le système commercial multilatéral, se distingue ainsi de
la dérogation qui impose une limite dans le temps et qui doit faire l’objet d’un accord préalable des
autres parties à l’accord. Elle se différencie également de l’exemption et de la réserve. À cet égard, il
a été souligné que « [a]s broad as some of the exceptions may be, they are the only means that
GATT provides to individual Contracting Parties for escaping obligations without approval of the
CONTRACTING PARTIES ». V. M. J. HAHN, « Vital interests and the law of GATT : an analysis
of GATT’s security exception », Michigan Journal of International Law, Vol. 12, nº 3, 1991, p. 591.
Pour un exposé plus détaillé sur les distinctions entre ces diverses techniques de « modulation des
obligations » (exception, exemption, réserve, dérogation), v. H. HELLIO, op. cit., note 11, pp. 27 à
29.
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dite « environnementale » a toutefois été élaborée avant même que la notion
« d’environnement » ne voie le jour. Un retour sur l’origine de cette
exception (A) doit donc précéder l’analyse de cette technique et de sa portée
initiale (B).
A. – L’origine de l’exception environnementale
Pour retracer l’origine de l’exception environnementale, un regard sur
l’histoire du système commercial multilatéral doit d’abord être posé. Car ce
sont les exceptions négociées à l’époque de la Charte de la Havane (1), et
incorporées dans l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce
(ci-après dénommé le GATT de 1947), qui constituent aujourd’hui
l’essentiel de l’exception environnementale du système commercial
multilatéral.
1. L’exception négociée à l’époque de la Charte de la Havane
Les origines du système commercial multilatéral remontent à la
Conférence internationale sur le commerce et l’emploi du 24 mars 1948 –
communément appelée Conférence de la Havane – qui devait instituer
l’Organisation internationale du commerce (OIC). La Charte de la Havane
n’ayant toutefois pas été ratifiée, la nécessité d’établir un organe
international destiné à appliquer les règles commerciales mondiales incita
les négociateurs à procéder à une « opération de sauvetage » et à accepter,
sous réserve de quelques amendements et ajouts, les dispositions sur la
politique commerciale contenues dans la partie IV de cette Charte. Les
nouvelles dispositions ainsi regroupées donnèrent naissance au GATT de
1947 et entrèrent en vigueur le 1er janvier 1948.
La Charte de la Havane situait toutefois les questions relatives au
commerce dans le contexte plus large de l’ensemble des préoccupations
économiques internationales de l’époque13. Les préoccupations
environnementales n’y figuraient pas expressément, le concept
d’« environnement » n’ayant pas encore reçu une attention de la
13 V. D. K. TARULLO, « The relationship of the WTO obligations to other International
Arrangements », in Marco Bronckers and Reinhard Quick (ed.), New directions in International
Economic Law – Essays in Honour of John H. Jackson, La Haye, Kluwer Law International, 2001,
pp. 155-159.
EXCEPTION ET OMC
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communauté internationale14, mais la Charte intégrait un certain nombre de
préoccupations non commerciales partagées par les négociateurs de
l’époque. Il s’agissait notamment de la protection de la vie ou de la santé des
personnes ou des animaux ou la préservation des végétaux15, de la
conservation des ressources naturelles susceptibles d’épuisement16 et de la
protection des espèces menacées17, préoccupations aujourd’hui associées
essentiellement à la préservation de l’environnement18. Ainsi, dès le
lancement des négociations de la Charte, les exceptions semblaient destinées
à exclure du champ d’application de ce vaste accord commercial un grand
nombre de mesures mises en œuvre par les États pour promouvoir des
objectifs environnementaux. Mais, au-delà de cette exclusion, les exceptions
devaient surtout permettre de ménager la souveraineté des États dans les
domaines ne relevant pas de la sphère commerciale.
Depuis les origines du système commercial multilatéral, les exceptions
constituent en effet un précieux instrument de gestion de la tension entre
souveraineté et intégration, c’est-à-dire entre la volonté des États de
libéraliser leurs échanges et leur souhait de conserver une marge de
manœuvre dans la poursuite d’objectifs non commerciaux19. Les
14 L’absence du mot « environnement » s’explique par la non-existence de préoccupations de
cette nature à l’époque de l’élaboration du GATT. Ainsi que le souligne S. SHRYBMAN,
« [e]nvironmental protection was simply not a public issue in 1947 […] nor was this provision
intended for that purpose ». V. « International trade and the environment : An environmental
assessment of the General Agreement on Tariff and Trade », The Ecologist, Vol. 20, nº 1, 1990, p.
33. 15 Art. 45.1 (a)(iii) de la Charte de la Havane. Le texte peut être consulté à
http://www.wto.org/French/docs_f/legal_f/havana_f.pdf.
16 Art. 45.1 (a)(viii) de la Charte de la Havane.
17 Art. 45.1 (a)(x) de la Charte de la Havane.
18 D’autres considèrent que l’exception relative à la moralité publique était aussi susceptible
d’incorporer des considérations environnementales. V. notamment A.-M. DE BROUWER, « GATT
Article XX’s environmental exceptions explored – Is there room for national policies? Balancing
rights and obligations of WTO members under the WTO regime », in Anton Vedder (ed.), The WTO
and concerns regarding animals and nature, Nijmegen, Worlf Legal Publishers, 2003, p. 11.
19 Cette tension s’était d’ailleurs exprimée bien avant l’élaboration de la Charte de la Havane.
En effet, les négociations portant sur l’élaboration d’une Convention internationale pour l’abolition
des prohibitions et restrictions à l’importation et à l’exportation (signée à Genève le 8 novembre
1927) avaient antérieurement permis à un certain nombre d’États d’identifier diverses catégories de
lois nationales devant être exemptées de l’application d’un éventuel accord en matière de commerce.
Parmi celles-ci, figuraient les mesures relatives à la protection de la santé publique ou à la protection
des animaux et des végétaux contre les maladies, les insectes ou les parasites nuisibles. Ces
exceptions étaient néanmoins soumises au respect de quelques conditions : l’application de ces
mesures ne devait pas constituer un moyen de discrimination arbitraire entre les pays où les mêmes
conditions existent, ni une restriction déguisée au commerce international. V. sur ce point L.
BRIGGS, « Conserving "exhaustible natural resources" : The role of precedent in the GATT Article
XX(g) exception », in Edith Brown Weiss et John H. Jackson (ed.), Reconciling environment and
trade, New York, Transnational Publishers Inc., 2001, p. 263. V. également S. CHARNOVITZ,
« Exploring the environmental exceptions in GATT article XX », Journal of World Trade, Vol. 25,
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