
Notons  que  je  dis  « ethnologue »  comme  je  pourrais  dire  « ethnographe »  ou 
« anthropologue ». Puisque divers mots existent, on peut rappeler qu’un ethnographe observe 
et décrit la vie des gens. Un ethnologue essaie de comprendre la société dont il partage la vie, 
ou celle de la région en question. Un anthropologue essaie de tirer de son étude locale et 
précise dans un groupe donné des résultats généraux sur les façons dont les êtres humains 
vivent en société. Comme nul ne prétend se borner à décrire une société sans espérer tirer de 
cette étude quelques résultats généralisables, on comprend que la distinction entre ces trois 
termes n’est jamais faite dans la pratique.  
En bref et sans aucune nuance,  l’anthropologie  consiste  à  étudier  le  mode  de  vie  et  les 
façons de faire et de penser d’un groupe humain Ŕ comme la sociologie ou l’histoire, dira-t-on, 
sauf que l’anthropologie se veut fondée sur « l’observation participante ». Dès les années 1900, 
époque où les spécialistes en sciences humaines ont commencé de quitter leurs bureaux pour 
se rendre sur des « terrains » d’enquête, avec de très longs séjours dans une population, un 
apprentissage de la langue et une participation relative à la vie locale. Le chercheur n’est pas 
obligé de se faire éleveur de porcs, de se faire initier ou de partir en guerre contre les ennemis 
de ses hôtes ! Pour mémoire, l’anthropologie s’intéresse aux êtres humains en tant qu’ils sont 
membres d’un groupe - par opposition avec la psychologie ou la psychanalyse, qui s’intéressent 
aux êtres humains en tant qu’ils sont des individus, dont la structure psychique se construit tout 
au long de la vie.   
Ceci revient à étudier Ŕ observer, noter, décrire, analyser et, si possible, comprendre Ŕ de 
divers points  de  vue,  divers  aspects  de  la  vie  d’un  groupe  humain,  qui,  dans  la  pratique,  se 
recoupent. On s’intéresse ainsi (pluralité de points de vue) à son organisation sociale, c’est-à-
dire aux règles, institutions et pratiques qui sous-tendent les relations entre les gens en tant 
qu’ils sont  membres  d’un  « groupe » (parents, voisins,  amis, patrons, co-initiés, hommes et 
femmes, etc.). Quand on parle de « culture » d’un  groupe, c’est  cette fois de  l’ensemble des 
productions mentales et matérielles qui lui sont propres qu’il est question, depuis les mythes, 
les rites, les règles de parenté ou celles de la tenure foncière, jusqu’aux objets et techniques. 
Quant aux représentations, ou système de pensée du groupe en question, ce sont les idées 
partagées par tout ou partie des membres de ce groupe : idées sur le monde, la nature, la 
personne, les dieux, les façons de se comporter, les raisons de ces comportements, mais aussi 
des connaissances diverses, etc. Une partie de ces « connaissances » sont « incorporées », 
notamment celles qui concernent les techniques du corps (manger, nager, marcher, accoucher, 
porter, etc.),  dont  Marcel Mauss, l’un  des pères de  l’anthropologie, a  montré dès les  années 
1930  qu’elles  étaient  des  productions  socioculturelles,  susceptibles  de  varier  d’un  groupe 
humain à l’autre. Comme on s’en rend compte, les trois points de vue sont toujours présents 
dans une enquête anthropologique. 
Dernière  précision :  un(e)  anthropologue  a  parfaitement  le  droit  d’être  un  philosophe 
voyageur, à pied ou dans les livres des autres, et de s’interroger sur le mal, le pardon, la faute, 
la  violence,  l’universalité  du  complexe  d’Œdipe,  la  responsabilité  des  colonisateurs,  la 
transformation des rapports de sexe et de la famille, la biodiversité, le sort fait aux femmes, la 
construction  culturelle  des  paysages,  les  modes  d’expression  de  l’historicité  ou  de  l’identité. 
Mais, par définition, son travail consiste d’abord à rendre compte, décrire, expliquer ce qui se 
passe  au  moment  de  l’enquête  sur  un terrain  et  en  un  temps  particulier.  C’est  ensuite  qu’il 
importe  d’essayer  de  replacer  ce  l’on  a  compris  d’une  société  locale  dans  un  contexte 
anthropologique, historique ou philosophique plus large. 
Dans  un  premier  temps  de  l’enquête,  on  se  demandera  par  exemple  en  quoi  ce  qu’on 
observe et ce dont on parle est-il propre, ou non, au groupe qui accueille le chercheur. Ce qu’on 
observe, c’est-à-dire des façons de  cultiver des champs, de  construire des maisons, d’élever 
des enfants, de socialiser le paysage ou les plantes cultivées, de se marier, de rassembler les 
adolescents,  de  considérer  ses  parents  maternels,  d’interférer  avec  le  pouvoir  politique, 
d’imaginer l’invisible et d’agir sur lui, de s’arranger avec la mort et les morts, etc. 
Ceci implique un exercice systématique de la comparaison. Pour s’apercevoir qu’un piège à 
anguilles, une règle de mariage ou un principe politique diffèrent de ceux d’un autre peuple, il 
faut  les  comparer  à  ceux  de  ces  autres  peuples.  Comme  on  s’en  doute,  la  comparaison 
historique tient ici (ou devrait tenir) une place de choix.