Terra Nova – Note - 5/72
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INTRODUCTION
A travers le monde entier, la question de « ce que l’école enseigne » s’est placée au premier plan
des politiques éducatives ces deux dernières décennies : on a compris peu à peu que l’important
n’était pas seulement que les élèves soient scolarisés, ni que les systèmes se démocratisent dans
les chiffres, mais que les élèves apprennent vraiment, et qu’ils apprennent des choses pertinentes
pour eux et pour la société présente et en devenir. En France aussi, la massification successive du
collège, du lycée puis des universités a d’abord conduit à des politiques surtout quantitatives et
structurelles, qui s’intéressaient peu à des questions de fond qui restaient à poser sur les fondements
du savoir scolaire : est-il d’abord un instrument d'évaluation, la garantie supposée de la cohésion
nationale, ou doit-il être considéré comme un bloc de culture légitime, un « équipement » pour réussir
sa vie personnelle ou professionnelle ? Et comme tout cela n’était pas clarifié, le savoir scolaire a
supporté, et supporte encore, le poids d'exigences institutionnelles et sociales floues et parfois
démesurées. Pour en donner une première définition, il est possible de dire qu’il représente un
ensemble d'acquis et de références qui accompagnent les individus tout au long de leur vie. En outre,
alors que la société française est régulièrement troublée par l'idée qu'elle ne parvient plus à
transmettre ses valeurs, la tentation est grande pour les responsables publics de se tourner vers
l'école pour lui confier de nouvelles responsabilités, comme on l'a vu avec le retour, sous différentes
étapes, de l'enseignement de la morale à l'école. On assiste ainsi à une multiplication des injonctions
qui pèse sur ce qu’on appelle traditionnellement des « programmes ».
Plus généralement, on observe une forme d'inflation mécanique des contenus, de sédimentation des
traditions ou des habitudes ; pour de trop nombreux élèves, l’école apporte la première expérience
d’un échec scolaire, souvent prémonitoire d’un échec à plus long terme.
La pente naturelle et collective face à tout cela est celle de l’agitation de surface, chaque fois qu’un
programme doit « changer », mêlée à une indifférence quant au fond des questions posées : réagir à
tout un passé sédimenté comme à toute une tradition d’évaluation qui, au gré des examens et
concours, a contribué à façonner une part des hiérarchies sociales, est-ce possible ou souhaitable ?
Si d’aventure apparaît malgré tout à l’agenda politique un projet de refonte des « programmes », le
sujet devient aussitôt passionnel, et nombre de commentateurs de la vie publique se découvrent une
soudaine expertise en histoire de la pédagogie et de l'institution scolaire, et croient savoir ce qu’il
convient de faire.
Ce qui signifie qu’un débat de qualité sur ce que l’école enseigne est toujours renvoyé aux calendes
ou escamoté.
Le présent rapport plaide d'autant plus pour une large ouverture du débat sur ce que l’école
enseigne au sein de la société qu'il défend aussi une appropriation beaucoup plus profonde
du thème par tous les acteurs de l'éducation, et au premier chef par les enseignants.
En effet,
le système éducatif français, parce qu’il est encore extrêmement centralisé, a en ces domaines un
effet déresponsabilisant sur les acteurs : les « programmes » sont facilement sacralisés parce qu’on
ne sait pas d’où ils proviennent ni pourquoi il convient d’enseigner ceci plutôt que cela. C'est pourquoi
il nous semble indispensable que les programmes descendent de leur piédestal illusoire pour devenir
plus nettement un enjeu d’amélioration de la pertinence et de l’efficacité de l’école, avec une vision