Exposition aux solvants organiques en milieu professionnel : quel risque pour le cerveau ?
Henri SCHROEDER
aux solvants organiques. Ce travail donne ainsi des arguments
pour recommander l’inclusion systématique d’un test de
discrimination des couleurs dans les bilans réalisés en médecine
du travail chez des ouvriers exposés à des solvants organiques,
mais aussi en milieu scolaire et universitaire du fait d’un usage
détourné possible de ces solvants. Enfin, de tels résultats
posent la question du devenir neurologique de ces personnes
présentant un trouble de la vision des couleurs lié à ces solvants.
La détection d’un tel trouble ne pourrait-elle pas constituer un
signe précurseur d’une pathologie neurologique plus lourde
de type neurodégénérative ? Au vu de la littérature actuelle, la
recherche d’un tel lien n’a pas été étudiée et reste donc à explorer.
Un cas de schizophrénie établi chez un jeune
homme exposé en milieu professionnel
à des fortes doses de solvants organiques
Stein Y, Finkelstein Y, Levy-Nativ O, Bonne O, Aschner M, Richter ED.
Exposure and susceptibility: schizophrenia in a young man following
prolonged high exposures to organic solvents. Neurotoxicology.
2010 ; 31 : 603-607.
Analyse
Cet article présente un cas de schizophrénie (6) chez un patient
âgé de 30 ans dont l’expression clinique est apparue à la suite
d’une exposition quotidienne à des solvants organiques au
cours d’une période de 6 mois dans le cadre de son travail. La
fonction de cette personne consistait à peindre des pièces pour
des ordinateurs dans un local exigu n’offrant aucune protection
vis-à-vis des vapeurs de solvants organiques pendant des temps
de travail pouvant dépasser 10 heures par jour. De même, il ne
portait aucun équipement de protection lors de son travail de
peinture. L’analyse du milieu a montré que cette personne avait
été exposée de façon massive à de nombreux solvants parmi
lesquels du xylène, du toluène, du triméthyl-benzène ainsi que
de l’acétone. Ce patient a été hospitalisé pour la première fois
à l’âge de 24 ans pour un état psychotique sévère 6 mois après
avoir commencé ce travail. De plus, il présentait des maux de
tête violents, un état de fatigue marqué, des signes d’irritation
cutanée, une conjonctivite sévère et un taux de transaminases
hépatiques (7) élevé. Sa famille a alors indiqué un changement
progressif de son comportement au cours de cette période
précédant l’hospitalisation marqué par un état dépressif, des
phases d’agitation, de l’irritabilité, des propos incohérents, une
perte d’appétit et une consommation abusive d’alcool. Jusqu’à
la prise de son travail, ce jeune homme était décrit comme étant
une personne sérieuse, équilibrée, sociale, ne consommant
pas d’alcool, pratiquant des activités sportives et présentant
un niveau d’études de niveau secondaire. Au cours des années
suivantes, ce patient a été hospitalisé plusieurs fois pour des
épisodes agressifs nécessitant son internement alors qu’il ne
travaillait plus et n’était donc plus exposé aux solvants. C’est au
cours d’une hospitalisation durant l’année 2000 qu’a été établi
pour la première fois le diagnostic de schizophrénie. En 2003,
le patient est décrit par les auteurs de cet article comme étant
dépressif et manquant totalement de motivation (il passait alors
étaient exposés à des natures et des concentrations différentes
de solvants organiques du fait du caractère ancien ou non de
l’infrastructure de travail. Ainsi, le groupe G2 qui opérait dans
un atelier d’installation récente, était exposé à de faibles doses
de solvants organiques, les 4 solvants mesurés en majorité étant
l’acétone (42 ppm), le xylène (31 ppm), le toluène (5 ppm) et le
benzène (<0,01 ppm). Par contre, il est apparu que le groupe G3
subissait un niveau élevé d’exposition à ces solvants du fait du
caractère plus ancien des installations (xylène : 88 ppm, toluène :
8,1 ppm, tétrachloroéthylène : 6 ppm, benzène : 0,6 ppm). Les 408
ouvriers ont été évalués au plan de la discrimination des couleurs
avec un test 15HUE désaturé de Lanthony (5) selon une procédure
standardisée. Le test a été réalisé par un optométriste ignorant le
poste de travail de chaque ouvrier. L’interprétation des résultats
de ce test a été aussi bien qualitative (une ou plusieurs confusions
des couleurs) que quantitative (calcul de l’index de confusion des
couleurs, CCI). Les résultats ont révélé que 102 ouvriers, soit 25 %
de l’effectif recruté dans l’étude, présentaient un trouble de la
vision des couleurs et que la fréquence des troubles était plus
élevée dans les groupes 2 et 3 avec une anomalie relativement
spécifique de la discrimination des couleurs au niveau de l’axe
chromatique bleu-jaune. Il est aussi apparu que la fréquence
des troubles était plus élevée dans le groupe 3 (44,3 %) que dans
le groupe 2 (29,3 %). Les mêmes résultats ont été retrouvés en
analysant l’index quantitatif de vision des couleurs, à savoir
un CCI plus élevé chez les ouvriers du groupe G3 (atelier de
peinture ancien) que chez ceux de groupe G2 (atelier de peinture
récent), lui-même supérieur à celui du groupe G1 (chaîne
d’assemblage). Enfin, les résultats obtenus après ajustement
des variables mesurées sur l’âge, l’ancienneté dans le travail, et
les habitudes tabagiques ont confirmé le caractère significatif
de la relation entre l’exposition aux solvants organiques et les
troubles de discrimination des couleurs. La même relation a
été observée en prenant en compte le niveau d’exposition aux
solvants cumulé sur un an quelque soit le poste de travail. En
conclusion, une exposition chronique aux solvants organiques
en milieu professionnel à des niveaux d’exposition légèrement
ou fortement supérieurs à ceux autorisés paraît capable d’induire
des troubles neurosensoriels comme des modifications dans la
discrimination des couleurs. De tels résultats posent également
la question du devenir neurologique à long terme des personnels
exposés à de tels produits chimiques.
Commentaire
Cette étude est originale de par son caractère réaliste du
problème de la neurotoxicité de l’exposition chronique aux
solvants organiques. En effet, ont été prises en compte dans ce
travail l’existence d’une exposition à un mélange et non à une
substance seule, ainsi que la mesure du niveau d’exposition,
contrairement à de nombreux autres travaux publiés par ailleurs.
Il est à regretter le manque de précision dans la quantification
des niveaux d’exposition qui est donnée en ppm sans que l’on
sache si elle se rapporte par exemple à un volume. Cette étude
est également intéressante par les questions qu’elle soulève
au-delà de la confirmation de la toxicité visuelle de l’exposition
Pathologies
et populations
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Anses • Bulletin de veille scientifique no 14 • Santé / Environnement / Travail • Juin 2011