Panorama énergies-climat, édition 2015 Les marchés carbone européen et mondiaux N°12 17 marchés représentant 40 % du PIB mondial et 11 % des émissions Depuis l’établissement du Protocole de Kyoto en 1997, de nombreuses initiatives visant à établir des marchés carbone ont vu le jour dans le monde, au premier rang desquelles le marché carbone européen. Depuis 2005, la part des émissions mondiales couvertes par un système d’échange de quotas a augmenté de 73%. Ces différents systèmes s’inspirent les uns des autres dans leurs modalités qui doivent cependant s’adapter aux spécificités locales. 2014 a été une année particulièrement active avec le lancement des discussions sur les réformes structurelles pour le marché carbone européen, la mise en œuvre de la réforme du marché carbone « Regional 1 Greenhouse Gas initiative » (RGGI) aux EtatsUnis, la connexion effective entre les marchés californien et québécois, le lancement des marchés pilotes en Chine, etc. Début 2015, la Chine a annoncé le lancement de son marché carbone national domestique en 2016 et la Province canadienne de l’Ontario pourrait également lancer son marché. Toutes ces initiatives, en couvrant de plus en plus d’émissions, permettent la mise en place d’un prix du carbone et d’une prise en compte du changement climatique au niveau économique. Elles serviront également à faciliter les discussions au niveau international. quantité de gaz à effet de serre émise. Cette limite se traduit par la quantité de quotas d’émissions mise en circulation. Les participants peuvent acheter ou vendre des quotas, et doivent restituer une quantité de quotas équivalente à leurs émissions. Chaque participant a donc intérêt à réduire la part de ses émissions dont le coût de réduction est inférieur au prix du quota sur le marché via des ajustements opérationnels ou via des investissements dans les technologies bas carbone. Dans la théorie économique, un marché carbone est l’instrument le plus efficace pour réaliser un niveau donné de réductions d’émissions de façon coût efficace. Les marchés carbone connaissent un fort développement international depuis près de 10 ans Entre 2005 et 2013, la part des émissions mondiales couvertes par un système d’échange de quotas a augmenté de 73 % (source : Chaire économie du climat, 2013). Le bilan fin 2014 confirme l’intérêt croissant pour ce type de mécanisme réglementaire avec 17 marchés carbone déjà opérationnels et 14 à l’étude. Figure 1 - Emissions couvertes par un marché carbone Au total, ce sont donc 17 marchés carbone représentant 40 % du PIB mondial et 11 % des émissions qui sont mis en œuvre actuellement en tant qu’outil de réductions d’émissions de gaz à effet de serre. Les marchés carbone : un outil de réduction de émissions de gaz à effet de serre Marchés carbone : fonctionnement les grands principes Source : Chaire économie du climat, 2015 de Les marchés carbone couvrent 40% du PIB mondial et 11% des émissions dans 35 pays, 12 Etats ou Provinces et 7 villes (sources : ICAP status report 2015 et Banque Mondiale 2014). Ce succès grandissant est lié au fait que les marchés carbone ont des modalités adaptables en fonction des spécificités domestiques, et notamment des structures d’émissions de gaz à effet de serre. Un prix unique du carbone au niveau international n’est pas encore atteint comme cela était envisagé dans le cadre du Protocole de Kyoto, mais le développement des initiatives de connexion entre marchés pourrait mener à terme à une convergence progressive des prix du carbone. Les marchés carbone, également nommés systèmes d’échange de quotas d’émissions ou système de permis d’émissions négociables (angl : Emissions trading schemes – ETS), sont des outils réglementaires facilitant l’atteinte pour tout ou partie des objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre déterminés politiquement (par exemple, l’Union européenne s’est fixée un objectif de réduction 2 de 20% en 2020 par rapport à 1990 – voir fiche 8). Ils fixent un plafond d’émissions qui permet de limiter la 1 Le REGGI couvre les émissions du secteur électrique de 9 Etats du nord est des Etats Unis. Suite à un fort déséquilibre offre – demande, la réforme du marché a abouti à une baisse du plafond d’émissions : -45 % pour 2014, puis -25 % par an en moyenne sur la période 2015–2020 2 Ceci correspond à une réduction de 14% en 2020 par rapport à 2005, qui est ventilée en 21% pour les secteurs relevant du marché carbone européen, et 10% pour les autres secteurs -1- Panorama énergies-climat, édition 2015 nouveaux marchés émergent, plus il y a de nouvelles demandes potentielles pour ces crédits). En effet, si ces mécanismes ont permis de lancer de très nombreux projets, la demande pour les crédits issus de ces projets est limitée. Le système européen d’échange de quotas est à ce jour la principale source de demande pour ces crédits, mais les entreprises soumises à quotas peuvent restituer des crédits en proportion limitée et la capacité d’utilisation de ces crédits est proche d’être atteinte. Sur la totalité de la période 2008 – 2020, l’offre de crédits internationaux devrait donc largement excéder la demande. Les prix des crédits ont ainsi chuté depuis mi 2011 et tout au long de 2012 : de 20 € en 2008, le cours des crédits MDP s’établit en moyenne sur 2014 à 50 c€. Le Protocole de Kyoto : fondation pour le développement des marchés carbone Le Protocole de Kyoto de 1997 fixe des objectifs aux 40 pays les plus industrialisés (listés à l’annexe B du Protocole), qui doivent collectivement réduire leurs émissions d’au moins 5% sur la période 2008-2012 par rapport à 1990. L’objectif est différencié par pays. Les émissions considérées comprennent six gaz à effet de serre (GES) d’origine anthropique : CO2, CH4, N2O, HFC, PFC, SF6. Les pays hors annexe B n’ont pas d’engagements de réduction d’émissions. Le Protocole est formellement lancé en 2005. Flexibilité et transferts de mécanismes de projet technologies : les Un premier bilan du Protocole de Kyoto Une première revue disponible depuis 2014 montre que les émissions des pays de l’annexe B ont été réduites de plus de 22% contre un objectif de 5%. En vue de faciliter l’atteinte des engagements des pays industrialisés, trois mécanismes dits de flexibilité sont institués par le Protocole de Kyoto : • Un marché international de quotas carbone. Chaque pays reçoit autant d’Unités de Quantité Attribuée (UQA) que son objectif d’émissions de GES fixé par le Protocole. Les UQA sont échangeables entre États. • Le Mécanisme pour un Développement Propre (MDP) et le Mécanisme de Mise en Œuvre Conjointe (MOC) permettent de financer des réductions d’émissions hors du territoire national contre l’octroi de crédits carbone échangeables. Le MDP concerne des projets de réduction d’émissions ayant lieu dans un pays qui n’a pas d’engagement au titre du Protocole de Kyoto, la MOC dans un pays qui en a un. Une nouvelle période d’engagement a été actée à Doha en 2012 (voir fiche 8) pour la période 2013-2020. Dans ce cadre, l’Union européenne s’est engagée à réduire ses émissions de 20% en 2020 : environ la moitié des réductions correspondant à cet objectif doit être réalisée grâce au marché carbone européen. Le marché carbone européen fête ses 10 ans L’Union européenne a voté en 2003 le marché carbone européen, ou European Union Emissions Trading Scheme (EU ETS). Il est entré en vigueur en 2005 sur le secteur électrique et les principaux secteurs industriels. Couvrant aujourd’hui plus de 11 000 installations, il s’applique de façon harmonisée aux 28 Etats membres de l’Union européenne ainsi qu’à la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein. Il doit permettre aux secteurs couverts de contribuer à l’atteinte des objectifs climatiques de l’Union européenne en réduisant leurs émissions de 21% en 2020 et de 43% en 2030 par rapport à 2005. Les crédits internationaux victimes de leur succès Les mécanismes de projet MDP et MOC ont permis d’éviter à eux deux l’émission de près de 2 Mdt. Le MDP a enregistré à ce jour 5 000 projets et levé près 3 de 200 MdUSD depuis son lancement. Toutefois, ce mécanisme fait face à des critiques, notamment concernant le déséquilibre géographique dans la répartition des projets : 84 % des projets MDP sont situés dans la région Asie Pacifique, 12 % en Amérique latine et 2 % en Afrique. Cinq pays comptent pour 93 % de l’offre de crédits émis. Par ailleurs, la contribution au développement durable et le caractère additionnel (lié au fait que les projets n’auraient pas lieu de toute façon, et que ce sont bien les marchés carbone qui permettent leur déploiement) de certains types de projets ont également été mis en cause. Figure 2 - Répartition des émissions françaises par secteur (Mt) La MOC a de son côté permis de développer de nombreux projets de réduction d’émissions dans les pays développés et en transition, notamment dans les pays de l’Est de l’Europe, mais aussi en France qui a accueilli 20 projets sur la période 2008-2012. Ces deux mécanismes sont aujourd’hui victimes de leur succès et d’une faible demande liée en partie à l’absence, à ce jour, de fortes contraintes sur la réduction des émissions dans le monde (plus de Source : agence européenne de l’environnement, ETS data viewer d’après EUTL 3 CDC climat recherche (2012) sur la base des données financières publiques de 4000 projets. -2- Panorama énergies-climat, édition 2015 Bilan de la phase II et perspectives pour la phase III Faisant suite aux conclusions du Conseil européen d’octobre 2014, la Commission européenne a lancé le 19 décembre 2014 une consultation publique portant sur les principaux sujets qui seront abordés pour la révision, en vue de sa phase IV (post 2020), de la directive EU ETS, qui détermine le fonctionnement du marché carbone européen : il s’agit notamment de la mise en œuvre de l’objectif de -43% en 2030 par rapport à 2005, l’allocation gratuite de quotas et les risques de fuite de carbone, le financement de l’innovation, la modernisation du secteur électrique, la mise en œuvre de la solidarité entre Etats membres actée lors du Conseil européen. En troisième phase de l’EU ETS (2013-2020), l’objectif de réduction des émissions des secteurs de l’EU ETS est fixé à -21 % entre 2005 et 2020, soit une réduction annuelle moyenne de -1,74 %. Jusqu’en 2012, la quasi-totalité des quotas étaient alloués gratuitement. Depuis 2013, plus de la moitié des quotas sont vendus aux enchères. Après avoir atteint plus de 30 € mi-2008, le cours du quota a chuté à des niveaux proches de 3 € en avril 2013 pour se rétablir progressivement depuis janvier 2014. Figure 3 - Evolution des cours du quota et du crédit depuis août 2008 Les marchés carbone dans le monde Le marché carbone européen n’est plus le seul en son genre au niveau mondial, même s’il est de loin le plus important marché en volume et en valeur. Les initiatives pilotes en Chine (voir encadré) représentent ème au total le 2 marché carbone en couvrant plus de 1 Mdt (EU ETS : 2 Mdt en 2013). Au total, entre 2005 et 2014, la Californie, l’Europe, le Kazakhstan, la Nouvelle-Zélande, la Suisse, le Québec, neuf États de l’est des États-Unis (Regional Greenhouse Gazes Initiative – RGGI), les zones économiques chinoises de Shenzhen, Beijing, Shanghai, Chongqing et Tianjin mais aussi les provinces de Guangdong et Hubei et enfin le Japon, avec ses deux systèmes en place à Tokyo et Saitama, ont progressivement instauré des marchés carbone. Source : Thomson Reuters Cet effondrement des cours a été provoqué essentiellement par trois causes : la visibilité des acteurs et des investisseurs sur la contrainte carbone à long-terme est insuffisante ; la crise ainsi que les autres instruments de politique climatique de l'Union européenne ont réduit la demande de quotas alors que l'offre de quotas était fixe, créant ainsi un déséquilibre entre l'offre et la demande ; le surplus d’offre ainsi créé a réduit fortement la contrainte et ne sera résorbé qu’entre 2025 et 2030. Une première action de court terme (« Backloading ») a été décidée en janvier 2014 en rééchelonnant la quantité de quotas à mettre aux enchères sur la phase III (2013 – 2020) en attente de réformes plus structurelles. La publication le 22 janvier 2014, entre autres, d’une proposition législative visant à instaurer une réserve de stabilité du marché à compter de 2021 lui fait suite. Cette réserve établit un corridor définissant un seuil maximal et minimal de quotas en circulation (surplus). L’excédent serait versé dans une réserve pour être remis sur le marché quand le seuil minimal serait atteint. Figure 4 – Carte des marchés carbone et autres mécanismes de tarification du carbone existants ou à l’étude dans le monde Source CDC Climat Recherche, 2015 Depuis le vote des conclusions du Conseil européen d’octobre 2014 concernant un cadre énergie climat à l’horizon 2030, et avec la perspective d’un accord sur la réserve de stabilité du marché, le prix du quota s’est redressé autour de 7 €. Les projections des analystes prévoient un prix en moyenne de 24 € pour 2021 – 2030. Le système d’échange de quotas de la Corée du Sud a été lancé en 2015 et couvre 60% des émissions nationales avec un objectif de réduction de 30% en 2020 par rapport à un scénario d’émissions projetées (correspondant à une réduction de l’ordre de 4% par rapport à 2005). Quatorze autres systèmes sont à l’étude au Brésil au niveau national et sous-national (Rio de Janeiro et Sao Paulo), Chili, Chine au niveau national et sous-national (ville de Hangzhou), au Japon, au Canada, en Colombie Britannique, au Manitoba, en Ontario, au Mexique, en Thaïlande, en Turquie et en Ukraine. En route pour la phase IV Dès la proposition concernant la réserve de stabilité adoptée, la préparation de la phase post 2020 débutera. -3- Panorama énergies-climat, édition 2015 Liaison entre marchés carbone : un pas de La Chine annonce le lancement de son marché carbone national pour 2016 plus vers une couverture mondiale des émissions Depuis mi 2014, de nombreuses annonces font état du lancement probable d’un marché carbone domestique en Chine qui débuterait en 2016 avec la couverture des émissions de six principaux secteurs. Ce marché national devrait être pleinement effectif d’ici 2020 et couvrirait des émissions de l’ordre de 3-4 Mdt (comparé aux 8,3 Mdt d’émissions dues à la combustion d’énergie en Chine en 2012). Initiatives de connexion entre marchés Au sein de la Western Climate Initiative, la connexion entre le marché californien et le marché québécois, initiée en 2013, s’est en effet concrétisée en 2014. Ce sont les deux premiers marchés carbone au monde à se connecter totalement et directement. La dernière enchère commune aux deux systèmes s’est déroulée le 18 février 2015 avec un prix d’adjudication à 12,21 USD, soit 11 cents au-dessus du prix plancher fixé réglementairement. Par ailleurs, la Californie cherche à nouer de nombreuses coopérations avec d’autres pays ou régions. En 2013, l’administration californienne a signé des accords de coopération avec l’Oregon, Washington et la Province canadienne de Colombie Britannique, malgré l’absence de loi effective instaurant un prix carbone dans ces régions. Un accord similaire a été signé avec la Commission nationale pour le développement et les réformes chinoise en 2013 (c’est le premier accord de ce type entre la Chine et un Etat américain). De plus, la Californie et le Mexique travaillent dorénavant de concert à travers un accord de coopération sur le développement des mécanismes de tarification du carbone signé le 29 juillet 2014. L’accord appelle également à une exploration des voies possibles pour permettre une meilleure harmonisation des deux systèmes dans le futur. Le prochain plan quinquennal qui doit être publié au premier trimestre 2016 devrait fournir les grandes lignes de ce dispositif et des réformes des marchés de l’énergie en lien avec celui-ci. La façon dont le marché carbone national chinois est envisagé n’est pas encore connue. En effet, avec le développement des 7 marchés pilotes initiés entre 2013 et 2014, la couverture des émissions chinoises se fait pour l’instant sur des règles de fonctionnement différentes. La couverture des émissions totales par ces marchés varie de 35% à 60% selon les marchés. Les prix s’établissent entre 3 USD et 9 USD (mais ne sont pas toujours représentatifs de l’équilibre offre/demande du fait de la faible liquidité constatée sur les marchés). Les autorités chinoises devront définir si elles privilégient un marché carbone unique sur leur territoire ou si elles optent pour le développement de marchés par région ou ville qui se connecteraient entre eux. Quoiqu’il en soit, le marché carbone chinois serait le plus important au monde en termes de quantités d’émissions couvertes, devant le marché carbone européen. Côté européen, l’Union européenne et la Suisse étudient également la possibilité de connecter leurs systèmes. En décembre 2014, suite au développement des marchés carbone en Californie et au Québec, l’Etat de Washington pourrait rejoindre la Western Climate Initiative (WCI), collaboration d’Etats américains de l’ouest et de Provinces canadiennes fondée en 2007 pour développer les outils de lutte contre le changement climatique, et mettre en place son marché carbone. L’Ontario, également membre de la WCI, a annoncé étudier la mise en place d’un marché carbone. Le développement des marchés carbone, le partage d’expériences et le renforcement de capacité peuvent contribuer à l’aboutissement des négociations internationales Le développement de solutions de tarification des émissions de gaz à effet de serre au niveau mondial permet également à chacun de prendre la mesure de ce qu’implique l’action contre le changement climatique et de constater qu’une action ciblée sur ses préoccupations domestiques est possible. La possibilité pour un État de faire appel à des marchés carbone dans le cadre d’un accord climat lui permet d’agir sur ses coûts de conformité, tout en s’inscrivant dans une logique de soutien de transferts de technologies, de savoir-faire et de financement à une échelle internationale : les marchés carbone sont en général perçus comme des flexibilités qui fournissent une incitation à accroître l’ambition climatique dans le cadre des négociations internationales. Figure 5 – Evolution des prix du carbone dans les différents marchés carbone internationaux Le partage d’expériences et l’assistance technique sur les marchés carbone, à travers la promotion du développement de ces outils, pourraient favoriser l’obtention d’un accord international à Paris en 2015. Source : Chaire économie du climat, 2015 • -4- Cécile GOUBET, Dimitar NIKOV