socius : ressources sur le littéraire et le social
chez certains théoriciens de l’autonomie (Bourdieu, Barthes et Sartre) une confusion
fréquente entre le plan conceptuel (l’art pur) et le plan social (l’espace littéraire
autonome), autrement dit entre « une idéologie de circonstance et un fonctionnement
objectif » (Glinoer, 2007, p. 42).
Denis Saint-Jacques a montré, à partir de l’exemple québécois, les limites d’une
autonomie pensée d’après le modèle d’un art formaliste et dépolitisé tel qu’il s’est
manifesté dans le champ littéraire français après la Révolution de 1848. En effet, cette
conception de l’autonomie n’est pas exportable aux littératures périphériques : « dans
le champ littéraire québécois le débat sur la littérature et celui sur la politique et
l’identité “nationales” sont d’abord liés, et l’autonomie du littéraire se fait d’abord
avec l’autonomie politique, et non contre le politique » (Saint-Jacques & Viala, 2001,
p. 69).
D’autres enfin ont questionné la pertinence du concept d’autonomie pour décrire
l’espace littéraire contemporain. Y aurait-il retour à l’hétéronomie ? Pour Patricia
Esquivel, l’idéologie de l’autonomie de l’art est morte avec l’avènement de la
postmodernité car les trois socles – les trois « univers clos » (l’artiste génial, l’œuvre
fermée sur elle-même, le récepteur désintéressé) – sur lesquels elle reposait ont été
plus ou moins complètement détruits (Esquivel, 2008). Moins catégorique, la
sociologie des champs considère toutefois l’autonomie du champ littéraire
contemporain comme sérieusement menacée par l’emprise croissante de l’économie
(Bourdieu, 1998, p. 553) et des médias (Bourdieu, 1996, p. 73).
À l’opposé, dans la perspective théorique du système de l’art de Niklas Luhmann, où
l’on ne s’intéresse pas aux agents du champ mais à un système clos sur ses propres
opérations de communication, il n’y a pas de retour à l’hétéronomie ni d’invasion de
valeurs étrangères, mais une autonomie toujours plus grande du fait de la
démultiplication des communications sur l’art. Si toutefois, jusque dans les années
1960, le système de l’art se centrait sur les œuvres elles-mêmes, c’est désormais
autour d’elles qu’il s’organise (Rampley, 2005, pp. 180-181). Ce qui expliquerait le
déclin des théories formalistes de l’art et de l’idéologie de l’autonomie. Ainsi,
l’approche de Luhmann ne contredit pas les observations de Bourdieu et d’Esquivel ;
ceux-ci assimilent la désertion des valeurs esthétiques pures à une perte d’autonomie,
tandis que celui-là sépare clairement, au niveau théorique, l’autonomie du système de
l’idéologie de l’autonomie de l’art.
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