Valeurs humanistes universelles, singularité des peuples et des

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Marcel CANTON
Valeurs humanistes universelles,
singularité des peuples et des cultures,
comment les concilier ?
Une telle question ne peut qu’inviter à un débat riche et passionné les
humanistes citoyens, citoyens du Monde ou porteurs emblématiques d’une entité
culturelle quelle qu’elle soit. Il est ici proposé une triple entrée en matière qui
sera successivement sémantique, historique et philosophique, sachant que les
« comment » attendus restent l’objet même d’un tel débat qui gagnerait
beaucoup à se montrer aussi pragmatique que possible.
Approche sémantique
Dans sa formulation, cette question nous invite donc à débattre en présupposant
deux existants : d’une part qu’il existe un concept bien défini d’humanisme
universel, et d’autre part qu’il existe un ensemble, tout autant défini, d’entités
historico-culturelles qui ont chacune leur spécificité
(Cf les deux articles définis)
: ce
sont, à l’échelle du monde, « un peu plus de 190 états souverains, pour plus de
5000 groupes ethniques parlant chacun une langue différente, (langues)
relevant approximativement de 600 groupes linguistiques. » (Patrick
SAVIDAN) Autrement dit : comment concilier, c'est à dire « penser et mouvoir
ensemble » un grand tout éthique, pour ne pas dire un concept normatif, avec la
réalité atomisée des sociétés humaines que l’histoire a faites uniques ? Cet
impératif de la conscience universaliste ne risque-t-il pas de renvoyer à un
« fondamentalisme » que notre anti-dogmatisme humaniste nous interdit a
priori, et cette singularité ne souligne-t-elle pas le caractère d’unicité irréductible
que la spatio-temporalité a imposé à chaque peuple ou culture ? Si, doublement.
Alors, sauf à se dire que les valeurs universelles en question ne sont pas
définitivement données ou prescrites, et sauf à se dire que ces sociétés ne sont
pas si différentes les unes des autres, il semblerait a priori qu’une telle
conciliation soit bien impossible, ou alors qu’elle relève d’un projet
« mondialisant » à finalité « généreusement » ethnocidaire.
Mais le « comment » est bien là, et non pas le « est-ce que ». Et ce « comment »
se pose à la fois comme le démenti de cette incompatibilité et comme
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l’injonction à mettre en lumière les voies de la réduction en actes de ce paradoxe
épistémique.
Ce qui, néanmoins, paraît d’emblée ouvrir un espace de réflexion, c’est
l’emploi, dans une même assertion, du pluriel « les valeurs », pour désigner la
singularité de l’humanisme universel auquel nous travaillons, et l’emploi de
« singularité » pour désigner la pluralité des entités humaines. Autrement dit,
l’uni-versel peut se penser au pluriel, et la pluralité culturelle peut, elle, se
penser au singulier dans la mesure elle est structurée autour d’au moins un
trait constant qui est L’UNICITE. En effet, la planète des cultures du monde
n’est pas une improbable et insaisissable nébuleuse, même si elle est
changeante, mais un ensemble d’entités repérables, étudiables et inter-
agissantes.
Ce premier point est très important, car il prend en compte une réalité ethno-
géographique dont l’invariance fait écho à l’universel, à savoir que toutes,
absolument toutes les sociétés humaines ont toujours tenu à fixer, amarrer, leur
conscience collective à une auto-dénomination unique et survalorisante qui les
distingue de toutes les autres. Nous disons « France », et ses Droits de l’Homme
se pensent comme uniques et incomparables, alors qu’ils ont pourtant vocation à
« se mondialiser » ; et à travers eux, il ne fait pas de doute que notre peuple
devenu nation se pense comme le dépositaire d’une société politiquement idéale.
L’Allemagne a eu sa crise de « folie collective » qui, au sortir d’un siècle d’
humiliations, lui a fait hurler la singulière grandeur de son destin, son « génie
national », son « volksgeist » : un « égotisme » qui l’a fait d’abord délirer avec
les Romantiques pour la faire ensuite hurler avec « les loups » ce nationalisme
exclusif qui se voulait porteur de la certitude absolue d’avoir une mission unique
d’éclaireuse du monde, après que la France ait eu son heure de gloire (cf les
prétentions successives du raffinement de Cour puis du message des Lumières).
Ainsi, pour chaque grande entité, on peut sans aucun doute illustrer ce trait qui
est commun à toutes : à savoir l’affirmation « urbi et orbi » d’une singularité qui
fait leur grandeur, ou tout simplement leur raison d’être et de se perpétuer.
Précisons très succintement que cette « obsession » pour une identité quasiment
transcendante peut, selon les cas, être plutôt le fait d’une nation, toute centrée
sur son adhésion à un projet, comme la France, ou être plutôt le fait d’un peuple,
comme l’allemand, tout centré sur son ancrage à un patrimoine (quel « délire »
que celui d’un Israël racialiste qui, craignant « un suicide démographique »,
craint de ne plus être une nation –ce qui n’est toujours pas ; quel « délire » aussi
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que celui de cette Hongrie récationnaire qui, à peine extirpée d’un bloc, doit
être rappelée à l’ordre par l’Europe).
Mais cette aspiration à la grandeur identitaire qui FAIT l’identité, et qui fait
qu’un peuple ou une nation ne se pense QUE grand, grand assez pour se
défendre, pour faire école ou pour faire conquête, n’a pas pour seule source la
montée des nationalismes européens au 19° siècle. Que l’on soit Aïnou du
Japon, Innu du Labrador, Lakota des Black Hills, ou Wayana de Guyane
(toujours) française, le pseudonyme qui désigne le peuple d’appartenance
signifie invariablement « les Etres Humains », c'est-à-dire les détenteurs d’une
aspiration universellement ethnocentrique.
On peut y voir l’aspiration d’un « Tous, ici » quasiment ontologique, aspiration
à cultiver l’appartenance « localement universelle » à une société harmonieuse
et stable qui n’a nul besoin d’inventer le mot « culture », ni de conquérir le
Monde. Cette conscience collective d’un « tous par/pour le tout et par/pour le
chacun » fournit la clé et les formes du Bien Vivre Ensemble par excellence, et
l’on peut y voir la possibilité pour l’Universel et ses valeurs de se concrétiser
partout à la fois partout et nulle part définitivement, c'est-à-dire u-topiquement.
Si l’homme est cet animal universellement capable de se libérer de l’instinct et
du déterminisme absolu, il est donc vrai qu’invariablement il aspire à s’intégrer
à l’histoire par le biais d’une appartenance identitaire et culturelle singulière.
Mais sans doute les humanistes qui se sentent avant toute chose « citoyens du
Monde » au quotidien ont-ils une conception opposée à celle-ci et considèrent-
ils comme secondaire le fait que tout un chacun relève d’une identité, d’une
conscience collective et d’une culture (MAUSS, DURKHEIM, LEVI-
STRAUSS). C’est là un premier point qui peut prêter à débat.
Historicité de fait
Une deuxième question peut sembler induite par l’entre-deux que l’intitulé de
notre sujet ménage entre « peuples » et « cultures ». Si peuples et cultures ne
constituent pas de vagues et insaisissables réalités, l’anthropologie et
l’ethnographie nous l’ont prouvé, il n’en demeure pas moins qu’apparaît une
autre spécificité de leur pluralité : ce trait commun, réside, d’une part, dans leur
évolution, qui est au fait que, considérées à l’échelle des siècles, elles ne
sont, en quelque sorte, que des produits charriés par le cours de l’Histoire. Et,
d’autre part, dans leur complexité interne qui en fait des objets non
monolithiques.
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D’abord donc, leur dimension historique en fait les résultats de préexistants en
mouvement, mouvement aussi bien de convergence, que de collision ou de
concomitance. Même si l’histoire est bien sûr un flux continu, il est bien facile
d’y situer des siècles ou demi-siècles clés qui, à l’échelle du Monde et cependant
très concrètement pour les peuples, ont vu s’opérer des basculements culturels
aussi rapides que radicaux. Et ce sont eux qui structurent la grande Histoire.
Pour exemple, les années 350, qui voient l’étonnante et époustouflante
« christianisation » d’un monde romain sur-administré mais pluriel. Stratégies
conjuguées puis concurrentes d’un empereur Constantin qui, à Nicée, avait
installé l’Eglise dans l’Etat et L’Etat dans l’Eglise, et d’un premier Pape Jules
déjà soucieux de délocaliser la chrétienté-Une pour l’étendre aux limites du
monde connu alors.
Un monde d’abord méditerranéen mais qui pressentait déjà les grandeurs
extrême-orientales, tout en méconnaissant, paradoxalement, celles, africaines,
qui se nourrissaient des premières grandes navigations océanes… avant d’en
devenir les victimes exsangues…
De tels flux, reflux et contreflux sont à l’œuvre bien sûr dans l’histoire culturelle
des peuples arabo-musulmans. En quelques mots, saisir la grandeur de cette
épopée qui part de l’Hégire en 622 pour envelopper alors Orient, Asie centrale,
Inde et Occident judéo-chrétien,
- une épopée qui voit bientôt les chinois submergés politiquement et
confessionnellement sans pour autant régresser dans leurs progrès techniques,
comme celui de l’imprimerie en 1050,
- une épopée qui produit un Saladin grandiose dont la tolérance sera une
lumière projetée, portée par Omeyyades, Abbassides, Fatimides, Chiites et
personnifiée par AVICENNE ou Omar KAYAM, cela jusqu’au basculement
intercontinental de 1492 après lequel, dit Malek CHEBEL, les Musulmans ne
seront plus jamais eux-mêmes,
- une épopée enfin dont l’histoire ne peut que nous aider à lire gravement le tout
récent « printemps arabe » et à appréhender le fait « surmédiatisé » que quelques
dizaines de Musulmans en prière puissent investir une ou deux rues parisiennes.
Qui sont-ils ? D’où « viennent »-ils ? Que représentent-ils ? Que proposent-ils,
ces Concitoyens ? Peuples ou cultures, rien n’existe de toute éternité, et cela
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nous incite à rechercher l’intemporelle manifestation de ce que nous appelons
« la modernité », ce à quoi par définition peuvent s’incorporer des universaux.
D’autre part, ces cultures, dont les nôtres, qui ont tant « voyagé » et tant évolué
ne sont jamais monolithiques ; et leur complexité interne fait leur richesse. En
effet, l’anthropologie structurale de LEVI-STRAUSS nous a montré que, bien
au-delà de nos sociétés occidentales, « peuples » et « cultures » constituent en
fait de grands ensembles dont la réalité est faites de « systèmes de culture » à
caractère très variablement « universel (ou porteur d’universaux), continental,
national, provincial, local, (…) voire familial, professionnel, confessionnel,
politique, etc… ». Nous voyons ainsi que l’entité qui résulte de l’unification
politique et même de la cohésion linguistique peut se décliner en
« communautés de culture ». La richesse de notre débat sera donc fonction de la
clarté qui sera donnée aux dimensions historiques, sociales et idéologiques des
arguments développés.
Regard philosophique
Une troisième et dernière question, qui sera plus philosophique : que comptent
pour notre quête d’universel idéologique, les Rome, Cluny, Le Caire et le Kiev,
berceau de la civilisation russe, du 10 ème siècle ? AVICENNE et sa
philosophie trois fois monothéiste, Hugues premier capétien et en charge du leg
chrétien, Othon le germain sacreur de Pape, Saint Benoît de Nursie en son
abbaye du Mont Cassin qui inaugura la vague bénédictine proprement
européenne, le basileus de Byzance fier héritier du constantinisme (hélénien)
que représentent de tels foyers de culture au regard des Lumières que notre
aspiration à l’universalité convoque immanquablement ? En dépit de moyens de
communication fastidieux, ces foyers sont alors interconnectés, tout comme ils
sont également en relation continuelle avec les systèmes de pensée indien et
chinois.
L’enveloppe est déjà là. Et cette complexité originaire renvoie à celle,
psychologique cette fois, qui nous constitue en tant que personnes. Amin
MAALOUF l’a bien montré dans « les identités meurtrières » : l’identité est de
fait complexe, elle est une somme d’appartenances qui sont sources de richesse
personnelle. En outre, elle n’est pas innée, mais se construit comme un tout
dynamique, en interaction avec autrui : « Chacune de mes appartenances me
relie à un grand nombre de personnes ; cependant, plus les appartenances que
je prends en compte sont nombreuses, plus mon identité s’avère spécifique.’ »
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