CAHIERS FRANÇAIS N° 389
54
Il est couramment question d’« islam de France »
dans le discours public, aussi bien chez les politiques
que chez les leaders d’opinion, pour aussitôt l’op-
poser, explicitement ou implicitement, à un « islam
en France » qui serait quant à lui de nature exogène,
c’est-à-dire sous inuence étrangère ; bref un islam
d’importation. Autre opposition par moments soulevée,
avec des relents essentialistes quelquefois non dénués
de xénophobie ou d’islamophobie(1), celle d’un islam
« visible », c’est-à-dire a priori ostentatoire et, partant,
potentiellement menaçant vis-à-vis de la laïcité ou du
vivre-ensemble, et d’un islam plus « discret », qui épou-
serait davantage l’histoire et la « culture » nationales ;
idem pour l’opposition, tout aussi discutable, entre
un islam « modéré », aux contours pourtant ous, qui
serait conforme à la République et à ses « valeurs »,
(1) Nous reviendrons sur ce terme dans la suite du texte.
et un islam « radical », qui leur serait foncièrement
hostile. Or, qu’est-ce qui peut justier pareilles ina-
tions langagières qui ne semblent concerner que très
spéciquement la religion musulmane et ses dèles,
tout en écartant a priori l’idée même de diversité ?
Des représentants de l’islam « ofciel », à l’instar de
Abdallah Zekri, membre du Conseil français du culte
musulman (CFCM), s’insurgent désormais ouvertement
contre l’emploi de islam de France, pour sa charge par
trop paternaliste ou stigmatisante(2).
Ces querelles sémantiques sont en tout état de cause
révélatrices des tensions chroniques autour de l’islam
et de ceux qui s’en réclament pour le dénir ou redé-
nir. Il n’existe jamais, insistait Pierre Bourdieu, de
(2) http://www.venissieux-minguettes.fr/2015/04/abdallah-
zekri-cfcm-je-ne-reconnaitrai-jamais-l-islam-de-france-c-est-de-
la-foutaise.html
L’IMPLANTATION
DE L’ISLAM EN FRANCE :
UN CHAMP RELIGIEUX
FRAGMENTÉ
Haoues Seniguer
Maître de conférences en science politique
Sciences Po Lyon
Membre de l’Iserl (Institut supérieur d’étude des religions et de la laïcité), Lyon
L’affirmation de l’islam dans l’Hexagone – deuxième religion désormais par le nombre de ses
fidèles – ne va pas sans interrogations ni tensions dans un pays où la question religieuse a
pu sembler à nombre de sociologues dans les années 1960 devenir très seconde. Certes, les
conflits et les attentats pèsent aussi sur les perceptions. Haoues Seniguer s’interroge sur
la manière dont on construit souvent un « problème musulman » et analyse plus particuliè-
rement les expressions « islam de France », « islam en France », leur évidence de premier
abord masquant en fait de tenaces préjugés. Récusant une vision essentialiste de l’islam,
il montre combien l’expression de ce dernier est plurielle dans l’espace public français,
les uns – acteurs individuels ou collectifs – défendant une approche ouverte et critique
des textes et de la Tradition, d’autres prônant une lecture littérale et un rigorisme sectaire.
C . F.
DOSSIER - L’IMPLANTATION DE L’ISLAM EN FRANCE : UN CHAMP RELIGIEUX FRAGMENTÉ
CAHIERS FRANÇAIS N° 389 55
mots neutres pour décrire le monde social, dans la
mesure où « la production des représentations du monde
social […] est une dimension fondamentale de la lutte
politique(3) ». Il en est de même pour le mot contesté
encore aujourd’hui par quelques leaders d’opinion et
leaders politiques français, voire par des musulmans,
à savoir islamophobie. Ce déni traduit bel et bien un
malaise(4) : si les uns pointent la menace islamiste qui
instrumentaliserait le terme pour faire taire toute forme
de critique libre de l’islam, les autres ont le sentiment
d’une minimisation des discriminations dont seraient
victimes les musulmans parce que musulmans.
L’expression islam de France, sur laquelle il fau-
dra donc forcément revenir, tant elle draine d’enjeux
politiques, a des accents performatifs. En effet, en
nommant de cette façon l’islam des ressortissants de
notre pays, citoyens ou étrangers, s’exprime le souhait,
fût-il tacite, de le faire exister ou de le faire advenir
en conférant à cette religion une identité proprement
hexagonale, et ce, an qu’elle ne soit pas ou plus prê-
chée, pratiquée comme elle le serait notamment dans
les sociétés majoritairement musulmanes. Or, cela
voudrait a priori signier que l’islam est étranger à la
France. Toutefois, c’est une manière aussi, de la part
des musulmans qui adoptent la terminologie islam de
France, de se prémunir de toute forme d’amalgame
avec les organisations et groupuscules qui usent un
peu partout dans le monde de la référence à l’islam
pour terroriser, assassiner et tuer, à l’image de l’État
islamique en Irak et en Syrie. Cependant, toutes ces
expressions sont plutôt le symptôme de non-dits au
sujet de l’islam et des musulmans, sinon de préjugés
tenaces ; pis, elles sont l’indice d’une crise protéiforme
d’identité d’une partie des Français face à une mon-
dialisation qui fait péricliter les repères anciens. Se lit
ici le sentiment corollaire de déprise par rapport au
destin politique national. Il y a aussi un sentiment de
désappointement à l’égard d’une sécularisation sur fond
de déchristianisation qui devait consacrer le triomphe
libéral de l’individu et des valeurs postchrétiennes, alors
que l’on semble assister au contraire à des retours et à
des conversions à l’islam – mais pas seulement comme
en témoigne la montée en puissance de l’évangélisme
– quelquefois très rigoristes, voire violents.
(3) Bourdieu P. (2002), Questions de sociologie, Paris, Les édi-
tions de Minuit, p. 62.
(4) Cf. Hajjat A., Marwan M. (2013), Islamophobie. Comment
les élites françaises fabriquent le « problème musulman », Paris,
La Découverte.
Par ailleurs, qu’est-ce au juste que l’islam de
France, dont l’islam en France serait en quelque sorte
le contre-modèle ou l’anti-modèle ? Pareilles expres-
sions n’ont-elles pas comme défaut principal de réier
l’islam et d’induire une représentation homogène des
musulmans, pavant de la sorte la voie, consciemment ou
non, à l’essentialisme sur lequel prospèrent précisément
tous les courants radicaux de l’islam ? Évidentes au
premier abord quant à leurs signications premières,
ne présentent-elles pas au contraire des limites socio-
logiques ?
C’est d’abord et avant tout en démêlant une partie
au moins de ce complexe écheveau que la fragmen-
tation du champ islamique français apparaîtra plus
manifeste, et avec elle, « la polyphonie et la polymor-
phie
(5)
» des expressions de l’islamité dans l’espace
public français. Et cela n’est possible qu’à la condi-
tion d’envisager dans un même élan l’environnement
sociopolitique dans lequel évoluent les musulmans,
en tant qu’acteurs sociaux individuels et/ou collectifs.
C’est pourquoi, il importe d’organiser notre réexion
en deux temps principaux : d’une part, déconstruire
quelques-unes des dénominations, telles que islam de
France, islam en France, « visibilité de l’islam », islam
« modéré », etc., en explicitant leurs soubassements
idéologiques ; et d’autre part, interroger, à partir du cas
français, quelques-unes des modalités des rapports des
musulmans à leur propre religion, an de montrer un
aperçu de leur variété en même temps que les tendances
qui semblent de nos jours les mieux enracinées.
Le poids des mots et des chiffres
Islam de France, islam en France :
un vocabulaire inapproprié
Que ce soit islam de France ou islam en France, le
problème sémantique demeure entier et l’illusion des-
criptive tout autant, puisque ces appellations ne rendent
nullement justice à la diversité des islams situés, des
vécus musulmans, ou des discours sur l’islam que les
musulmans tiennent sur eux-mêmes et sur leur société.
Car la différence, apparemment opérée entre les deux
expressions, n’est pas aussi évidente que certains veulent
bien le laisser penser. Pour commencer, il convient de
souligner qu’elles comportent au moins deux principaux
défauts qui obstruent similairement notre perception
de l’islam et des musulmans de France : d’abord en ce
(5) Expression entendue chez notre collègue chercheur Franck
Frégosi.
DOSSIER - L’IMPLANTATION DE L’ISLAM EN FRANCE : UN CHAMP RELIGIEUX FRAGMENTÉ
CAHIERS FRANÇAIS N° 389
56
qu’elles écrasent, comme nous l’avons déjà souligné, la
diversité de facto de l’islam et de l’ethos musulman qui
congurent un champ islamique hexagonal fortement
clivé ; elles ne distinguent en effet pas sufsamment
acteurs individuels et collectifs se revendiquant publi-
quement de l’islam. Au-delà d’une Oumma fantasmée,
qui serait un sujet musulman rigoureusement collectif,
il existe des individualités musulmanes. Dans un monde
global, les expressions en question opacient également
la pluralité de l’offre islamique qui circule en igno-
rant complètement les frontières entre l’international,
le national et le local, au même titre que n’importe
quelles autres religions, spiritualités, philosophies ou
idéologies. Or les polémiques récurrentes autour de la
pertinence qu’il y a ou non à utiliser islam de France
plutôt qu’islam en France, entretiennent le préjugé
d’une exception islamique.
C’est la raison pour laquelle, le sentiment d’un
deux poids deux mesures est aussi fort chez une partie
au moins des musulmans de notre pays dont Abdal-
lah Zekri, vice-président du Conseil français du culte
musulman (CFCM) et président de l’Observatoire de
l’islamophobie, est justement l’une des voix. Ceci tient
à ce qu’il n’est à notre connaissance jamais fait mention,
ou que très rarement, dans les discours publics, avec la
même acuité et gravité, de « christianisme de France »
ou de « judaïsme de France » ; quel homme politique
français ou éditorialiste s’occupe ou se préoccupe des
missionnaires mormons anglo-saxons qui érigent des
lieux de culte et prêchent librement sur les campus
universitaires de France et de Navarre ? En outre, islam
« modéré », musulmans « modérés », islam « visible »
ou « discret » sont moins des adjectifs scientiquement
éprouvés que des adjectifs politiques de facture beau-
coup plus idéologique. Il convient pourtant de souligner
que l’ensemble de ces dénominations sont quelquefois
reprises à leur propre compte par des musulmans
La perception de l’islam dans l’espace public
Dans un sondage IFOP pour Le Figaro publié
en octobre 2012, portant sur L’image de l’Islam en
France(6), deux items-résultats focalisent particuliè-
rement notre attention : « Le jugement à l’égard de
l’inuence et de la visibilité de l’islam dans le pays »
et « le jugement sur le port du voile ou du foulard
pour les musulmanes ». À la question Diriez-vous que
l’inuence et la visibilité de L’Islam en France sont
aujourd’hui… ?, on obtient le chiffre élevé de 60 %
d’opinions favorables à la réponse « trop importantes »
contre 5 % à la question pas assez importantes et 35 %
à la question ni trop ni pas assez importantes ; quant
au second item, à la question Êtes-vous favorable,
opposé ou indifférent au port du voile ou du foulard
pour les musulmanes qui le souhaitent… dans la rue,
dans les classes des écoles publiques ?, 63 % et 89 %
s’y déclarent respectivement opposés, contre 7 % et
3 % qui s’y déclarent favorables et 28 % et 3 % indif-
férents. L’imam recteur-théologien de Bordeaux, Tareq
Oubrou, après avoir embrassé et prêché pendant près
de vingt ans en France l’idéologie conservatrice des
Frères musulmans en afrmant le caractère religieu-
sement obligatoire du port du voile pour la femme, se
dit aujourd’hui également favorable à « une visibilité
musulmane discrète(7) » et à « la modération » des
musulmans, en précisant que « se couvrir les cheveux,
pour la musulmane, relève d’une « prescription équi-
voque et mineure ». Mais que pourrait bien vouloir
signier « une visibilité discrète », expression semble-
t-il contradictoire dans les termes ? Où commence la
visibilité et où s’arrête la discrétion ? Quel pourrait en
être l’antidote, sans attenter aux droits de l’homme et
à la liberté de conscience garantis par la Constitution
française ?
Outre le fait que, bon gré mal gré, ce type de
sondages légitime la construction d’un « problème
musulman », les déclarations au sujet de la visibilité
(6) http://www.legaro.fr/assets/pdf/sondage-ipsos-islam-
france.pdf
(7) http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/10/03/pour-
une-visibilite-musulmane-discrete-par-l-imam-tareq-ou-
brou_3488919_3232.html
DOSSIER - L’IMPLANTATION DE L’ISLAM EN FRANCE : UN CHAMP RELIGIEUX FRAGMENTÉ
CAHIERS FRANÇAIS N° 389 57
souhaitée ou de la modération attendue des musul-
mans participent de la focalisation exacerbée sur le
fait musulman en tant que tel, notamment depuis les
attentats du 11 septembre 2001, et de l’entretien de
l’idée que l’islam ou les musulmans auraient, par
essence, des velléités religieuses hégémoniques, et
par conséquent politiquement dangereuses. Cela peut
susciter des attitudes auto-inhibitrices chez une partie
des musulmans qui chercheront, au nom du devoir
de « discrétion », à dissimuler le plus possible leur
appartenance confessionnelle de peur d’être perçus
négativement, ou discriminés, dans l’espace social ou
professionnel.
Plus encore, au nom de la « visibilité discrète »
ou de la promotion de « l’islam modéré » en France,
toutes sortes de limitations des expressions religieuses
peuvent alors être envisagées, comme l’idée soutenue
par le Front national d’interdire les signes religieux
dans la rue. Ou bien, chez des personnalités de droite
et de gauche, le fait d’envisager une loi interdisant le
port du foulard à l’université, bien que cette mesure
hypothétique ait divisé les rangs de l’Union pour un
mouvement populaire (UMP) et du Parti socialiste
(8)
. Les
débats sur la visibilité de l’islam de France obéissent,
dans une partie de la classe politique, à « un mythe
(9)
» :
un processus d’islamisation serait à l’œuvre en France
dont le chiffre de 4 millions, voire de cinq à six millions
de musulmans en France, serait l’un des indices. Or
ce chiffre est problématique pour deux raisons : pre-
mièrement, les statistiques sur les origines ethniques
ou religieuses des individus sont proscrites en France ;
deuxièmement, on ne saurait assimiler tout de go indi-
vidus d’origine immigrée nord-africaine et musulmans,
sinon en courant le risque de la racisation. Selon une
enquête relativement récente, il y aurait probablement
2,1 millions de musulmans dans notre pays, soit nette-
ment moins que les chiffres souvent avancés(10).
Le poids des événements nationaux
et internationaux
Tous ces réexes, ces inquiétudes, réelles ou feintes,
face à l’islam et aux musulmans sont liés à des événe-
ments nationaux et internationaux objectifs, qui relèvent
d’une dialectique mortifère : la révolution islamique
(8) http://www.liberation.fr/politiques/2015/03/02/interdiction-
du-voile-a-l-universite-la-ministre-boistard-s-avance_1212633
(9) Cf. Liogier R. (2012), Le mythe de l’islamisation. Essai sur
une obsession collective, Paris, Le Seuil.
(10) https ://www.ined.fr/chier/s_rubrique/19558/dt168_teo.
fr.pdf. Cf., en particulier, p. 123-128.
iranienne de 1979 ; les attentats islamistes dans le métro
parisien à l’été 1995 ; ceux du 11 septembre 2001 à New
York ; ceux de Madrid en 2004 et de Londres en 2007 ;
les assassinats de Mohamed Merah en mars 2012 à
Toulouse et Montauban, et les assassinats perpétrés
dans les locaux de Charlie Hebdo et dans une épicerie
casher en janvier 2015. Si les musulmans, individus ou
institutions, en particulier ceux qui ont accès à l’espace
médiatique, dénoncent régulièrement les violences
commises au nom de leur religion, la méance ne se
tarit pas pour autant. N’est-elle pas dans une certaine
mesure liée aux discours et aux comportements parfois
ambigus de certains musulmans de France sur les actes
de violence perpétrés au nom de l’islam, ainsi qu’aux
réactions irraisonnées d’acteurs publics ? De la même
manière, l’islamophobie, qui peut être dénie comme
la racialisation de l’Autre en raison de son appartenance
réelle ou supposée à l’islam, ne catalyse-t-elle pas à
son tour les replis identitaires ?
Une expression de l’islam fortement
plurielle
Qu’en est-il des principales expressions de l’islam
dans l’espace public français ? La dispersion des voix
musulmanes est le signe de l’hétérogénéité profonde
du champ islamique hexagonal aux sédimentations
nombreuses. C’est pourquoi il convient de distinguer
différents types d’acteurs individuels et/ou collec-
tifs, organisés ou non(11), constitutifs de l’islam en/de
France. Il y a effectivement, au-delà des islams sunnite
et chiite inégalement implantés en France – le premier
y est très majoritaire –, plusieurs courants. Il faut bien
comprendre que lesdits courants sont plus forts que les
organisations en place dont les hiérarques ne contrôlent
certainement pas toutes les expressions.
Nous distinguerons deux principaux courants s’agis-
sant de l’islam sunnite : les néo-Frères musulmans et les
salastes ou néo-salastes ; d’autres existent, mais ces
(11) Il existe une kyrielle d’associations qu’il est évidemment
extrêmement complexe de dénombrer et de répertorier. Nous son-
geons donc principalement au Conseil français du culte musulman
(CFCM) fondé en 2003 ; il est lui-même composé en son sein de
plusieurs sensibilités ; l’Union des organisations islamiques de
France (UOIF) fondée en 1983 ; La Grande Mosquée de Paris
(GMP) à la tête de laquelle se trouve Dalil Boubakeur ; La Fédé-
ration nationale des musulmans de France (FNMF) ; le Rassem-
blement des musulmans de France (RMF), le Comité de coordi-
nation des musulmans turcs de France (CCMTF), ou bien encore
la Fédération française des associations islamiques d’Afrique, des
Comores et des Antilles (FFAIACA). Cf. Godard B. (2015), La
question musulmane en France, Paris, Fayard, p. 247-340.
DOSSIER - L’IMPLANTATION DE L’ISLAM EN FRANCE : UN CHAMP RELIGIEUX FRAGMENTÉ
CAHIERS FRANÇAIS N° 389
58
deux-là sont sans conteste les plus actifs sur le terrain de
la prédication et des mobilisations. Il est indispensable
d’ajouter toutefois que ces deux types d’entrepreneurs
religieux n’offrent pas de stratégies cohérentes ou
uniées partout et tout le temps. Puis, à côté ou en
marge de ces prols au militantisme assumé, on trouve
des acteurs plus individuels à l’islamité afrmée dans
l’espace public, et qui, eux, sont les promoteurs d’un
tout autre rapport à l’islam, beaucoup moins normé,
normatif et revendicatif ; tous valorisent, explicitement
ou non, la dimension éthique et inclusive de l’islam :
Ghaleb Bencheikh, président de la Conférence mondiale
des religions pour la paix, Abdennour Bidar, philosophe
et producteur de l’émission Cultures d’islam sur France
culture, feu l’écrivain Abdelwahab Meddeb, Rachid
Benzine et Éric Geoffroy, tous deux universitaires
et islamologues. Il y a en a bien sûr d’autres. Tous
ces auteurs, musulmans assumés, introduisent dans
leur démarche de foi, et ce chacun à sa manière, une
dimension critique, en valorisant l’esprit des textes
et de la Tradition, plutôt que la lettre et le ritualisme
stricto sensu. Pourtant, il faut bien reconnaître que
leurs importants travaux ne parviennent pas, sinon
parcimonieusement et très souvent avec beaucoup de
réticences, au sein du public musulman confessant ;
ce que Abdelwahab Meddeb appelle « le sens commun
islamique ».
Le CFCM très contesté
En ce qui concerne l’islam « ofciel », le Conseil
français du culte musulman (CFCM), créé en 2003 en
grande partie à l’initiative du ministre de l’Intérieur de
l’époque, Nicolas Sarkozy, a échoué dans sa mission de
devenir un médiateur crédible entre les services de l’État
et en particulier les musulmans de la base fréquentant
les lieux de culte. Il est perçu par nombre de ceux-ci
comme une émanation du pouvoir politique destinée
à les contrôler. Objectivement, l’instance en question
a été en proie au cours de toutes ces dernières années
à des luttes intestines où des tensions nationalistes,
entre Marocains et Algériens principalement, étaient
grandement perceptibles. Que ce soit sur le dossier
de l’abattage rituel ou sur celui de la détermination
commune du début ou de la n du mois de Ramadan,
le CFCM a enregistré des résultats bien en deçà de ses
ambitions initiales.
Tout cela a fait le jeu des acteurs individuels et/
collectifs qui refusent précisément toute espèce d’in-
teraction avec l’État, sinon, dans quelques cas, un
partenariat très limité ; les néo-salastes (salaf signi-
e ancêtre) en sont un exemple patent. Ils exploitent
pleinement à ce titre la réalité de l’islamophobie et son
enracinement en Europe en général et dans l’Hexagone
en particulier(12) pour se faire entendre.
Un partage entre salafistes…
Par salasme (salaf signie ancêtre ou prédéces-
seur), il faut comprendre essentiellement deux choses :
d’abord, la « quête d’une religiosité absolue, ce sentier
doit leur permettre de briser les liens les enchaînant à
une société honnie, avatar d’une époque perdue(13) » ;
ensuite, « malgré la pluralité des discours et des pos-
tures qui caractérise l’identication aux premiers temps
de l’islam, le présupposé de toutes les mobilisations
du référent des Salaf reste identique : l’islam, tant du
point de vue du dogme, de la pratique que de la civili-
sation temporelle, n’était réellement authentique que
lorsque les croyants étaient proches de l’apostolat de
Muhammad(14) ». Le néo-salasme français n’offre pas
de visage homogène et de vision absolument unitaire,
mais il n’en présente pas moins des traits communs
structurants : respect strict de la Sunna, pratique rigo-
riste, hostilité au chiisme… Le site internet Islam & info
est particulièrement intéressant à examiner : il produit
régulièrement toutes sortes d’articles ou de brèves ; il
en relaye d’autres et annonce aussi des événements en
lien avec l’islam et les musulmans. Il adopte volontiers
une ligne très conservatrice. Et Daech, au fond, ce
serait la faute à l’Occident ; il serait instrumentalisé par
ceux qui auraient contribué à sa création, à savoir les
Occidentaux an de « pousser » « inconsciemment un
grand nombre de musulmans vers le rejet de la religion
an de se démarquer de leur propre chef ou sous la
pression d’une religion de destruction et de haine(15) ».
D’une manière un peu différente, on trouve Al-Kanz,
lequel est incarné par Fateh Kimouche, directeur du site ;
il s’inscrit aussi dans un paradigme néo-salaste ; il se
veut principalement le gardien de la norme alimentaire
et traque pour ce faire le faux halal commercialisé sur le
territoire national ou à l’étranger. Il n’hésite également
(12) http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2015/07/17/
les-actes-islamophobes-et-antisemites-en-nette-progression-au-
premier-semestre-en-france_4687414_1653578.html
(13) Adraoui, M.-A. (2013), Du Golfe aux banlieues. Le sala-
sme mondialisé, Paris, PUF, p. 9.
(14) Ibid.
(15) http://www.islametinfo.fr/2014/10/01/de-gaza-a-daech-in-
justices-et-manipulations-reexion-du-dr-zouhair-lahna/
1 / 6 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !