Religion et cognition 35
le savoir chiite venu d'Orient et celui des croisés et des autres chrétiens venu
d'Occident. De la même manière, en Occident, les chrétiens limitaient leur
savoir à leurs cathédrales et écoles monastiques tandis que les yeshivas juives
visaient à l'apprentissage du culte sans guère s'intéresser au monde extérieur.
Ceux qui déviaient de l'explication du monde inspirée par Dieu ne pouvaient
s'attendre à être traités avec pitié, et ils ne le furent pas. Ce fut le cas,
évidemment, des conflits entre catholiques et protestants, comme en
témoignent les terrifiants événements de la saint Barthélémy en France, les
monuments innombrables érigés en souvenir des martyrs à Oxford ou les
cimetières commémoratifs à saint Alban. Tous ces conflits peuvent se rapporter
au domaine du religieux mais il y en eut d'autres, comme celui qui opposa
Galilée à l'Eglise quand il fut condamné pour avoir donné une explication
scientifique de phénomènes naturels qui remettait en question une croyance
ayant reçu l'approbation religieuse.
Mais outre qu'ils étaient nombreux à considérer comme parfaitement valide
son type d'explication, la religion n'avait pas pour seule préoccupation la limi-
tation de notre compréhension du monde. Du simple fait que les religions
tardives du Livre étaient basées sur un texte écrit, elles avaient besoin de se
référer à des textes antérieurs et de les lire. Leurs adeptes, ou du moins leurs
prêtres, devaient savoir lire. Il était difficile de limiter l'activité de lecture au
seul texte divin, bien que, nous l'avons vu, il y eut bien une tendance à vouloir
s'y cantonner. La littérature religieuse servait à l'enseignement dans les écoles,
comme Furet et Ozouf l'ont établi pour le cas de la France rurale et ce, jusqu'au
18
ème
siècle. Les plus anciennes universités d'Europe, sans parler de celles
d'Inde, qu'elles soient bouddhiste ou hindoue, ou encore des madrasas en
islam, dont on dit qu'elles furent le prototype du modèle européen, furent toutes
établies pour la formation des prêtres (et des administrateurs) plutôt que pour
l'acquisition de nouvelles connaissances concernant le monde. La science appa-
rut plus tard, même dans des universités comme Cambridge qui, depuis lors, a
eu son lot de prix Nobel. Mais, avant le 19
ème
siècle, les choses étaient très
différentes. Le fait que les fidèles aient été impliqués dans l'enseignement de la
lecture pour servir leurs buts propres impliquait qu'ils étaient aussi pris dans
d'autres types d'apprentissage. Dans la plus grande partie du monde, les écoles
religieuses ont continué à enseigner la lecture et l'écriture aux jeunes enfants et,
par ce biais, ont essayé d'établir une relation durable avec eux. Mais les
exigences du monde extérieur, avant même celles de l'administration et du
commerce, supposaient un élargissement des programmes au-delà des matières
purement religieuses. De plus, la tolérance accordée par l'Etat à ces mêmes
matières en échange d'un soutien de leur part accrut l'importance des matières
séculières, y compris dans les écoles « religieuses ».
Il est clair que les considérations religieuses ont souvent joué un rôle dans
l'expansion des modes de communication et ce, dans toutes sortes de direction,
souvent de façon non-intentionnelle. Il ne fait guère de doute qu'en Chine,
l'utilisation des systèmes d'écriture à des fins divinatoires fut un ferment de leur
développement ; ailleurs, les débuts de l'écriture furent stimulés par d'autres
facteurs mais en Chine, ce fut la religion, et ce, en dépit du caractère séculier
de nombreux secteurs de la culture écrite ultérieure qui fut réservée, dans un
premier temps, aux bureaucrates et aux lettrés. Ailleurs, comme en Inde avec
les brahmanes, c'est la caste sacerdotale qui contrôlait les écoles, et c'est chez
elle que se fit sentir le besoin d'enseigner la lecture et l'écriture. Les prêtres
étaient la profession servant de pivot à tous les aspects de l'enseignement. Le