de l`instabilité des taux de croissance des économies

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1
DE L’INSTABILITÉ DES
TAUX DE CROISSANCE
DES ÉCONOMIES
SUBSAHARIENNES
2
INTRODUCTION
Encore, entamons notre propos sur l’instabilité des taux de croissance
par cette autre citation de notre grand économiste Britannique John
Maynard KEYNES :
« Le long terme est un mauvais guide pour les affaires courantes. À long
terme, nous serons tous morts. Les économistes se fixent une tâche peu
utile s’ils peuvent seulement nous dire que, lorsque l’orage sera passé,
l’océan sera plat à nouveau. »
Notre propos dans ce papier portera sur les fluctuations de l'activité
économique à court terme (quels indicateurs) et l'instabilité de la
croissance à LT ? Quelles causes pour expliquer cette instabilité de la
croissance économique ?
La croissance économique n'est pas régulière. Elle est soumise à des
fluctuations, à des mouvements de hausse et de baisse de l'activité
économique, repérables par l'observation d'indicateurs comme la
production, le chômage ou les prix. Les cycles retracent l'évolution des
phases d'activité économique. « Un cycle est constitué d'expansions qui
se produisent à peu près au même moment dans de nombreuses
branches de l'activité, expansions qui sont suivies par des phases de
récession, des contractions et des reprises, qui affectent elles aussi
l'ensemble des activités économiques », ont résumé en 1946 les
économistes américains Arthur Burns et Wesley Mitchell du National
Bureau of Economie Research (NBER).
3
Localisée entre la fin de la phase d'expansion et le début de la phase de
récession ou de dépression, la crise représente le moment où la
conjoncture bascule dans un sens défavorable. Elle se caractérise par une
contraction brutale de la production, une chute des prix, des faillites, une
hausse du chômage, un recul des salaires et des tensions sociales.
On distingue les crises conjoncturelles qui se résorbent d'elles-mêmes des
crises structurelles (entre-deux-guerres, fin XXe-début du XXIe siècle)
qui sont des périodes d'intenses mutations des économies capitalistes.
Dans un sens plus large, la crise désigne aussi la dépression voire la
récession qui suit le retournement du cycle1.
L’expansion désigne un phénomène d’accélération conjoncturelle du
rythme de croissance de l’économie par rapport au taux moyen de
croissance de longue période. A ne pas confondre avec la notion de
croissance économique qui désigne l’augmentation soutenue et durable
du
PIB
en
volume
d'une
économie.
La récession désigne un phénomène de diminution de la production (à
CT) ou ralentissement de la croissance sur une période d'au moins six
mois. A ne pas confondre avec la notion de dépression qui désigne une
baisse
durable
de
la
production.
On désigne par la notion de crise au sens strict désigne le point de
retournement à la baisse de l’activité économique ; au sens large, il
désigne l’ensemble de la période au cours de laquelle l’activité est
déprimée, le chômage élevé, etc. ; la crise se termine alors grâce à la «
reprise.»
1
Livre de TES, Magnard 2012
4
La reprise quant à elle désigne le moment de retournement de la
tendance de l’activité économique qui met fin à la récession ou
dépression pour déboucher sur une phase d’expansion2.
Le cycle du crédit contribue à expliquer le caractère endogène de
l’instabilité de la croissance. En période d’expansion économique,
surtout si la situation économique est saine (faible taux d’intérêt, faible
inflation), le « paradoxe de la tranquillité » (H. Minsky) joue : les agents
s’endettent, financent des investissements ou une consommation à
crédit, ce qui dynamise la demande et renforce la croissance donc
l’optimisme général. Cependant, le taux d’endettement des agents
augmente, des crédits sont accordés à des agents moins solvables, des
comportements spéculatifs se développent, des bulles peuvent se former
sur les prix de certains actifs. En fixant des taux d’intérêt trop bas en
période d’expansion, les banques centrales peuvent amplifier ces
comportements, tout comme les banques commerciales lorsqu’elles
prêtent à des agents économiques ayant des projets trop risqués.
Ces excès peuvent conduire à une crise financière et plonger l’économie
réelle dans la crise par la conjonction des effets richesse négatifs sur les
ménages, de la destruction des capitaux propres des entreprises et des
banques, du climat de pessimisme qui s’installe et qui peut entraîner
l’effondrement de la demande globale, de l’offre et de la demande de
crédit. C’est ainsi que la dette conduit au « boom économique » et que
celui-ci conduit à la crise lorsqu’un évènement provoque le retournement
des anticipations et la contraction de l’offre de crédit des banques.
2
E. Combe, Précis d'économie, coll. Major, PUF, 11ème édition, 2011
5
I.
Le paradoxe de la croissance
africaine3
La forte croissance économique africaine est accompagnée par la
création de peu d’emplois. De nombreux rapports ont attesté de
l’existence de ce paradoxe. Ainsi, l’Organisation Internationale du
Travail souligne que 82% des travailleurs africains sont pauvres, parce
qu’ils sont « coincés » dans le secteur informel de l’auto-emploi et n’ont
pas de bons emplois salariés rémunérés. Un nouveau rapport des
Nations Unies sur les perspectives économiques mondiales met en garde
contre le danger de ce paradoxe qui est un problème dans de nombreux
pays, à des degrés divers et pour des raisons différentes. En mai dernier,
la Banque africaine de développement a mis en garde les gouvernements
contre « l’instabilité politique » en raison de la flambée du chômage des
jeunes. Environ 12 millions de jeunes entrent dans la population active
chaque année en Afrique et seulement un cinquième accèdent à un
emploi. Raison pour laquelle tous les mois, nous entendons parler de
jeunes désespérés noyés dans la Méditerranée en essayant de rejoindre
l’Europe. Le printemps arabe, qui a renversé les gouvernements en
Tunisie, en Libye et en Égypte, était une réaction au chômage
anormalement élevé chez les jeunes.
3
Obadias Ndaba est un commentateur des questions africaines. Ses articles et tribunes ont
été publiés dans Le Kenya Standard, The New York Times, All Africa, Voice of America, The
National Review, African Executive, African Liberty, Libre Afrique, et Africa Review, entre
autres publications. Il a travaillé dans le secteur bancaire commercial au Rwanda, et dans le
secteur à but non lucratif au Kenya et aux États-Unis.
6
Alors, pourquoi la croissance de l’emploi est-elle si faible en Afrique
alors que ses perspectives de croissance économique sont très bonnes,
voire robustes ?
Tout d’abord, une grande partie de cette croissance économique
« robuste » en Afrique, durant la dernière décennie, a été tirée par
l’exportation de matières premières ou de ressources naturelles.
McKinsey & Company estime que le boom des ressources représente
32% du PIB africain. Le problème avec une croissance tirée par les
produits de base est qu’elle est fortement intensive en capital, avec peu
d’impact sur l’emploi domestique. En outre, rappelons que le
développement économique découle de l’ajout de valeur aux ressources,
pas seulement de leur exportation à l’état brut. C’est pourquoi
l’économie de l’Angola a cru de 11,1% durant la décennie 2001-2010, soit
le taux le plus rapide sur terre. Pourtant, 60% des Angolais vivent dans
l’extrême pauvreté. Les pays africains doivent désormais faciliter la
croissance dans des secteurs clés intensifs en main-d’œuvre.
Ensuite, alors que l’Afrique a besoin d’investissements dans des
secteurs tels que les infrastructures, la technologie et l’éducation,
l’essentiel de ses ressources financières demeure en fuite à l’étranger. En
mai 2013, une étude conjointe de la Banque africaine de développement
et du Global Financial Integrity a montré que, de 1980 à 2009, l’Afrique a
perdu entre 1200 à 1400 milliards de dollars en flux financiers illicites :
corruption, évasion fiscale et pots de vin. Ce montant représente plus de
trois fois le montant total de l’aide étrangère reçue dans la même période
et est vingt-huit fois plus élevé que les investissements directs étrangers
annuels destinés à l’Afrique qui, selon la Conférence des Nations Unies
7
sur le commerce et le développement, ont atteint 50 milliards de dollars
en 2012. L’Afrique supplie, alors qu’elle subit des fuites de capitaux, et
qu’elle peut être considérée comme un créancier net si l’on réintègre la
fuite des capitaux. En conséquence, si cette tendance était inversée,
l’Afrique serait en mesure de résoudre tous ses problèmes économiques
sans aide extérieure.
Enfin, il n’y a pas d’industrialisation, pas même dans la production
agricole. Il devient plus cher de fabriquer des produits en Asie en raison
de la hausse des coûts de la main-d’œuvre. Cela présente des
opportunités sans précédent pour l’Afrique qui a l’opportunité de se
lancer dans le secteur manufacturier, une industrie intensive en maind’œuvre qui pourrait résoudre le problème persistant et généralisé du
chômage. En octobre dernier, la Banque africaine de développement a
déclaré, à juste titre, que « l’industrialisation est une condition préalable
pour la transformation économique de l’Afrique ». L’industrie représente
moins de 10% du PIB en l’Afrique et emploie encore moins de ce
pourcentage, une structure malsaine pour de nombreux pays riches en
ressources. Quant à l’agriculture, sa part dans le PIB, selon les
estimations de l’OCDE, est seulement de 12%, alors qu’elle emploie plus
de 60%. Cela montre que la richesse en Afrique n’est pas là où les gens se
trouvent.
C’est
le
paradoxe
de
l’«impressionnante»
croissance
économique de l’Afrique avec un marché du travail toujours atone.
S’attaquer à cette question complexe prendra du temps, des années ou
même des décennies, mais les décideurs doivent comprendre ces causes
profondes et les limites du gouvernement dans la création annuelle
8
d’emplois comme une réponse à la crise. Les véritables causes sont de
nature structurelle et doivent être traitées comme telles.
II. Y a-t-il un miracle de
croissance africain ?
Selon Bosworth et Collins (2003), la théorie néoclassique offre deux
principaux outils empiriques pour étudier la croissance économique.
Premièrement, la comptabilité́ de la croissance permet d’identifier les
contributions directes (« proximate sources ») à l’évolution du revenu
national de l’accumulation des facteurs de production et de la
productivité. Ce qui n’est pas expliqué par l’utilisation croissante de
facteurs, soit le résidu, est censé représente le progrès technique.
Deuxièmement, les régressions de croissance sont utilisées pour
discerner ses déterminants profonds (potentiel géographique, qualité́ des
institutions, pertinence des choix de politiques économiques). Ces deux
outils ont été largement mobilisés pour expliquer les per- formances de
l’Afrique avant le décollage du milieu des années 1990. Depuis cette
date, de nouveaux travaux les ont utilisés pour expliquer le revirement
observé dans la trajectoire du continent. Que peut-nous apprendre cette
littérature sur la croissance de l’Afrique ? En particulier, comment
éclaire-t-elle la question de l’existence – ou de l’absence – d’un « miracle
9
africain » ? Répondre à cette question suppose une réflexion préalable
sur le concept de « miracle économique4 ».
Tout d’abord, un miracle doit-il se déceler dans les chiffres de la
croissance ou dans les indicateurs de développement ? Pour Young
(2012), qui a utilisé le premier le terme de « miracle africain » dans un
article publié dans le Journal of Political Economy, cette notion semble
indissociable de l’amélioration du niveau de vie. Pour mettre en evidence
la dimension miraculeuse de l’expérience africaine, il s’intéresse aux
évolutions de la consommation réelle des populations (qui a crû de 3,5 %
par an entre 1990 et 2004, d’après ses estimations), à partir de données
portant sur le patrimoine des ménages et des indicateurs sur les
conditions de loge- ment, la santé et l’éducation des populations
(Demographic and Heath Survey).
III. Etudier la croissance
africaine :
à l’aune de quelles données ?
Donc de la faiblesse des moyens dont peuvent disposer ces dernières. En
outre, les ajustements réalisés par chacune de ces institutions sur les
comptes nationaux, pour obtenir des données comparables entre les pays
4
Clémence Vergne Division Analyse macroéconomique et risque pays
[email protected] Antoine Ausseur Consultant
10
et dans le temps, peuvent générer une confusion supplémentaire. Les
écarts que l’on peut constater entre ces différentes bases de données sont
parfois conséquents. Jerven (2009) s’est livré à un exercice de
comparaison pour trois d’entre-elles5. Le classement des économies
africaines, sur le critère du PIB par habitant, diffère sensiblement d’une
source à une autre. Le peloton de tête reste relativement stable (neuf
pays sont classés dans le top-10 des trois bases de données), mais l’ordre
varie de manière non négligeable. En bas des classements, on constate
également une relative homogénéité : la République démocratique du
Congo, le Burundi et le Sierra Leone font systématiquement partie des
cinq économies les plus pauvres. En dehors du bas et du haut de
classement, certains pays voient en revanche leur position évoluer drastiquement : la Guinée, le Mozambique ou le Libéria font partie des pays
dont les chiffres de la croissance varient le plus selon les sources.
III.1 Le constat de la faiblesse des
appareils statistiques africains
Trois méthodes sont couramment utilisées pour calculer le PIB d’un pays
: la méthode « des dépenses » ou de la demande, qui consiste à faire la
somme de la consommation finale (administration et ménages), de
l’investissement (for- mation brute de capital fixe), et de la balance
commerciale. La seconde, dite « des revenus », qui revient à additionner
les profits, salaires, dividendes et rentes des différents acteurs de
5
World Development Indicators, 2007 ; Penn World Tables 6.2 ; Maddison Project, 2003.
11
l’économie. Enfin, la dernière méthode de « la production » consiste à
additionner les valeurs ajoutées des différents secteurs, en ajoutant les
impôts sur les pro- duits et en retranchant les subventions. Dans les pays
les plus avancés, chacune de ces méthodes est mise en œuvre de manière
indépendante, afin de pouvoir vérifier la cohérence des résultats obtenus.
En pratique, dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, la
dernière méthode est la plus utilisée pour mesurer le revenu national et
peu de pays mettent en œuvre plusieurs méthodes. La validité des
données produites s’en trouve naturellement affectée.
En 2010, le PIB ghanéen a été révisé à la hausse de 62 %. Le Nigeria et le
Kenya ont suivi cet exemple en 2014, en rehaussant respectivement leur
PIB de 89 % et 25 %. D’autres pays (Afrique du Sud, Ouganda, Tanzanie,
etc.) sont officiellement engagés dans des processus de révision similaires. Ces révisions spectaculaires du revenu national sont réalisées pour
offrir une image plus fidèle de l’évolution de la structure des économies
de l’Afrique, où la part des secteurs informels demeure très importante6.
Elles sont à la fois un remède et le symptôme d’un mal complexe : celui
de la fragilité́ des données statistiques disponibles sur le continent
africain.
6
Ces révisions ne sont pas sans conséquences sur les économies qui les entreprennent :
l’amélioration des ratios de dettes sur PIB peut faciliter l’accès aux marchés financiers
internationaux. Inversement, l’augmentation du PIB par habitant peut conduire à une
modification de l’appréciation du stade de développement d’un pays (par exemple, le Ghana
est sorti de la catégorie des pays à faible revenu pour rejoindre celle des pays à revenu
intermédiaire à l’issue de la révision de son PIB en 2010), et modifier les stratégies d’aide des
bailleurs
12
Dans un livre largement débattu et commenté7, Jerven (2013) a établi le
diagnostic d’une déficience des données sur le revenu national.
Shantayanan Devarajan, ancien économiste en chef de la Banque
mondiale pour la région Afrique, appuie ce constat, n’hésitant pas à
évoquer une « tragédie statistique » africaine (Devarajan, 2013). Pour les
chercheurs en sciences sociales, l’absence de données fiables pose un
problème fondamental. La thèse de Jerven affaiblit une part importante
de la littérature économique publiée ces dernières décennies sur la
croissance de l’Afrique depuis les indépendances. Les limites des
données appellent à une plus grande modestie dans les conclusions
auxquelles on peut aboutir et nécessitent d’appréhender un sujet via
différentes approches afin de voir si les résultats convergent ou se
révèlent au contraire contradictoires.
III.2 Les bases de données disponibles
sur l’Afrique
Les données disponibles pour étudier la croissance africaine proviennent
des bases statistiques constituées par des organisations internationales
(Banque mondiale, World Development Indicators ; Fonds monétaire
international [FMI], World Economic Outlook) et des centres de
recherche (Projet Maddison, Gröningen Growth and Development
Center ; Penn World Tables, University of Pennsylvania).
7
Pour une discussion critique de cet ouvrage, se reporter à Labrousse étal. (2014).
13
Ces bases sont élaborées à partir des données mises à disposition par les
agences statistiques nationales, et pâtissent donc de la faiblesse des
moyens dont peuvent disposer ces dernières. En outre, les ajustements
réalisés par chacune de ces institutions sur les comptes nationaux, pour
obtenir des données comparables entre les pays et dans le temps,
peuvent générer une confusion supplémentaire. Les écarts que l’on peut
constater entre ces différentes bases de données sont parfois conséquents.
Jerven (2009) s’est livré à un exercice de comparaison pour trois d’entreelles. Le classement des économies africaines, sur le critère du PIB par
habitant, diffère sensiblement d’une source à une autre. Le peloton de
tête reste relativement stable (neuf pays sont classés dans le top-10 des
trois bases de données), mais l’ordre varie de manière non négligeable.
En bas des classements, on constate également une relative homogénéité
: la République démocratique du Congo, le Burundi et le Sierra Leone
font systématiquement partie des cinq économies les plus pauvres. En
dehors du bas et du haut de classement, certains pays voient en revanche
leur position évoluer drastiquement : la Guinée, le Mozambique ou le
Libéria font partie des pays dont les chiffres de la croissance varient le
plus selon les sources.
14
III.3 Pourquoi la transformation
structurelle accompagne-t-elle
naturellement
la croissance économique8 ?
Les économistes se sont d’abord appliqués à justifier la dynamique de
transformation structurelle dans des économies fermées. Dans la
tradition inaugurée par le modèle de Lewis (1954), certains ont mis en
évidence le rôle des « facteurs d’offre » (Productivity-driven mechanisms
ou « effets Baumol »). Dans ces modèles, les mouvements des
travailleurs du secteur agricole vers ceux de l’industrie et des services
résultent des différentiels de gains de productivité entre les secteurs. En
particulier, les progrès réalisés dans le secteur primaire libèrent la force
de travail nécessaire pour nourrir la population urbaine en forte
croissance. D’autres travaux cherchent la source de la transformation
structurelle du coté de la demande (preference-driven mechanisms ou «
loi d’Engel ») (Kongsamut et al. 2001). L’augmentation du revenu se
traduit par une diminution relative de la demande de biens primaires,
dont l’éélasticité́-revenu est négative, au profit des biens industriels et
8
Clémence Vergne Division Analyse macroéconomique et risque pays [email protected]
Antoine Ausseur Consultant : La croissance de l’Afrique subsaharienne : diversité́ des
trajectoires et des processus de transformation structurelle
15
des services. En réponse, l’appareil productif se transforme pour
répondre aux évolutions de la demande nationale.
La force de ces deux types de mécanismes est largement atténuée lorsque
l’hypothèse d’autarcie de l’économie est levée. Comme le note
Matsuyama (1992), les gains de productivité dans le secteur agricole
peuvent générer des avantages comparatifs durables dans la production
de biens primaires, et ainsi figer la spécialisation d’un pays et empêcher
sa transformation structurelle. En outre, en économie ouverte, l’appareil
productif d’un pays n’est pas organisé pour répondre exclusivement à sa
demande intérieure, mais évolue au gré de la demande internationale.
Dans une économie ouverte, la transformation structurelle est guidée par
les
évolutions
des
avantages
comparatifs
(endowment-driven
mechanisms). Dans les modèles de Lin (2011) et Ju et al. 2013), ces
avantages comparatifs dépendent de la dotation factorielle des pays
(travail,
capital
physique
et
humain,
ressources
naturelles).
L’accumulation de capital physique et humain qui accompagne le
développement économique modifie progressivement les avantages
comparatifs des pays émergents, qui doivent théoriquement passer par
une succession d’étapes (Balassa, 1979b ; « vol des oies sauvages »,
Akamatsu, 1962) : initialement avantagé dans la production de biens
intensifs en ressources naturelles, un pays « standard » exportera ensuite
des biens intensifs en travail peu qualifié, puis des biens intensifs en
capital et en travail qualifié. Cette théorie est toutefois remise en question
par les nouvelles théories du commerce international.
16
CONCLUSION
Au-delà des facteurs présentés dans ce papier, d’autres facteurs peuvent
expliquer (i) le déficit de diversification de l’Afrique et (ii) l’hétérogénéité
des dynamiques de diversification au sein du continent africain. En
particulier, l’environnement des affaires qualité des services publics et
des infrastructures, accès au financement, protection des droits de
propriété joue un rôle central dans la réussite du processus de transformation structurelle (Eifert et al. 2005 ; Harrison et al. 2013). En outre,
Farole (2011) souligne combien l’infrastructure énergétique déficiente
pénalise l’Afrique, y compris dans les zones économiques spéciales. Le
coût élevé de la main- d’œuvre africaine, par rapport à celle de
concurrents asiatiques comme le Bangladesh ou le Vietnam, constitue
également un facteur d’explication (Gleb et al. 2013). Graphique 28
Deux pays, historiquement diversifiés et caractérisés par un niveau élevé
d’exportations par tête, se distinguent du reste du continent : l’Afrique
du Sud et Maurice. Les pays producteurs de pétrole constituent une
catégorie à part : le Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale, l’Angola, le
Tchad et le Nigeria font partie des pays africains qui exportent le plus.
Leurs paniers d’exportations sont en revanche très concentrés, ce qui les
rend vulnérables aux chocs extérieurs, notamment en cette période de
baisse des cours du pétrole, et affaiblit leurs perspectives de
développement à long terme. Deux décennies de croissance en Afrique
ont fait émerger une troisième catégorie, qui rassemble un groupe de
pays très hétérogène, sous le label forcément réducteur de « pays en
17
transition » ou « pays frontières ». On y trouve notamment certaines des
économies les plus dynamiques du continent (Ouganda, Tanzanie).
RÉFÉRENCES
BIBLIOGRAPHIQUES :
(1) Livre de TES, Magnard 2012
(2) E. Combe, Précis d'économie, coll. Major, PUF, 11ème édition, 2011
(3) Obadias Ndaba est un commentateur des questions africaines. Ses
articles et tribunes ont été publiés dans Le Kenya Standard, The New
York Times, All Africa, Voice of America, The National Review, African
Executive, African Liberty, Libre Afrique, et Africa Review, entre autres
publications. Il a travaillé dans le secteur bancaire commercial au
Rwanda, et dans le secteur à but non lucratif au Kenya et aux États-Unis.
(4) Clémence Vergne Division Analyse macroéconomique et risque pays
[email protected] Antoine Ausseur Consultant
(5) World Development Indicators, 2007 ; Penn World Tables 6.2 ;
Maddison Project, 2003.
(6) Clémence Vergne Division Analyse macroéconomique et risque pays
[email protected] Antoine Ausseur Consultant : La croissance de l’Afrique
18
subsaharienne : diversité́ des trajectoires et des processus de
transformation structurelle.
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New York.
Nasser KEITA, Ph.D
Directeur du laboratoire de Recherche Économique et Conseils
(LAB-REC) www.lab-rec.org
22
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