L'adaptation des pratiques agricoles et des systèmes agraires au
Changement climatique
Diagnostic d’un territoire rural au Chili, dans la région de l’Araucanie, au sein d’une zone
d’agriculture familiale paysanne Mapuche
LA ZONE D’ETUDE
J’ai choisi comme terrain d’étude pour mener à bien ma recherche une petite zone
d’agriculture familiale paysanne Mapuche. Elle se situe à cheval sur deux communes, les
communes de Padre Las Casas et Vilcun, elles-mêmes localisées dans la Neuvième Région
chilienne, la région de l’Araucanie, au Sud du Chili.
Dans la commune ressortent les secteurs d’activités liés à l’agriculture, l’élevage, la
chasse et la sylviculture avec une grande proportion de la population économiquement
active, l’agriculture de minifundium prévaut sur toutes les autres activités. Le secteur
agricole et sylvicole ne constitue pas seulement la base de l’économie régionale, mais il
détermine aussi les caractéristiques du développement industriel (Municipalidad Padre Las
Casas, 2012). Il s’agit d’une zone rurale pauvre, avec une forte concentration de population
indigène Mapuche. La zone d’étude regroupe 40 communautés indigènes répertoriées par
la CONADI. Il s’agit d’un territoire qui constitue actuellement une zone de conflits,
notamment liés à la terre.
A mon arrivée, la région
était décrétée en
situation d’urgence du
fait d’un déficit hydrique,
une expression
politiquement correcte
pour parler de sécheresse.
Ceci a pu déclencher des
actions se soutien de la
part des organismes de
développement agricole
comme l’INDAP, comme
notamment la distribution
d’aliments pour le bétail
ou l’attribution de bons
exceptionnels de 100 000
pesos (environ 140 euros)
aux agriculteurs dans le
besoin.
Les Mapuche ont survécu culturellement à de nombreux envahisseurs, les Incas, les
Espagnols, les colons européens, l’Etat chilien et actuellement l’économie néolibérale et la
mondialisation. Ils se sont adaptés, s’intégrant à des modèles sociaux et économiques,
profitant des rares ouvertures sociales, économiques et culturelles que ceux-ci leur ont
permis (VIVALLO, 2011). A présent on peut se demander quelles vont être les stratégies
d’adaptation face au changement climatique. C’est pourquoi cette zone présente un bon ter-
rain d’étude dans le cadre du thème des systèmes agraires et leur relation avec le
changement climatique.
LES IMPACTS DU CHANGEMENT CLIMATIQUE AU NIVEAU DE LA REGION DE L’ARAUCANIE
Un des effets, considéré comme positifs par l’ODEPA (dépendant du ministère de
l’Agriculture), que présente le changement climatique pour l’agriculture nationale, est le
déplacement et l’élargissement des zones de cultures vers le sud du pays, permettant à la
production des espèces hortofruticoles dans des zones traditionnellement elles ne
pouvaient être produites. Cependant on peut se demander de ce qu’il adviendra des
communautés indigènes qui occupent actuellement ces zones agricoles. On peut ainsi
prévoir une recrudescence des conflits fonciers dans la région, qui sont déjà légion du fait de
l’histoire agraire (couple latifundio/minifundio).
La sécheresse affecte fortement la région. Il s’agit de l’été le plus sec de ces dernières
décennies. La Direction Météorologique déclara que la région de l’Araucanie présente un
déficit de pluies de 98%. Ce qui confirme qu’il s’est agit de l’un des été les plus chauds et
secs de ces 50 dernières années.
L’augmentation des feux de fôret est également en train d’affecter la région. Ils
l’affectent maintenant toute l’année, même les mois d’hiver. De plus, à cause de la
sécheresse, des milliers d’arbres sont morts sur pied et sont donc très combustibles ce qui
fait qu’à la moindre provocation ils prennent facilement. Autre phénomène encore peu
commun il y a quelques années, les incendies provoqués par une tempête sèche. La tombée
d’un rayon sur un arbre sec entraîne le démarrage d’un incendie, et étant entouré par des
plantes en stress hydrique la combustion est plus rapide. C’est ce qui s’est passé fin mars
2015 avec la réserve China Muerte et le Parc National Conguillio ont été consommés plus
de 3000 ha dans la région de l’Araucanie (SMITS, article el dinamo, mars 2015).
DESCRIPTION GENERALE DU SYSTEME AGRAIRE
Il s’agit d’une zone d’agriculture familiale de subsistance et de type minifundiaire.
Les systèmes se basent sur de la polyculture-polyélevage et de la sylviculture avec un
outillage majoritairement manuel, et/ou appel à prestation de service pour réaliser le
travail agricole. Il s’agit donc de systèmes peu moto-mécanisés. La pluriactivité est une
caractéristique clé de ce système. Les agriculteurs vendent leur de force de travail afin de
pouvoir diversifier leurs sources de revenu et pouvoir capitaliser. On assiste également à des
transferts de main d’oeuvre entre systèmes de production au sein de la zone à certaines
périodes de pointe. Par ailleurs on peut la qualifier d’agriculture pluviale, car il existe peu de
systèmes d’irrigation et qui sont pour la plupart basiques et peuvent couvrir une très faible
surface. Quant aux circuits de commercialisation, ils sont complètement informels. La vente
se fait pas vente directe au sein de l’exploitation (panneaux) ou en allant livrer directement
les produits aux clients qui en ont fait la demande, ce qui nécessite de s’être constitué tout
un réseau privé. Il y a donc un profond manque d’organisation de filières de
commercialisation et de formalisation de chacune des petites entreprises individuelles, ou «
auto-entreprises » comme on dirait en France (vente de produits artisanaux en laine, de
produits transformés, etc.).
EFFETS DU CHANGEMENT CLIMATIQUE DANS LA ZONE D’ETUDE
Les évolutions du climat sont multiples
Tout d’abord il y a une modification des saisons, elles ne sont plus autant marquées
avec une disparition de l’automne et du printemps. Il y a une modification importante dans
le régime des précipitations, tant dans l’intensité que dans la distribution des pluies. Il y a de
cela deux générations il pleuvait régulièrement tout au long de l’année, c’est-à-dire qu’il
pouvait pleuvoir au printemps et en été. Aujourd’hui, par exemple, il pleut beaucoup sur un
temps très court et après il ne va plus pleuvoir pendant de nombreuses semaines. L’hiver
était très dur, avec beaucoup de pluies, de tempêtes et de vent, que ce soit de jour ou de
nuit. Un climat d’automne était normalement composé de brouillard et de froid. En ce qui
concerne les gelées, elles pouvaient se présenter jusqu’aux mois d’octobre, maintenant il
arrive qu’il y en ait en décembre. Mais depuis environ 4 ans, il y a beaucoup de soleil, de
chaleur, et il pleut très peu en comparaison avec le climat des dernières décennies. Le soleil
est « fort » et assèche les fruits des arbres, les prairies (surtout le trèfle) et les produits du
potager et de la chacra. Enfin les jours sont considérés comme étant plus courts.
Egalement il y a une augmentation importante de la fréquence des sécheresses.
Auparavant, il était de coutume de subir une sécheresse environ tous les 10 ans (une en
1998, une en 2008). Cependant, depuis cette dernière sécheresse, la commune en subit une
presque tous les ans et elles sont de plus en plus graves. La région connait la sécheresse
depuis 4 ans de suite. Depuis 2010, les agriculteurs sont dans l’obligation de faire une
demande d’eau à la Municipalité (Solicitud de Agua) pour se fournir en eau de
consommation, car leurs puits s’assèchent. Certains puits se sont également asséchés pour
la première fois cette année. Ces dernières années ces demandes et distributions se faisaient
seulement pour les 5 mois d’été, mais depuis l’année dernière certains en font la demande
toute l’année.
On note également l’apparition de nuisibles, comme les guêpes qui nuisent aux fruits
depuis une vingtaine d’années.
Les conséquences sur les systèmes de production
Les écosystèmes sont affectés. Avant la zone était pleine de pichantales (zones
humide avec une végétation particulière), et aujourd’hui ils se sont asséchés ou ont émis
en exploi-tation pour l’agriculture. Certaines espèces de milieux humides comme le
conquillo, qui étaient utilisées dans les constructions ou autres, ont quasiment disparues.
Par ailleurs, le changement climatique a également un impact sur des espèces sauvages et
qui sont récoltées par les machis de la zone d’étude. Pour pouvoir préparer leurs remèdes
contre les maladies, les machis ont pour coutumes d’aller cueillir les plantes médicinales
pour ensuite les sécher et les travailler. Le problème c’est qu’à l’heure actuelle on n’en
trouve quasiment plus dans la zone des communautés étudiées. Il faut ainsi aller les
chercher plus loin dans la commune, voire en planter dans les potagers pour les cultiver.
Les Itinéraires techniques sont adaptés. On note l’avancée de la date de semis de
certaines cultures ainsi que des changements dans les variétés cultivées. Cela est au fait
que les produits et donc les semences des potagers ont été séchés lors des dernières
sécheresses, par conséquent les producteurs n’ont plus rien à ressemer pour l’année
suivante. C’est ainsi que se perdent des variétés traditionnelles sélectionnées dans la zone
d’étude par les agriculteurs, et que ces derniers deviennent dépendant des semences
certifiées distribuées par les programmes de développement et vendues par les
commerçants d’intrants agricoles.
Une forte fluctuation des prix. Les aléas climatiques comme les sécheresses, en
affectant la production et les rendements, jouent un rôle important sur les marchés et dans
la formation des prix agricoles locaux. Par exemple la sécheresse a affectée la production de
semences de pommes de terre, avec une diminution importante du rendement. Il devient
alors difficile de s’en procurer dans la zone et les prix sur le marché en sont impactés avec
une forte hausse. En ce qui concerne le marché du bétail, le fait que les prairies sont
asséchées, voire que certaines ne donnent plus, influe sur la production du bétail qui est
alors sous-alimenté. L’alimentation des animaux se pose alors comme un des problèmes
majeurs de la zone. Ceci affecte forcément le marché et voit une diminution importante des
prix à cette époque de vente forcée de leurs animaux par les agriculteurs, qui ne peuvent
plus les nourrir. Différentes stratégies s’opèrent alors comme vendre une partie de son
troupeau faute d’avoir de quoi l’alimenter, l’emmener pâturer sur une par- celle louée dans
un fundo ou ailleurs, acheter des aliments à ceux qui en vendent, etc. Apparaissent ainsi des
relations de dépendance et de hiérarchie entre les producteurs de la zone.
Une différenciation plus marquée entre les agriculteurs. Ainsi on observe qu’il existe
une différenciation au sein des agriculteurs. Certains vont être beaucoup plus affectés que
d’autres. Le critère de différenciation majeur est celui de l’accès à l’eau et aux
infrastructures d’irrigation. Ceux qui ont un problème d’accès à l’eau et ne possèdent pas
d’irrigation sont fortement affectés comme expliqué ci-dessus. Cependant, il s’avère que
ceux qui ont ces systèmes d’irrigation le sont dans une moindre mesure, selon la superficie
qu’ils peuvent irriguer. Ceux qui souffrent le plus sont donc les petits paysans non
entièrement dédiés à l’agriculture et qui n’ont pas les moyens d’investir dans l’irrigation
pour leurs cultures.
PREMIERES PISTES D’ADAPTATION ET DE MITIGATION AU CHANGEMENT CLIMATIQUE
Diversité signifie durabilité
Si on pense le changement climatique comme un risque alors, pour éviter les
catastrophes naturelles, il faut jouer sur la vulnérabilité, le changement climatique étant
déjà un fait présent et inévitable. Pour limiter la vulnérabilité, il est nécessaire de
réintroduire de la variabilité et de la diversité génétique autant dans les espèces cultivées
que naturelles, la biodiversité s’est perdue du fait de l’orientation par les politiques
publiques des systèmes de production paysans vers la vente. Les agriculteurs qui dépendent
d’une seule culture ou d’une industrie unique sont vulnérables aux changements
technologiques, aux marchés internationaux et aux phénomènes naturels. Les plus
vulnérables sont les familles qui ne cultivent plus pour leur subsistance et dépendent des
revenus des cultures de rente pour acheter leurs aliments (CONADI, MUNOZ, 2015). On
assiste à une érosion génétique qui évolue à un rythme sans précédent dans l’histoire de
l’humanité. On aurait perdu approximativement 90% de la diversité biologique agricole au
début du siècle dernier pour les principales cultures (CONADI, MUNOZ, 2015). Par exemple,
la quinoa a presque disparue de la région, mais sauvée par un pro-gramme de l’INDAP en
2005.
Sauver, multiplier et semer les semences paysannes locales
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