Comparaisons d'abondance de grande faune chassée en Guyane Française. Résultats préliminaires. Cécile Richard-Hansen et Benoît de Thoisy* *Association Kwata Contexte de l’étude Dans le cadre du programme d'étude global mené par l'ONCFS et divers partenaires en Guyane française sur la chasse et son impact sur les populations animales, un réseau de sites plus ou moins soumis à pression de chasse est prospecté pour quantifier et comparer les abondances respectives des principales espèces rencontrées. Méthodes La méthode utilisée de manière homogène dans tous les sites guyanais est la méthode des line transects, méthode uniformément adoptée dans la plupart des études en forêt amazonienne (Peres, 1999; Peres & Dolman, 2000). Tous les sites sont caractérisés par la présence de forêt tropicale sempervirente continue, primaire ou secondarisée à la suite d'exploitation forestière contrôlée. Les conditions d'observabilité des animaux sont considérées comme équivalentes dans les différents sites. La pression de chasse est nulle à très faible dans 6 des zones prospectées : les réserves naturelles des Nouragues et de la Trinité, les sites très isolés, accessible uniquement par héliportage de Pic Matécho et Piton Baron, et les zones plus côtières mais à l'écart de voies d'accès comme la zone de Counami Témoin (Counami T) et Régina Témoin (Régina T). La chasse est présente et régulière dans les autres sites, avec une intensité variable mais non quantifiable exactement. Un dispositif similaire composé d'un camp de base (pour les sites isolés) et de plusieurs layons de 3 à 4 km de long, échantillonnant les divers milieux présents a été mis en place dans chaque site. Les layons sont ensuite parcourus par des observateurs entraînés se déplaçant à une vitesse inférieure à 1 km/h, entre 7h et 11h le matin et 15h –18h l'après midi, de manière répétée jusqu'à cumuler plus de 100 km / site. Les résultats sont ensuite traités en termes d'indices kilométriques d'abondance dans un premier temps (nombre de rencontres par 10 km de transect). Les distances perpendiculaires d'observation ont également été relevées, permettant dans un second temps d'aborder des calculs de densités, par la méthode de distance sampling. Les sites dont les résultats sont présentés dans cette étude ont été échantillonnés, soit par l'ONCFS, soit par l'association Kwata, en particulier dans le cadre du programme Silvolab "La chasse en Guyane : vers une gestion durable", réalisé suite à un appel d'offre du ministère de l'Aménagement du territoire et de l'Environnement (actuel ministère de l’Ecologie et du Développement durable). Certains sites étaient étudiés dans le cadre d'études pilotes (Counami) ou d'études d'impact (Régina Saint Georges) menées par l'ONF. Les résultats d'études antérieures sur la Montagne de Kaw (Julliot, 1998) et de Petit Saut (données pers.) sont présentés également à titre comparatif. 1 Résultats Comparaison zones chassées-zones non chassées Les plus grandes espèces étant à la fois les plus recherchées par les chasseurs, et souvent les plus vulnérables de par leur taux reproducteur généralement plus faible, nous avons considéré dans l’ensemble des zones échantillonnées les totaux de grandes et petites espèces pour chaque groupe d’espèces(fig. 1) petits primates grands primates 6 5 Chassé Peu chassé 4 3 2 1 petits oiseaux 5 Petit Saut Macouria (Balata) Macouria (Matiti) St Georges Counami chassé Mont. Kaw Saül Counami T Régina T Nouragues Trinité Piton Baron Matécho 0 grands oiseaux Peu chassé Chassé 4 3 2 1 petits terrestres Petit Saut Macouria (Matiti) Macouria (Balata) St Georges Mont. Kaw Counami chassé Saül Counami T Régina T Nouragues Trinité Matécho Piton Baron 0 grands terrestres 7 6 Peu chassé Chassé 5 4 3 2 1 Petit Saut Macouria (Balata) Macouria (Matiti) St Georges Counami chassé Mont. Kaw Saül Counami T Régina T Nouragues Trinité Piton Baron Matécho 0 Figure 1 : Abondances relatives des grandes et petites espèces par grands groupes écologiques dans les différents sites prospectés IKA : nombre de groupes/10km. Les grands primates regroupent les atèles, hurleurs et capucins, les petits primates les tamarins, saïmiris et sakis. Les petits terrestres regroupent les acouchis et agoutis, les grands terrestres les pécaris, les daguets et les tapirs. Les petits oiseaux rassemblent les tinamous et les toclos et les gros oiseaux les hoccos, agamis, et marails. 2 Les abondances (IKA) de grands primates sont toujours plus élevées dans tous les sites non chassés. Les petits primates, par contre, sont très peu présents à Piton Baron et à Matécho, zones pratiquement non touchées par l'homme, et beaucoup plus abondants dans certaines zones chassées, particulièrement la zone côtière de Balata. La proportion relative des espèces "chassables / non chassables" dans les zones prospectées peut être un indicateur de la pression de chasse subie, complémentaire de l’évaluation des abondances sensu stricto. La modification de l’équilibre et de la structure des peuplements de mammifères a déjà été évoquée dans plusieurs études portant sur l’impact de la chasse en Amazonie (Peres, 1997 ; Peres & Dolman, 2000). En Amazonie de l’Ouest, une étude comparative (Peres, 1990) avait noté que la proportion de singes de plus de 4 kg dans la communauté globale de primates passait de 16,4 % en zone chassée à 64 % en zone non chassée. De manière comparable, le long de l’axe Régina St Georges, en Guyane, la proportion des espèces "chassables" c’est-à-dire de grande taille, passe de 90% dans la zone témoin à 44% dans la zone la plus chassée (de Thoisy, 2000). A Saül, la proportion de ces mêmes espèces est de l’ordre de 63 % de la population de primates, et au Pic Matécho elle atteint également 90 %. Cet indice doit cependant être pris avec prudence, puisque à Petit Saut, zone très chassée, la proportion des plus grandes espèces de singes représente tout de même 64 % du peuplement de primates, malgré des abondances très faibles (0,92 groupes / 10 km contre 2,2 à Saül, par exemple qui présente un rapport grandes espèces/total équivalent ). En ce qui concerne les animaux terrestres, l’effet de la chasse est moins évident au premier abord. Les grands animaux terrestres continuent d’être présents dans certains sites régulièrement chassés, en abondances souvent supérieures à d’autres zones non chassées comme Piton Baron ou Matécho. Ces deux zones se révèlent d’ailleurs assez pauvres en petits terrestres également, qui sont souvent beaucoup plus abondants dans les zones chassées (Saül, Kaw, Counami, St Georges) De même, les abondances de grands et petits oiseaux varient en fonction des sites, mais pas forcément de la pression de chasse. Les grands oiseaux se trouvent en abondance réduite à St Georges et Petit Saut, mais ils maintiennent une population moyenne sur Macouria, voire forte sur la montagne de Kaw. Ces disparités d’impact de la chasse sur les différents types d’animaux soulignent bien que la pression de chasse ne doit pas être la seule raison invoquée pour expliquer des abondances réduites de certaines espèces dans certaines zones. La quasi-absence de pécaris (Tayassu tajacu et Tayassu pecari)dans les zones pratiquement intactes de Pic Matécho et Piton Baron, alors qu’ils sont présents sur le site proche de Saül, chassé depuis de nombreuses années, est un bon exemple qui incite à rechercher ailleurs les causes sous jacentes responsables de la composition des peuplements de grands mammifères. De la même manière, les agoutis (Dasyprocta agouti), pourtant chassés, sont souvent beaucoup plus abondants dans les zones chassées que dans les zones témoins intactes. Ces premières données comparatives à une échelle territoriale soulèvent donc la question cruciale du rôle de la structure du milieu sur les abondances des diverses espèces animales. Si la présence/absence de certaines espèces particulièrement sensibles (singes atèles, Ateles paniscus et hoccos Crax alector) semble effectivement pouvoir être un indicateur de la pression de chasse, les populations et peuplements de l’ensemble des espèces dépendent aussi largement de paramètres du milieu encore difficilement quantifiables. Variations entre zones non chassées Cette influence "écologique" sur les densités animales peut se révéler dans un premier temps à travers l’examen comparatif des abondances relatives dans divers milieux non chassés. En parallèle, on tentera par la suite de caractériser ces différents milieux selon leur topographie, conditions pédologiques et géomorpholoqiques et composition floristique, afin de rechercher des paramètres pertinents sous jacents. 3 Peuplement de primates En comparant 6 zones soumises à une pression de chasse faible ou nulle, on remarque de manière préliminaire que les abondances relatives des singes atèles (Ateles paniscus) et hurleurs (Alouatta seniculus) semblent varier de manière inverse. Les abondances de singes atèles sont effectivement plus fortes que celles des hurleurs aux Pic Matécho et au Piton Baron, alors que dans les zones « témoin » de Régina et Counami, ce sont celles des singes hurleurs qui sont plus importantes. La Trinité et les Nouragues se situent à l’intermédiaire avec des abondances équivalentes pour ces deux espèces. Les zones de fort reliefs (Matécho, Piton Baron)semblent particulièrement favorables aux atèles, alors que les hurleurs prédomineraient dans les zones plus basses et/ou côtières comme Régina, Counami, et Trinité (Les comptages dans la Réserve nationale de la Trinité ont été réalisés dans une zone plus proche de fleuves et grandes criques que de l’inselberg). Il faut cependant noter que le facteur chasse peut quand même avoir une influence sur ce résultat. En effet ces trois dernières zones ne sont pas chassées régulièrement, ou actuellement, mais sont plus accessibles, et relativement plus proches géographiquement de zones chassées que les deux premières. Les atèles étant très sensibles au moindre impact de la chasse, et mettant de très longues années à retrouver un niveau de population normal après une chute d’effectif (Roosmalen, 1985), il est possible que ces zones dites "témoin" reflètent tout de même un certain impact de la chasse, passé ou "périphérique" (Thiollay, 2002). Ayant un taux reproducteur sensiblement plus élevé, les hurleurs sont moins sensibles à une pression de chasse très faible. Alouatta seniculus Ateles paniscus 4 3 Figure 2 : Abondances comparées des singes atèles (Ateles paniscus) et hurleurs (Alouatta seniculus) dans des sites soumis à pression de chasse très faible à nulle. Indice Kilométrique en nombre de groupes/10 km 2 1 Counami T Régina T Trinité Nouragues Matécho P. Baron 0 Animaux terrestres Parmi les terrestres, par contre, les variations sont globalement parallèles pour les deux espèces de rongeurs d'une part, et pour trois espèces d’ongulés d'autre part. Si ces variations sont en relation avec des variations de milieu écologique, il semble que les espèces réagissent de manière semblable aux paramètres environnementaux. La zone de l'Est Guyanais (Régina) semble particulièrement favorable aux grands animaux terrestres comme les ongulés, alors que les zones à relief marqué (Matécho, Piton Baron) sont comparativement plus pauvres. 4 Rapport terrestres / primates Parmi les zones non chassées, on constate que les zones très favorables aux grands primates, et en particulier aux atèles, sont celles qui ont également de très faibles abondances de grands terrestres, et particulièrement de pécaris. Là encore, un effet du relief important pourrait être invoqué. On retrouve ainsi l’indice d’abondance de pécaris le plus élevé (0,88 groupes /10 km) à Saül, pourtant régulièrement chassé, et relativement proche de Matécho où très peu de pécaris des deux espèces ont été observés. Il est d’ailleurs à noter que toutes les observations de pécaris à collier de Matécho ont été réalisées dans les zones échantillonnées les plus basses, au pied du relief proprement dit, dans une zone de bas fond. Dans la zone de Régina-témoin, au relief collinaire mais moins accusé, on retrouve également un indice assez élevé de 0,76 groupes/ 10 km . Cependant, on ne peut réellement conclure encore sur cet effet, tant que plusieurs zones de basse altitude (forêts en bordures de fleuves, flat), mais non chassées n’ont pas été étudiées. Ce biais provient de la difficulté d’accès en forêt guyanaise de sites suffisamment éloignés pour ne pas être touchés par la chasse. Le principal moyen restant l’hélicoptère, des sites autres que les "inselbergs", zones de reliefs émergents dont le sommet est souvent constitué de roches granitiques affleurantes permettant un poser en hélicoptère, sont difficiles à trouver. Ce résultat préliminaire, ainsi que celui des abondances comparées des deux principales espèces de grands primates, nous amène à considérer comme prioritaire l’échantillonnage de telles zones pour la suite du programme. Plusieurs sites sont pour l’instant envisagés: la région de l’Armontabo, à l’Est, la grande pénéplaine du Sud-Ouest, dans lesquelles des "savanes roches" dégagées permettraient un poser dans une zone non montagneuse, et la zone de l'Arataye, autre secteur de la réserve des Nouragues situé en bordure de fleuve. Par ailleurs des variations saisonnières dans l'abondance ou la détectabilité des animaux sont encore à évaluer et à prendre en compte pour appréhender correctement les facteurs de variation des abondances de faune. Myoprocta acouchi Tayassu tajacu Mazama gouzoubira Dasyprocta agouti 5 Mazama americana 0,8 4 0,6 Régina T Counami T Nouragues Matécho P. Baron Régina T 0 Counami T 0 Nouragues 0,2 Matécho 1 P. Baron 0,4 Trinité 2 Trinité 3 Figure 3. Variations des abondances d’espèces terrestres dans divers milieux non chassés (IKA nombres de rencontre /10 km) Remerciements Nous remercions les partenaires et financeurs de ces programmes, et particulièrement la Mission pour la Création du Parc de la Guyane, la DIREN Guyane, l'ONF et tous les participants à la collecte des données sur le terrain, tout particulièrement Philippe Gaucher, Isabelle Nolibos et Colin Niel. 5 Références Julliot C. (1998) - Etude de l'Etat initial de l'Environnement Ecologique du site. Etude du peuplement de mammifères non-volants., ASARCO - Projet Camp Caïman. Peres C. A. (1990) -Effects of hunting on western Amazonian primate communities. Biol. Conserv. 54 : 47-59. Peres C. A. (1999) - General Guidelines for standardizing line-transect surveys of tropical forest primates. Neotropical Primates 7(1) : 11-16. Peres C. A. & P. M. Dolman (2000) - Density compensation in neotropical primate communities : evidence from 56 hunted and non-hunted Amazonian forests of varying productivity. Oecologia 122 : 175-189. Roosmalen M. G. M. v. (1985) - Habitat preferences, diet, feeding strategy and social organization of the black spider monkey (Ateles paniscus paniscus, Linaeus 1758) in Surinam. Acta Amazonica 15 (3/4 (supplemento)) : 1-238. Thiollay J. M. (2002) - Impacts comparés de différentes pressions de chasse sur les oiseaux gibier en forêt guyanaise., Rapport Programme Chasse, Silvolab. Thoisy (de) B. (2000) - Evaluation des abondances des espèces gibiers sur l'axe Régina-St Georges. Eléments sur les impacts de la pression de chasse, Association Kwata. Abstract Comparisons of abundance for the larger animals hunted in French Guiana. Preliminary results. Cécile Richard-Hansen et Benoît de Thoisy Six non-hunted and seven hunted areas have been prospected in French Guiana, by the line transect method. Larger animals are assumed to be hunted preferentially to smaller ones, and preliminary results on the global encounter rates of large versus small species of various taxonomic or ecological animal groups are presented. Large primates show higher abundances than small ones in non-hunted areas, and strong decreases in all hunted ones. Results are more complex for birds and terrestrial animals, the larger ones not being systematically more abundant in non-hunted areas. Ecological influences of the forest and the global environmental structure, like slopes and altitude, may also have important effects on game species densities, although at the present time these are difficult to quantify. Source : Rapport scientifique 2002 ONCFS, juillet 2003 Contact : [email protected] 6