Libre disposition au public des tests génétiques et médecine

Libre disposition au public des tests
génétiques et médecine personnalisée:
éléments de discussion
Henri- Corto Stoeklé
Laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale,
UniversitéParisDescartes
Guillaume Vogt
Laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale,
UniversitéParisDescartes, Institut IMAGINE, INSERM U1163
Marie- France Mamzer- Bruneel
Laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale,
Université Paris Descartes, Hôpital Necker- Enfants malades,
Assistancepublique-Hôpitaux de Paris
Christian Her
Laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale,
UniversitéParisDescartes
118 Les nouveaux paradigmes delamédecine personnalisée oumédecine de précision
Le 14avril 2003, après treize ans de recherches intensives, la mobilisation de
plusieurs milliers de chercheurs et un budget global estimé à 3milliards de dol-
lars, le projet génome humain atteint son objectif principal: établir le séquen-
çage complet du génome humain. Aujourd’hui, l’opération ne prend que quelques
heures, ne mobilise qu’un technicien et ne coûte que quelques milliers de dol-
lars, et il est plus que probable que les prix continueront encore à chuter dans
les années à venir. Par définition, le séquençage de l’ADN équivaut à déterminer
la séquence en nucléotides d’un fragment d’ADN donné jusqu’au génome entier
d’un individu appelé aussi « Whole Genome Sequencing » (WGS), à la différence
du génotypage appelé aussi « Genome Wide Association » (GWA) ou étude d’as-
sociation pangénomique qui recherche chez plusieurs individus des variants géné-
tiques polymorphes en commun d’un SNP (Single Nucleotide Polymorphism) ou
plusieurs nucléotides (CNV, Copie Number Variation, Microsatellites) potentiel-
lement associés à des « gènes délétères », c’est- à- dire des gènes dont certains de
leurs allèles associés à ces marqueurs peuvent être à l’origine de pathologies graves
chez l’homme. Ces deux approches ayant un même objectif, celui d’améliorer nos
connaissances sur les causes génétiques de certaines maladies, mais offrant des
résultats qualitativement et quantitativement significativement différents pour un
coût qui ne fait que se rapprocher financièrement, favorisent les études de WGS
dans les laboratoires.
Depuis 2006, les États- Unis ont vu se développer sur leur territoire des
sociétés privées comme « 23andMe » pratiquant majoritairement des études
de GWA et non de WGS afin de proposer directement aux consommateurs
une offre de génomique dite « personnalisée », financièrement très abordable et
facile d’accès grâce à Internet, susceptible de fournir des facteurs de risques géné-
tiques dans le cas de maladies comme le cancer. Mais, en raison de l’absence
de cadre formel préexistant, cette offre s’est avérée très problématique pour le
consommateur car ces informations, relatives à son état de santé, étaient direc-
tement accessibles via Internet, sans accompagnement par un professionnel de
santé et au final globalement peu informatives sur son état de santé présent
ou futur en raison de l’approche du GWA qui peu à peu a montré ses limites
dans un cadre d’application à une médecine prédictive généraliste. Ainsi, le
22novembre 2013, 23andMe s’est vu interdire par la Food and Drug Adminis-
tration (FDA) la commercialisation de leur kit permettant l’analyse de données
génétiques liées à la santé. Cette décision de la FDA laisse ouverte la question
du moyen et du but de l’utilisation de ces techniques dans le domaine de la
santé, notamment dans le champ du cancer: quels avantages concrets ont tiré
les utilisateurs de ce service de dépistage génétique rétrospectif « à la carte »?
Pour quelles raisons ces pratiques ont- elles été et continuent à être interdites
en France ? Enfin, si les techniques de GWA ont montré leurs limites dans le
domaine de la santé via ces sociétés privées, est- ce qu’une utilisation médicale
en routine des techniques de WGS, bien plus informatives, est envisageable en
France ? Et si oui, de quelle façon ?
Libre disposition au public des tests génétiques et médecine personnalisée: éléments de discussion 119
I.DU GWA AU « DATA BANKING »
La société 23andMe, dont le nom fait référence aux 23 paires de chromosomes
chez l’homme, est une entreprise américaine basée à Mountain View en Califor-
nie aux États- Unis. Elle est spécialisée dans le secteur des biotechnologies et a été
fondée en 2006 par Linda Avey et Anne Wojcicki, dont les liens d’intérêts avec
le géant informatique Google sont manifestes puisqu’elle fut l’épouse de l’un de ses
fondateurs. De 2007 à 2012, Google fut l’un des principaux investisseurs des quatre
séries d’investissement pour le développement de son activité (Figure 1) qui ne
serait autre que la constitution d’une biobanque financée en partie par ses consom-
mateurs. L’entreprise fonctionne sur un modèle commercial « BtoC » (Business to
Consumer, entreprise visant une clientèle de particuliers) et non « BtoB » (Business
to Business, entreprise visant une clientèle d’entreprises) et propose au consomma-
teur une analyse génétique des risques de développer une maladie et/ou de l’ascen-
dance via un kit disponible uniquement sur Internet mais dont l’utilisation et la
présentation des résultats se font sans l’accompagnement par un professionnel de
santé (source: site internet de 23andMe) (Figure2). Le prix du kit et de l’ana-
lyse génétique a diminué d’un facteur10 depuis la mise sur le marché de leur pro-
duit, passant de 1 000 dollars en 2007 à 100 dollars en 2012 (Figure 3). Cette
diminution a été bien entendue accélérée par la baisse des coûts de la technique.
Pour cela, 23andMe utilise une puce à ADN Illumina « Human Omni Express-
24 ». Cette puce de génotypage permet de détecter des SNP (Single Nucleotide Poly-
morphism). Certains de ces SNP ont été associés à des facteurs de risque ou à des
groupes ethniques identifiés dans la littérature scientifique, fondement du principe
du GWA. Le problème est que toutes ces études ne sont pas comparables entre
elles en termes de reproductibilité car elles reposent sur de multiples restrictions
qui n’ont pas toujours été explorées extensivement: groupe ethnique, pénétrance,
phénotype plus ou moins homogène, biais de recrutement, gène ou non identifié
(Figure4) (Ducournau et al., 2011), que 23andMe semble tenter de prendre en
considération lors du rendu des résultats, alors que cette compréhension ne peut
être envisagée que pour des professionnels. Ainsi, la comparaison entre des prévi-
sions fondées sur l’histoire médicale et celles fournies par l’étude des SNP montre
que ces derniers n’apportent guère d’information supplémentaire, ce qui pourrait
remettre en cause l’utilité clinique des profils de SNP (Mihaescu, vanHoek et al.,
2009). Les aléas des études d’association génome entier permettent de comprendre
ces limites: les gènes (parfois plus d’une centaine) ayant une association démon-
trée avec la maladie ne rendent généralement compte, à eux tous, que d’une faible
partie de l’héritabilité de l’affection (Jordan, 2009).
120 Les nouveaux paradigmes delamédecine personnalisée oumédecine de précision
9
12,6
31
50
0
10
20
30
40
50
60
Série A Série B Série C Série D
Niveau des fonds d'investissements
(en millions de dollars)
Séries
Figure1.a
Séries Mois/année(s) Fonds
(en millions $) Investisseurs
Série A mai 2007 9 Google, Genentech, Mohr Davidow
Ventures, New Enterprise Associates
Série B juin 2009 12,5 Google, Sergey Brin
Série C (1) nov. 2010 22
Johnson & Johnson Development
Corporation, New Enterprise Associates,
Google Ventures
Série C (2) janv. 2011 9 Johnson & Johnson Development
Corporation
Série D déc. 2012 50
Google Ventures, Yuri Milner, MPM
Capital, New Enterprise Associates,
Sergey Brin, Anne Wojcicki
Figure1.b
Figure1: a) graphique représentant l’évolution croissante desfonds
d’investissement au cours du temps ; b) tableau présentant
lesdifférentesséries d’investissements, leurs dates, leurs montants
ainsiquelenomdesprincipaux investisseurs
Libre disposition au public des tests génétiques et médecine personnalisée: éléments de discussion 121
1re étape Æ Commande du kit uniquement en ligne. La livraison à l’international est
possible.
2e étape Æ Une fois le kit arrivé au domicile du client, ce dernier doit enregistrer le code-
barres spéci que fourni a n que l’entreprise puisse traiter les informations par la suite.
3e étape Æ Le kit permet d’effectuer un prélèvement de salive dont l’exercice exact est
expliqué dans la notice. Une fois le prélèvement fait, le client doit envoyer l’échantillon à
23andme grâce à un emballage préaffranchi fourni avec le kit.
Le client a 12 mois à compter de la date d’achat pour utiliser son kit. Expédié en 1-2 jours
ouvrables. Les résultats sont délivrés 3-4 semaines après réception de votre échantillon.
Figure2: Principe d’utilisation du kit en trois étapes explicitées
surlesiteinternet de la société
999
993993993
299
99
199
99
0
200
400
600
800
1 000
1 200
nov.…
févr…
mai…
août…
nov.…
févr…
mai…
août…
nov.…
févr…
mai…
août…
nov.…
févr…
mai…
août…
nov.…
févr…
mai…
août…
nov.…
Prix en dollars
Figure3: Graphique représentant l’évolution du prix du kit au cours
desmois et années. Novembre2010: 399dollars ou 199dollars + 5dollars
par mois (au moins un an). Mars2011: 399dollars ou 99dollars + 9dollars
par mois (au moins un an)
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