Solvants - Centre AntiPoison et de Pharmacovigilance du Maroc

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Intoxication par les solvants hydrocarbures
M. Idrissi, N. Rhalem, R. Soulaymani
1. Cas clinique:
En siphonnant un réservoir, un apprenti garagiste âgé de 10 ans a ingéré quelques gorgées
d’un solvant pétrolier. Peu de temps après, il a présenté des nausées, vomissements, vertiges,
toux et douleur à la respiration. Il est amené 24 heures plus tard au service des urgences, dans
un contexte fébril avec douleur thoracique intense.
A l’examen, on retrouve des troubles de la conscience, une fièvre à 39.5°C, une respiration
superficielle, avec cyanose péribuccale.
Devant ce tableau le médecin de garde a contacté le Centre Anti-poison et de
Pharmacovigilance du Maroc afin d’orienter sa conduite à tenir.
2. Introduction :
Les solvants pétroliers ou organiques sont des hydrocarbures plus ou moins volatils, qui ont la
capacité de diluer et solubiliser les produits lipidiques.
Ils regroupent les hydrocarbures aliphatiques, cyclaniques et aromatiques et leurs dérivés,
issus tous du raffinage du pétrole et de pétrochimie.
Au Maroc, les intoxications aux solvants occupe la 7ème place parmi tous les types
d’intoxication, avec 5.1% des cas. Le taux de létalité reste élevé comparativement aux autres
toxiques (2.5%)
Les solvants sont très largement utilisés en milieu industriel. Ils entrent aussi dans la
composition de plusieurs produits ménagers: solvants de peinture, produits de dégraissage,
vernis, produits phytosanitaires. Actuellement, on assiste à un détournement d’usage par les
sniffers.
3. Mécanisme d’action :
Les solvants se distribuent surtout au niveau des tissus vascularisés et adipeux, d’où la
toxicité commune de tous les solvants pour le système nerveux central et la peau. Ils agissent
également au niveau d’autres organes comme le système nerveux périphérique, le foie et le
rein avec parfois une action mutagène et sur la reproduction.
Par ailleurs ils passent à travers la barrière materno-placentaire et dans le lait maternel.
Les propriétés physico-chimiques des solvants expliquent leur toxicité pour les poumons. En
effet ce sont des substances à faible tension de surface qui passent facilement dans les
poumons par fausses routes, ce qui entraîne une destruction du surfactant avec réaction
inflammatoire.
4. Circonstances d’intoxication :
Elles sont multiples : professionnelles lors de manœuvre de siphonage, accidentelles lors de
transvasion du produit, suicidaires ou toxicomanogènes.
5. Intoxication aiguë
Il existe une toxicité commune à tous les solvants, et une toxicité spécifique selon le type de
solvants en cause. Le diagnostic repose sur l'anamnèse et la clinique. Le dosage des
solvants reste non spécifique et leurs métabolites sont souvent peu détectables. La
radiographie pulmonaire est d'un grand apport en cas de pneumopathie d'inhalation.
5.1. Clinique :
La symptomatologie présentée par notre patient est en faveur d’une pneumopathie
d’inhalation secondaire à de fausses routes, complication fréquente de l’intoxication par les
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solvants. L’ingestion de solvants se manifeste constamment et précocement par des signes
d’irritation digestive, à type de nausées, douleurs épigastriques, brûlures retro-sternales,
vomissements et diarrhées riches en solvants.
Après un délai variable selon le type de solvant et la quantité ingérée, s’installent des signes
ébrio-narcotiques pouvant aller jusqu’au coma en cas de prise massive. Plus rarement
certaines complications peuvent se voir (acidose métabolique, état de choc, troubles
cardiaques, convulsions et détresse respiratoire).
La pneumopathie d’inhalation dite chimique est la complication la plus constante, elle est
secondaire à une fausse route. Son risque est d’autant plus accru que la quantité ingérée est
supérieure à 1mg/kg.
Elle peut être bénigne et passer inaperçue, comme elle peut être grave avec surinfection
secondaire en 24 à 48 h. Elle se manifeste au début par une toux qui peut être suffocante dans
les prises massives, une dyspnée, des râles crépitants, une hypoxie, une hyperthermie de 38 à
39°C, une hyperleucocytose avec polynucléose neutrophile et hypercholestérolémie.
La radiographie pulmonaire est un examen indispensable qui permet de poser le diagnostic
de la pneumopathie. Elle montre des opacités floconneuses plus au moins systématisées, le
plus souvent au niveau des lobes moyen et inférieur droits. Ces opacités apparaissent en
général 8h après l’ingestion, sauf dans les prises massives où on peut les observer même une
heure après.
La surinfection est extrêmement fréquente, et peut se compliquer parfois de pleurésie ou de
pneumothorax, mais en son absence, la guérison sans séquelles est de règle en 2 à 3 jours pour
les signes cliniques, et en 1 à 2 semaines pour les images radiologiques.
D'autres effets peuvent se voir dans les formes graves à type d'hémolyse, d'atteinte tubulaire
rénale ou de syndrome de détresse respiratoire aiguë avec pneumatocèle et décès chez
l’enfant.
Les projections cutanées ou oculaires sont en général bénignes et n'entraînent que des
lésions irritatives localisées.
L'inhalation d'aérosols d'hydrocarbures provoque une irritation modérée des voies aériennes
et un syndrome ébrieux évoluant rarement vers le coma. Chez les sniffers utilisant des sacs en
plastic peuvent s'associer des troubles d'excitabilité cardiaque en rapport avec une basse
pression partielle en oxygène.
5.2. Traitement:
En cas d’intoxication, contacter le Centre Anti-poison pour s’informer sur la nature du produit
incriminé, sa composition, sa toxicité et la conduite à adopter.
Sur place, il ne faut ni faire boire (lait…) ni provoquer de vomissements. L'intoxiqué doit
être mis en position latérale de sécurité.
A l'hôpital, toute manœuvre d'évacuation digestive est formellement contre indiquée, vu le
risque de fausses routes. Cependant, dans certains cas d'ingestion massive, vu précocement
(moins de 2 heures), une aspiration gastrique prudente peut être réalisée après intubation.
Les projections oculaires et cutanées nécessitent un lavage abondant et prolongé à l'eau
courante, rarement un traitement spécialisé.
Dès son admission, le malade doit bénéficier d'une radiographie pulmonaire précoce pour
juger de l'état initial du malade. Une deuxième radiographie pulmonaire sera faite huit heures
après l'intoxication. En l’absence d'images radiologiques, le malade sera gardé sous
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surveillance clinique (température, toux, respiration). L'atteinte d'un seul lobe est de bon
pronostic, mais elle nécessite une surveillance clinique et radiologique de quelques jours.
L'antibiothérapie est indiquée devant une hyperthermie et une hyperleucocytose persistantes
au delà de 48h. Si plusieurs lobes sont touchés, le patient est mis en milieu de réanimation.
La corticothérapie est inutile. Le reste du traitement est symptomatique (pansement
gastrique…). Dans tous les cas un contrôle radiologique est effectué le deuxième jour.
6. Toxicité chronique:
L'imprégnation chronique par les vapeurs d'hydrocarbures favorise le développement du
6.1. psycho-syndrome des solvants évoluant en trois stades :
• Le 1er stade dit syndrome organo-affectif avec asthénie, céphalées, réactivité
émotionnelle, aspect dépressif et ralentissement de la réactivité.
• Le 2ème stade correspond à une encéphalopathie modérée chronique qui se manifeste
par des troubles de concentration et du sommeil, altération de l’attention et de la
mémoire et augmentation de la réactivité.
• Le 3ème stade est le stade d’encéphalopathie sévère chronique avec état démentiel. la
tomodensitométrie (TDM) montre une atrophie corticale diffuse irréversible.
D'autre part une atteinte neurologique périphérique peut être induite, à type de polynévrites
sensitivomotrices.
La manipulation à répétition des solvants pétroliers peut être à l'origine de ce qu'on appelle "la
peau des solvants" qui correspond à une dermite irritative éczématiforme (risque lié aux
impuretés).
L'inhalation prolongée des solvants peut entraîner une fibrose pulmonaire interstitielle
persistante secondaire à une alvéolite.
L'action sur le rein pourrait entraîner une glomérulonéphrite. L'hépatotoxicité se traduit par
une stéatose avec des nécroses focales et une réaction de fibrose.
Enfin, l’usage au long court des solvants est incriminé dans la genèse de certains cancers
(rein, foie, cerveau, tube digestif, peau, leucémies).
6.2. Toxicité spécifique :
6.2.1. N-hexane :
Il est utilisé comme diluant des colles en particulier dans la maroquinerie, on le trouve
naturellement dans les essences A, B et C d’où leur large utilisation à domicile surtout pour le
bricolage.
Cycle du toxique :
Ce solvant étant très volatil, l’exposition se fait surtout par inhalation. Son oxydation au
niveau hépatique fait apparaître un aldéhyde puis un alcool (2.5-hexane-dione) responsable de
l’agglomération des neurofilaments à l’origine d’une polynévrite douloureuse.
Toxicité aiguë :
Au delà de 1000 ppm (partie par million), le n-hexane entraîne des troubles de la vigilance,
éventuellement un coma convulsif. Ses vapeurs irritent les muqueuses nasales, bronchiques,
oculaires…Lorsqu’il est ingéré, il produit une pneumopathie d’inhalation.
Toxicité chronique :
La toxicité du n-hexane est semblable à celle des autres solvants (peau des solvants, psychosyndrome organique…). Cependant, l’inhalation prolongée de plusieurs mois est responsable
de l’installation progressive d’une polynévrite sensitivomotrice. Il s’agit d’une axonopathie
distale ascendante qui se manifeste par des paresthésies des extrémités et une fatigabilité
musculaire. Plus tardivement, on note une diminution puis abolition des réflexes ostéo-
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tendineux, parésie puis paralysie flasque douloureuse et complète, une hypoestésie en
chaussettes ou en gant.
Plus rarement on peut assister à une atteinte cérébrale, des troubles de la vision ou une
dysarthrie.
A l’arrêt de l’exposition au n-hexane, l’évolution est favorable avec récupération en 2 à 3 ans,
rarement émaillée de séquelles.
6.2.2. Sulfure de carbone :
Le sulfure de carbone est un excellent solvant des graisses. Ses utilisations sont multiples:
Vulcanisation du caoutchouc, industrie pharmaceutique, intermédiaire de synthèse en
particulier pour la fabrication de la cellophane et du tissu imperméable, récupération de la
graisse de la laine, récupération de la graisse des tourteaux d’olives, et fabrication de la
viscose dans l’industrie du textile.
Cycle du toxique :
L’absorption du sulfure de carbone se fait surtout par voie pulmonaire car il s’agit d’un
liquide très volatil. Son transport sanguin se fait par les globules rouges liés à 90 % à
l’hémoglobine . Vu sa grande affinité pour les protéines, sa distribution se fait vers tous les
organes, en l’occurrence les organes richement vascularisés et les graisses. Au cours de son
métabolisme, la libération du DTC (dithiocarbamate) en intra cellulaire rend compte de sa
dangerosité et explique son mode d’action : le DTC chélate le cuivre et le zinc (co-enzymes
indispensables) ce qui gène le métabolisme avec dégénérescence et mort cellulaire.
Toxicité aiguë :
Comme le sulfure de carbone est un produit très irritant, le contact avec la peau est à l’origine
d’érythème ou de brûlures. L’inhalation ou l’ingestion importante se traduit par une narcose
très rapide avec risque de décès par arrêt respiratoire. A moindre concentration, on observe
des céphalées, vertiges, ataxie et un tableau appelé « la folie sulfocarbonée » fait
d’hallucination, trouble de comportement avec possibilité d’actes médico-légaux à type de
meurtre ou d’autolyse.
Toxicité chronique :
L’atteinte neurologique comprend une atteinte du système nerveux central avec les mêmes
manifestations citées précédemment mais de façon atténuée. Néanmoins, d’autres signes
peuvent être constatés lors de l’exposition prolongée telle qu’une irritabilité, une fatigue, des
troubles de la mémoire, de la concentration, du sommeil, de la libido, des troubles dépressifs,
des épisodes maniaques et schizophréniques. Ces troubles subjectifs peuvent être corroborés
par des anomalies des tests psychotechniques ou de perturbations à
l’électroencephalogramme.
L’atteinte du système nerveux périphérique se manifeste par des polynévrites non
douloureuses qu’il faudrait détecter aux stades infra clinique par des tests de conduction.
Les atteintes sensorielles touchent essentiellement la fonction visuelle avec rétinopathie
bilatérale, dyschromatopsie classiquement au rose (voile rose), trouble de l’accommodation
de l’oculomotricité
Des atrophies du nerf optique ont été aussi décrites. La fonction auditive peut être également
touchée avec des hypoacousies.
Plusieurs autres organes peuvent être atteints. Ainsi on a noté des maladies ischémiques à un
âge précoce, des troubles de la tension artérielle, des affections respiratoires aigues
fréquentes, des troubles digestifs banaux chroniques, une hépatomégalie, et élévation des
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gama GT. On a décrit d’autre part des altérations de la muqueuse buccale, parodentopathie
avec perte des dents et des insuffisances surrénales et thyroïdiennes.
Par ailleurs, le sulfure de carbone peut être à l’origine de trouble de la spermatogenèse avec
difficulté de reproduction chez le travailleur exposé. Des troubles du cycle menstruel chez la
femme peuvent aussi se voir. Toutefois, il n’existe pas de certitude concernant la tératogenèse
et la cancérogenèse.
Conclusion :
Les solvants hydrocarbures sont de plus en plus utilisés à domicile. Ils sont caractérisés par
leur toxicité commune. Certains d’entre eux peuvent avoir une toxicité spécifique grave.
L’usage des solvants hydrocarbures à but toxicomanogène est assez fréquent. La prévention
par l’éducation des parents et la mise à la disposition des professionnels de moyens de
protection, permet de diminuer le nombre d’intoxication à court et à long terme.
Références:
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Robert R. Lauwerys, Toxicologie industrielle et intoxications professionnelles, 4ème édition, Masson, 1999,
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