I/ Le cadre d’analyse et ses limites
Henri Bergeron et Patrick Castel ont noté une certaine stabilité des relations entre profession-
nels de la prise en charge ; sur les divers terrains, ils ont constaté que les professionnels
avaient des partenaires privilégiés (appelés fréquemment correspondants ou référents) dans la
prise en charge de leurs patients.
La nature de ces relations est fonction de deux éléments:
- L’adressage d’une part, qui désigne la pratique par laquelle le patient est confié par son mé-
decin à un autre médecin.
- La qualité de la coordination pendant la prise en charge, telle que ressentie par les profes-
sionnels, d’autre part.
Cependant, certaines relations peuvent s’installer dans la durée entre professionnels, quand
bien même certain.es auraient l’impression que celles-ci ne sont pas tout à fait satisfaisantes –
et qu’ils ou elles la subissent.
Ainsi, cette stabilité dans les relations entre professionnels de santé ne se réduit pas à la seule
analyse des compatibilités et incompatibilités qui peuvent exister
- entre cultures professionnelles (par exemple dans le cas des spécialités médicales)
- ou entre conceptions thérapeutiques. Par exemple, dans le cas du cancer, certains médecins
ont une approche par pathologie, alors que d’autres ont une approche par organe ; pourtant,
ces professionnels collaborent, alors qu’ils n’envisagent pas la maladie de la même manière.
- ou encore entre cultures organisationnelles ou institutionnelles opposées. Dans la cancérolo-
gie, si on observe des tensions fréquentes entre les centres de lutte contre le cancer et les
CHU, cela n’empêche pas que, sur certains types de cancer, des filières de coordination puis-
sent se nouer entre professionnels des deux structures.
Ainsi, Bergeron et Castel proposent de porter également une attention particulière aux rela-
tions d’interdépendance qui caractérisent les acteurs dans le cadre de leur activité et qui peu-
vent agir comme des leviers en matière de coordination.
Leur cadre d’analyse n’épuise cependant pas les explications sur les raisons qui conduisent les
professionnels à former ces réseaux informels de coordination. D’une part, le cadre d’analyse
est particulier au système de médecine libéral français, où il règne une relative liberté de cir-
culation des patients (malgré l’instauration du système du médecin traitant), et donc une liber-
té d’orientation des patients par les médecins. Cela n’est pas le cas aux Etats-Unis par
exemple, où le patient dispose d’une liberté de circulation plus limitée dans le cadre du sys-
tème des HMO (Health Maintenance Organizations). D’autre part, l’analyse met l’accent sur
les relations entre professionnels, alors que la sociologie de la santé a montré que le patient
était un individu-clé dans la coordination. Une relation traditionnellement bonne entre deux
médecins peut se détériorer en raison de l’attitude d’un patient. Réciproquement, on constate
également des phénomènes de mises en relations de professionnels grâce à un patient. Néan-
moins, Bergeron et Castel estiment que, si la prise en compte du patient dans ce modèle serait
susceptible de le complexifier, il ne le remettrait pas fondamentalement en cause : s’il faut
admettre que les patients peuvent sur le court terme modifier les relations entre profession-
nels, leur modèle d’analyse donne des clés pour comprendre comment les relations se stabili-
sent ou se rompent durablement.