Philippe Kaminski
Vœux récurrents,
circulaires et
recyclés
30-12-2016
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Chers correspondants, chers amis,
Voici que, comme à chaque année nouvelle, un agenda également neuf succède à son
prédécesseur, lequel se voit offrir le choix, selon les mœurs de son propriétaire, entre l'archivage, la
déchetterie ou l'abandon pur et simple. La roue tourne, comme la planète... mais c'est la routine !
les mêmes scènes se rejouent à l'identique, avec toujours la même dominante de banalité cachant
mal un lourd pessimisme. Qu'il s'agisse ou non d'économie sociale, l'inquiétude suppure et le noir
se broie. Puisqu'il en est ainsi, osons la brutalité de l'espérance !
Ce que je vous souhaite à toutes et à tous, c'est ce que j'aimerais pouvoir souhaiter à tous les
grands princes et autres petits marquis qui nous gouvernent, ou qui pensent gouverner une parcelle
de notre autonomie perdue, c'est que je ne me souhaite pas mais que je cherche à exiger de
moi-même, à savoir la capacité de garder son sang-froid et de penser avec lucidité. Certes, c'est
souvent difficile, voire exceptionnel, en ces temps où le mimétisme, le premier ressenti ou la plate
conformité s'imposent à tous, en tous temps et en tous lieux. C'est quasiment héroïque ! et donc
d'autant plus nécessaire.
Il est de bon ton de vitupérer notre société pour son excès d'individualisme. Que, dans notre France
jacobine, le culte pavlovien de l'individu libre dans le plein exercice de tous ses droits ait conduit,
par de continuelles métastases d'une loi Le Chapelier sans cesse ressuscitée, à écraser les
survivances et les résurgences des antiques "corps intermédiaires", cela n'est pas contestable ; et
que la dictature des marchés sans frein comme celle de l'hydre bureaucratique et réglementaire
s'exerce au nom de l'exercice des libertés individuelles, non plus. Mais il s'agit là de discours sur les
principes, d'échos lointains de très vieilles querelles qui nous reviennent dévêtus de leur sens
originel et comme psalmodiés dans une langue disparue et désormais incompréhensible.
La réalité, chacun le voit bien, c'est que l'esprit critique est désormais ravalé à une portion moins
que congrue, que les "citoyens" n'ont sans doute jamais été aussi manipulés, infantilisés,
lobotomisés ; et que ne donnerait-on pas, justement, pour que quelques-uns d'entre eux puissent se
lever et agir en êtres vraiment libres !
Je rêve d'une Grande Panne, une panne générale qui priverait de parole et d'expression tous les
communiquants d'ici et d'ailleurs. Plus de publicité, plus de petites phrases ni de grands mots, plus
de "tweets" ni de stuc ou de toc, plus de langue de paille ni de poutre. Des partis politiques, des
chroniqueurs, des commentateurs réduits au silence. Plus d'évocation compulsive de la
compétitivité ou de l'innovation, plus de ces consternantes dépêches tronquées, prêchi-prêchantes
et méchi-méchantes qui envahissent nos journaux gratuits et nos boîtes à courriels.
Donner un sens plus pur aux mots de la tribu...
Ah, si cette nouvelle année pouvait par un miracle encore inconçu nous faire ce cadeau d'une
Grande Panne, ne serait-ce qu'un mois, ne serait-ce qu'une semaine ! La Grande Panne qui nous
obligerait à plonger en notre for intérieur, sans guide, sans mentor ni "coach", et à y trouver par nos
propres ressources libres, des raisons de croire, d'espérer et d'entreprendre !
II
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La dénonciation (par les uns) de la présence de signes prétendument religieux dans les espaces
dits "publics", et sa défense à allure de bravade ostentatoire (par les autres), le tout non dénué de
jeux et d'enjeux partisans, installe un climat détestable d'affrontement idéologique en un jour de fête
où tout commanderait au contraire que chacun, croyant ou non, chargé de famille ou non, aille vers
son prochain pour partager la joie de célébrer la Bonne Nouvelle.
La Bonne Nouvelle ? Eh oui, qu'il y a-t-il de plus universel, de plus "laïque", de plus présent en tout
être humain que ce sentiment si naturel, si naïf, si spontané, d'espoir de lendemains meilleurs porté
par une nouvelle naissance ? Attaquer, moquer, dénoncer ce symbole d'innocence, c'est faire
l'éloge de notre cruel monde de fer et de feu ! Pourquoi ne pas profiter de ce que le calendrier nous
offre, au moins un jour dans l'année, pour donner et partager sans arrières-pensées ?
En cette matière, l'économie sociale se devrait d'être exemplaire, car elle puise ses racines les plus
anciennes tant dans le monde catholique (aux multiples sensibilités, souvent antagonistes...) que
dans la nébuleuse laïque et républicaine d'où sont issues tant de postures anticléricales. C'est dans
l'économie sociale que l'apologue de la rose et du réséda devrait naturellement se matérialiser et
s'épanouir au mieux des possibles. Ce n'est pas vraiment ce que j'observe, et je le regrette.
1951 ? C'était hier, et c'était aussi il y a une éternité : les deux perceptions sont également
recevables. C'est en 1951 que, sur le parvis de la cathédrale de Dijon et avec l'accord du chanoine
Kir, un Père Noël fut publiquement brûlé après avoir été dénoncé comme symbole païen et
mercantile, venu de l'étranger pour corrompre la pureté de la commémoration chrétienne de la
Nativité.
Autres temps, autres mœurs. L'argument peut nous sembler obscurantiste, à tout le moins obscur, et
être rapproché d'autres anciennes résistances, bien oubliées, à de multiples évolutions sociales qui
se sont depuis banalisées dans notre quotidien. C'est la version progressiste des choses. Il en est
une autre, que je veux bien laisser qualifier de réactionnaire : sincèrement, avons-nous gagné au
change, en troquant le vieux Saint Nicolas contre le bonhomme rouge et blanc de chez Coca-Cola ?
Certes, cela a poussé l'économie, la consommation. Et de la consommation nous sommes passés à
la sur-consommation. Ce Père Noël a fait de nous des adorateurs égoïstes et lobotomisés du Veau
d'Or. Et je ne vois pas ceci comme un progrès, mais comme une régression.
C'est là que j'attends l'économie sociale. C'est à elle de nous dire qu'il faut consommer pour vivre,
mais non vivre pour consommer. C'est à elle, en toutes circonstances, qu'il revient de dépasser le
dualisme délétère qui met face à face des postures bloquées de défense de traditions figées,
comme celle de l'autodafé de 1951, et le déferlement aliénant de la marchandise sans foi ni loi,
comme hier le père Noël, et aujourd'hui tant d'autres monstres poussés par le vent mauvais.
III
À l'intention de ses proches, de ses connaissances, de ses relations privées ou professionnelles,
chacun s'acquitte avec plus ou moins de conviction ou de sincérité de son devoir de début d'année.
Il ne s'agit alors, au sens strict, que de souhaits. Mais lorsque la diffusion du message de vœux
cesse d'être personnelle, et prend un caractère public voire officiel, les souhaits se donnent peu ou
prou des allures de prévisions, voire de promesses ou d'engagements.
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Faîtes-moi la grâce de penser que je n'ai aucun titre ni aucune inclination à vous faire une leçon.
Vous en recevez assez, de toutes parts. En général vous ne les écoutez guère, et vous avez bien
raison. En fait, en formant pour vous et votre entourage les vœux les mieux appuyés de santé,
d'entrain et d'enthousiasme, je n'agis ni par générosité ni par altruisme. Au contraire, ma démarche
est très intéressée.
Je crois en effet savoir, car sinon vous ne figureriez pas parmi mes destinataires, que la marche
actuelle du monde ne vous satisfait pas entièrement. Voire même qu'elle ne vous satisfait pas du
tout, et que vous aimeriez lui voir prendre une toute autre direction. Peut-être allez-vous jusqu'à
souhaiter quelque chose comme une révolution ? En tous cas, vous semblez prêtes, vous semblez
prêts, à mouiller votre chemise, à vous engager activement et personnellement pour changer le
monde... Que voilà d'excellentes résolutions ! Et vous savez que je les partage largement.
Eh bien, pour anticiper, préparer et surtout réussir cette entreprise, en un jour pas trop lointain, il
vous faut, il nous faut à tous, une santé de fer, un enthousiasme sans faille, un sang-froid à toute
épreuve, un minimum de sécurité matérielle, assez de goût et de jugement pour éviter les pièges
des excès et des illusions, enfin la chance et l'audace nécessaires pour saisir la bonne occasion
quand elle viendra à se présenter...
C'est cela que je vous souhaite, pour l'année nouvelle et pour longtemps encore. La réalité des
transformations sociales est à ce prix. Et vous voyez bien qu'il n'y a rien, de ma part, de plus
intéressé que ces vœux-là !
Amis coopérateurs, je vous souhaite de toujours garder présent à l'esprit que votre seule force,
votre seul avantage comparatif imparable, c'est la dynamique du sociétariat. Faîtes partout naître et
multiplier l'envie de devenir sociétaire, d'adopter et de faire adopter la forme coopérative.
Amis mutualistes, je vous souhaite de prendre à bras le corps la conception, l'expérimentation et
l'émergence des systèmes de santé de demain et d'après-demain. Vous seuls avez légitimité pour
le faire. Tant le Ministère que les multinationales pharmaceutiques en sont incapables. L'enjeu est
d'une toute autre ampleur que le remboursement des lunettes ou l'adoption d'un statut européen.
Amis entrepreneurs d'insertion, quel que soit votre statut juridique, je vous souhaite d'être enfin
reconnus, à l'égal des personnels enseignants et des agents de Pôle Emploi, comme le troisième
pilier du système national de préparation à l'emploi. Ce n'est pas une subvention, encore moins une
aumône, que vous recevez, mais la juste rémunération d'un service public essentiel.
Amis dirigeants d'œuvres sociales, à moins que vous n'ayez la forme juridique de fondation, je vous
souhaite d'être nombreux à opter pour le statut coopératif. Vous ne perdrez rien de votre caractère
non lucratif, mais vous gagnerez beaucoup en solidité et en efficacité. Je vous souhaite également
de cesser d'avoir peur des appels d'offres. Ce ne sont pas des épouvantails ! Et quand vous serez
de vraies entreprises, car les coopératives sont de vraies entreprises, vous n'aurez plus besoin de
ces clauses préférentielles qui, à l'instar des subventions, ne sont que des sujétions.
Amis élus et gestionnaires des CRESS, je vous souhaite de rester toujours aussi humbles avec vos
mandants que fermes avec vos partenaires. Ceux-là s'imaginent détenir l'autorité et la puissance,
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alors qu'ils n'en ont plus que l'apparence vermoulue. Ils pensent pouvoir vous asservir, jouer de
vous, et vous faire rentrer dans leurs constructions foireuses, alors que c'est vous qui avez
l'imagination, l'expertise et la perspicacité. Proclamez-le haut et fort !
Enfin, amis chercheurs et universitaires qui avez choisi d'enseigner l'économie sociale, je vous
souhaite de trouver une part significative de votre public chez les sociétaires de cette économie
sociale qui ne sera jamais une discipline de prestige dans le cadre académique, mais qui saura
vous apporter bien d'autres compensations enrichissantes en son propre sein, tant pour votre
propre épanouissement que pour votre statut social.
Et que chacune, que chacun, selon ses moyens, apporte sa pierre à des transformations sociales
porteuses de solidarité et d'émancipation !
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