A. Aoulmi – Lycée Pierre Corneille
Sciences économiques & sociales
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II. Des inégalités à la stratification sociale
Document 10 – La notion de classe sociale
La notion de classe apparaît comme l’une des plus célèbres mais également l’une des plus polémiques de la sociologie. Cette dernière s’est justement constituée
comme discipline, au 19ème siècle, à un moment où l’ordre social a été profondément remis en question dans l’ensemble des pays européens. Les fondements de
la société traditionnelle ont été ébranlés au point de saper la base de la stratification sociale : les ordres s’effacent progressivement devant les classes.
(…) Si l’étude des classes ne s’est jamais réduite à une pure description objective des groupes composant la société, ont été progressivement mis en place, à
l’initiative de l’Etat, à l’image des professions et catégories socioprofessionnelles, de l’INSEE, des instruments susceptibles de rendre compte de l’évolution
morphologique de la société française. Ils ne dispensent pas pour autant sur les logiques qui conduisent à l’agrégation des personnes dans un groupe, dans
lequel celles-ci sont censées se reconnaître. Il est alors nécessaire de se pencher sur les mécanismes qui participent à la construction et à la consolidation des
groupes sociaux comme de leur effritement, voire de leur effondrement.
Un intérêt particulier doit être accordé aux relations instaurées entre les classes sociales : celles-ci peuvent prendre différentes perspectives au cours du
temps (antagonisme, concurrence, coopération…).
P. Riutort, Précis de sociologie, Puf, 2004
Questions :
1. Quels étaient les fondements d’une société organisée autour de la notion d’ « ordre » ?
2. En vous appuyant sur la phrase soulignée, rappelez la définition d’un groupe social (programme de 1ère).
3. A quelle condition passe-t-on d’une analyse en termes de structure sociale à une analyse en termes de stratification sociale ?
A. Comment la tradition sociologique analyse-t-elle structure sociale et stratification sociale ?
1. La vision de Karl Marx
Document 11 – « Classe en soi », « Classe pour soi », classes en lutte
Karl Marx est certainement l’auteur auquel la notion de classe sociale est spontanément attachée. (…) Il lui confère une place centrale dans l’évolution sociale,
comme dans les conflits qui traversent irrémédiablement les sociétés humaines. La formule de K. Marx et F. Engels extraite du Manifeste du Parti communiste
(1848) : « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de la lutte des classes », rend bien compte de l’importance accordée aux classes
sociales dans les processus historiques et sociaux. (…) L’évolution des sociétés humaines oppose ainsi, dans un conflit majeur, deux groupes sociaux
antagonistes : patriciens et plébéiens dans la société antique, seigneurs et serfs dans la société féodale, bourgeoisie et prolétariat dans la société capitaliste.
Le critère objectif défini par Marx (…) est la place occupée dans le processus de production : les propriétaires des moyens de production s’opposent aux non
propriétaires, tels les salariés dans les sociétés industrielles contraints de vendre leur force de travail pour survivre. Si le critère économique conduit Marx a
adopté une approche réaliste des classes sociales (les classes existent dans la réalité, et le sociologue ne fait qu’en rendre compte), un reproche classique de
réductionnisme extrême a été adressé au marxisme, l’économique paraît primer sur les autres domaines de la vie sociale.
Marx complète (…) son analyse en accordant une importance au critère subjectif, le sentiment d’appartenance à la classe sociale. (…) Marx est ainsi conduit à
formuler une distinction entre la classe en soi et la classe pour soi. Une classe en soi existe à partir du moment où un ensemble de personnes occupent la même
position dans le processus de production (…) alors qu’une classe pour soi exige une conscience de classe, c’est-à-dire l’apparition d’intérêt commun à défendre
contre d’autres classes. Le passage de l’une à l’autre, [de la classe en soi à la classe pour soi], ne peut s’effectuer que par la médiation de la lutte qui fait naître,
chez les classes dominées, une prise de conscience progressive de leur exploitation (…). En dépit de la concurrence qui met aux prises les ouvriers entre eux dans
la société industrielle, et notamment l’usage de l’armée de réserve industrielle formée des travailleurs privés d’emploi, Marx fonde ses espoirs sur la formation
du groupe ouvrier. La naissance et le développement de la fabrique conduit à regrouper ensemble, sur un même lieu de travail (l’usine) et de vie (la cité
ouvrière), une population toujours plus nombreuse. Cette force lui semble en mesure de faire triompher à terme, le prolétariat qui prend, peu à peu (avec l’aide
du développement du syndicalisme ouvrier), conscience de lui-même. Le mode de production capitaliste lui paraît donc condamner également les autres classes
– notamment la petite bourgeoisie (artisan, commerçant…) – et ne laisse place qu’à un affrontement binaire entre bourgeoisie et prolétariat.
La polarisation semble s’imposer inéluctablement et conduire à un antagonisme qui ne cessera qu’avec la transformation complète (la révolution, puis le
communisme) du système historique formé par le capitalisme.
P. Riutort, Précis de sociologie, Puf, 2004
Questions :
1. Pourquoi l’analyse mariste est-elle qualifiée de réaliste ?
2. Quel est le critère qui permet de distinguer les classes sociales entre elles selon Marx ?
3. Comment peut-on qualifier les relations entre les classes sociales dans l’analyse marxiste ?
4. L’analyse de Marx est-elle uniquement fondée sur le critère objectif de la position occupée dans le processus de production ?
5. Expliquez la phrase soulignée
2. La vision de M. Weber
Document 12 – Une analyse tridimensionnelle de la structure sociale
Une analyse en termes de stratification sociales qui refuse les postulats de Marx est proposée par M. Weber dans Economie et Société (1920). L’approche de
Weber ne se réduit pas aux classes sociales, qui ne constituent pour lui que l’un des éléments de la stratification sociale. Sa classification retient trois sphères
d’activité sociale conduisant, chacune, à l’établissement d’une hiérarchie spécifique : la classe correspond à l’ordre économique, le statut à l’ordre social et le
parti à l’ordre politique.
La classe sociale, comme d’ailleurs les autres éléments, est abordée d’un point de vue nominaliste : autrement dit, si elle n’existe pas nécessairement en tant
que groupe sociale « réel » (l’existence d’une loi historique conduisant à un affrontement inéluctable est ainsi étranger à M. Weber), le sociologue peut se servir
de ce concept pour rendre compte d’une dimension de la réalité. Les classes sociales rassemblent des individus ayant en commun une situation de classes
mesurables
Par l’accès différencié à un ensemble de biens (classe de possession), la possession ou non des moyens de production (classe de production). La classe sociale
regroupe chez Weber les deux dimensions précédentes et se conjugue à l’évolution des positions occupées par un individu au fil du temps, notamment en
comparaison avec celles de ses ascendants et de ses descendants : Weber s’intéresse ici implicitement au phénomène de mobilité sociale. Le statut social de
l’individu peut également être fondé sur le prestige attribué à tel ou tel groupe [on parle alors de groupe de statut]. Comme le souligne Weber la considération
sociale n’est pas étroitement liée à la position économique : dans certaines sociétés, la possession d’un niveau d’instruction élevé (prêtre, professeur...), d’un
honneur, en raison de la naissance (un titre de noblesse), l’exercice d’une profession prestigieuse (savant, artiste…) sont valorisés et peuvent contribuer à
rapprocher des individus, à leur faire prendre conscience de leur appartenance à un même ensemble : une certaine homogamie peut renforcer leur cohésion.
Au sein de l’ordre politique, une adhésion à un groupement (le parti) peut permettre à l’individu d’obtenir certaines gratifications matérielles ou symboliques
(poste, estime de soi…) et dans certaines situations, la possibilité d’y faire carrière et d’avoir accès aux ressources publiques (un « contact » au gouvernement, la
possibilité de se faire entendre par un professionnel de la politique)
Weber insiste, à la différence de Marx, sur le fait que les différents ordres possèdent leur propre autonomie et, qu’a priori, aucun d’entre eux ne saurait
triompher des autres.
P. Riutort, Précis de sociologie, Puf, 2004