Bulletin de la Société Astronomique du Valais Romand Page 6
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Au Bonheur des Dames Astronomes
Une rubrique non féministe consacrée au rôle des femmes dans les découvertes astronomiques.
Dans ce cinquième épisode : Vera Rubin (née en 1928) par Annick Clerc Bérod
Vera Rubin, lorsque elle était enfant, était fascinée par les
étoiles. Cette fascination est probablement à l'origine de
sa motivation d'astronome à rechercher des réponses à
des questions que la plupart des scientifiques pensaient
qu'elles étaient évidentes. Les recherches de Vera Rubin
dans l'étude de l'univers ont réfuté des théories précédem-
ment acceptées, et mettent actuellement en difficulté les
scientifiques avec l'énigme déconcertantes de la matière
noire.
Deuxième fille de Philip et Rose Cooper, Vera Rubin est
née à Philadelphia en Pennsylvanie en 1928. Elle attrapa
rapidement le virus de l'astronomie. Bien que son père fût
sceptique quant aux possibles carrières en astronomie, il
l'encouragea dans sa passion. Elle suivit alors sa scolarité
dans la prestigieuse école de femmes de Vassar où elle
obtint, seule femme de sa promotion, son diplôme d'astro-
nome.
Elle vécut ensuite une grande désillusion, en découvrant
que l'université de Princeton n'acceptait pas les femmes
dans ses programmes post grades d'astronomie (cela fut le
cas seulement à partir de 1975). Elle se tourna vers Cor-
nell où elle accompagna son nouveau mari, Robert Rubin.
Elle y accomplit sa maîtrise en 1951. Dans son travail de
maîtrise, Vera Rubin proposait qu'en plus de s'éloigner
les unes des autres comme suggéré par la théorie du Big
Bang, les galaxies pouvaient tourner autour d'un centre
Vera Rubin en 1970
inconnu. Ces résultats, présentés à la réunion annuelle des astronomes américains en décembre 1950 lui assurèrent immédia-
tement une réputation certaine, mais plutôt négative
Elle partit ensuite à l'université de Georgetown (Washington DC) où elle obtint sa thèse en 1954 (en suivant les cours du soir
pendant que ses parents gardaient ses deux premiers enfants…). Mené sous la supervision de George Gamow, un des pères du
Big Bang, son travail de thèse montrait que les galaxies n'étaient pas distribuées de façon homogène dans l'univers. Ces résul-
tats, une nouvelle fois contraires aux prédictions issues du Big Bang, ont dans un premier temps été rejetés par la communau-
té scientifique, avant d'être confirmés quinze ans plus tard.
Après avoir enseigné pendant quelques années à Georgetown, elle accepta en 1965 un poste de chercheuse à la Carnegie Ins-
titution, également à Washington DC, en étant simultanément membre auxiliaire dans l'équipe des observatoires du Mont
Wilson et de Las Campanas. Ses travaux la menèrent à l'un des problèmes les plus persistants de l'astronomie moderne. En
effet, avec Kent Ford, un jeune collègue astronome qui avait développé un spectromètre extrêmement sensible, elle décida de
mesurer les spectres de la lumière provenant d'étoiles situées dans des parties différen-
tes de M31. Les étoiles dans le disque d'une galaxie spirale se meuvent grossièrement
sur des orbites circulaires autour du centre de la galaxie. Si le disque est incliné dans
notre ligne de vision, les étoiles sur un côté s'approchent de nous et celles situées sur le
côté opposé s'éloignent de nous. L'effet Doppler fait que dans la première situation, on
observe un décalage du spectre vers le bleu et dans la deuxième situation un décalage
vers le rouge. Ce décalage est proportionnel à la vitesse de la source de lumière relati-
vement à l'observateur. Vera Rubin et Kent Ford firent donc soigneusement plusieurs
mesures de ces décalages pour M31, et purent ainsi calculer les vitesses orbitales des
étoiles dans différentes parties de cette galaxie.
A l'époque, le même modèle que pour le système solaire était " appliqué " aux galaxies.
L'hypothèse initiale, basée sur les lois de Kepler, était que la vitesse orbitale des étoiles
décroissait avec la distance au centre de la galaxie. En effet, à cause de la plus grande
concentration d'étoiles visibles dans la région du centre de la galaxie, les astronomes
supposaient que la plus grande partie de sa masse et conséquemment de la gravité
d'une galaxie étaient aussi concentrées vers son centre. Dans ce cas, plus l'étoile est
George
Gamow
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éloignée de son centre, plus lente devait
être sa vitesse orbitale. En observant com-
ment les vitesses orbitales des étoiles dé-
pendent de leurs distances au centre d'une
galaxie, les astronomes pouvaient, en
principe, calculer comment la masse était
distribuée au travers de la galaxie.
Vera Rubin et Kent Ford découvrirent
avec leurs calculs quelque chose de totale-
ment inattendu : les étoiles éloignées du
centre de M31, dans les bras de la galaxie
spirale (régions moins peuplées en étoiles)
se déplaçaient pratiquement aussi vite que
celles situées près du centre ! Cela était
singulier car la masse visible de la galaxie
ne possédait pas suffisamment de gravité
pour maintenir des étoiles se déplaçant si
rapidement sur leur orbite. En consé-
quence. Il devait y avoir une énorme
quantité de matière " invisible " dans les
régions extérieures de la galaxie pour compléter
la faible part de la matière stellaire visible. Re-
commençant leurs observations et calculs sur
d'autres galaxies, ils trouvèrent à chaque fois le
même résultat.
Les calculs de Vera Rubin montraient ainsi que
les galaxies devaient ainsi contenir environ dix
fois plus de masse " invisible " que celle produite
par les étoiles visibles : au moins nonante pour-
cents de la masse des galaxies, et donc dans l'uni-
vers observable, sont invisibles et non identifiés !
Vera Rubin se rappela alors de ce qu'elle avait ap-
pris en tant qu'étudiante sur une mise en évidence
antérieure de la masse invisible dans l'univers : en
1933, Fritz Zwicky avait analysé l'effet Doppler
de galaxies dans l'amas de la Coma. Il avait trou-
vé que les galaxies individuelles à l'intérieur de
l'amas se déplaçaient si vite qu'elles auraient du
s'échapper si elles n'étaient tenues ensemble que
Vera Rubin en 1987
par la gravité due à la masse visible. Puisque l'amas ne montrait pas
de signe de dispersion, il devait contenir une quantité prépondé-
rante de " matière noire ", environ dix fois plus que de matière visi-
ble. Les conclusions de Zwicky étaient correctes, mais ses collègues
avaient été très sceptiques. Vera Rubin réalisa alors qu'elle avait dé-
couvert une évidence absolue en faveur de la matière noire de Zwic-
ky. La majeure partie de la masse de l'univers est en fait cachée à
notre vue.
Au début, plusieurs astronomes furent bien sûr réticents à accepter
la conclusion de Vera Rubin. Ses observations étaient cependant
sans ambiguïté et son interprétation si directe qu'ils réalisèrent
bientôt qu'elle avait raison. La lumière des étoiles était seulement le
traceur visible d'une plus grande masse qui constitue une galaxie.
Les étoiles n'occupent que des régions intérieures d'un énorme halo
de matière noire invisible qui comprend la plus grande partie de la
masse de la galaxie. Peut-être même qu'il existe une accumulation
de matière noire dans le vaste espace entre les galaxies, sans aucune
étoile visible pour mettre en évidence sa présence. Si c'était le cas,
la matière noire serait vraiment difficile à observer. Ce qu'est au
juste la matière noire est l'un des principaux mystères non résolus
de l'astronomie aujourd'hui. Beaucoup d'astronomes et astrophysi-
ciens travaillent dur afin d'essayer de répondre à la question.
Vera Rubin continua et continue encore à explorer les galaxies. En
1992, elle découvrit une galaxie (NGC 4550) dans laquelle la moi-
tié des étoiles du disque orbitait dans une direction et l'autre moitié
orbitait dans l'autre direction, avec deux systèmes entremêlés
Cette situation résultait peut-être de la fusion de deux galaxies tour-
nant dans des directions opposées. Ces observations interviennent
dans l'élaboration des théories possibles sur la formation des ga-
laxies. Vera Rubin a depuis mis en évidence plusieurs autres cas de
comportement bizarre des galaxies.
Bien que ce ne soient pas les honneurs que recherchait Vera Rubin
tout au long de sa carrière, mais seulement la satisfaction person-
nelle de la découverte scientifique, ses contributions furent recon-
nues et récompensées (bien que tardivement). Par exemple, elle fut
élue à l'Académie Nationale des Sciences en 1981, et elle rut la
médaille d'or de la très britannique Royal Astronomical Society en
1996 : elle était seulement la deuxième femme à recevoir cet hon-
neur, 168 ans après une certaine Caroline Herschell…
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