... la propriété (T)
vient du fait que la preuve repose sur le théorème
de Baire, via le théorème de l’application ouverte).
Une action par isométries affines sur un espace
de Hilbert d’un groupe avec (
T
) est donc une re-
présentation unitaire déguisée, dans laquelle l’ori-
gine a changé de nom. Cela a des conséquences
pour d’autres types d’actions : toute action par iso-
métries sur un arbre est triviale dans le sens où
elle fixe un sommet ou une arête. Et toute action
par difféomorphismes suffisamment réguliers sur le
cercle est triviale dans le sens où elle transite par
un groupe fini.
Il n’est pas bien difficile de se convaincre que
n’a pas la propriété (
T
) (considérer les représenta-
tions de dimension 1). Comme la propriété (
T
) passe
aux quotients, un groupe avec la propriété (
T
) ne
peut pas avoir un quotient isomorphe à
, et donc
son abélianisé est fini. Encore une conséquence
algébrique de la propriété (T).
Dans une direction un peu différente, l’existence
même de groupes infinis avec la propriété (
T
) per-
met la construction, en dehors de la théorie des
groupes, d’objets pathologiques, ou particulière-
ment intéressants. Par exemple, en algèbre d’opé-
rateurs et plus précisément dans la classification
des algèbres de von Neumann, elle a par exemple
permis à Connes [3] (puis Popa) de construire des
facteurs avec un groupe fondamental
5
discret (res-
pectivement trivial). Toujours en algèbre d’opéra-
teurs, elle permet [6] de construire un nombre non
dénombrable d’espaces d’opérateurs de dimension
n>
3 bien séparés, ce qui a des conséquences pour
les produits tensoriels de
C∗
-algèbres. La section
suivante décrit en détail comment la propriété (
T
)
permet de construire explicitement des graphes ex-
panseurs.
3. Graphes expanseurs
Par graphe on entendra toujours graphe non
orienté, dans lequel on autorise les arêtes multiples
ou les boucles. Informellement, les graphes expan-
seurs sont des familles de graphes finis qui, tout en
n’ayant pas trop d’arêtes, ont de bonnes propriétés
de connexité : pour disconnecter un de ces graphes
en deux parties, le nombre d’arêtes à supprimer
est grand – proportionnel au nombre de sommets
dans la plus petite des parties. On devine bien que
ces graphes sont utiles pour la conception de ré-
seaux de communications, puisqu’ils fournissent
des exemples de graphes à la fois économiques
et robustes. Ils ont de très nombreuses autres ap-
plications, à la fois en informatique (par exemple
pour construire des codes correcteurs d’erreurs, ou
bien pour la dérandomisation d’algorithmes) et en
mathématiques [5].
La condition que le graphe n’a pas trop d’arêtes
est quantifiée en demandant que le graphe est
d
-
régulier pour un certain entier
d
(c’est-à-dire que
chaque sommet appartient à exactement
d
arêtes).
La condition de connexité est quantifiée de la fa-
çon suivante : un graphe d’ensemble de sommets
V
est
c
-expanseur si, pour toute partie
A⊂V
, le
nombre d’arêtes dont une extrémité est dans
A
et l’autre dans son complémentaire est au moins
cmin
(
|A|,|V\A|
). On dit qu’une suite de graphes
d
-
réguliers
Xn
est une suite d’expanseurs si le nombre
de sommets de
Xn
tend vers l’infini et s’il existe
c>
0 tel que
Xn
est
c
-régulier pour tout
n
. On in-
siste sur le fait que, sans quantificateurs, cela n’a
pas de sens de dire qu’un graphe est un expanseur :
il s’agit d’une propriété asymptotique d’une famille
de graphes.
L’existence même de suites d’expanseurs n’est
intuitivement pas évidente ; elle a été établie par
Pinsker par un argument de comptage (si
c>
0
est assez petit, un graphe choisi au hasard unifor-
mément parmi les graphes 3-réguliers à 2
n
som-
mets sera un
c
-expanseur avec probabilité 1
−o
(1)
lorsque
n
tend vers l’infini). Malheureusement, cette
preuve d’existence ne permet pas de mettre la main
sur des exemples. La première construction expli-
cite de graphes expanseurs est due à Margulis, la
voici.
La construction repose sur l’existence d’un
groupe infini avec la propriété (
T
) et résiduellement
fini. Cela veut dire que
G
admet une suite de sous-
groupes
Hn
d’indices finis mais tendant vers l’in-
fini. Toute la difficulté de la construction vient de
l’existence de tels groupes, mais on peut prendre
G
=
SL3
(
) – qui a bien la propriété (
T
) comme
on le verra bientôt – et
Hn
le sous-groupe des ma-
trices qui (par réduction de chaque coefficient) sont
congrues à l’identité modulo
n
. Soit (
S,ê
) une paire
de Kazhdan pour
G
. Quitte à agrandir
S
on peut
supposer que Sest stable par inverse.
On peut munir
Xn
=
G/Hn
d’une structure de
graphe
|S|
-régulier – appelé graphe de Schreier, ou
graphe de Cayley lorsque
Hn
est distingué – en dé-
5
. Il s’agit de l’invariant introduit par Murray et von Neumann pour mesurer le degré d’autosimilarité d’une algèbre de von Neumann,
pas de la notion de Poincaré en topologie algébrique.
SMF – GAZETTE – OCTOBRE 2016 – No150 59