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pétrolière, m’ont inspiré un « principe d’incer-
titude fort ». D’autres recherches quantiques
menées en commun ont concerné l’entropie de
von Neumann : Nándor Balázs et moi avons
montré comment elle découle du principe d’in-
différence de Laplace ; nous l’avons utilisée avec
Yoram Alhassid et Hugo Reinhardt pour établir
la dynamique dissipative des variables collectives
dans des systèmes quantiques.
La physique quantique n’imprègne pas seule-
ment ma recherche. Dans des conférences ou des
articles destinés au grand public, j’ai trouvé inté-
ressant de montrer qu’elle gouverne non seulement
la microphysique, mais aussi, de manière fonda-
mentale mais cachée, la plupart des phénomènes
à notre échelle. Lorsque j’ai pris la responsabilité
d’enseigner la physique statistique à l’École poly-
technique, il m’a semblé adéquat, pour plusieurs
raisons, de fonder mon cours sur deux socles,
la mécanique quantique et la théorie de l’infor-
mation. Du point de vue conceptuel, diverses
difficultés de la mécanique statistique classique
sont ainsi résolues, grâce au caractère discret des
spectres quantiques et grâce au traitement sans
ambiguïté des particules indiscernables ; plutôt
qu’enseigner la mécanique statistique classique
comme une théorie autonome, on la retrouve en
tant que limite de la mécanique statistique quan-
tique. D’autre part, un enseignement universitaire
moderne de physique statistique se doit de réserver
une place de choix à des sujets quantiques majeurs
tels que thermodynamique du rayonnement,
chaleur spécifique des solides, distinction entre
métaux et isolants ; il importe en particulier de
comprendre les propriétés des semi-conducteurs
qui sous-tendent leurs multiples applications,
des transistors aux diodes électroluminescentes,
des piles photovoltaïques aux photocopieuses.
Enfin, le fonctionnement et l’évolution des étoiles
donnent lieu à de nombreux exercices de physi-
que statistique quantique ; l’intérêt des étudiants
pour l’astrophysique nous a incités avec Jean-Paul
Blaizot à publier un article de pédagogie exploi-
tant cette approche.
Depuis quelques années, nous explorons avec
Armen Allahverdyan et eo Nieuwenhuizen le
cœur même de la mécanique quantique, la théo-
rie de la mesure, sujet qui depuis les années vingt
a suscité bien des controverses. Pour l’aborder,
nous avons résolu des modèles assez réalistes pour
simuler de véritables mesures, mais assez simples
pour permettre l’étude théorique détaillée du
processus irréversible par lequel l’appareil, objet
quantique macroscopique, enregistre une pro-
priété associée au système testé. Le paradoxe de
la mesure quantique se résout alors dans le cadre
de la physique statistique : quoique quantique,
le processus dynamique fait émerger les concepts
classiques, probabilités et logique ordinaires,
grâce auxquels nous parvenons à appréhender le
réel. Cette analyse conforte l’interprétation statis-
tique de la mécanique quantique, selon laquelle
cette théorie, pourtant si fondamentale, ne peut
décrire des systèmes individuels, mais fournit
seulement des informations probabilistes sur des
ensembles de systèmes produits dans des condi-
tions semblables.
Mon itinéraire a ainsi été jalonné par des sujets
quantiques d’une grande diversité. Le hasard
des lectures ou des rencontres m’a porté à sauter
d’un thème à un autre au gré des collaborations.
Le caractère erratique de ce parcours serait-il lui-
même d’origine quantique ?
Roger Balian
Les Houches (prononcer Les z’Houches), village
de la vallée de Chamonix, 3 000 habitants, sta-
tion de ski l’hiver, station de montagne l’été... et
station de physique dix mois sur douze. L’École
des Houches est un endroit singulier. Isolés du
monde, cinquante étudiants et leurs profes-
seurs passent leurs journées ensemble, déjeunent
ensemble, se baladent ensemble, font de la physi-
que ensemble – de la musique aussi. Cette école
hors du commun marque les participants de façon
durable, et a vu la naissance de bien des amitiés et
collaborations scientifiques.
Les Houches, août 1999. École ondes de matière
cohérentes. Cinq semaines hors du temps. Nous
sommes une cinquantaine d’étudiants en thèse ou
de jeunes post-docs rassemblés dans une dizaine
de chalets pour apprendre la physique quantique
moderne avec une brochette de prix Nobel actuels
ou à venir. François David, le directeur de l’École,
nous explique patiemment qu’il ne faut pas
confondre randonnée et alpinisme, et que nous
devons nous montrer prudents. Bien sûr, il y aura
bien deux égarés que la gendarmerie de Chamonix
récupérera dans l’ascension du Mont Blanc, mais
Hélène Perrin
LPL / Université Paris-Nord
La magie
des Houches