Création graphique : www.desdemains.fr 06 11 37 23 34 Un film de Léa FEHNER Décors : Pascale CONSIGNY Costumes : Caroline DELANNOY & Sylvie HEGUIAPHAL J ’ai grandi dans le milieu dont parle mon film, le milieu du théâtre itinérant. Dans les années 90, mes parents se sont embarqués dans cette aventure avec une dizaine de caravanes, un chapiteau, une troupe bigarrée et fantasque pour offrir le théâtre sur les routes de France. Au sortir de mon premier film, j’ai eu envie de filmer cette énergie. J’ai eu envie de faire un film solaire et joyeux mais joyeux avec insolence et âpreté. J’ai eu envie de filmer ces hommes et ces femmes qui abolissent la frontière entre le théâtre et la vie pour vivre un peu plus fort, pour vivre un peu plus vite. Alors bien sûr, toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé ne peut pas être fortuite et n’est absolument pas indépendante de ma volonté. Les histoires d’amour sont celles de mes parents, de leurs amis, les deuils sont ceux de leurs camarades. On retrouve tout, les cuites du régisseur, les scandales de l’accordéoniste, les violences et l’orgueil de l’un, les angoisses matérielles et les contradictions de l’autre. Même le spectacle est très proche d’un spectacle que leur compagnie a longtemps tourné : « Cabaret Tchékhov ». Et pourtant tout est absolument vrai, n’est-ce-pas, puisqu’imaginé d’un bout à l’autre. Les costumes « Inventer quelque chose de connu », dit le peintre Alberola. Fabriquer quelque chose qui ait un passé, une histoire, une vérité. Concevoir des décors qui doivent raconter, et ne pas avoir l’air de décors. Effacer le geste, l’effort. Dissimuler sous le tapis la quête de perfection, de précision. Faire nôtre un des mantras du théâtre itinérant : « Pauvreté des moyens, pertinence de l’effet. » En définitive, un travail gigantesque, qui ne doit surtout pas avoir l’air d’un travail ! Voici donc comment, au travers du travail sur les décors et les costumes, nous avons réinventé et trahi cet univers dont je me suis inspirée. Comment nous avons mis les souvenirs cul par-dessus tête, comment nous les avons tordus, mélangés à autre chose, pour parvenir au film que j’imaginais. La scénographie Le chapiteau Le campement Photos : Jordi Bover, Claire Kemp, Cécile Mella et JeanPierre Estournet. Textes : Catherine Paillé (co-scénariste du film). La réalisation de cette exposition a été rendue possible grâce à l’implication et au travail de Pascale Consigny chef décoratrice du film et de Léa Fehner. Les caravanes Exposition coordonnée par le Bureau d’Accueil de Tournage de Lot-et-Garonne (BAT47), la Ligue de l’Enseignement 47 et l’Agence Régionale Écla, en partenariat avec l’ACPA et le Département de Lot-et-Garonne, à l’occasion de la sortie du film Les Ogres de Léa Fehner. Cette exposition est à destination des salles de proximité régionales et autres lieux culturels. La recherche d’un chapiteau Il y a quelques années, mon père revend le chapiteau de mon enfance, et il achète un chapiteau blanc, sans mat, que j’aime moins mais qui lui permet, à lui, de faire d’autres scénographies. Le passé de la troupe Le chapiteau de mon enfance est revendu, donc, puis il passe de mains en mains et très vite je ne sais plus où il est. Un jour je suis dans la Creuse. Dans un village voisin, il y a une projection d’Une Partie de campagne de Jean Renoir. Impossible de rater ce film que j’adore par dessus tout. Alors on y va, on brave la tempête. Je me souviens d’avoir couru dans le noir, sous une pluie battante et contre un vent très violent, pour rejoindre le chapiteau où le film était projeté. On est à l’abri, le film démarre. Et là, je suis peu à peu envahie par une drôle de sensation : celle de connaître cet endroit, sans vraiment le connaître. Je regarde autour de moi et je comprends que je suis dans le chapiteau de mon enfance ! J’étais bouleversée. C’est très spécifique à l’itinérance : se retrouver par hasard, sans le savoir, dans la maison de ton enfance… On a retrouvé l’original Pour le film, on cherche un chapiteau dans toute la France, puis l’Europe, mais ça ne convient jamais. Trop grands. Trop petits. Trop moches. Je ne suis jamais contente. Il y a toujours quelque chose qui ne va pas. L’image du film Construction du chapiteau En faisant cette recherche, je comprends petit à petit que le chapiteau de mon enfance, que je croyais très courant, très banal, n’existe nulle part ailleurs. Je ne le savais pas, ou bien je l’avais oublié, mais ce chapiteau avait été créé par mon père, qui voulait faire appel à l’imaginaire du cirque tout en évitant son côté folklorique. C’est pour ça que les rayures, par exemple, sont en diagonales. Que le chapiteau n’est pas rouge et jaune, comme souvent au cirque, mais bleu et jaune. Il n’a pas d’étoiles, non plus. Et il est opaque pour avoir le noir même en plein jour, avec quatre mats, au lieu de deux mats ce qui permet d’avoir un grill technique, c’est à dire un système de rails qui permettent d’accrocher des projecteurs, des panneaux ou des éléments de décor. De faire du théâtre, donc. En cherchant le chapiteau du film, petit à petit je comprends qu’un chapiteau raconte à lui seul l’esprit d’une troupe. Et je comprends que le chapiteau de mon enfance EST le chapiteau du scénario. Seul celui-ci correspond à la taille de la compagnie, à ses spectacles... il est l’esprit de la compagnie, son ADN. Heureusement nous l’avons retrouvé dans les Ardennes et après d’âpres discussions avec leurs propriétaires (ils y tenaient eux aussi comme à la prunelle de leurs yeux, c’est décidemment une histoire d’amour les chapiteaux !) ils nous ont laissés tourner le film dedans. Léa Le tournage Les influences Pour faire les costumes, je fais appel entre autres à une costumière de la compagnie de mes parents, Caroline Delannoy. Elle est plasticienne par ailleurs, cela se ressent dans son travail : dans son attention aux corps, à comment ils habitent les matières et les habits. Le passé de la troupe C’est bizarre, mais c’est comme la troupe, cette histoire de costumes : on s’échange on se mélange, certains sont là pour réinventer une nouvelle jeunesse à d’autres… Tout le monde est ensemble, c’est ça qui compte et c’est comme si l’absence de frontière entre ce qui est à toi, ce qui est à moi, le passé, le présent, l’imaginaire ou le réel, était l’essence de ce qu’on voulait raconter : des hommes et des femmes qui tentent de vivre ensemble coûte que coûte, avec ce qui les sépare et les rassemble. Des hommes et des femmes qui mélangent tout, travail, famille, amour et amitié, sans jamais penser à se préserver. Leur utopie n’est pas viable ? Mais elle est vivante ! Concrètement ce mélange c’est quoi ? Certains costumes du film viennent de la compagnie de mes parents. Ce sont des costumes qui ont fait du théâtre itinérant. Ils ont été conçus pour ça : rustiques, résistants, afin d’être capables de survivre à des centaines de représentations. À ceux-là, on mêle des costumes fabriqués pour le film. La robe rouge portée par Lola Duenas, par exemple. Cette robe n’est pas conçue pour durer. Elle est fragile, avec toutes ses plumes. Dans la réalité, jamais les gens du théâtre itinérant ne s’embarrasseraient avec un costume aussi fragile ! Mais tant pis, faisons place à l’imaginaire ! L’image du film Léa Le processus de création Le soir, on relit toujours, avec mon assistant, les scènes qui seront tournées le lendemain. On s’assure ainsi que rien n’a été oublié. Et voilà qu’un soir, on découvre qu’il est question d’un « poulet déguisé ». Mais qu’est-ce-que c’est que ça ? On avait lu le scénario des tas de fois mais on n’avait jamais fait gaffe à ça. Moi je pense que c’est une façon de parler. Mon assistant est convaincu que c’est une faute de frappe. On est tous les deux d’accord pour dire qu’on n’est pas censés fabriquer un poulet déguisé pour le lendemain. J’appelle quand même Lea. Elle me dit « Ah si si, il faut un poulet déguisé ». Mon assistant est accablé. Déguisé en quoi ? Et Lea, comme une évidence : « Ben, en majordome ! ». On a la soirée pour trouver un poulet, et lui faire un costume de majordome. Pascale Le tournage Les influences Le passé de la troupe Lea Pour la mise en scène et la scénographie du spectacle, j’avais envie de garder l’esprit de l’Agit, la compagnie de mes parents dont je me suis inspirée pour écrire le scénario. J’étais très inspirée par mes souvenirs d’enfance, et en même temps il fallait que je pense à ce que j’avais écrit, à ce que je voulais filmer. En fait, il fallait s’inspirer du passé sans en être dépendant, en prenant les libertés qui permettaient de faire le film tel que je voulais le faire. Pascale Copier à l’identique ce qu’a pu faire l’Agit, c’était techniquement impossible. Beaucoup de scénographies n’existent que dans les souvenirs. Il n’y a pas de photos, de schémas. Le théâtre, c’est éphémère, les gens du théâtre sont dans le présent, ils ne sacralisent pas les choses. L’image du film Recherches... Le tournage Lea On avait envie d’un arbre sur le plateau du spectacle. Un bel arbre mort et sec. Ça ne colle pas avec l’itinérance : un arbre c’est une structure poétique mais fragile, difficile à trimballer. Dans le théâtre itinérant, personne n’irait s’encombrer d’un arbre. Mais tant pis, nous on fait du cinéma. Ce qu’on veut retranscrire, c’est un esprit, pas une réalité. Pascale Une semaine avant le tournage, je n’avais toujours pas trouvé l’arbre… Je vais visiter le terrain où on doit installer le campement, et là, à 200 mètres, je vois un arbre mort, sublime, absolument parfait ! Ça, c’est un miracle qui n’arrive qu’au cinéma. Parfois j’ai l’impression qu’il y a un Dieu pour les œuvres d’art, qui fait que si les choses sont justes, elles vont arriver. Cet arbre était mort trois ans auparavant dans l’explosion d’une des cuves de pétrole que l’on voit dans le film. En fait on tournait sur un site très dangereux ! Lea Lea Dans le théâtre itinérant on prend les caravanes qu’on trouve, qui roulent, qui ont des papiers en règle, et on les peint avec ce qu’on a. On ne cherche pas à faire du beau. D’ailleurs, j’ai connu plein de campements assez moches. Et parfois, tout d’un coup, dans ce moche, il y a de la grâce, de la beauté. La caravane de Mr. Déloyal, je la cherche, j’en vois plein, et celle qui me plaît le plus c’est la pire : pas de pneus, pas d’immatriculation, pas de papiers. D’un point de vue logistique, ce n’était pas un choix raisonnable. Mais elle me plaisait parce qu’elle avait un vécu. Je voulais fabriquer cette désinvolture, cette beauté qui est là par hasard. Je voulais la fabriquer parfaitement, précisément. Il fallait que ce soit beau, coloré, mais que ça ait l’air involontaire, hasardeux. Pascale Pascale La caravane de Mr. Déloyal était particulièrement importante : elle allait être vue de l’extérieur, mais aussi de l’intérieur. Le passé de la troupe Quand on est chef décorateur, on n’est pas un artisan de la réinvention pure. Les décors doivent avoir une vie, une existence, un passé. Il nous faut « inventer quelque chose de connu », comme dit l’artiste Jean-Michel Alberola. Lea La caravane de Mr. Déloyal devait aussi être à l’image du couple improbable qu’elle abrite. Un homme qui y vit La difficulté de ce type de décor, c’est que c’est un espace depuis des années et qui se fiche des apparences, un peu restreint. punk, qui a traversé une période difficile. Et une fille de On aurait pu faire une caravane studio de cinéma, vingt ans, drôle et insolente. découpée, ouverte sur le côté. Mais notre chef opérateur Il fallait aussi une trace de cet enfant qui va venir. pensait le contraire. Il préférait être à l’étroit dans une Mais Mona n’est pas du genre à acheter des tonnes de vraie caravane plutôt que d’être contraint à un seul axe vêtements trois mois avant la naissance. Alors on a de prise de vue dans une caravane découpée. Pour lui, la mis des habits de bébé dans un sac, en imaginant que liberté c’est de pouvoir suivre les comédiens dans tous quelqu’un lui avait donné, et qu’elle l’avait posé dans un leurs mouvements. coin. L’image du film Le tournage Le processus de création Pascale Dans le film, on ne voit pas le sac de vêtements. Mais il fait partie de ce qui fait vivre le décor. On fabrique un décor qui dans son entier doit être vivant, réel. Et puis c’est important pour la comédienne, ce sac plastique avec des vêtements de bébé. Il n’y a pas que ce qui va se voir dans le film qui compte. Pascale La caravane de Mr. Déloyal, pendant le tournage, abritait les siestes des membres de l’équipe. J’aime bien quand l’équipe du tournage occupe les décors. Ça les fait vivre, ça crée de l’usure, du quotidien. Par exemple, un magazine posé de façon un peu artificielle sur une commode va trouver sa vraie place quand les gens l’auront feuilleté puis abandonné dans un coin. Les références Le passé de la troupe Lea Comment placer les caravanes et le chapiteau dans le campement ? C’était une question très importante. Le placement de telle ou telle caravane, par rapport aux autres, par rapport au chapiteau, conditionnait beaucoup la mise en scène, la circulation de la caméra dans l’espace. Mais il fallait aussi faire en sorte que chaque scène écrite sur le papier soit cohérente dans le campement qu’on allait installer. Difficile équation : Scène 2, la caravane A doit être à côté de la caravane B. Mais scène 35, A ne doit pas être loin de C. Or B et C doivent se faire face de part et d’autre du campement. Sans parler de D qui se retrouve encore du mauvais côté etc. On est passées par toutes les étapes. Esquisses sur le papier, maquettes… Et le jour J, avec les vraies caravanes, nous avions encore des hésitations, au grand dam de toute l’équipe condamnée à pousser les caravanes dans tous les sens. L’image du film Le tournage Le processus de création Pascale De la même façon que le vêtement raconte celui qui le porte, le campement raconte ceux qui y vivent. Est-ce qu’ils s’installent comme des indiens, tournés vers le centre ? Ou au contraire ouverts aux quatre vents, à l’extérieur, au public ? Le décor est une source d’informations pour le spectateur : grâce à lui, d’un simple coup d’œil, on doit apprendre quelque chose sur les personnages. J’ai demandé aux comédiens d’apporter des choses qui leur appartenaient, afin de créer un amas de détails qui peuplent le campement et racontent ceux qui y vivent. Mon travail ensuite consistait à harmoniser ces objets avec ceux que j’avais trouvés moi-même. Léa À Lauzun, il y a eu les vaches… Toute une histoire ça aussi. On a laissé les vaches sur le campement lui-même pour qu’elles s’habituent. Mais très vite le campement a été couvert de bouses… Pascale Malgré tout il a fallu faire des fausses bouses. Parce que les vraies bouses, elles ne tombent pas forcément là où tu voudrais qu’elles tombent. Mon assistant a inventé une recette pour les fausses bouses : un mélange d’épinards à la crème, de mousse au chocolat et de crème de marron. Comme un comédien devait glisser et s’étaler dans une bouse, c’était plus sympa de le faire tomber dans une fausse !