La scénographie Les caravanes Les costumes Le campement

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Création graphique : www.desdemains.fr
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Un film de Léa FEHNER
Décors : Pascale CONSIGNY
Costumes : Caroline DELANNOY & Sylvie HEGUIAPHAL
J
’ai grandi dans le milieu dont parle mon film,
le milieu du théâtre itinérant. Dans les années
90, mes parents se sont embarqués dans
cette aventure avec une dizaine de caravanes, un
chapiteau, une troupe bigarrée et fantasque pour
offrir le théâtre sur les routes de France. Au sortir
de mon premier film, j’ai eu envie de filmer cette
énergie. J’ai eu envie de faire un film solaire et joyeux
mais joyeux avec insolence et âpreté. J’ai eu envie de
filmer ces hommes et ces femmes qui abolissent la
frontière entre le théâtre et la vie pour vivre un peu
plus fort, pour vivre un peu plus vite.
Alors bien sûr, toute ressemblance avec des
personnages existants ou ayant existé ne peut pas
être fortuite et n’est absolument pas indépendante
de ma volonté. Les histoires d’amour sont celles
de mes parents, de leurs amis, les deuils sont ceux
de leurs camarades. On retrouve tout, les cuites
du régisseur, les scandales de l’accordéoniste, les
violences et l’orgueil de l’un, les angoisses matérielles
et les contradictions de l’autre. Même le spectacle
est très proche d’un spectacle que leur compagnie a
longtemps tourné : « Cabaret Tchékhov ».
Et pourtant tout est absolument vrai, n’est-ce-pas,
puisqu’imaginé d’un bout à l’autre.
Les costumes
« Inventer quelque chose de connu », dit le peintre
Alberola. Fabriquer quelque chose qui ait un passé,
une histoire, une vérité. Concevoir des décors qui
doivent raconter, et ne pas avoir l’air de décors.
Effacer le geste, l’effort. Dissimuler sous le tapis la
quête de perfection, de précision. Faire nôtre un des
mantras du théâtre itinérant : « Pauvreté des moyens,
pertinence de l’effet. »
En définitive, un travail gigantesque, qui ne doit
surtout pas avoir l’air d’un travail !
Voici donc comment, au travers du travail sur les
décors et les costumes, nous avons réinventé et trahi
cet univers dont je me suis inspirée. Comment nous
avons mis les souvenirs cul par-dessus tête, comment
nous les avons tordus, mélangés à autre chose, pour
parvenir au film que j’imaginais.
La scénographie
Le chapiteau
Le campement
Photos : Jordi Bover, Claire
Kemp, Cécile Mella et JeanPierre Estournet.
Textes : Catherine Paillé
(co-scénariste du film).
La réalisation de
cette exposition a été
rendue possible grâce à
l’implication et au travail
de Pascale Consigny chef
décoratrice du film et de
Léa Fehner.
Les caravanes
Exposition coordonnée par le Bureau d’Accueil
de Tournage de Lot-et-Garonne (BAT47), la
Ligue de l’Enseignement 47 et l’Agence Régionale Écla, en partenariat avec l’ACPA et le Département de Lot-et-Garonne, à l’occasion de
la sortie du film Les Ogres de Léa Fehner.
Cette exposition est à destination des salles de
proximité régionales et autres lieux culturels.
La recherche d’un chapiteau
Il y a quelques années, mon père revend le chapiteau de
mon enfance, et il achète un chapiteau blanc, sans mat,
que j’aime moins mais qui lui permet, à lui, de faire
d’autres scénographies.
Le passé de la troupe
Le chapiteau de mon enfance est revendu, donc, puis il
passe de mains en mains et très vite je ne sais plus où il est.
Un jour je suis dans la Creuse. Dans un village voisin,
il y a une projection d’Une Partie de campagne de Jean
Renoir. Impossible de rater ce film que j’adore par dessus
tout. Alors on y va, on brave la tempête. Je me souviens
d’avoir couru dans le noir, sous une pluie battante et
contre un vent très violent, pour rejoindre le chapiteau où
le film était projeté. On est à l’abri, le film démarre. Et là,
je suis peu à peu envahie par une drôle de sensation : celle
de connaître cet endroit, sans vraiment le connaître. Je
regarde autour de moi et je comprends que je suis dans le
chapiteau de mon enfance ! J’étais bouleversée. C’est très
spécifique à l’itinérance : se retrouver par hasard, sans le
savoir, dans la maison de ton enfance…
On a retrouvé l’original
Pour le film, on cherche un chapiteau dans toute la France,
puis l’Europe, mais ça ne convient jamais. Trop grands.
Trop petits. Trop moches. Je ne suis jamais contente. Il y a
toujours quelque chose qui ne va pas.
L’image du film
Construction du chapiteau
En faisant cette recherche, je comprends petit
à petit que le chapiteau de mon enfance, que je
croyais très courant, très banal, n’existe nulle
part ailleurs. Je ne le savais pas, ou bien je l’avais
oublié, mais ce chapiteau avait été créé par mon
père, qui voulait faire appel à l’imaginaire du
cirque tout en évitant son côté folklorique. C’est
pour ça que les rayures, par exemple, sont en
diagonales. Que le chapiteau n’est pas rouge
et jaune, comme souvent au cirque, mais
bleu et jaune. Il n’a pas d’étoiles,
non plus. Et il est opaque pour
avoir le noir même en plein jour,
avec quatre mats, au lieu de deux
mats ce qui permet d’avoir un
grill technique, c’est à dire un
système de rails qui permettent
d’accrocher des projecteurs, des
panneaux ou des éléments de
décor. De faire du théâtre, donc.
En cherchant le chapiteau du film,
petit à petit je comprends qu’un
chapiteau raconte à lui seul l’esprit
d’une troupe. Et je comprends
que le chapiteau de mon enfance
EST le chapiteau du scénario. Seul
celui-ci correspond à la taille de la
compagnie, à ses spectacles... il est
l’esprit de la compagnie, son ADN.
Heureusement nous l’avons retrouvé
dans les Ardennes et après d’âpres
discussions avec leurs propriétaires
(ils y tenaient eux aussi comme
à la prunelle de leurs yeux, c’est
décidemment une histoire d’amour
les chapiteaux !) ils nous ont laissés
tourner le film dedans.
Léa
Le tournage
Les influences
Pour faire les costumes, je fais appel entre autres à une costumière de la
compagnie de mes parents, Caroline Delannoy. Elle est plasticienne par
ailleurs, cela se ressent dans son travail : dans son attention aux corps, à
comment ils habitent les matières et les habits.
Le passé de la troupe
C’est bizarre, mais c’est comme la troupe, cette histoire de costumes : on
s’échange on se mélange, certains sont là pour réinventer une nouvelle
jeunesse à d’autres…
Tout le monde est ensemble, c’est ça qui compte et c’est comme si l’absence
de frontière entre ce qui est à toi, ce qui est à moi, le passé, le présent,
l’imaginaire ou le réel, était l’essence de ce qu’on voulait raconter : des
hommes et des femmes qui tentent de vivre ensemble coûte que coûte,
avec ce qui les sépare et les rassemble. Des hommes et des femmes qui
mélangent tout, travail, famille, amour et amitié, sans jamais penser
à se préserver. Leur utopie n’est pas viable ? Mais elle est vivante !
Concrètement ce mélange c’est quoi ?
Certains costumes du film viennent de la compagnie de mes parents.
Ce sont des costumes qui ont fait du théâtre itinérant. Ils ont été
conçus pour ça : rustiques, résistants, afin d’être capables de survivre
à des centaines de représentations.
À ceux-là, on mêle des costumes fabriqués pour le film. La robe
rouge portée par Lola Duenas, par exemple. Cette robe n’est pas
conçue pour durer. Elle est fragile, avec toutes ses plumes. Dans la
réalité, jamais les gens du théâtre itinérant ne s’embarrasseraient
avec un costume aussi fragile ! Mais tant pis, faisons place à
l’imaginaire !
L’image du film
Léa
Le processus de création
Le soir, on relit toujours, avec mon assistant, les scènes qui
seront tournées le lendemain. On s’assure ainsi que rien n’a
été oublié. Et voilà qu’un soir, on découvre qu’il est question
d’un « poulet déguisé ». Mais qu’est-ce-que c’est que ça ? On
avait lu le scénario des tas de fois mais on n’avait jamais fait
gaffe à ça. Moi je pense que c’est une façon de parler. Mon
assistant est convaincu que c’est une faute de frappe.
On est tous les deux d’accord pour dire qu’on n’est pas censés
fabriquer un poulet déguisé pour le lendemain.
J’appelle quand même Lea. Elle me dit « Ah si si, il faut un
poulet déguisé ». Mon assistant est accablé. Déguisé en quoi ?
Et Lea, comme une évidence : « Ben, en majordome ! ».
On a la soirée pour trouver un poulet, et lui faire un costume
de majordome.
Pascale
Le tournage
Les influences
Le passé de la troupe
Lea
Pour la mise en scène et la scénographie du
spectacle, j’avais envie de garder l’esprit de
l’Agit, la compagnie de mes parents dont je
me suis inspirée pour écrire le scénario. J’étais
très inspirée par mes souvenirs d’enfance, et en
même temps il fallait que je pense à ce que j’avais
écrit, à ce que je voulais filmer. En fait, il fallait
s’inspirer du passé sans en être dépendant, en
prenant les libertés qui permettaient de faire le
film tel que je voulais le faire.
Pascale
Copier à l’identique ce qu’a pu faire l’Agit,
c’était techniquement impossible. Beaucoup de
scénographies n’existent que dans les souvenirs. Il
n’y a pas de photos, de schémas.
Le théâtre, c’est éphémère, les gens du théâtre sont
dans le présent, ils ne sacralisent pas les choses.
L’image du film
Recherches...
Le tournage
Lea
On avait envie d’un arbre sur le plateau du spectacle. Un bel arbre mort et sec. Ça ne colle
pas avec l’itinérance : un arbre c’est une structure poétique mais fragile, difficile à trimballer.
Dans le théâtre itinérant, personne n’irait s’encombrer d’un arbre. Mais tant pis, nous on fait
du cinéma. Ce qu’on veut retranscrire, c’est un esprit, pas une réalité.
Pascale
Une semaine avant le tournage, je n’avais toujours pas trouvé l’arbre… Je vais visiter le
terrain où on doit installer le campement, et là, à 200 mètres, je vois un arbre mort, sublime,
absolument parfait !
Ça, c’est un miracle qui n’arrive qu’au cinéma. Parfois j’ai l’impression qu’il y a un Dieu pour
les œuvres d’art, qui fait que si les choses sont justes, elles vont arriver.
Cet arbre était mort trois ans auparavant dans l’explosion d’une des cuves de pétrole que l’on
voit dans le film. En fait on tournait sur un site très dangereux !
Lea
Lea
Dans le théâtre itinérant on prend les caravanes qu’on
trouve, qui roulent, qui ont des papiers en règle, et on les
peint avec ce qu’on a. On ne cherche pas à faire du beau.
D’ailleurs, j’ai connu plein de campements assez moches.
Et parfois, tout d’un coup, dans ce moche, il y a de la
grâce, de la beauté.
La caravane de Mr. Déloyal, je la cherche, j’en vois plein,
et celle qui me plaît le plus c’est la pire : pas de pneus,
pas d’immatriculation, pas de papiers. D’un point de vue
logistique, ce n’était pas un choix raisonnable. Mais elle
me plaisait parce qu’elle avait un vécu.
Je voulais fabriquer cette désinvolture, cette beauté qui
est là par hasard. Je voulais la fabriquer parfaitement,
précisément. Il fallait que ce soit beau, coloré, mais que
ça ait l’air involontaire, hasardeux.
Pascale
Pascale
La caravane de Mr. Déloyal était particulièrement
importante : elle allait être vue de l’extérieur, mais aussi
de l’intérieur.
Le passé de la troupe
Quand on est chef décorateur, on n’est pas un artisan de
la réinvention pure. Les décors doivent avoir une vie, une
existence, un passé. Il nous faut « inventer quelque chose
de connu », comme dit l’artiste Jean-Michel Alberola.
Lea
La caravane de Mr. Déloyal devait aussi être à l’image
du couple improbable qu’elle abrite. Un homme qui y vit
La difficulté de ce type de décor, c’est que c’est un espace depuis des années et qui se fiche des apparences, un peu
restreint.
punk, qui a traversé une période difficile. Et une fille de
On aurait pu faire une caravane studio de cinéma,
vingt ans, drôle et insolente.
découpée, ouverte sur le côté. Mais notre chef opérateur Il fallait aussi une trace de cet enfant qui va venir.
pensait le contraire. Il préférait être à l’étroit dans une
Mais Mona n’est pas du genre à acheter des tonnes de
vraie caravane plutôt que d’être contraint à un seul axe vêtements trois mois avant la naissance. Alors on a
de prise de vue dans une caravane découpée. Pour lui, la mis des habits de bébé dans un sac, en imaginant que
liberté c’est de pouvoir suivre les comédiens dans tous
quelqu’un lui avait donné, et qu’elle l’avait posé dans un
leurs mouvements.
coin.
L’image du film
Le tournage
Le processus de création
Pascale
Dans le film, on ne voit pas le sac de vêtements. Mais il fait
partie de ce qui fait vivre le décor. On fabrique un décor qui dans
son entier doit être vivant, réel. Et puis c’est important pour la
comédienne, ce sac plastique avec des vêtements de bébé. Il n’y a
pas que ce qui va se voir dans le film qui compte.
Pascale
La caravane de Mr. Déloyal, pendant le tournage, abritait les
siestes des membres de l’équipe. J’aime bien quand l’équipe du
tournage occupe les décors. Ça les fait vivre, ça crée de l’usure,
du quotidien. Par exemple, un magazine posé de façon un peu
artificielle sur une commode va trouver sa vraie place quand les
gens l’auront feuilleté puis abandonné dans un coin.
Les références
Le passé de la troupe
Lea
Comment placer les caravanes et le chapiteau
dans le campement ?
C’était une question très importante. Le
placement de telle ou telle caravane, par
rapport aux autres, par rapport au chapiteau,
conditionnait beaucoup la mise en scène, la
circulation de la caméra dans l’espace.
Mais il fallait aussi faire en sorte que chaque
scène écrite sur le papier soit cohérente dans
le campement qu’on allait installer. Difficile
équation :
Scène 2, la caravane A doit être à côté de la
caravane B. Mais scène 35, A ne doit pas être
loin de C. Or B et C doivent se faire face de part
et d’autre du campement. Sans parler de D qui se
retrouve encore du mauvais côté etc.
On est passées par toutes les étapes. Esquisses
sur le papier, maquettes… Et le jour J, avec
les vraies caravanes, nous avions encore des
hésitations, au grand dam de toute l’équipe
condamnée à pousser les caravanes dans tous les
sens.
L’image du film
Le tournage
Le processus de création
Pascale
De la même façon que le vêtement
raconte celui qui le porte, le
campement raconte ceux qui y vivent.
Est-ce qu’ils s’installent comme des
indiens, tournés vers le centre ? Ou au
contraire ouverts aux quatre vents, à
l’extérieur, au public ?
Le décor est une source d’informations
pour le spectateur : grâce à lui, d’un
simple coup d’œil, on doit apprendre
quelque chose sur les personnages.
J’ai demandé aux comédiens
d’apporter des choses qui leur
appartenaient, afin de créer un amas
de détails qui peuplent le campement
et racontent ceux qui y vivent. Mon
travail ensuite consistait à harmoniser
ces objets avec ceux que j’avais trouvés
moi-même.
Léa
À Lauzun, il y a eu les vaches… Toute
une histoire ça aussi. On a laissé les
vaches sur le campement lui-même
pour qu’elles s’habituent. Mais très
vite le campement a été couvert de
bouses…
Pascale
Malgré tout il a fallu faire des fausses
bouses. Parce que les vraies bouses,
elles ne tombent pas forcément là où
tu voudrais qu’elles tombent. Mon
assistant a inventé une recette pour les
fausses bouses : un mélange d’épinards
à la crème, de mousse au chocolat
et de crème de marron. Comme un
comédien devait glisser et s’étaler dans
une bouse, c’était plus sympa de le
faire tomber dans une fausse !
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