Jai grandi dans le milieu dont parle mon lm,
le milieu du théâtre itinérant. Dans les anes
90, mes parents se sont embarqués dans
cette aventure avec une dizaine de caravanes, un
chapiteau, une troupe bigarrée et fantasque pour
orir le théâtre sur les routes de France. Au sortir
de mon premier lm, j’ai eu envie de lmer cette
énergie. J’ai eu envie de faire un lm solaire et joyeux
mais joyeux avec insolence et âpreté. J’ai eu envie de
lmer ces hommes et ces femmes qui abolissent la
frontière entre le théâtre et la vie pour vivre un peu
plus fort, pour vivre un peu plus vite.
Alors bien sûr, toute ressemblance avec des
personnages existants ou ayant existé ne peut pas
être fortuite et nest absolument pas indépendante
de ma volonté. Les histoires d’amour sont celles
de mes parents, de leurs amis, les deuils sont ceux
de leurs camarades. On retrouve tout, les cuites
du régisseur, les scandales de l’accordéoniste, les
violences et l’orgueil de lun, les angoisses marielles
et les contradictions de lautre. Même le spectacle
est très proche d’un spectacle que leur compagnie a
longtemps tourné : « Cabaret Tchékhov ».
Et pourtant tout est absolument vrai, nest-ce-pas,
puisquimaginé d’un bout à l’autre.
« Inventer quelque chose de connu », dit le peintre
Alberola. Fabriquer quelque chose qui ait un passé,
une histoire, une vérité. Concevoir des décors qui
doivent raconter, et ne pas avoir l’air de décors.
Eacer le geste, l’eort. Dissimuler sous le tapis la
quête de perfection, de précision. Faire nôtre un des
mantras du théâtre itinérant: « Pauvreté des moyens,
pertinence de l’eet. »
En dénitive, un travail gigantesque, qui ne doit
surtout pas avoir l’air d’un travail !
Voici donc comment, au travers du travail sur les
décors et les costumes, nous avons réinventé et trahi
cet univers dont je me suis inspirée. Comment nous
avons mis les souvenirs cul par-dessus tête, comment
nous les avons tordus, mélangés à autre chose, pour
parvenir au lm que j’imaginais.
La scénographie
Les caravanes
Création graphique : www.desdemains.fr
06 11 37 23 34
Les costumes
Le chapiteau
Le campement
Photos : Jordi Bover, Claire
Kemp, Cécile Mella et Jean-
Pierre Estournet.
Textes : Catherine Paillé
(co-scénariste du lm).
La réalisation de
cette exposition a été
rendue possible grâce à
l’implication et au travail
de Pascale Consigny chef
décoratrice du lm et de
Léa Fehner.
Exposition coordonnée par le Bureau d’Accueil
de Tournage de Lot-et-Garonne (BAT47), la
Ligue de l’Enseignement 47 et l’Agence Régio-
nale Écla, en partenariat avec l’ACPA et le Dé-
partement de Lot-et-Garonne, à l’occasion de
la sortie du lm Les Ogres de Léa Fehner.
Cette exposition est à destination des salles de
proximité régionales et autres lieux culturels.
Un lm de Léa FEHNER
cors : Pascale CONSIGNY
Costumes : Caroline DELANNOY & Sylvie HEGUIAPHAL
Limage du lm
Le tournage
La recherche d’un chapiteau
On a retrouvé loriginal
Construction du chapiteau
Il y a quelques années, mon père revend le chapiteau de
mon enfance, et il achète un chapiteau blanc, sans mat,
que j’aime moins mais qui lui permet, à lui, de faire
d’autres scénographies.
Le chapiteau de mon enfance est revendu, donc, puis il
passe de mains en mains et très vite je ne sais plus où il est.
Un jour je suis dans la Creuse. Dans un village voisin,
il y a une projection d’Une Partie de campagne de Jean
Renoir. Impossible de rater ce lm que jadore par dessus
tout. Alors on y va, on brave la tempête. Je me souviens
d’avoir couru dans le noir, sous une pluie battante et
contre un vent très violent, pour rejoindre le chapiteau où
le lm était projeté. On est à l’abri, le lm démarre. Et là,
je suis peu à peu envahie par une dle de sensation : celle
de connaître cet endroit, sans vraiment le connaître. Je
regarde autour de moi et je comprends que je suis dans le
chapiteau de mon enfance ! J’étais bouleversée. Cest très
spécique à l’itirance : se retrouver par hasard, sans le
savoir, dans la maison de ton enfance
Pour le lm, on cherche un chapiteau dans toute la France,
puis l’Europe, mais ça ne convient jamais. Trop grands.
Trop petits. Trop moches. Je ne suis jamais contente. Il y a
toujours quelque chose qui ne va pas.
En faisant cette recherche, je comprends petit
à petit que le chapiteau de mon enfance, que je
croyais très courant, très banal, nexiste nulle
part ailleurs. Je ne le savais pas, ou bien je lavais
oublié, mais ce chapiteau avait été créé par mon
re, qui voulait faire appel à l’imaginaire du
cirque tout en évitant son côté folklorique. C’est
pour ça que les rayures, par exemple, sont en
diagonales. Que le chapiteau nest pas rouge
et jaune, comme souvent au cirque, mais
bleu et jaune. Il na pas d’étoiles,
non plus. Et il est opaque pour
avoir le noir même en plein jour,
avec quatre mats, au lieu de deux
mats ce qui permet davoir un
grill technique, c’est à dire un
système de rails qui permettent
d’accrocher des projecteurs, des
panneaux ou des éléments de
décor. De faire du théâtre, donc.
Le passé de la troupe
En cherchant le chapiteau du lm,
petit à petit je comprends quun
chapiteau raconte à lui seul l’esprit
d’une troupe. Et je comprends
que le chapiteau de mon enfance
EST le chapiteau du scénario. Seul
celui-ci correspond à la taille de la
compagnie, à ses spectacles... il est
l’esprit de la compagnie, son ADN.
Heureusement nous l’avons retrouvé
dans les Ardennes et après d’âpres
discussions avec leurs propriétaires
(ils y tenaient eux aussi comme
à la prunelle de leurs yeux, c’est
décidemment une histoire damour
les chapiteaux !) ils nous ont laissés
tourner le lm dedans.
Léa
Les inuences
Le passé de la troupe
Limage du lm
Le soir, on relit toujours, avec mon assistant, les scènes qui
seront toures le lendemain. On s’assure ainsi que rien na
été oublié. Et voilà quun soir, on découvre quil est question
d’un « poulet déguisé ». Mais quest-ce-que cest que ça ? On
avait lu le scénario des tas de fois mais on navait jamais fait
gae à ça. Moi je pense que cest une façon de parler. Mon
assistant est convaincu que c’est une faute de frappe.
On est tous les deux d’accord pour dire quon nest pas censés
fabriquer un poulet déguisé pour le lendemain.
J’appelle quand même Lea. Elle me dit « Ah si si, il faut un
poulet déguisé ». Mon assistant est accab. Déguisé en quoi ?
Et Lea, comme une évidence : « Ben, en majordome ! ».
On a la soirée pour trouver un poulet, et lui faire un costume
de majordome.
Pascale
Pour faire les costumes, je fais appel entre autres à une costumière de la
compagnie de mes parents, Caroline Delannoy. Elle est plasticienne par
ailleurs, cela se ressent dans son travail : dans son attention aux corps, à
comment ils habitent les matres et les habits.
Cest bizarre, mais c’est comme la troupe, cette histoire de costumes : on
s’échange on se mélange, certains sont là pour réinventer une nouvelle
jeunesse à d’autres…
Tout le monde est ensemble, cest ça qui compte et cest comme si labsence
de frontière entre ce qui est à toi, ce qui est à moi, le passé, le présent,
l’imaginaire ou le réel, était l’essence de ce quon voulait raconter : des
hommes et des femmes qui tentent de vivre ensemble coûte que coûte,
avec ce qui les sépare et les rassemble. Des hommes et des femmes qui
mélangent tout, travail, famille, amour et amitié, sans jamais penser
à se préserver. Leur utopie nest pas viable ? Mais elle est vivante !
Concrètement ce mélange c’est quoi ?
Certains costumes du lm viennent de la compagnie de mes parents.
Ce sont des costumes qui ont fait du théâtre itirant. Ils ont été
conçus pour ça : rustiques, résistants, an d’être capables de survivre
à des centaines de représentations.
À ceux-là, on mêle des costumes fabriqués pour le lm. La robe
rouge portée par Lola Duenas, par exemple. Cette robe nest pas
conçue pour durer. Elle est fragile, avec toutes ses plumes. Dans la
réalité, jamais les gens du théâtre itinérant ne sembarrasseraient
avec un costume aussi fragile ! Mais tant pis, faisons place à
l’imaginaire !
Léa
Le processus de création
Le tournage
Limage du lm
Les inuences
Lea
Pour la mise en scène et la scénographie du
spectacle, j’avais envie de garder l’esprit de
l’Agit, la compagnie de mes parents dont je
me suis inspirée pour écrire le scénario. Jétais
très inspirée par mes souvenirs denfance, et en
même temps il fallait que je pense à ce que javais
écrit, à ce que je voulais lmer. En fait, il fallait
s’inspirer du passé sans en être dépendant, en
prenant les libertés qui permettaient de faire le
lm tel que je voulais le faire.
Pascale
Copier à lidentique ce qua pu faire lAgit,
c’était techniquement impossible. Beaucoup de
scénographies nexistent que dans les souvenirs. Il
ny a pas de photos, de schémas.
Le théâtre, c’est épre, les gens du tâtre sont
dans le présent, ils ne sacralisent pas les choses.
Recherches...
Lea
On avait envie dun arbre sur le plateau du spectacle. Un bel arbre mort et sec. Ça ne colle
pas avec l’itirance : un arbre c’est une structure poétique mais fragile, dicile à trimballer.
Dans le tâtre itinérant, personne nirait s’encombrer d’un arbre. Mais tant pis, nous on fait
du cinéma. Ce quon veut retranscrire, c’est un esprit, pas une réalité.
Pascale
Une semaine avant le tournage, je navais toujours pas trouvé l’arbre… Je vais visiter le
terrain où on doit installer le campement, et là, à 200 mètres, je vois un arbre mort, sublime,
absolument parfait !
Ça, c’est un miracle qui narrive quau cinéma. Parfois j’ai l’impression quil y a un Dieu pour
les œuvres dart, qui fait que si les choses sont justes, elles vont arriver.
Cet arbre était mort trois ans auparavant dans lexplosion d’une des cuves de pétrole que lon
voit dans le lm. En fait on tournait sur un site très dangereux !
Le passé de la troupe
Le tournage
Limage du lm
Le tournage
Le passé de la troupe
Lea
Dans le théâtre itirant on prend les caravanes quon
trouve, qui roulent, qui ont des papiers en règle, et on les
peint avec ce quon a. On ne cherche pas à faire du beau.
D’ailleurs, j’ai connu plein de campements assez moches.
Et parfois, tout d’un coup, dans ce moche, il y a de la
grâce, de la beauté.
Je voulais fabriquer cette désinvolture, cette beauté qui
est là par hasard. Je voulais la fabriquer parfaitement,
précisément. Il fallait que ce soit beau, coloré, mais que
ça ait l’air involontaire, hasardeux.
Pascale
La caravane de Mr. Déloyal était particulièrement
importante : elle allait être vue de l’exrieur, mais aussi
de l’intérieur.
La diculté de ce type de décor, c’est que c’est un espace
restreint.
On aurait pu faire une caravane studio de cima,
coupée, ouverte sur le cô. Mais notre chef opérateur
pensait le contraire. Il pférait être à létroit dans une
vraie caravane plut que d’être contraint à un seul axe
de prise de vue dans une caravane découpée. Pour lui, la
liberté c’est de pouvoir suivre les comédiens dans tous
leurs mouvements.
Lea
La caravane de Mr. Déloyal, je la cherche, jen vois plein,
et celle qui me plaît le plus c’est la pire : pas de pneus,
pas dimmatriculation, pas de papiers. D’un point de vue
logistique, ce nétait pas un choix raisonnable. Mais elle
me plaisait parce quelle avait un vécu.
Pascale
Quand on est chef décorateur, on nest pas un artisan de
la réinvention pure. Les décors doivent avoir une vie, une
existence, un passé. Il nous faut « inventer quelque chose
de connu », comme dit l’artiste Jean-Michel Alberola.
Lea
La caravane de Mr. Déloyal devait aussi être à l’image
du couple improbable quelle abrite. Un homme qui y vit
depuis des années et qui se che des apparences, un peu
punk, qui a traversé une période dicile. Et une lle de
vingt ans, drôle et insolente.
Il fallait aussi une trace de cet enfant qui va venir.
Mais Mona nest pas du genre à acheter des tonnes de
vêtements trois mois avant la naissance. Alors on a
mis des habits de bébé dans un sac, en imaginant que
quelquun lui avait donné, et quelle l’avait posé dans un
coin.
Pascale
Dans le lm, on ne voit pas le sac de vêtements. Mais il fait
partie de ce qui fait vivre le décor. On fabrique un décor qui dans
son entier doit être vivant, réel. Et puis c’est important pour la
comédienne, ce sac plastique avec des vêtements de bébé. Il ny a
pas que ce qui va se voir dans le lm qui compte.
Pascale
La caravane de Mr. Déloyal, pendant le tournage, abritait les
siestes des membres de l’équipe. J’aime bien quand l’équipe du
tournage occupe les décors. Ça les fait vivre, ça crée de lusure,
du quotidien. Par exemple, un magazine posé de façon un peu
articielle sur une commode va trouver sa vraie place quand les
gens l’auront feuilleté puis abandonné dans un coin.
Le processus de création
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