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Figure 4–Les corrélations optomécaniques sont mesurées en envoyant deux
faisceaux dans la cavité àmiroir mobile, un faisceau signal intense dont les
fluctuations de la pression de radiation déplacent le miroir,etunfaisceau
sonde qui détecte les mouvements résultants.
ambiante du mode résonnant à814 kHz (courbe supé-
rieure), puis les spectres obtenus en désaccordant la cavité
de telle façon que le refroidissement laser soit de plus en
plus efficace (courbes bleues). Il est clair que l’action en
retour de la lumière dans la cavité désaccordée apour effet
de contraindre les mouvements du miroir,l’amplitude du
pic Lorentzien de bruit thermique étant atténuée par un
facteur supérieur à10. La température est reliée àl’aire
du spectre Lorentzien et subit une réduction par un fac-
teur 30. On constate aussi un élargissement du pic qui tra-
duit le fait que la pression de radiation, proportionnelle au
déplacement du miroir,secomporte en fait comme une
force visqueuse qui augmente l’amortissement du résona-
teur.C’est cet amortissement optique supplémentaire qui,
en couplant le résonateur àunbain de photons àtem-
pérature quasi-nulle, assure en fait son refroidissement.
On note également un léger décalage de la fréquence de
résonance :lapression de radiation se comporte en par-
tie comme une force de rappel, responsable d’un effet de
ressort optique additionnel.
Après ces premières expériences, le refroidissement
laser apuêtre mis en évidence avec de nombreux disposi-
tifs optomécaniques (voir encadré 1). Sonefficacité en vue
d’atteindre le régime quantique du résonateur aégalement
été prouvée, en combinant cryogénie traditionnelle et
refroidissement laser :àl’heure actuelle, plusieurs équipes
ont obtenu un nombre moyen de phonons inférieur à100.
Corrélations optomécaniques
Si le couplage optomécanique permet d’agir sur le
mouvement classique du résonateur,comme nous venons
de le voir avec le refroidissement laser,ilpermet aussi de
coupler au niveau quantique la lumière et le résonateur.
Il est alors possible d’utiliser la lumière pour contrôler
l’état quantique du résonateur,ouvice versa.Onsetrouve
en fait en présence de deux oscillateurs harmoniques, le
mode du champ dans la cavité et le mode de vibration
du résonateur,couplés de manière non linéaire :lapres-
sion de radiation, proportionnelle àl’intensité lumineuse,
déplace le résonateur,tandis que le mouvement de ce
dernier modifie la phase du faisceau réfléchi. Ce type de
couplage est similaire àceux que l’on trouve en optique
quantique, par exemple lorsqu’on place un milieu non
linéaire dans une cavité optique. On peut alors s’intéres-
ser aux mêmes problématiques en optomécanique quan-
tique qu’en optique quantique :ilest en principe possible
de produire des champs dont les fluctuations quantiques
sont comprimées, ou de réaliser des mesures quantiques
non destructives de la lumière, par des moyens purement
optomécaniques. On peut aussi profiter du fait qu’on dis-
pose d’un résonateur mécanique macroscopique pour
réaliser une intrication quantique entre la lumière et le
résonateur,ouencore pour fabriquer une mémoire quan-
tique utilisable pour l’information quantique, où l’infor-
mation est stockée dans le mouvement du résonateur.
Une autre conséquence importante du couplage opto-
mécanique est l’existence de limites quantiques dans les
mesures ultrasensibles, telles que les détections d’onde
gravitationnelle1.Les détecteurs sont basés sur des inter-
féromètres de taille kilométrique dans lesquels l’onde gra-
vitationnelle induit une très faible variation de longueur
apparente des bras. Pour atteindre la sensibilité requise,
une puissance lumineuse très élevée circule dans les
bras ;les miroirs sont alors soumis àune pression de
radiation importante qui va perturber leur position.
Comme nous l’avons vu dans l’introduction, la pression
de radiation est en effet le siège de fluctuations liées àla
nature quantique de la lumière, fluctuations qui tra-
duisent l’arrivée aléatoire des photons sur les miroirs. Le
bruit de position résultant est corrélé aux fluctuations
quantiques d’intensité du faisceau et apparaîtcomme un
bruit supplémentaire dans la mesure. Il s’agit là d’un prin-
cipe fondamental d’action en retour dans la mesure en
mécanique quantique, la mesure perturbant inévitable-
ment le système que l’on cherche àmesurer.
Pour la mise en évidence de ces différents effets, le
point critique consiste àatteindre le régime quantique
du couplage optomécanique, c’est-à-dire à être capable
d’observer les déplacements d’un miroir mobile sous
l’effet des fluctuations quantiques de la pression de radia-
tion. Cesdéplacements sont toutefois très petits :pour
le micro-pont que nous avons déjà présenté, un bruit de
pression de radiation de 1/aHNz
,qui correspond àun
faisceau laser de 1Wincident sur le miroir,induirait un
bruit de position de 210/
21
×−mHz
seulement.
Afin de s’assurer que les déplacements observés
découlent bien des fluctuations quantiques de la pression
de radiation, nous cherchons àmettre en évidence les
corrélations entre les fluctuations d’intensité et le mouve-
ment du miroir.Pour cela, on envoie deux faisceaux dans
la cavité, un faisceau signal intense dont on détecte l’in-
tensité réfléchie, et un faisceau sonde de plus faible puis-
sance dont on détecte la phase (voir figure 4). La mesure
1. Voir article dans ce numéro «Virgo et la quête des ondes gravitation-
nelles ».