Institut de Silfiac le 4/10/2013
Remise du prix de la Fondation du Crédit Coopératif
Propos introductif Jean-Claude Pierre
En créant, voici quelques années déjà cet « Institut de Silfiac », nous avions pour objectif de
lutter contre l’une des pires pollutions qui soient : je veux parler de la résignation.
Celle qui affecte l’Homme dans ce qu’il a de plus précieux : l’esprit et qui le conduit à
considérer que l’on ne peut rien contre le phénomène actuel de mondialisation néolibérale.
Une mondialisation sous l’égide de la seule « main du marché » et qui voit « l’économie
barbare »(1), qu’a si bien dénoncée Philippe Saint Marc, étendre sa loi à toute la planète.
Lutter contre cette résignation nécessite évidemment de pouvoir se référer à des alternatives et
d’être capable de montrer qu’elles sont possibles, qu’elles existent, qu’elles sont bonnes pour
l’économie, qu’elles sont bonnes pour les hommes et leurs communautés, qu’elles sont bonnes
aussi, pour la planète, notre fragile et unique matrie pour reprendre un mot cher à Edgar Morin.
Très vite il nous est apparu que l’une de nos tâches prioritaires était de favoriser la
convergence entre les mouvements environnementalistes et les structures de l’économie sociale et
solidaire.
Les valeurs qui fondent l’économie sociale sont celles- mêmes qui s’avèrent nécessaires
pour préserver le « Bien commun » que constituent l’eau, l’air, les sols, la biodiversité et d’une
manière plus générale tous les éléments qui contribuent au maintien des équilibres naturels sur notre
planète.
Faire mieux connaître les fondements de l’économie sociale et solidaire constitue, de ce fait,
l’une de nos priorités et il nous appartient de rappeler qu’ils trouvent leurs racines :
dans le mouvement associationiste qui a pris son essor en Angleterre sous l’impulsion
des disciples de l’utopiste Robert Owen et qui a donné naissance en 1844 à la première
co-opérative : « Les équitables pionniers de Rochdale » ;
dans le socialisme utopique de Charles Fourier, de Louis Blanc, de Pierre-Joseph
Proudhon
dans le christianisme social de Félicité de Lamennais, d’Albert de Mun, de Frédéric
Ozanam
plus généralement, dans l’action de tous les hommes épris de solidari qui
contribuèrent, en France, à la création des premières structures de type coopératif
comme « Le Commerce véridique et social » fondé en 1830 à Lyon par Michel
Derrion et un peu plus tard, le « Familistère de Guise » créé sous l’impulsion de Jean-
Baptiste Godin…
Le syndicalisme et le mouvement associatif qui a pris son essor dès l’adoption de la loi de
1901 doivent également beaucoup aux courants de pensées qui impulsèrent les coopératives.
Très vite nous avons pris conscience de la nécessité de disposer d’un lieu de réflexion, de
concertation, de médiation entre les différents mouvements qui œuvrent dans le domaine
économique, syndical, social, environnemental, culturel… afin de favoriser la prise de conscience
sur la gravité de la crise écologique et sur la nécessité de mettre en œuvre les démarches
systémiques auxquelles nous n’avons été ni sensibilisés, ni formés… Des démarches qui s’imposent
pour assurer la Transition qui se cherche et qui s’avère de plus en plus indispensable pour rompre
avec le modèle actuel de développement : un « modèle » qui surexploite la nature, met « la planète
au pillage », porte atteinte aux fragiles équilibres sur lesquels repose la Vie et aggrave les inégalités
entre les territoires et entre les hommes…
A tout bien considérer nous pouvons, à l’issue de notre première étape, dire de notre modeste
institut qu’il sera peut-être un jour désigné sous le vocable « d’Institut de la solidarité ».
Nous la déclinons en effet sous toutes ses formes :
Solidarité dans l’espace
Entre tous les hommes. Tous frères comme devrait nous le rappeler, aujourd’hui, le
drame de Lampedusa et comme nous le rappellerons hélas, tous les drames à venir :
quand des dizaines de millions d’éco-réfugiés quitteront leurs terres ennoyées par la
montée du niveau des océans ; quand les « kamikazes de la misère » frapperont à nos
portes…
Solidarité entre les territoires
entre les villes et les campagnes ;
entre les citadins et les ruraux ;
entre les consommateurs et les agriculteurs.
Solidarité dans le temps
Avec les générations futures, ce qui doit nous conduire à plus de discernement dans
nos manières d’aménager, de produire, de consommer et à mettre en œuvre le
« Principe de précaution » trop souvent caricaturé chez nous.
Solidarité enfin avec le « vivant »
Car nous partageons une communauté de destin avec tout ce qui vit, avec toutes ces
espèces végétales et animales que nous faisons disparaître à un rythme accéléré…
Cette conception élargie de la solidarité est à la mesure des défis que nous avons à relever
depuis que… nous avons changé d’ère !
Nous sommes en effet entrés dans l’antropocène, ce qui nous fait obligation d’assumer de
nouvelles responsabilités à la mesure des formidables moyens que la science et la technique mettent
aujourd’hui à notre disposition.
À cette nouvelle éthique, l’Institut de Silfiac apportera sa contribution. La confiance que lui
témoigne la Fondation du Crédit Coopératif lui en fait d’ailleurs obligation.
(1) Editions Frison Roche 1994.
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