Quand nous disons Dieu - Faculté de théologie catholique de

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Quand nous disons Dieu : les premiers chrétiens johanniques aux catéchètes
d’aujourd’hui
Présentation des données à partir du quatrième évangile et des épîtres de Jean
Conférence donnée dans le cadre de la journée de l’IPR organisée par Denis Fricker
« Quand nous disons Dieu »
le 18 Février 2009 à la Faculté de théologie catholique de Strasbourg .
Comme nous en avons convenu, à la fin de la session, je transmets pour les auditeurs présents
à la conférence et pour ceux qui n’ont pas pu être présents, l’essentiel de l’exposé. J’ai gardé
le style oral de la conférence mais j’ai ajouté en notes quelques références bibliographiques
utiles (des articles et ouvrages faciles à lire et des travaux plus techniques). Le double
astérisque ** dans le texte de l’exposé ou dans les notes renvoie à des références faites par les
autres intervenants (autant celles des ateliers du matin que celles d’autres intervenants). Ce
document comprend également des précisions en réponse à quelques questions posées par les
participants.
Michèle Morgen
[email protected]
*****************************
Ce document comprend
- Le plan de l’exposé
- L’exposé détaillé
1
Plan de l’exposé
I. Les communautés johanniques
1. La (ou « les ») communauté(s) johannique (s)
a) Groupe, milieu, communauté(s), école, etc.
(Cullmann, Dodd, Koester, Culpepper, Brown, etc.)
b) Un groupe et son histoire : évolution du langage et donc du langage sur Dieu
- R.E. Brown, La communauté du disciple bien-aimé Paris Cerf (Lectio Divina 115), 20022.
- Ouvrage collectif : La communauté johannique et son histoire. La trajectoire de l’évangile
de Jean aux deux premiers siècles. Genève Labor et Fides (Le monde de la Bible) 1990.
2. Les écrits johanniques (Jn ; 1, 2 et 3 Jn) et le discours sur Dieu
a) Des écrits différents mais une parenté de langage et de théo-logie
b) Des écrits structurés pour « dire Dieu »
- dans le cadre narratif du quatrième évangile
- dans la démonstration de la première épître de Jean
II Le « quand nous disons Dieu » des chrétiens johanniques (kèrygme johannique)
« La question fondamentale du quatrième évangile est la question de Dieu, non pas de savoir si Dieu
existe, mais qui est Dieu et comment Dieu se révèle lui-même ... quel est ce Dieu qui est révélé et
comment Dieu est révélé » (D. Moody Smith)
1. Dieu « le » Père
a) « Mon » Père : exemples en Jn 2,16 ; 5,17.43 ; 6,32.40 ; 8,49.54 ;
10,18.25.29.37 ; 14,2.7.20.21.23 ; 15,1.8.10.15.23.24 ; 20,17
b) « Vers mon Père et votre Père » (Jn 20,17)
2. Dieu (ou le Père) « celui qui envoie » (Jn 3,16-17 et 1 Jn 4,9-10.14)
a) Celui qui m’a envoyé
b) La magnificence du geste: « Also hat Gott die Welt geliebt »
(H. Schütz, Musikalische Exequien)
3. « Dieu est amour (agapè) » (1 Jn 4,8.16 )
4. « Dieu le Fils unique » (Jn 1,18) christo-logie et théo-logie
« Peu d’écrivains sont plus christocentriques que Jean, mais sa véritable ‘christocentricité’ est
théocentrique » (C.K. Barrett)
III Aux catéchètes d’aujourd’hui
1. Catéchèse johannique : « Quand on parle de Dieu, du Dieu que l’on ne voit pas ... »
a) Dans l’évangile : la théologie de l’incarnation en lien avec la Gloire
b) Dans la première épître : la ‘communion’ (koinônia) avec Dieu
2. Implications pastorales (« aujourd’hui »)
a) Dieu Père Fils Esprit Saint : en lien avec la foi pascale (Jn 13 – 17)
b) Louange de Dieu : reconnaître et faire reconnaître ses traces
son Nom (dire Dieu)
c) Insistance sur la priorité de l’agapè
2
EXPOSÉ
I. Les communautés johanniques
1. La (ou « les ») communauté(s) johannique (s)
a) Groupe, milieu, communauté(s), école, etc.
À propos de Jean et de ses écrits, il est aujourd’hui reçu, de parler de « la » ou des
communauté(s) johanniques. Les termes sont toutefois variés1 pour désigner une même
réalité. Sans en donner un inventaire exhaustif, nous pouvons rappeler quelques
dénominations : au lieu de « communauté », on parle aussi de « cercle » (Kreis : c’est le titre
de l’ouvrage de Oscar Cullmann : Der johanneische Kreis2 ; en français on a traduit par « le
milieu johannique ». « Cercle johannique », c’est aussi la désignation adoptée par Helmut
Koester dans son Introduction au Nouveau Testament3. L’accent dans ces recherches a été mis
sur les questions du « milieu » johannique en étudiant surtout le contexte socioreligieux et
littéraire. Mais on a aussi déjà entrepris de minutieuses recherches sur l’histoire de la
formation et de l’évolution de la « tradition johannique »4 ; c’est le titre donné à l’ouvrage de
Charles Harold Dodd. Ce dernier a montré, analyse de textes à l’appui, que dans le quatrième
évangile on trouve des données anciennes, parfois antérieures à la « tradition » synoptique. Il
pointait déjà sur l’importance de l’évolution de la transmission (« tradition ») et son histoire.
On utilise également le mot d’ « école » : parfois l’on ne fait pas trop la différence entre
« école » et « communauté ». Faut-il faire la différence et, si oui, où se loge la nuance ?
Communauté ou école ?
Communauté (s)
Pour justifier le terme de « communauté (s) », nous pouvons nous appuyer sur les
épîtres de Jean en particulier. Comme le quatrième évangile, les trois épîtres de Jean insistent
sur le langage de l’amour fraternel, de l’amour mutuel, de l’amour du frère, et particulier sur
l’expression « aimez-vous les uns les autres ». On trouve surtout dans les épîtres non
seulement les appellations « enfants de Dieu » et « frères » ou « bien aimés » (au pluriel) qui
traduisent vraisemblablement l’importance des relations très proches (termes de parenté) dans
ces premières communautés, mais la preuve d’un milieu concret et vivant de communautés
johanniques. Elles sont en « communion » (en grec : koinônia [voir au point III 1 B cidessous)] ; le mot signifie « communion » ; il renvoie au verbe koinoô (« partager ensemble
quelque chose » ; « mettre en commun »). Ainsi en 1 Jn 1,3 : « ce que nous avons vu et
1
Chacun de ces termes, ou presque, évoque un auteur ou des études spécialisées. Je les mentionne ci-dessous à
l’aide du nom de l’auteur et des ouvrages en traductions françaises si elles existent.
2
Oscar Cullmann, Le milieu johannique. Étude sur l’origine de l’évangile de Jean. Delachaux et Niestlé (Le
monde de la Bible) Neuchâtel Paris, 1976. Paru en édition parallèle sous le titre Der johanneische Kreis,
Tübingen Mohr & Siebeck, 1975.
3
Helmut Koester, Introduction to the New Testament, Philadelphie Fortress Press, 2 volumes (Titre allemand :
Einführung in das Neue Testament) : pour l’étude sur les écrits johanniques, voir dans le volume 2 aux pages
178-198, le chapitre intitulé « The Johannine Circle ». Il n’y a pas de traduction française.
4
Charles H. Dodd, La tradition historique du quatrième évangile, Paris Cerf (Lectio Divina 128) 1987. Titre
original anglais : Historical Tradition in the Fourth Gospel, Cambridge Cambridge University Press 1963.
3
entendu, nous vous l'annonçons, à vous aussi, afin que vous aussi vous soyez en communion5
avec nous. Et notre communion est communion avec le Père et avec son Fils Jésus Christ ».
En outre, la deuxième et la troisième épîtres de Jean prouvent l’existence de
communautés locales, d’ « églises » (on trouve ce terme précis d’ekklèsia). Il suffit de se
reporter au début et à la fin de la deuxième épître de Jean pour constater l’existence de ces
lieux d’églises et de cette pratique communautaire et fraternelle. La lettre est adressée à Dame
élue et à ses enfants. En finale, l’auteur annonce sa visite à la communauté : « 12 J'ai bien des
choses à vous écrire, pourtant je n'ai pas voulu le faire avec du papier et de l'encre. Car j'espère me
rendre chez vous et vous parler de vive voix, afin que notre joie soit complète. 13 Te saluent les
enfants de ta Soeur l'élue». La troisième lettre de Jean mentionne explicitement « l’église » ;
l’auteur y dénonce le comportement d’un certain Diotréphès : 3 Jn v. 9 J'ai écrit un mot à l'église. Mais
Diotréphès, qui aime à tout régenter, ne nous reconnaît pas. v. 10 Aussi, lorsque je viendrai, je
dénoncerai ses procédés, lui qui se répand contre nous en paroles mauvaises: et non content de cela,
il refuse lui-même de recevoir les frères, et ceux qui voudraient les recevoir, il les en empêche et les
chasse de l'église (en 3 Jn 9-10).
École johannique
6
Lorsque l’on emploie le terme d’ « école » à propos des écrits johanniques et de leur
milieu de formation, on évoque une même école de pensée, marquée par un vocabulaire
spécifique avec des tournures de langage et d’interprétation singulières qui relèvent d’une
même orientation théologique. Après avoir comparé différents types d’écoles (écoles
rabbiniques dans le judaïsme, écoles philosophiques en Grèce, etc.), A. Culpepper a relevé
quelques traits comparables entre ces institutions et l’école johannique. Certains
rapprochements sont intéressants notamment par rapport au disciple que Jésus aimait,
initiateur7 du développement singulier d’une tradition, mais les divergences sont elles aussi à
relever. Au chapitre 21 la communauté s’exprime en « nous » après la mort de cet initiateur
(plutôt que « fondateur »), de ce « témoin8 » pour reprendre une thématique importante de la
tradition johannique :
Jn 21
23
... on a répété parmi les frères que ce disciple ne mourrait pas.
Les chrétiens johanniques qui se désignent comme « frères » renvoient à une tradition basée
sur son témoignage vrai, c’est-à-dire ferme, solide, de fidélité :
Jn 21
24
C'est ce disciple qui témoigne de ces choses et qui les a écrites, et nous savons
que son témoignage est conforme à la vérité.
Le disciple bien aimé, désigné comme tel par la communauté qui a prolongé sa tradition, a
joué un rôle fondamental dans l’élaboration des formulations théologiques et christologiques,
une interprétation légitimée à la lumière de l’Esprit Saint pour la proclamer en vérité (Esprit
de vérité), avec son soutien (l’Esprit est Paraclet, c’est-à-dire « avocat », « défenseur »,
« protecteur »), ses encouragements, son intercession et ses conseils (cette fonction
correspond également au « paraclet »).
5
Les autres emplois de « communion » (koinwni,a) dans le Nouveau Testament sont évocateurs, notamment :
Ac 2,42 (communion fraternelle) ; 1 Co 1,9 (« appelés à la communion avec son Fils ») ; « communion du Saint
Esprit » (2 Co 13,13) ou communion « dans l’ Esprit » (Ph 2,1).
6
A. Culpepper , The Johannine School, Montana, 1975.
7
Je préfère employer pour le disciple que Jésus aimait le terme d’ « initiateur » ou suivant le quatrième évangile
lui-même, le qualificatif de « témoin ».
8
Je vous recommande l’excellent petit livre de E. Cothenet, La chaîne des témoins dans l’évangile de Jean. De
Jean- Baptiste au disciple bien-aimé. Paris Cerf (Lire la Bible) 2005.
4
En conclusion du point a) : Pour désigner une même tradition qui forge les formules
catéchétiques, qui les élabore, on parlera d’ « école ». On utilisera davantage le terme de
« communauté » lorsque l’on souhaite montrer dans les textes comment le discours s’est
adapté et a évolué en fonction par exemple de crises qui marquèrent un groupe. Ce groupe ou
cette communauté a en effet toute une histoire.
b) Un groupe et son histoire : évolution du langage et donc du langage sur Dieu
Il me reste en effet à évoquer un autre ouvrage célèbre que tout un chacun devrait
avoir lu aujourd’hui pour comprendre l’élaboration des textes johanniques, de l’évangile et
des épîtres, l’ouvrage de Raymond Brown9 sur la communauté du disciple bien aimé, où il
montre comment la transmission des traditions sur Jésus et en conséquence le langage sur
Dieu a évolué en fonction de l’histoire du groupe johannique et de son développement
singulier et original, mais aussi en fonction de l’histoire de ses relations avec d’autres groupes
environnants et en particulier avec divers groupes du judaïsme10. Il est en effet essentiel de
comprendre aujourd’hui comment les écrits du Nouveau Testament, mais en particulier les
évangiles, en l’occurrence celui de Jean, s’inscrivent dans une histoire parfois conflictuelle
avec différents mouvements du judaïsme, au moment où de part et d’autres, en judaïsme
comme en christianisme, « cela bouge », cela évolue énormément en plus d’un demi siècle !
Prenons à titre d’illustration un exemple : au moment où le judaïsme redéfinit son orientation
par rapport au christianisme naissant (vers 80-90), la proclamation de Jésus Fils (unique) de
Dieu prend un tour relativement provocant. Le narrateur du quatrième évangile écrit donc
avec évidence, en Jn 5,18 : « les ‘Juifs’ n'en cherchaient que davantage à le faire périr, car non
seulement il violait le sabbat, mais encore il appelait Dieu son propre Père, se faisant ainsi
l'égal de Dieu ». D’autres formulations sur la filiation divine du Christ, par exemple lorsque
Jésus proclame qu’il est « sorti de Dieu », vont amener le débat entre le judaïsme de l’époque
et le christianisme naissant à des conflits souvent violents.
Les recherches récentes, et celle de R. E. Brown en particulier, ont bien souligné
l’importance de l’évolution du groupe johannique, une évolution manifeste lorsque l’on
examine les textes qui montrent comment se sont progressivement élaborées les catéchèses.
De quels textes s’agit-il ?
2. Les écrits johanniques (Jn ; 1, 2 et 3 Jn) et le discours sur Dieu
a) Des écrits différents mais une parenté de langage et de théo-logie : le quatrième
évangile et les épîtres où l’on trouve un même langage sur Dieu.
La lecture attentive des lettres de Jean fait ressortir à l’évidence leur parenté avec le
quatrième évangile ; on peut dire « c’est du Saint Jean » et noter comment une même tradition
est à l’origine et au développement de ces textes. Il est donc important de les lire en lien l’un
avec l’autre, c’est-à-dire de relier l’évangile de Jean aux trois épîtres johanniques, notamment
la première, et réciproquement. Différents passages s’appuient sur des traditions similaires
formulées suivant un même vocabulaire, accentuées par des thèmes identiques. On peut en
9
R.E. Brown, La communauté du disciple bien-aimé. Paris Cerf (Lectio Divina 115), 2002. Original anglais :
The Community of the Beloved Disciple. Paulist Press, 1979.
10
Il est impossible de mentionner tous les travaux parus sur le sujet. En français, et bien que cet ouvrage date
aujourd’hui aussi, je signale l’ouvrage collectif La communauté johannique et son histoire. La trajectoire de
l’évangile de Jean aux deux premiers siècles. Genève Labor et Fides (Le monde de la Bible) 1990. Ce livre
présente dives articles dont plusieurs sont rédigés par les spécialistes mentionnés ci-dessus.
5
particulier y retrouver les énoncés d’annonce de la bonne nouvelle des premiers chrétiens
johanniques, les énoncés « kèrygmatiques »11. À l’instar des recherches sur les premiers
énoncés d’annonces du ressuscité dans les lettres de Paul, on peut trouver dans les écrits
johanniques des formules de proclamation qui remontent vraisemblablement à la tradition
johannique. Nous relèverons ci-dessous certains passages dans le discours sur Dieu, puisque
c’est ce sujet qui a été retenu pour cette journée de formation.
Auparavant, il convient de présenter brièvement chacun des deux écrits johanniques
principaux, le quatrième évangile et la première épître en notant quelques éléments utiles pour
la suite de l’exposé.
b) Des écrits structurés pour « dire Dieu »
- dans le cadre narratif du quatrième évangile
- dans la démonstration de la première épître de Jean
** NB. Lors de la session du 18 février 2009, Denis Fricker a présenté les deux types de
discours sur Dieu ; il distingue un langage implicite (le cadre narratif) et un langage explicite
(des paroles ou des discours). On peut rejoindre ce qu’il a dit et la distinction que je vais
faire dans les écrits johanniques qui sont de deux types. Mais s’ils doivent être distingués, ces
deux types de langage sur Dieu doivent également être mis en lien l’un avec l’autre comme
l’a fait remarquer Denis Fricker. Il est important de ne pas privilégier unilatéralement un
pôle au détriment de l’autre. Tout l’art est dans le bon équilibre entre les deux. L’insistance
unilatérale sur le narratif conduit à se réfugier dans le « déjà vu » et n’engage plus vraiment
la découverte ; l’accentuation unilatérale sur le langage explicite conduit à se contenter de
répétitions « doctrinales », sans s’ engager véritablement dans le processus de la
confession de foi.
Dans cette partie de l’exposé, nous montrerons surtout comment chacun de ces écrits
est organisé, structuré même, en un langage sur Dieu. Dans un cas, c’est Jésus lui-même qui
parle de Dieu et le proclame par ses gestes12 et par ses discours. Dans l’autre cas, c’est
l’auteur de l’épître qui déclare avec solennité et fermeté la splendeur de Dieu et son action. Le
plan de l’évangile et le plan de l’épître témoignent de l’importance de ce langage sur Dieu.
- Le cadre narratif du quatrième évangile
Le quatrième évangile est bâti sur le même modèle que les évangiles synoptiques qui
se répartit en gros de la façon suivante : le ministère public (1 –12) est suivi de la Passion –
Résurrection (13 – 21)13. Tout au long de son ministère, Jésus révèle essentiellement aux
hommes qui est Dieu. En effet, la fin du prologue de l’évangile en Jn 1,18 décrit la mission du
Dieu Fils Unique (Monogène), entendons par là l’unique Jésus Christ. Cette mission consiste
11
Kèrygma vient du verbe kèrussô, proclamer. Nous avons l’habitude de parler des énoncés kèrygmatiques de la
littérature paulinienne : « [Dieu] l’a ressuscité », etc. Mais nous pouvons également découvrir dans les écrits de
Jean les vestiges des premières formulations kèrygmatiques de cette tradition originale.
12
** M. Deneken a souligné l’importance de considérer Jésus non seulement dans ses paroles mais aussi dans
ses gestes : des « gestes parlants ».
13
Il y aurait bien des précisions à apporter, notamment sur deux points : 1°) Le début du ministère public
commence en 1,19 : Jean fait précéder l’évangile d’un « prologue » (Jn 1,1-18). 2°) Le véritable récit de la
Passion commence en Jn 18 ; il est précédé ou il s’intègre dans un ensemble plus vaste qui commence aux
chapitres 13 – 17, chapitres généralement désignés comme « Les discours d’adieux ». En y regardant de plus
près encore, la Passion est déjà bien amorcée au chapitre 10 de l’évangile de Jean ; dans ce chapitre Jésus précise
lui-même le sens de sa passion et le rédacteur y place des éléments du procès devant le sanhédrin. En effet, le
récit de la passion johannique ne comprend pas le procès devant le sanhédrin : Jn 10 en donne quelques
éléments. Noter en particulier comment Jésus donne déjà lui-même le sens de sa passion : « je donne ma vie ... la
vie (éternelle) en abondance » (voir Jn 10,10.18) par exemple.
6
à faire connaître Dieu que personne n’a vu et à dévoiler (« faire connaître ») le Père, à faire
l’exégèse14. À la fin de son ministère public, dans les chapitres 13 – 17, Jésus enseigne à ses
disciples le « mystère15 » de Dieu : ces chapitres d’enseignement et de révélation de Dieu
s’achèvent sur une prière que Jésus adresse à Dieu qu’il désigne comme le Père saint, car, ditil, je leur ai révélé ton Nom. Autrement dit, toute la vie de Jésus de Nazareth se concentre sur
cette révélation de Dieu aux hommes, sur la manifestation de son Nom, « Père »
(** Dieu « Père » : voir le résultat des ateliers de travail de la
matinée : tous les groupes ont relevé l’importance mais aussi la
difficulté de ce terme aujourd’hui ; il serait effectivement
nécessaire pour la catéchèse actuelle d’y consacrer un temps
plus important lors d’une session).
En résumé de cette courte présentation de l’évangile de Jean, nous pouvons dire que
sous le mode narratif de l’incarnation, l’évangéliste « dit Dieu » manifesté en Jésus Christ :
les gestes et les discours de Jésus annoncent Dieu, son amour, sa grandeur, sa générosité, sa
vérité, sa vie. L’incarnation du Fils unique est une théo-logie.
- La démonstration de la première épître de Jean
Sous un autre mode (non plus le mode narratif), la première épître de Jean proclame
aussi Dieu. Cette épître est en fait une véritable démonstration qui affirme comment connaître
et être en communion avec Dieu : on en découvre d’emblée l’importance dans le prologue de
la première épître qui précède le grand développement et s’achève en 1,5 par une affirmation
solennelle « Dieu est Lumière ». Cette proclamation ouvre la démonstration pour la mener
jusqu’à une autre déclaration « Dieu est amour », lors de l’aboutissement du raisonnement au
chapitre 4.
En conclusion du point I b et des deux tirets (voir Plan) :
Chaque livret johannique, le quatrième évangile d’une part et la première épître
d’autre part, annonce Dieu dans un langage nouveau et souvent audacieux, très ancré dans le
langage que Jésus a tenu sur Dieu.
Autrement dit, et pour conclure tout le premier point on peut effectivement parler de
communauté(s) johannique(s) et d’une tradition johannique particulière qui ira se développant
selon une ligne propre. Les chrétiens johanniques ont entendu l’annonce de la Bonne
Nouvelle de la manifestation de Jésus Christ et de sa révélation inouïe sur Dieu, comme les
autres chrétiens des diverses communautés auxquelles s’adressent les écrits du Nouveau
Testament ou auxquelles ils se réfèrent. Mais ils ont reçu, « dès le départ » et non seulement
tardivement (c’est du moins mon hypothèse), l’annonce de la Bonne nouvelle sous une forme
originale et singulière. Le langage johannique sur Dieu est « particulier », singulier, ouvert,
audacieux.
Il nous faut voir comment.
14
15
Le verbe evxhge,omai signifie littéralement « faire l’exégèse », « interpréter », « donner la signification ».
** Deux groupes dans les ateliers du matin de la session ont insisté sur ce « mystère », sur le « Tout Autre ».
7
II Le « quand nous disons Dieu » des chrétiens johanniques (kèrygme johannique dans
les textes )
« La question fondamentale du quatrième évangile est la question de Dieu, non pas de savoir si Dieu
existe, mais qui est Dieu et comment Dieu se révèle lui-même ...quel est ce Dieu qui est révélé et
comment Dieu est révélé » (D. Moody Smith)
1. Dieu « le » Père
a) « Mon » Père
Il nous faut commencer par renvoyer à la manière dont le Jésus de Jean désigne le plus
souvent Dieu. Il le mentionne comme « Père » (statistiquement, plus d’une centaine de fois).
Mais Jésus n’est pas le premier à employer le nom de « Père » pour parler de Dieu. Les
traditions anciennes de l’Ancien Testament, de la littérature intertestamentaire (Livre des
Jubilés, de Qumrân), etc. présentent Dieu comme « Père » au sens où il est la source, l’origine
de toutes choses, il est le Père créateur et le Dieu Père qui éduque son peuple. Il nous faudrait
davantage de temps pour étudier ce point16.
Mais lorsque Jésus de Nazareth évoque « son » Père il tient un langage unique sur
« sa » proximité de « fils » par rapport à Dieu. Certes chaque croyant peut être qualifié de
« fils » : les écrits de Saint Paul par exemple utilisent fréquemment cette dénomination.
Toutefois Jésus a vraisemblablement voulu valoriser sa relation personnelle à Dieu, à
son dessein, en s’adressant à Dieu comme au « Père » et en se comportant comme Fils de
manière unique, « le Fils unique ». En fidélité à cette particularité, l’évangile de Jean réserve à
Jésus seul le qualificatif de « Fils unique de Dieu ». Le vocable « fils » chez Jean n’est pas
attribué au croyant (contrairement à Paul) ; seul Jésus le porte et le revendique avec une
singularité exceptionnelle. Les croyants sont des « enfants de Dieu » : Jean distingue ainsi les
« enfants » (les croyants, les fidèles, les membres de la communauté) du seul « Fils », Jésus.
Comparer Jn 1,12 et Jn 1,14.18. C’est donc avec une intensité particulière que Jésus « le Fils »
unique, désigne Dieu non seulement comme « le » Père, créateur et source de tout, mais
comme « son » Père.
Jésus affirme avec insistance sa place privilégiée de Fils par rapport à Dieu « son »
Père. Ainsi dans l’exemple des vendeurs chassés du temple, texte retenu par les différents
évangiles, le récit johannique se distingue précisément par cette parole de Jésus aux
marchands de colombes : « .... ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic».
Ce récit et donc cette parole de Jésus se situe dans Jean au début de l’évangile (contrairement
aux synoptiques qui le placent avant la passion) ; c’est dire comment d’emblée et en lien avec
ce qui a été annoncé par le prologue (Jn 1,18), Jésus révèle le Père. Il en fait le coeur de sa
mission.
De nombreux passages montrent Jésus en train de parler de son Père : « mon » père ;
en voici quelques exemples : Jn 2,16 ; 5,17.43 ; 6,32.40 ; 8,49.54 ;10,18.25.29.37 ;
14,2.7.20.21.23 ; 15,1.8.10.15.23.24 ; 20,17. Dans la plupart de ces passages, Jésus évoque
son Père devant d’autres personnes : les Juifs, ceux qui contestent son action, ou ses disciples
..., mais ces paroles attestent toutes d’une relation de dialogue et d’écoute du Fils au Père.
Dieu son Père est son référent dans ce qu’il fait, dans ce qu’il dit : « comme le Père ainsi le
Fils », « ce que j’ai entendu de mon Père je vous le dis », etc. Un référent qui laisse le Fils
s’exprimer librement, agir librement17, avec responsabilité ; une relation de dialogue et de
16
Pour ceux qui connaissent l’anglais, je recommande volontiers l’ouvrage de Marianne Meye Thompson, The
God of the Gospel of John, Grand Rapids Michigan, Cambridge 2001, notamment aux pages 57-100, « The
Living Father ».
17
** élément souligné également par l’un des groupes de travail de la matinée.
8
confiance. Et c’est vraisemblablement vers cette relation à un Dieu auquel on se réfère comme
à un Père que Jésus conduit les croyants.
Ce faisant et c’est une dimension importante que l’on ne doit pas négliger, Jésus parle
de Dieu son Père en se présentant comme le Fils. L’un ne va pas sans l’autre.
b) « Vers mon Père et votre Père » (Jn 20,17)
Toutefois, répétons-le, cette dimension particulière de la relation du Fils unique à Dieu
« son » Père n’empêche pas, au contraire, l’introduction des disciples vers une relation à Dieu
le Père et c’est Jésus précisément qui invite à découvrir la nouveauté de la relation à Dieu
« son » Père.
Lorsque Jésus dit à Marie de Magdala en Jn 20,17 : « Ne me retiens pas ! car je ne suis
pas encore monté vers mon Père. Pour toi, va trouver mes frères et dis-leur que je monte vers mon
Père qui est votre Père, vers mon Dieu qui est votre Dieu »
ou
lorsque Jésus glorifié s’adresse à son Père en Jn 17 il entend faire entrer les disciples
dans ce nouveau type de relation . Voir Jn 17,11 par exemple : « ... tandis que moi je vais à toi.
Père saint, garde-les en ton nom que tu m'as donné, pour qu'ils soient un comme nous sommes un ».
En conclusion du point II. 1
Jésus a accompli sa mission de révéler le Père : comparer le prologue en Jn 1,18 et la
prière de Jn 17 où Jésus dit qu’il a parfaitement accompli ce pourquoi il a été ‘envoyé’. Dans
ce mot d’ « envoyé » nous pouvons noter une deuxième caractéristique du langage sur Dieu
dans les écrits johanniques.
2. Dieu (ou le Père) « celui qui envoie » (Jn 3,16-17 et 1 Jn 4,9-10.14)
a) « Celui qui m’a envoyé »
Dans l’évangile de Jean, Jésus mentionne très souvent, Dieu ou le Père comme « celui
qui m’a envoyé ». Sans entrer dans les détails techniques ici, signalons simplement que deux
verbes grecs apostellô et pempô sont employés, mais ils se traduisent indifféremment par
« envoyer » en français. La tournure spécifique « celui qui m’a envoyé » est toutefois
construite sur le verbe pempô.
Voir quelques exemples en : 4,34 5,23 5,24 5,30 5,37 6,36 6,39 6,44 etc.
Jésus évoque « la gloire de celui qui l’a envoyé », il annonce qu’« il va vers celui qui
l’a envoyé », il désigne le Père comme « le-Père-qui-m’a-envoyé » (5,37), etc. C’est
quasiment un titre que Jésus donne à Dieu, l’ « envoyant ». L’expression grecque emploie la
tournure participiale, tournure qui insiste sur l’acte, sur le geste de Dieu, l’oeuvre et le projet
de Dieu. Jésus s’inscrit dans le dessein de Dieu pour accomplir son oeuvre, « faire sa
volonté » ; à titre indicatif, mentionnons Jn 5,30 : « Je ne cherche pas ma propre volonté, mais la
volonté de celui qui m'a envoyé » [pempô]. On trouve la même idée en Jn 6,38, avec l’autre verbe
[apostellô] .
9
Il y aurait beaucoup à dire sur ce Dieu qui envoie et sur sa valorisation dans Jean à
partir des traditions sapientielles (la Sagesse envoyé) ou juridiques18 qui soulignent les pleins
pouvoirs de celui qui est envoyé selon l’adage (« un homme envoyé est comme celui qui
l’envoie »). Jésus en effet y insiste beaucoup : comme envoyé il reçoit les mêmes honneurs
que celui qui l’envoie et « écouter la parole de Celui qui est envoyé », c’est croire « en celui
qui l’a envoyé » (5,23-24). Nous ne pouvons développer tous ces aspects. Nous retenons
simplement aujourd’hui un aspect, peu mentionné habituellement, et qui pourtant paraît
important pour les perspectives pastorales (Point III).
b) La magnificence du geste d’envoi et la grandeur de Dieu
Lorsqu’il évoque l’envoi de Dieu ou du Père, Jésus entend souligner l’immensité de
l’amour de Dieu, de son projet d’amour : l’agapè. Il en marque la grandeur. Il le contemple et
invite les disciples à le contempler pour entrer dans ce projet. Nous trouvons un exemple
majeur de cette insistance sur l’envoi par amour dans l’évangile de Jean comme dans la
première épître.
* Dans l’évangile, au cours du dialogue avec Nicodème, Jésus énonce lui-même la
bonne nouvelle, le kèrygme ; il parle de Dieu qui envoie et commence justement par une
forme de louange : « Dieu a tant aimé le monde ! ». Voici à quel point Dieu a aimé le monde !
On pourrait presque s’arrêter là et commenter cette annonce, cette proclamation de l’évangile.
La suite du texte nous donne en effet comme une formule de kèrygme en trois étapes :
« Dieu a tant aimé le monde / qu’il a envoyé son Fils (unique) / pour que le monde soit
sauvé » ; c’est un condensé d’évangile. Je désigne cela comme un « kèrygme » que les
chrétiens johanniques ont vraisemblablement utilisé dans leur proclamation de la Bonne
Nouvelle.
* Preuve en est dans la première épître de Jean où nous retrouvons cette même
formulation sous la plume de l’auteur de l’épître en 1 Jn 4, 9 en trois temps aussi : « Voici
comment s'est manifesté l'amour de Dieu au milieu de nous /: Dieu a envoyé son Fils unique
dans le monde/, afin que nous vivions par lui ». Bien que de manière différente, la même
forme de louange et d’exclamation introduit la bonne nouvelle « voici comment s’est
manifesté l’amour ! ».
« Dieu a tant aimé le monde ! » Je ne puis m’empêcher ici de faire une petite référence
à Heinrich Schütz dans les Musikalische Exequien le motet intitulé « Also Gott hat die Welt
geliebt .... », paroles de Jésus à Nicodème que Schütz place en admiration à la suite du
cantique de Syméon, en conclusion du Nunc dimittis : il invite à contempler la splendeur du
« ainsi Dieu a aimé », de cette manière, avec un tel brio, avec largesse.
* On trouve un autre exemple de ce type de formulation, en 1 Jn 3,1 : « Voyez de quel
grand amour le Père nous a fait don, que nous soyons appelés enfants de Dieu ; et nous le
sommes! ». Sans mentionner de manière explicite la formule d’envoi, le passage affirme
l’incommensurable amour de Dieu ;
Témoins émerveillés de l’amour de Dieu manifesté en Jésus Christ, les premiers
chrétiens johanniques ont tenu un langage sur Dieu original : ils ont cherché à en célébrer la
18
Pierre Létourneau, Jésus Fils de l’homme et Fils de Dieu. Paris Cerf Montréal Bellarmin, 1993, surtout aux
pages 233-255 ; page 139 : « la notion de représentation repose sur le principe d’égalité juridique qui fonde la
relation d’identité entre l’envoyeur et l’envoyé : ‘ l’envoyé d’un homme est comme lui-même’ (tradition
rabbinique).
10
grandeur et à déclarer l’immensité de son amour. Les chrétiens johanniques invitent à
découvrir Dieu dans l’agapè, car, – je cite la première épître de Jean – « qui n’aime pas n’a
pas découvert Dieu ! » (1 Jn 4,8), et, encore, – toujours dans la première épître de Jean –
« Voilà pourquoi le monde ne peut pas nous connaître: il n'a pas découvert Dieu » (1 Jn 3,1).
Dire Dieu, c’est apprendre pour soi-même et apprendre aux autres à découvrir Dieu
qui se manifeste dans l’agapè.
3. « Dieu est amour (agapè) » (1 Jn 4,7-21 : voir 4,8.16)
Nous pouvons à présent concentrer notre attention sur 1 Jn 4 aux versets 7-21. Voici
quelques lignes de réflexion à relire chez soi en ayant le texte sous les yeux. Ce chapitre 4 est
l’avant dernier chapitre de l’écrit ; l’auteur aboutit à une déclaration qui mobilise toute la
démonstration de l’épître.
L’épître a commencé par une première déclaration sur Dieu. « Dieu est Lumière »,
avec une invitation à marcher dans cette lumière (« marcher » indique la conduite, le
comportement). Dès ce point de départ, l’auteur associe le motif de la lumière à celui du
commandement de l’agapè (voir 2,3-10). Marcher dans la lumière, en Dieu, revient à
respecter le commandement de l’amour les uns pour les autres. Remarquons la structure
particulière de 1 Jn 1,7 : « Si nous marchons dans la lumière comme lui-même est dans la
lumière .... ». Il est intéressant, et cela mérite d’être relevé, de voir comment l’auteur complète
la proposition conditionnelle. Il ne dit pas « alors nous sommes en communion avec Dieu »,
mais « alors nous sommes en communion les uns avec les autres » !
« Si nous marchons dans la lumière comme lui-même est dans la lumière nous
sommes en communion les uns avec les autres »
Peu après ce passage, mais encore dans le début de l’épître, l’auteur reprend cette
affirmation en 1 Jn 2, 6 : « Celui qui prétend demeurer en lui, il faut qu'il marche lui-même
[le Christ] dans la voie où lui a marché », c’est-à-dire, commente St Augustin19, « dans la voie
de la charité, de l’agapè ».
La raison de cette injonction au commandement d’amour du début de l’épître est
donnée sans hésitation au chapitre 4. Nous avons là, en un tour de phrase, un « dire » sur Dieu
des plus brefs et des plus condensés : « Dieu est amour ». On trouve la déclaration en 1 Jn 4,8
d’abord ; elle revient encore un peu plus loin, dans le même chapitre, en 4,16. La formulation
avec le verbe « être » (« Dieu est amour ») peut donner l’impression d’une « définition » de
Dieu : Dieu ‘est’ ceci ou cela. Mais la lecture de l’ensemble du contexte montre que nous ne
sommes pas dans un discours de type philosophique qui chercherait à définir Dieu en son être,
ou du moins pas seulement en son être. Tout est mis en oeuvre pour préciser l’agir de Dieu
par sa manifestation dans le Fils qui a été envoyé (4,9-10)20.
Nous rejoignons ici ce qui a été rappelé ci-dessus. Dans le langage sur Dieu de ces
passages, Dieu est un Dieu qui donne avec largesse, avec générosité, sans mesure. On se
retrouve un peu comme l’homme du désert devant la cascade d’eau et qui s’exclame : comme
il doit être riche ton Dieu ! (St Exupéry) ; il vient vers les hommes avec cette générosité là, à
19
Le commentaire de St Augustin sur la première épître de Jean est tout simplement une merveille ! Les Études
augustiniennes viennent d’en publier une nouvelle traduction.
20
J’ai montré cela dans le commentaire des épîtres de Jean auquel Denis Fricker a fait référence : M. Morgen,
Les épîtres de Jean (CbiNT), Paris Cerf 2005. Vous trouverez aussi des éléments semblables dans un autre
commentaire des épîtres, moins technique et plus ancien que le précédent : M. Morgen, Les épîtres de Jean,
Cahiers Évangile N° 62, Paris Cerf 1987.
11
profusion, gracieusement, avec grâce, « abondance de grâce ». Comme le disait un de mes
professeurs pour expliquer ce qu’est la grâce (charis), « la grâce c’est le chic de Dieu » ; à la
suite de ce maître, nous pouvons dire de l’agapè : c’est le chic de Dieu ! Cette agapè le
caractérise de manière unique, dans une bonté d’une largesse exceptionnelle.
D’autres présentations de Dieu de type « Dieu est ... » devraient être prises en compte
dans le quatrième évangile (« Dieu est Esprit » ; « un Dieu qui donne l’Esprit sans mesure » :
Jn 3,34 ) comme dans la première épître (texte déjà évoqué : « Dieu est Lumière »). Ces
déclarations sur Dieu ne sont pas sans conséquence sur le croyant ou sur la communauté qui
les proclament. Le Dieu que je déclare, que je confesse, le langage sur Dieu que je tiens, et/ou
que nous tenons communautairement, ecclésialement, ce langage oriente fondamentalement et
comme une référence constante l’action du croyant.
Avant de passer au troisième point qui nous fera précisément reprendre ces éléments
du discours sur Dieu pour leur application à la catéchèse d’aujourd’hui, il convient de noter
encore un paragraphe sur certaines expressions qui attribuent au Fils, et de manière très nette,
le nom Dieu (theos).
Comment affirmer Dieu Fils unique dans la reconnaissance du Dieu unique ?
4. « Dieu le Fils unique » (Jn 1,18) christo-logie et théo-logie
Plus que les autres évangiles le quatrième porte effectivement l’insistance sur la
divinité du Fils. On pourrait retenir plusieurs expressions. Notons en particulier le langage de
Jésus au cours de ses discussions avec les Juifs à propos de son origine, par exemple aux
chapitres 7-8 puis 10. Citons par exemple :
- au chapitre 7 : Jésus proclame dans le temple (rien que ça !) :
28
..., je ne suis pas
venu de moi-même. Celui qui m'a envoyé est véridique, lui que vous ne connaissez pas. 29 Moi, je le
connais parce que je viens d'auprès de lui et qu'il m'a envoyé.»
Les Juifs ne s’y trompent pas ; la prétention de Jésus à la divinité est claire, puisque au
verset 30 le narrateur poursuit : « Ils cherchèrent alors à l'arrêter, mais personne ne mit la main sur
lui parce que son heure n'était pas encore venue ».
- en Jn 8,16 : « mon jugement est conforme à la vérité parce que je ne suis pas seul: il y a
aussi celui qui m'a envoyé ».
- À deux reprises en 8,24.28 et en 8,58, Jésus emploie, en parlant de lui-même,
l’expression « Je suis », expression qui renvoie à la présentation de Dieu, à son Nom, dans
l’Exode. À nouveau les Juifs ne s’y trompent pas et veulent le lapider. Les affirmations se
font de plus en plus nettes : « je ne suis pas seul », mais « avec le Père » ; « lorsque vous
connaîtrez que Je Suis et que je ne fais rien de moi-même: je dis ce que le Père m'a enseigné...
Celui qui m'a envoyé est avec moi : il ne m'a pas laissé seul, parce que je fais toujours ce qui
lui plaît », etc.
Jusqu’au chapitre 10, Jésus devient de plus en plus explicite non seulement sur sa
relation à Dieu, au Père, (« je ne suis pas seul »), mais sur leur « communion »21 qui implique
précisément que Jésus étant à ce point uni au Père, en communion avec le Père, qu’il ne peut
dire que « Je suis » , ou qu’il ne fait rien de lui-même mais ce qu’il voit faire au Père. Il se
prend pour Dieu ; d’ailleurs les Juifs lui demandent (8,53) : « Pour qui te prends-tu donc ? »
21
Plusieurs groupes de travail dans la matinée ont insisté sur l’ « unité » en Dieu.
12
N’insistons pas davantage. Jésus, dans Jean, revendique et affirme haut et fort sa
divinité.
Les premiers chrétiens ont sans doute eu beaucoup de difficultés à dire et à reconnaître
Jésus comme « Fils unique de Dieu », « Dieu » (Theos monogenès) comme le note la finale du
Prologue : « le Dieu Fils unique dans le sein du Père ». Mais l’affirmation de la divinité du
Christ ne détruit pas l’affirmation monothéiste. On peut dire qu’au contraire elle la renforce.
Les passages johanniques en témoignent : évoquer le Fils et son action divine ne peut se faire
que dans la mouvance de la foi au Père qui l’a envoyé.
Un des passages les plus significatifs de ce point de vue reste le discours sur l’oeuvre
du Fils au chapitre 5, à la suite de la guérison d’un infirme. Jésus se fait théo-logien dans ce
discours où mieux que tout autre il « dit » Dieu. Il commente le geste de guérison et de salut
qu’il vient d’accomplir : comme le Père, « il fait vivre (zoôpoiein) »22 ; c’est un geste de
résurrection (5,21). Pour en donner le sens, Jésus se réfère à l’oeuvre du Père et commence
par une image qui renvoie à une expérience commune (« comme un père montre à son fils ce
qu’il fait, ainsi le Père pour le Fils »). Le sens de cette image se développe (voir Jn 8) et Jésus
y dit sa liberté d’action divine tout en maintenant sa dépendance au Père, je dirais sa
dépendance voulue. Jésus explique donc le geste qu’il vient de faire et lui donne sens. Il tient
un discours sur Dieu, ce Dieu qui « fait vivre ».
** Nous avons là, comme le soulignait D. Fricker (voir ci-dessus), le rapport entre
l’explicite et l’implicite : Jésus donne le sens du récit. Même procédé en Jn 6 : dans le
discours sur le pain de vie, Jésus donne le sens du récit de la nourriture de la foule nombreuse
et donc du geste qu’il vient d’accomplir.
En conclusion de ce point de l’exposé, nous voudrions insister une fois encore sur
l’importance dans l’évangile de Jean de la christologie et de la théologie. Jean les distingue,
mais il ne les sépare pas. Les premiers chrétiens sauront traduire cela dans leurs hymnes
liturgiques. Le prologue – chant d’allure poétique et liturgique comme une ouverture musicale
à l’évangile – célèbre le Verbe qui était au commencement auprès de Dieu, qui était Dieu (Jn
1,1) et le reprend avec d’autres dénominations en finale du même prologue : Jn 1,18 nomme
le Logos « Jésus Christ », le Fils unique ; ce verset 18 nomme également Dieu (v.1) « le
Père ». Le passage des premiers versets du prologue (sur le Logos et Dieu) à la confession de
foi par le groupe johannique dans les versets 14-18 est remarquable.
Comme l’a fait remarquer C.K. Barrett « Peu d’écrivains sont plus christocentriques
que Jean, mais sa véritable ‘christocentricité’ est théocentrique ».
III Aux catéchètes d’aujourd’hui
Dans ce qui précède nous avons somme toute déjà abordé les aspects principaux de ce
troisième point. Nous nous contentons simplement de reprendre, sous une autre forme,
l’essentiel des éléments pris en compte dans cet exposé sur le langage sur Dieu dans le
johannisme.
Pour faire simple nous avons choisi un thème fondamental dans la catéchèse
johannique qui articule aussi bien l’évangile que la première épître de Jean et qui paraît
toujours d’une grande actualité dans la catéchèse d’aujourd’hui. Le premier paragraphe
22
Ce verbe caractérise l’action divine dans Jean, celle du Père du Fils (Jn 5,21 : « Comme le Père, en effet,
relève les morts et les fait vivre, le Fils lui aussi fait vivre qui il veut »), mais aussi celle de l’Esprit (6,63).
13
s’intitule donc « Quand on parle de Dieu, du Dieu que l’on ne voit pas ... ». Nous verrons cet
aspect du langage sur Dieu dans l’évangile, puis dans la première épître.
1. Catéchèse johannique : « Quand on parle de Dieu, du Dieu que l’on ne voit pas ... »
a) Dans l’évangile : la théologie de l’incarnation en lien avec la Gloire
Avant que ne commence le récit sur Jésus en Jn 1,19, le prologue de Jean affirme
« Dieu personne ne l’a vu , jamais23 ». Après cette affirmation quelque peu abrupte, la suite
ouvre l’évangile pour dire « Le Fils unique qui est dans le sein du Père [l’]a dévoilé » et
l’évangéliste offre alors un récit sur l’action et les paroles de Jésus.
Le genre littéraire du récit est ici important. Il nous montre « à voir » Jésus à l’oeuvre
dans sa vie. Pour ce faire l’évangéliste a retenu de la tradition reçue quelques éléments,
quelques « signes » (pas tous nous dit-il, sinon le monde entier n’y suffirait pas) et quelques
paroles organisées en discours. Les signes invitent à contempler la splendeur divine dans les
gestes de Jésus, à voir comment Jésus accomplit le dessein de Dieu. Un petit mot johannique
dit cela très bien : le mot gloire. Ainsi à la fin des Noces de Cana, le narrateur précise que
Jésus « manifesta sa gloire » par ce signe et que « les disciples crurent en lui ». Tel est
effectivement le but de l’évangile de Jean : manifester la gloire de Jésus de Nazareth, Fils de
Dieu : ce Jésus de l’histoire est le Fils de Dieu ! Il dit Dieu et les croyants disciples sont
appelés à y reconnaître la gloire divine, c’est-à-dire à « croire ». « Voir » et « contempler »
sont synonymes de « croire » dans Jean.
Le prologue annonce bien ce fonctionnement de l’évangile par une confession de foi
de la communauté johannique « nous avons vu sa gloire » (Jn 1,14). Le récit sur Jésus de
Nazareth dont l’évangéliste entreprend de proclamer quelques signes et de rappeler certaines
paroles est destiné à faire progresser les croyants : « ces signes ont été écrits pour que vous
croyiez que Jésus est le Fils de Dieu » note l’évangéliste dans sa conclusion (Jn 20,30-31), et
pour que « en croyant vous ayez la vie en son nom ».
Par le récit de l’évangile, Jean élabore une théologie de l’incarnation. La venue dans la
chair du Fils de Dieu manifeste la Gloire. Comme le dit encore le prologue, la gloire du Fils
unique de la part du Père (venant du Père). Le récit sur Jésus atteste de la gloire de Dieu. Jésus
lui-même s’en explique dans ses discours : il commente ses propres gestes pour y faire
découvrir Dieu. Rappelons encore ce qui a été dit ci-dessus, le discours qui suit le récit du
miracle des pains commente le geste que Jésus vient de faire, afin que les générations de
croyants et de catéchètes proclament l’évangile en annonçant « le Pain de Dieu ». Le discours
qui suit la guérison de l’infirme commente le geste que Jésus vient de faire, afin que les
générations de croyants et de catéchètes proclament l’évangile en annonçant que Dieu « fait
vivre », que Dieu ne se laisse pas emprisonner par la Loi, qu’il ne laisse surtout pas les
hommes parler de Dieu en s’emprisonnant les uns les autres par la Loi, quand bien même ce
fut celle du sabbat !
23
** En réponse à une question qui a été posée sur le fait que certains passages de l’AT disent que Moïse a vu
Dieu. C’est exact ; il faudrait relever des passages importants dans l’AT où l’on dit que Moïse a « vu » Dieu
mais aussi d’autres textes qui montrent que cette vision est impossible, car nul ne peut voir Dieu sans mourir. Il y
a de fait toute une richesse de la tradition ancienne sur cette possibilité ou au contraire impossibilité de voir
Dieu. Tout ceci pour dire que ce « voir » Dieu est particulier et doit s’entendre d’une certaine façon. Dans le
prologue de l’évangile de Jean, cette affirmation vient précisément après la mention de Moïse !
14
L’évangile de Jean est ainsi une proclamation de Dieu manifesté en Jésus Christ.
« Dieu personne ne l’a jamais vu », certes ; mais il se donne à voir dans la contemplation du
Fils unique, dans son incarnation.
1 Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos
yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie 2 – car la vie
s’est manifestée, et nous avons vu et nous rendons témoignage et nous vous annonçons la vie
éternelle, qui était tournée vers le Père et s’est manifestée à nous - , 3 ce que nous avons vu
et entendu, nous vous l’annonçons, à vous aussi, afin que vous aussi vous soyez en
communion avec nous. Et notre communion est communion avec le Père et avec son Fils
Jésus Christ. (1 Jn 1,1-3)
b) Dans la première épître : la ‘communion’ (koinônia) avec Dieu
La première épître de Jean au chapitre 4 qui a déjà largement retenu notre attention24
l’auteur affirme également « Dieu personne ne l’a jamais vu » en trois étapes :
- en 1 Jn 4,12 : « Dieu, nul ne l'a jamais contemplé. Si nous nous aimons les uns les autres,
Dieu demeure en nous, et son amour, en nous, est accompli ».
- puis en 1 Jn 4,20 : « Si quelqu'un dit: ’J'aime Dieu’, et qu'il haïsse son frère, c'est un
menteur. En effet, celui qui n'aime pas son frère, qu'il voit, ne peut pas aimer Dieu, qu'il ne
voit pas ».
- Avec une conclusion inéluctable en 1 Jn 4,21 : « Et voici le commandement que nous
tenons de lui: celui qui aime Dieu, qu'il aime aussi son frère ».
Dans la première épître aussi, on affirme que « personne n’a jamais vu Dieu ». Mais,
alors que l’évangile renvoie à la contemplation de Jésus de Nazareth manifestant sa gloire,
l’auteur de l’épître renvoie à l’amour du frère, et ce, très concrètement : « le frère qu’il voit ».
Remarque : Il est intéressant de constater que le mot « communion » ( en grec :
koinwni,a) n’intervient qu’ici dans le prologue de l’épître. Mais il désigne le propos de la suite
et sera à la base de la démonstration de toute l’épître : comment entrer en communion avec
Dieu ? Nous avons indiqué ci-dessus la réponse inattendue : en étant en communion les uns
avec les autres ! La formulation est radicale ainsi que nous l’avons constaté en 1 Jn 1,6-7 :
6
Si nous disons: « Nous sommes en communion avec lui », tout en marchant dans les ténèbres, nous
mentons et nous ne faisons pas la vérité. 7 Mais si nous marchons dans la lumière comme lui-même
est dans la lumière, nous sommes en communion les uns avec les autres.
2. Implications pastorales (« aujourd’hui »)
a) Dieu Père Fils Esprit Saint : en lien avec la foi pascale (Jn 13 – 17)
Les discours d’adieux (Jn 13 – 17) sont composés d’un long enseignement de Jésus en
plusieurs discours successifs adressés aux disciples ; il s’achèvent par la prière de Jésus
adressée à son Père. Ces discours se calquent sur le genre littéraire d’un discours d’adieux ,
genre littéraire connu dans la littérature antique ; un personnage âgé ou sur le point de mourir
24
Michel Deneken y a fait référence. C’est plus qu’une simple coïncidence.
15
fait venir les siens pour leur confier la transmission de l’héritage, concret, mais aussi spirituel.
Il leur transmet en particulier de vivre la vertu qu’il s’est efforcée de pratiquer durant sa vie.
Le quatrième évangile suit ce modèle : Jésus réunit les siens pour leur recommander la
pratique de l’agapè. Mais dans Jean ce discours est plutôt un discours sur l’à-venir des
disciples. Jésus rassemble la communauté ; c’est le ressuscité, le Christ glorifié qui parle : il
s’adresse à ses disciples pour leur dire quel est désormais le Dieu qu’il convient de confesser.
Jésus lui-même donne un enseignement sur le Dieu « chrétien » : c’est le Dieu Père Fils et
Esprit Saint.
- En regardant comment Jésus parle de son Père (« mon Père ») nous avons noté que le
Père est le « référent » constant du Fils. Ce langage sur Dieu est-il assez présent dans le
discours sur Dieu des chrétiens d’aujourd’hui. On peut reprendre les termes utilisés ci-dessus :
ce Dieu Père ne laisse pas l’homme incapable de liberté ; il attend au contraire de l’homme
cette réaction de liberté qui met en oeuvre une action guidée par la relation de confiance, de
prière, d’ échange. La prière alors consiste à se mettre sous le regard de Dieu Père, pour
s’inspirer de son projet d’amour, à placer sous son regard la mission accomplie ; le modèle de
cette prière est donné par Jésus en Jn 17.
- Dans son long enseignement aux disciples Jésus parle de Dieu, du Dieu des
chrétiens. La communauté johannique a longuement réfléchi à l’absence de Jésus, à son
départ vers le Père et donc à la manière de gérer cette absence et cette singulière « présence ».
- Enfin Jésus annonce dans ce discours sur le Dieu des chrétiens la venue de l’Esprit
(Paraclet).
Quand Jésus annonce le Dieu des chrétiens il ne prononce pas un « dogme » trinitaire
(cela viendra plus tard), mais nous avons déjà là la Trinité (elle est « à la porte » comme le
disait un commentateur !) Ce langage est aussi un langage pascal25. Le discours sur Dieu est
marqué par la nouveauté de Pâque. C’est après sa glorification, nous dit Jean, que les disciples
comprirent le langage sur l’Esprit de Dieu (Jn 7,39).
Du point de vue pastoral, il me paraît important de bien tenir ensemble cette double
dimension d’un discours sur Dieu trinitaire et marqué par Pâque : le geste du signe de croix
(la croix pascale, symbole de vie et non de mort) que nous traçons sur nous en
l’accompagnant de « au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit ».
b) Louange de Dieu : reconnaître et faire reconnaître ses traces, son Nom
Par ailleurs, toujours dans la perspective de faire ressortir la louange, et à la suite de ce
que nous venons de lire dans les textes johanniques, il conviendrait d’avoir un langage sur
Dieu plus poétique26. L’évangile de Jean parle de Dieu en multipliant les images, les
métaphores, les symboles de la vie, de la lumière, du pain, etc. Les chrétiens johanniques ont
osé sortir des sentiers battus pour dire Dieu : ils ont trouvé un langage nouveau27, avec une
certaine audace parfois, en puisant aussi à différentes sources (dans l’Ancien Testament mais
aussi dans le contexte philosophique et dans d’autres courants religieux de l’époque. Les
images employées ont la force du symbole28. Les catéchètes ne me contrediront pas, les
hommes d’aujourd’hui sont sensibles à ce langage poétique sur Dieu.
25
François Wernert a rappelé l’importance de ce lien entre la théologie trinitaire et la christologie. Il faut aussi
mettre l’accent sur le caractère pascal.
26
En ce sens nous avons pu apprécié les recherches en atelier, notamment dans les formulations du premier
atelier.
27
Christine Aulenbacher a noté l’importance de la réflexion sur les images et les représentations de Dieu.
28
C’est ici encore et dans la référence à la liturgie un point où je rejoins ce qu’a dit François Wernert.
16
Peut-être alors faut-il apprendre davantage encore à parler de Dieu et à Dieu par la
poésie et par la beauté ; il nous revient de donner accès à la beauté liturgique à un public plus
large encore.
Nous pouvons relier cela à un autre aspect qui aurait pu être développé si nous avions
eu plus de temps, mais qu’il est urgent de retenir à l’heure actuelle. La louange au Dieu
créateur s’exprime dans le respect de la création (création ex nihilo et création continuée).
Nous avons aujourd’hui l’intérêt et la chance de dialoguer avec d’autres discours religieux :
« la création n’est pas un acte isolé de Dieu dans le passé ». Elle doit se renouveler
constamment et nous avons notre rôle à jouer, dans la référence au créateur. Nous pouvons
nous référer aux traditions juives ou au Coran (la sourate 27, verset 64 : « N’est ce pas Lui qui
donne un commencement à la création et qui, ensuite, la renouvellera.... » Voir l’article de la
Croix du 10 février 2009 (sur la création du monde dans les autres confessions monothéistes).
Enfin, parler de Dieu c’est savoir et oser dire Dieu en nouveauté car Dieu est l’inouï,
celui qui sans cesse advient. Pour commenter cela, nous pouvons nous inspirer de l’auteur de
l’épître en paraphrasant ce qu’il dit à propos du commandement d’amour qui est à la fois
ancien (ancré dans le commencement) et nouveau, sans cesse nouveau. Le « dire Dieu » n’est
pas nouveau : il est ancien au sens où il s’appuie sur ce qui est reçu, sur la tradition. C’est
pourtant un langage « nouveau » : nouveau, parce que il est « fidèle » et que la fidélité n’est
pas répétition maladivement fixiste. Elle est fidélité de route, inventive, sous l’action de
l’Esprit qui sans cesse creuse en nous la fidélité à la parole reçue et lui donne forme, « vie ».
En Église sachons trouver ces chemins de fidélité à la tradition sans cesse renouvelée.
c) Insistance sur la priorité de l’agapè
Nous le rappelons ci-dessus : l’agapè c’est le chic de Dieu. C’est à ce chic, à ce geste
de grâce (charis et agapè sont quasi synonymes) que Jésus nous invite à entrer, comme il y
est lui-même entré, comme il l’a fait advenir (« la grâce et la vérité sont advenues par JC ») ; à
ce signe d’agapè dit Jésus (à cette conduite, à vos gestes, à votre action) « on vous reconnaîtra
pour mes disciples ».
Jésus a fait de ce motif de l’agapè son maître mot. L’évangile de Jean le répète ; les
évangiles synoptiques ne cessent de le montrer aussi dans la priorité accordée aux petits, aux
pauvres, aux exclus, aux lépreux, aux pécheurs. Cette priorité c’est la priorité de Dieu. C’est
la priorité des petits, celle qui implique d’être « pris aux entrailles » par le frère dans le
besoin, comme Dieu est pris aux entrailles, comme un père, comme une mère. Cela peut aller
loin pour nous déloger de nos certitudes, de nos habitudes.
L’incarnation nous ‘oblige’ à la priorité de l’agapè, par le « commandement » : nous
‘devons’ nous aimer les uns les autres. L’insistance sur la priorité de l’agapè est aujourd’hui
certainement un rappel d’urgence dans le quotidien, dans nos structures ecclésiales
(importance de la diaconie par exemple), dans la liturgie (le lieu où notre quotidien est placé
devant Dieu pour que nous y retournions ensuite dans la mission , dans la catéchèse.
La priorité de l’agapè doit donc avoir une place de choix dans nos réflexions sur le
« comment dire Dieu aujourd’hui ».
17
Pour finir je termine avec cette belle phrase du prieur du Monastère de l’Atlas,
Christian de Chergé :
Et le Verbe s’est fait FRÈRE
« Dieu a tant aimé les hommes
qu’Il leur a donné son Unique :
et le Verbe s’est fait FRÈRE…
frère de Pierre, de Judas et de l’un et l’autre en moi ! »
C. Salenson, Christian de Chergé, Une théologie de l’espérance .
Paris Bayard, 2008.
________________________
MERCI à tous pour votre participation mais aussi pour votre travail dans la communauté-Église,
puisque vous êtes en première ligne pour apprendre (aux autres) à « dire Dieu ».
Michèle Morgen, Strasbourg 18 février 2009
18
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