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Quand nous disons Dieu : les premiers chrétiens johanniques aux catéchètes
d’aujourd’hui
Présentation des données à partir du quatrième évangile et des épîtres de Jean
Conférence donnée dans le cadre de la journée de l’IPR organisée par Denis Fricker
« Quand nous disons Dieu »
le 18 Février 2009 à la Faculté de théologie catholique de Strasbourg .
Comme nous en avons convenu, à la fin de la session, je transmets pour les auditeurs présents
à la conférence et pour ceux qui n’ont pas pu être présents, l’essentiel de l’exposé. J’ai gardé
le style oral de la conférence mais j’ai ajouté en notes quelques références bibliographiques
utiles (des articles et ouvrages faciles à lire et des travaux plus techniques). Le double
astérisque ** dans le texte de l’exposé ou dans les notes renvoie à des références faites par les
autres intervenants (autant celles des ateliers du matin que celles d’autres intervenants). Ce
document comprend également des précisions en réponse à quelques questions posées par les
participants.
Michèle Morgen
*****************************
Ce document comprend
- Le plan de l’exposé
- L’exposé détaillé
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Plan de l’exposé
I. Les communautés johanniques
1. La (ou « les ») communauté(s) johannique (s)
a) Groupe, milieu, communauté(s), école, etc.
(Cullmann, Dodd, Koester, Culpepper, Brown, etc.)
b) Un groupe et son histoire : évolution du langage et donc du langage sur Dieu
- R.E. Brown, La communauté du disciple bien-aimé Paris Cerf (Lectio Divina 115), 20022.
- Ouvrage collectif : La communauté johannique et son histoire. La trajectoire de l’évangile
de Jean aux deux premiers siècles. Genève Labor et Fides (Le monde de la Bible) 1990.
2. Les écrits johanniques (Jn ; 1, 2 et 3 Jn) et le discours sur Dieu
a) Des écrits différents mais une parenté de langage et de théo-logie
b) Des écrits structurés pour « dire Dieu »
- dans le cadre narratif du quatrième évangile
- dans la démonstration de la première épître de Jean
II Le « quand nous disons Dieu » des chrétiens johanniques (kèrygme johannique)
« La question fondamentale du quatrième évangile est la question de Dieu, non pas de savoir si Dieu
existe, mais qui est Dieu et comment Dieu se révèle lui-même ... quel est ce Dieu qui est révélé et
comment Dieu est révélé » (D. Moody Smith)
1. Dieu « le » Père
a) « Mon » Père : exemples en Jn 2,16 ; 5,17.43 ; 6,32.40 ; 8,49.54 ;
10,18.25.29.37 ; 14,2.7.20.21.23 ; 15,1.8.10.15.23.24 ; 20,17
b) « Vers mon Père et votre Père » (Jn 20,17)
2. Dieu (ou le Père) « celui qui envoie » (Jn 3,16-17 et 1 Jn 4,9-10.14)
a) Celui qui m’a envoyé
b) La magnificence du geste: « Also hat Gott die Welt geliebt »
(H. Schütz, Musikalische Exequien)
3. « Dieu est amour (agapè) » (1 Jn 4,8.16 )
4. « Dieu le Fils unique » (Jn 1,18) christo-logie et théo-logie
« Peu d’écrivains sont plus christocentriques que Jean, mais sa véritable ‘christocentricité’ est
théo
centrique » (C.K. Barrett)
III Aux catéchètes d’aujourd’hui
1. Catéchèse johannique : « Quand on parle de Dieu, du Dieu que l’on ne voit pas ... »
a) Dans l’évangile : la théologie de l’incarnation en lien avec la Gloire
b) Dans la première épître : la ‘communion’ (koinônia) avec Dieu
2. Implications pastorales (« aujourd’hui »)
a) Dieu Père Fils Esprit Saint : en lien avec la foi pascale (Jn 13 – 17)
b) Louange de Dieu : reconnaître et faire reconnaître ses traces
son Nom (dire Dieu)
c) Insistance sur la priorité de l’agapè
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EXPOSÉ
I. Les communautés johanniques
1. La (ou « les ») communauté(s) johannique (s)
a) Groupe, milieu, communauté(s), école, etc.
À propos de Jean et de ses écrits, il est aujourd’hui reçu, de parler de « la » ou des
communauté(s) johanniques. Les termes sont toutefois variés1 pour désigner une même
réalité. Sans en donner un inventaire exhaustif, nous pouvons rappeler quelques
dénominations : au lieu de « communau», on parle aussi de « cercle » (Kreis : c’est le titre
de l’ouvrage de Oscar Cullmann : Der johanneische Kreis2 ; en français on a traduit par « le
milieu johannique ». « Cercle johannique », c’est aussi la désignation adoptée par Helmut
Koester dans son Introduction au Nouveau Testament3. L’accent dans ces recherches a été mis
sur les questions du « milieu » johannique en étudiant surtout le contexte socioreligieux et
littéraire. Mais on a aussi déjà entrepris de minutieuses recherches sur l’histoire de la
formation et de l’évolution de la « tradition johannique »4 ; c’est le titre donné à l’ouvrage de
Charles Harold Dodd. Ce dernier a montré, analyse de textes à l’appui, que dans le quatrième
évangile on trouve des données anciennes, parfois antérieures à la « tradition » synoptique. Il
pointait déjà sur l’importance de l’évolution de la transmission (« tradition ») et son histoire.
On utilise également le mot d’ « école » : parfois l’on ne fait pas trop la différence entre
« école » et « communauté ». Faut-il faire la différence et, si oui, où se loge la nuance ?
Communauté ou école ?
Communauté (s)
Pour justifier le terme de « communauté (s) », nous pouvons nous appuyer sur les
épîtres de Jean en particulier. Comme le quatrme évangile, les trois épîtres de Jean insistent
sur le langage de l’amour fraternel, de l’amour mutuel, de l’amour du frère, et particulier sur
l’expression « aimez-vous les uns les autres ». On trouve surtout dans les épîtres non
seulement les appellations « enfants de Dieu » et « frères » ou « bien aimés » (au pluriel) qui
traduisent vraisemblablement l’importance des relations très proches (termes de parenté) dans
ces premières communautés, mais la preuve d’un milieu concret et vivant de communautés
johanniques. Elles sont en « communion » (en grec : koinônia [voir au point III 1 B ci-
dessous)] ; le mot signifie « communion » ; il renvoie au verbe koinoôpartager ensemble
quelque chose » ; « mettre en commun »). Ainsi en 1 Jn 1,3 : « ce que nous avons vu et
1 Chacun de ces termes, ou presque, évoque un auteur ou des études spécialisées. Je les mentionne ci-dessous à
l’aide du nom de l’auteur et des ouvrages en traductions françaises si elles existent.
2 Oscar Cullmann, Le milieu johannique. Étude sur l’origine de l’évangile de Jean. Delachaux et Niestlé (Le
monde de la Bible) Neuchâtel Paris, 1976. Paru en édition parallèle sous le titre Der johanneische Kreis,
Tübingen Mohr & Siebeck, 1975.
3 Helmut Koester, Introduction to the New Testament, Philadelphie Fortress Press, 2 volumes (Titre allemand :
Einführung in das Neue Testament) : pour l’étude sur les écrits johanniques, voir dans le volume 2 aux pages
178-198, le chapitre intitulé « The Johannine Circle ». Il n’y a pas de traduction française.
4 Charles H. Dodd, La tradition historique du quatrième évangile, Paris Cerf (Lectio Divina 128) 1987. Titre
original anglais : Historical Tradition in the Fourth Gospel, Cambridge Cambridge University Press 1963.
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entendu, nous vous l'annonçons, à vous aussi, afin que vous aussi vous soyez en communion5
avec nous. Et notre communion est communion avec le Père et avec son Fils Jésus Christ ».
En outre, la deuxième et la troisième épîtres de Jean prouvent l’existence de
communautés locales, d’ « églises » (on trouve ce terme précis d’ekklèsia). Il suffit de se
reporter au début et à la fin de la deuxième épître de Jean pour constater l’existence de ces
lieux d’églises et de cette pratique communautaire et fraternelle. La lettre est adressée à Dame
élue et à ses enfants. En finale, l’auteur annonce sa visite à la communauté : « 12 J'ai bien des
choses à vous écrire, pourtant je n'ai pas voulu le faire avec du papier et de l'encre. Car j'espère me
rendre chez vous et vous parler de vive voix, afin que notre joie soit complète. 13 Te saluent les
enfants de ta Soeur l'élue». La troisième lettre de Jean mentionne explicitement « l’église » ;
l’auteur y dénonce le comportement d’un certain Diotréphès : 3 Jn v. 9 J'ai écrit un mot à l'église. Mais
Diotréphès, qui aime à tout régenter, ne nous reconnaît pas. v. 10 Aussi, lorsque je viendrai, je
dénoncerai ses procédés, lui qui sepand contre nous en paroles mauvaises: et non content de cela,
il refuse lui-même de recevoir les frères, et ceux qui voudraient les recevoir, il les en empêche et les
chasse de l'église (en 3 Jn 9-10).
École johannique
Lorsque l’on emploie le terme d’ « école »6 à propos des écrits johanniques et de leur
milieu de formation, on évoque une même école de pensée, marquée par un vocabulaire
spécifique avec des tournures de langage et d’interprétation singulières qui relèvent d’une
même orientation théologique. Après avoir comparé différents types d’écoles (écoles
rabbiniques dans le judaïsme, écoles philosophiques en Grèce, etc.), A. Culpepper a relevé
quelques traits comparables entre ces institutions et l’école johannique. Certains
rapprochements sont intéressants notamment par rapport au disciple que Jésus aimait,
initiateur7 du développement singulier d’une tradition, mais les divergences sont elles aussi à
relever. Au chapitre 21 la communauté s’exprime en « nous » après la mort de cet initiateur
(plutôt que « fondateur »), de ce « témoin8 » pour reprendre une thématique importante de la
tradition johannique :
Jn 21 23 ... on a répété parmi les frères que ce disciple ne mourrait pas.
Les chrétiens johanniques qui se désignent comme « frères » renvoient à une tradition basée
sur son témoignage vrai, c’est-à-dire ferme, solide, de fidélité :
Jn 21 24 C'est ce disciple qui témoigne de ces choses et qui les a écrites, et nous savons
que son témoignage est conforme à la vérité.
Le disciple bien aimé, désigné comme tel par la communauté qui a prolongé sa tradition, a
joué un rôle fondamental dans l’élaboration des formulations théologiques et christologiques,
une interprétation légitimée à la lumière de l’Esprit Saint pour la proclamer en vérité (Esprit
de vérité), avec son soutien (l’Esprit est Paraclet, c’est-à-dire « avocat », « défenseur »,
« protecteur »), ses encouragements, son intercession et ses conseils (cette fonction
correspond également au « paraclet »).
5 Les autres emplois de « communion » (koinwni,a) dans le Nouveau Testament sont évocateurs, notamment :
Ac 2,42 (communion fraternelle) ; 1 Co 1,9 (« appelés à la communion avec son Fils ») ; « communion du Saint
Esprit » (2 Co 13,13) ou communion « dans l’ Esprit » (Ph 2,1).
6 A. Culpepper , The Johannine School, Montana, 1975.
7 Je préfère employer pour le disciple que Jésus aimait le terme d’ « initiateur » ou suivant le quatrième évangile
lui-même, le qualificatif de « témoin ».
8 Je vous recommande l’excellent petit livre de E. Cothenet, La chaîne des témoins dans l’évangile de Jean. De
Jean- Baptiste au disciple bien-aimé. Paris Cerf (Lire la Bible) 2005.
5
En conclusion du point a) : Pour désigner une même tradition qui forge les formules
catéchétiques, qui les élabore, on parlera d’ « école ». On utilisera davantage le terme de
« communauté » lorsque l’on souhaite montrer dans les textes comment le discours s’est
adapté et a évolué en fonction par exemple de crises qui marquèrent un groupe. Ce groupe ou
cette communauté a en effet toute une histoire.
b) Un groupe et son histoire : évolution du langage et donc du langage sur Dieu
Il me reste en effet à évoquer un autre ouvrage célèbre que tout un chacun devrait
avoir lu aujourd’hui pour comprendre l’élaboration des textes johanniques, de l’évangile et
des épîtres, l’ouvrage de Raymond Brown9 sur la communauté du disciple bien aimé, où il
montre comment la transmission des traditions sur Jésus et en conséquence le langage sur
Dieu a évolué en fonction de l’histoire du groupe johannique et de son développement
singulier et original, mais aussi en fonction de l’histoire de ses relations avec d’autres groupes
environnants et en particulier avec divers groupes du judaïsme10. Il est en effet essentiel de
comprendre aujourd’hui comment les écrits du Nouveau Testament, mais en particulier les
évangiles, en l’occurrence celui de Jean, s’inscrivent dans une histoire parfois conflictuelle
avec différents mouvements du judaïsme, au moment où de part et d’autres, en judaïsme
comme en christianisme, « cela bouge », cela évolue énormément en plus d’un demi siècle !
Prenons à titre d’illustration un exemple : au moment où le judaïsme redéfinit son orientation
par rapport au christianisme naissant (vers 80-90), la proclamation de Jésus Fils (unique) de
Dieu prend un tour relativement provocant. Le narrateur du quatrième évangile écrit donc
avec évidence, en Jn 5,18 : « les ‘Juifs’ n'en cherchaient que davantage à le faire périr, car non
seulement il violait le sabbat, mais encore il appelait Dieu son propre Père, se faisant ainsi
l'égal de Dieu ». D’autres formulations sur la filiation divine du Christ, par exemple lorsque
Jésus proclame qu’il est « sorti de Dieu », vont amener le débat entre le judaïsme de l’époque
et le christianisme naissant à des conflits souvent violents.
Les recherches récentes, et celle de R. E. Brown en particulier, ont bien souligné
l’importance de l’évolution du groupe johannique, une évolution manifeste lorsque l’on
examine les textes qui montrent comment se sont progressivement élaborées les catéchèses.
De quels textes s’agit-il ?
2. Les écrits johanniques (Jn ; 1, 2 et 3 Jn) et le discours sur Dieu
a) Des écrits différents mais une parenté de langage et de théo-logie : le quatrième
évangile et les épîtres où l’on trouve un même langage sur Dieu.
La lecture attentive des lettres de Jean fait ressortir à l’évidence leur parenté avec le
quatrième évangile ; on peut dire « c’est du Saint Jean » et noter comment une même tradition
est à l’origine et au développement de ces textes. Il est donc important de les lire en lien l’un
avec l’autre, c’est-à-dire de relier l’évangile de Jean aux trois épîtres johanniques, notamment
la première, et réciproquement. Différents passages s’appuient sur des traditions similaires
formulées suivant un même vocabulaire, accentuées par des thèmes identiques. On peut en
9 R.E. Brown, La communauté du disciple bien-aimé. Paris Cerf (Lectio Divina 115), 2002. Original anglais :
The Community of the Beloved Disciple. Paulist Press, 1979.
10 Il est impossible de mentionner tous les travaux parus sur le sujet. En français, et bien que cet ouvrage date
aujourd’hui aussi, je signale l’ouvrage collectif La communauté johannique et son histoire. La trajectoire de
l’évangile de Jean aux deux premiers siècles. Genève Labor et Fides (Le monde de la Bible) 1990. Ce livre
présente dives articles dont plusieurs sont rédigés par les spécialistes mentionnés ci-dessus.
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