l’illégitimité est perpétuellement rappelée »4. Et Schmitt perçoit clairement en quel sens le
pluralisme pourrait être précisément identifié avec la démocratie elle-même, ainsi que nous
allons le voir plus loin. Mais l’investissement de l’Etat par les divers groupes sociaux se
réalise à des fins privées, où chaque groupe organisé prétend exploiter les moyens de l’Etat
pour atteindre ses propres finalités, lesquelles sont non seulement indifférentes aux finalités
étatiques mais parfois même contraires. Et c’est précisément de ce point de vue que Schmitt
fait du pluralisme politique le fruit d’une stratégie libérale, généralement conçue comme un
effort de dépolitisation ou de relativisation de la puissance de l’Etat.
Le libéralisme n’est effectivement pas d’abord, pour le juriste, une théorie politique ou
économique déterminée. Il est bien plutôt une forme générale de pensée qui nait au cours du
XVIIIe et qui se construit intégralement autour d’un individualisme bourgeois. En vertu de cet
individualisme, la préservation de l’individu et de l’activité individuelle à l’encontre des
atteintes de l’Etat constituent le socle commun de toute politique libérale5, qui se réalise
ensuite au moyen des grandes réalisations institutionnelles et juridiques du libéralisme que
sont l’Etat de droit et le Parlementarisme.
En laissant de côté tout examen approfondi de l’Etat de droit et du Parlementarisme dans le
cadre de cette intervention, notons seulement que l’un et l’autre se structurent selon le juriste
autour du principe de « domination de la loi »6, où la loi doit nécessairement posséder
certaines qualités, notamment la généralité7, ainsi qu’un certain contenu de justice sans lequel
une loi votée par la majorité pourrait aller à l’encontre des droits individuels8. Ce qui implique
d’abord que la loi au sens libéral, tout comme l’Etat de droit, reçoivent une définition
matérielle, c’est-à-dire un certain contenu substantiel, ou un contenu en valeur9. C’est
pourquoi, souligne le juriste, en vertu de ses principes mêmes le libéralisme ne peut demeurer
neutre à l’égard des diverses opinons et valeurs qui prétendent à la représentation
parlementaire. Mais cela suppose ensuite de dégager un principe d’organisation susceptible
de garantir une telle domination de la loi (libérale), que l’on peut résumer, sans beaucoup
!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
4 Renaud Baumert, 2009,!La découverte du juge constitutionnel, entre science et politique. Les controverses
doctrinales sur le contrôle de la constitutionnalité des lois dans les Républiques française et allemande de
l’entre-deux-guerres, Paris, Collection des Thèses, n°33, L.G.D.J. p. 490.
5 Cf. Carl Schmitt (1932), 1992, « La Notion de politique », in La Notion de politique. La Théorie du partisan,
trad. fr. Marie-Louise Steinhauser, Paris, Flammarion, pp. 114 et 115.
6 Carl Schmitt (1928), 1993, Théorie de la constitution, trad. fr. Lilyane Deroche, Paris, Quadrige/PUF, p. 276.
7 Carl Schmitt (1923), 1988, « Parlementarisme et démocratie », in Carl Schmitt, Parlementarisme et
démocratie, trad. fr. Jean-Louis Schlegel, Paris, Seuil, p. 53.
8 Carl Schmitt (1928), 1993, op. cit., p. 278.
9 Une telle définition matérielle de l’Etat de droit est parfaitement exposée par J. Chevallier : « La construction
de la théorie de l’Etat de droit n’est pas le fait du hasard ou le produit d’une logique purement interne au champ
juridique : la théorie s’est épanouie sur un terreau idéologique, enracinée dans une certaine réalité sociale et
politique ; privée de ce substrat, elle n’apparaît plus que comme une coquille vide, un cadre formel, et devient au
sens premier du terme « insignifiante ». (…) Le thème est lié à un ensemble de représentations et de valeurs qui,
lentement forgées au fil de l’histoire des pays européens, constituent ses conditions de possibilité : l’Etat de droit
présuppose une vision de l’Etat, entité abstraite et collective distincte de la “société civile”, et du droit, perçu
comme exprimant l’idéal de “justice” ». Jacques Chevallier, 2003, L’Etat de droit, Paris, Editions Montchrétien,
p. 52.