Nourrir les cellules : le berger - Cellules Paroissiales d`Évangélisation

Nourrir les cellules : le berger
Père Bogdan BRZYS
Milan, séminaire international des cellules paroissiales d’évangélisation, 4 juin 2014
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« Donnez-leur vous-mêmes à manger » (Mc 6, 37)
Je suis curé depuis 16 ans. Lorsque je suis arrivé, il y a 16 ans dans ma paroisse en France, j’avais une
bonne expérience de l’Église polonaise mais je ne connaissais pas du tout la pastorale française. Je
voudrais commencer par vous raconter une de mes premières découvertes que j’ai faite dans ma nouvelle
paroisse.
Je ne sais pas si vous le savez, mais la France est un pays merveilleux. Tous les deux mois il y a des
vacances scolaires ! Et même si tout le monde ne part pas, tous les deux mois se bronzer ou faire du ski,
beaucoup de paroissiens le font et cela se voit à la messe du dimanche matin. Lorsqu’on rentre des
vacances, tout le monde se raconte comment c’était, qu’est-ce qu’on a fait. Très vite j’ai découvert que,
contrairement à ce que je pensais, tous les paroissiens ne partaient pas au bord de la mer ou à la
montagne. Certains partaient pour vivre un temps spirituel, une retraite ou un temps de ressourcement
dans un lieu de prière et de méditation. Ils disaient souvent : « Ah, je suis très content d’avoir pu vivre
cette retraite. Cela m’a fait du bien. Le prédicateur parlait très bien. J’ai beaucoup aimé. Je pense que j’ai
rechargé mes batteries pour au moins 6 mois ».
Au début, quand j’entendais ces confidences j’étais très content, mais au fur et à mesure où je
commençais à comprendre la pastorale dans ma paroisse, je commençais à être moins content et même
de plus en plus mal à l’aise. Pourquoi ?
J’ai réalisé que pour beaucoup de mes paroissiens, la paroisse était tout sauf un lieu où on reçoit une
nourriture spirituelle de bonne qualité. La paroisse était non pas un lieu de vie mais un lieu de survie ! On
pouvait y survivre pendant quelques mois, mais à condition de partir régulièrement quelque part ailleurs,
dans un lieu de ressourcement où on « mangeait » bien, suffisamment bien pour se faire un stock de
« graisse spirituelle », une réserve pour quelques mois maigres, une fois retourné dans sa paroisse. Ce que
faisaient mes paroissiens était un instinct de survie que nous pouvons observer dans la vie de beaucoup
d’animaux, (comme par exemple les ours ou d’autres mammifères) qui emmagasinent rapidement de la
graisse, prennent du poids, pour augmenter leurs chances de survie pendant une longue période
d’hibernation hivernale. Mes paroissiens faisaient la même chose. Ils appelaient cela : « Charger les
batteries… ». C’était certain que pour eux la paroisse ne nourrissait pas. On pouvait y survivre mais à
condition de se nourrir ailleurs. Pour cela on partait, on quittait la paroisse, « on chargeait les batteries »
et ensuite, revenu en paroisse, on observait la vitesse avec laquelle, jour après jour, le niveau de charge
baissait. Jusqu’au jour où une lumière rouge commençait à clignoter pour signaler le niveau critique (un
peu comme dans votre ordinateur portable ou votre téléphone). Et, à ce moment-là (pour éviter « une
perte de données ») on partait de nouveau pour se « recharger ».
***
Le récit de la première multiplication des pains (chez Mc 6), commence par une remarque étonnante de
Saint Marc : « En débarquant, Jésus vit une grande foule. Il fut saisi de compassion envers eux, parce
qu’ils étaient comme des brebis sans berger. Alors, il se mit à les enseigner longuement. » (Mc 6, 34).
« Ils étaient comme des brebis sans berger »
Pourtant, il y avait beaucoup de synagogues autour du lac de Galilée et ces gens qui étaient là,
fréquentaient certainement celle de leur village, comme nous, aujourd’hui, notre église paroissiale.
Il y avait partout des chefs de synagogues et les évangiles ne disent rien sur une pénurie de vocations à
cette époque.
Pourtant lorsque Jésus regardait ces gens, ils avaient l’air d’être sans berger, un troupeau sans pasteur…
Il manquait quelque chose dans la pastorale de l’époque. Les chefs de synagogues exerçaient leur
ministère à leur manière mais cela n’était pas suffisant, quelque chose manquait, quelque chose ne
fonctionnait pas. Jésus attendait d’eux quelque chose de plus. Dieu attendait d’eux quelque chose de
plus, mais eux, pensaient que tout allait bien, que la pastorale qu’ils avaient apprise au séminaire, à
Jérusalem, était bonne. Probablement, ils disaient : « On fait ce qu’on peut ».
Juste après la phrase : « Ils étaient comme des brebis sans berger » Saint Marc dit : « Alors, il se mit à les
enseigner longuement. ».
Jésus fait ce qu’il manquait.
Il manquait l’enseignement : « didasko » (gr) - enseigner, donner des instructions, des préceptes,
apprendre, prêcher, instruire.
Pour donner l’exemple aux apôtres, pour les former, il fait lui-même leur travail, Il leur montre comment
faire.
On se rappelle ce que Dieu dit au prophète Ézéchiel : « C’est moi qui ferai paître mon troupeau, et c’est
moi qui le ferai reposer, oracle du Seigneur Dieu. La brebis perdue, je la chercherai ; l’égarée, je la
ramènerai. Celle qui est blessée, je la panserai. Celle qui est malade, je lui rendrai des forces. Celle qui
est grasse et vigoureuse, je la garderai, je la ferai paître selon le droit. » (Ez 34, 15-16).
L’enseignement de Jésus était long : « Il se mit à les enseigner longuement. » :
Le mot grec « polus » est généralement traduit par : beaucoup, grand, beaucoup de choses, longtemps.
Non pas une courte homélie du dimanche de 10 minutes ou 3 minutes pendant la messe en semaine,
mais un long enseignement.
« Il se mit à les enseigner longuement. »
Mais Jésus n’a pas appelé les apôtres pour faire leur travail et pour enseigner à leur place. C’est pour cela
que juste après, Jésus leur dit : « Donnez-leur vous-mêmes à manger. » (Mc 6, 37).
Il y a 16 ans, dans ma paroisse, je me sentais comme si Jésus me disait : « Donne-leur toi-même à
manger ».
Pourtant je pensais que je donnais à manger aux brebis que Jésus m’avait confiées.
Je prêchais, je parlais aux enfants et aux jeunes…
« Je fais ce que je peux… Qu’est-ce que je peux faire de plus ? »
Remarquons maintenant la réaction des apôtres : « Ils répliquent : "Irons-nous dépenser le salaire de
deux cents journées pour acheter des pains et leur donner à manger ?" » (Mc 6, 37).
« Ils répliquent ».
Le mot « répliquer » (en grec Lego) signifie entre autre : enseigner, conseiller, commander.
Il est intéressant d’analyser dans la Bible les moments où l’homme commence à enseigner, conseiller
Dieu. Comme si Dieu n’était pas au courant de tous les détails du dossier, comme s’il fallait l’éclairer,
l’aider à comprendre…
Aujourd’hui beaucoup de curés font de même.
Ils disent : « Seigneur, je n’ai pas le temps. Je suis trop pris. Dans mon diocèse il n’y a pas assez de prêtres
et j’ai une grande paroisse. Et surtout j’ai beaucoup de réunions, pratiquement tous les soirs. Cela me
prend beaucoup de temps. Si j’arrive à bien préparer une homélie avant le week-end, c’est déjà pas mal.
Préparer un enseignement pour les cellules me prendrait au moins trois heures. J’aimerais bien, mais ce
n’est pas possible. Je ne peux pas… »
Et Jésus dit à ces curés, comme il y a deux mille ans aux apôtres : « Donnez-leur vous-mêmes à manger.
»
Dans le chapitre 6 des Actes des Apôtres, nous avons un passage qui prouve que les apôtres ont bien
compris la leçon de Jésus : « Donnez-leur vous-mêmes à manger. »
« En ces jours-là, comme le nombre des disciples augmentait, les frères de langue grecque récriminèrent
contre ceux de langue hébraïque, parce que les veuves de leur groupe étaient désavantagées dans le
service quotidien. Les Douze convoquèrent alors l’ensemble des disciples et leur dirent : « Il n’est pas
bon que nous délaissions la parole de Dieu pour servir aux tables. Cherchez plutôt, frères, sept d’entre
vous, des hommes qui soient estimés de tous, remplis d’Esprit Saint et de sagesse, et nous les établirons
dans cette charge. En ce qui nous concerne, nous resterons assidus à la prière et au service de la Parole.
» (Ac 6, 1-4)
Ils ont défini leurs priorités
Non pas des réunions, ordres du jour et comptes rendus, non pas les repas paroissiaux, les activités et la
gestion du quotidien, mais :
La prière
Et le service de la Parole
Ils ont compris que « Donnez-leur vous-mêmes à manger. » signifie :
Préparer la nourriture dans la prière
Ils ont pris leur agenda et ont supprimé tout ce qui pouvait les décentrer du « service de la parole »,
et de l’enseignement.
C’est un modèle pour tous les prêtres mais en particulier pour tous les curés.
***
Les cellules paroissiales d’évangélisation sont nourries par l’enseignement préparé par le curé pour
chaque rencontre.
Qu’est-ce qui se passe lorsque le curé cesse d’expliquer à Dieu qu’il n’a pas le temps car il a trop de
réunions et trop d’activités dans sa paroisse ? Qu’est-ce qui se passe lorsqu’il décide de se concentrer sur
la prière et l’enseignement ? Quels sont les fruits du temps consacré à l’enseignement des cellules
paroissiales d’évangélisation ?
1. Le premier fruit, c’est le curé qui le récoltera pour lui-même :
Il grandira dans la proximité avec la Parole de Dieu.
Préparer un enseignement, ce n’est pas comme préparer une homélie. La rédaction d’un texte qui reste
entre les mains des membres des cellules, exige plus de rigueur dans la présentation du sujet.
Progressivement son rapport avec la Parole de Dieu va changer.
En semaine, il goûtera la joie d’écouter les retours et les réactions des membres des cellules sur son
enseignement. Comme ils gardent le texte de l’enseignement, ils peuvent le relire après la cellule et
demander une explication sur certains points.
Il aura l’immense privilège d’être lu et écouté toutes les semaines. Même quand il sera absent de la
paroisse, sa voix retentira dans les maisons qui accueillent les cellules, comme s’il était présent dans ses
maisons.
Progressivement il constatera qu’il change lui-même. Il deviendra moins manager et « prestataire de
services sacrés » et plus ce qu’il doit être : pasteur du troupeau.
Les brebis connaitront mieux sa voix.
Lui aussi, ira mieux « sentir l’odeur des brebis » (pape François) grâce à la proximité qui se créera au fur
et à mesure.
2. Les membres des cellules, de fait, vont grandir plus vite dans la maturité spirituelle.
Les cellules se rencontrent toutes les semaines ce qui accélère le processus de la croissance spirituelle :
Cela va se ressentir dans tous les domaines de la vie de la communauté paroissiale.
Les messes vont devenir moins « animées » et plus « priantes ». Les pratiquants occasionnels vont
dire : « Quelque chose a changé chez vous… »
Les réunions vont être moins dans le style « conseil d’administration » et plus dans le style :
« rassemblement de disciples autour de Jésus »
La température de l’amour fraternel va augmenter.
3. Les charismes « congelés » des « croyants pratiquants » vont se décongeler et « la force de frappe » de
la communauté paroissiale va augmenter :
La paroisse pourra se lancer dans des projets plus ambitieux.
Le curé pourra mieux exercer le principe de la délégation pastorale car il y aura plus de personnes
capables d’assumer une vraie responsabilité au service de la communauté.
Les quelques laïcs fatigués et découragés seront heureux de partager leur mission avec de nouveaux
paroissiens.
Le curé aussi aura plus de temps, il sera moins fatigué et les paroissiens en bénéficieront.
4. La paroisse cessera de s’occuper d’elle-même et entrera enfin dans la mission.
L’enseignement hebdomadaire (plus que l’homélie du dimanche), peut être plus souvent consacré à la
question de la nouvelle évangélisation, et les membres des cellules adopteront plus vite la conscience
missionnaire.
Ils seront plus à l’aise dans la démarche d’aller vers les nouveaux arrivants, plus à l’aise dans l’annonce
explicite et dans l’invitation.
***
Voici quatre caractéristiques des enseignements que je prépare pour les cellules dans ma paroisse :
Mes enseignements sont tout d’abord bibliques.
En fonction de ce que je sais sur la vie de la paroisse, ou en fonction des échos qui me parviennent de
la part des membres des cellules, je choisis un passage de la Bible (le plus souvent de l’Évangile).
Nous avons constaté que c’est la Parole de Dieu qui nourrit le mieux les cellules.
Nous évitons les enseignements doctrinaux et surtout en longues séries.
Mon rôle consiste à transformer le grain de la Parole de Dieu en pain, bon à manger.
Personne n’a envie de manger du grain.
Il ne suffit pas de dire aux leaders des cellules : « Cette année vous pouvez lire l’évangile de Saint
Jean ». Les membres des cellules et en particulier les nouveaux membres ont besoin d’être guidés
dans la lecture et progressivement d’apprendre à vivre de la Parole.
Un bon enseignement doit, non pas apporter de nouvelles connaissances mais conduire à la conversion
du cœur.
Dans chaque cellule, il y a toujours quelqu’un de passionné par les discussions et les débats sans fin.
Un bon enseignement doit empêcher ces débats qui sont stériles et qui tuent la communion
fraternelle au sein de la cellule.
Pour cela, je termine chaque enseignement par une question qui invite à partager l’expérience
personnelle en rapport avec la parole de Dieu. J’avoue que trouver une bonne question, c’est-à-dire,
une question qui empêche le débat n’est pas facile et me prend beaucoup de temps.
Depuis quelques années, à la fin de chaque enseignement, je propose également « une suggestion pour
la semaine ».
Nous avons découverts que cela aide les membres de nos cellules à programmer en semaine une
œuvre concrète en rapport avec le thème de l’enseignement et à mieux « incarner » l’exigence de la
conversion de vie à laquelle nous sommes tous appelés.
***
Cette année, dans notre paroisse à Fontainebleau, j’ai vécu une nouvelle expérience en lien avec cette
belle tâche d’être pasteur, appelé à nourrir son troupeau, à « donner à manger ».
Après dix ans d’expérience de cellules, nous avons discerné l’appel à aller plus loin, à toucher d’autres
paroissiens, ceux qui n’ont pas découvert la joie de « faire des disciples » pour Son Royaume.
En octobre 2013, nous avons proposé à tous les paroissiens (membres ou non des cellules), de vivre une
période de six semaines, en se réunissant chaque semaine en petits groupes autour d’un thème préparé
par l’équipe paroissiale.
Pour cela, nous avons préparé une série de DVD avec des témoignages de six personnes connues en
France.
180 groupes se sont créés. Presque un paroissien sur deux était dans un petit groupe.
Pendant ce temps-, les cellules suivaient le même parcours.
Après cette période de 6 semaines, 30 groupes ont décidé de continuer à se rencontrer.
Nous nous retrouvions avec 50 cellules + 30 nouveaux groupes qui n’étaient pas les cellules, mais qui
étaient accompagnés pour devenir plus missionnaires.
Cette nouvelle expérience nous a permis de découvrir qu’il est possible de proposer durant l’année des
périodes pendant lesquelles les cellules ne reçoivent pas l’enseignement du curé, mais une autre
nourriture sans que le rôle du pasteur qui est chargé de nourrir son troupeau, soit compromise. Même si
ce n’est pas lui qui parle, c’est lui qui choisit « le menu ».
Nous avons constaté que diversifier la nourriture permet de :
Casser la routine
Permettre aux membres des cellules de fonder un petit groupe même si la cellule n’est pas prête à se
multiplier.
Donner à un plus grand nombre de paroissiens la possibilité de vivre l’expérience des petits groupes.
Rassurer les prêtres qui se demandent s’ils pourront tenir le rythme hebdomadaire des enseignements
jusqu’à la « mort naturelle »
Progresser plus vite dans la transformation de la pastorale fondée sur le principe des petits groupes.
Aujourd’hui, mes paroissiens profitent toujours des vacances et passent parfois un week-end ou quelques
jours dans un centre spirituel ou un couvent. Je les encourage à le faire.
Ce qui a changé, c’est qu’ils n’y vont plus pour survivre, charger leurs batteries pour ensuite assister à
une lente décharge dans leur paroisse.
Ils sont nourris jour après jour, semaine après semaine, et en particulier ceux qui sont membres de nos
cellules paroissiales et de nos petits groupes.
Le règne de Dieu a progressé chez nous !
Amen !
Père Bogdan BRZYS
Curé à Fontainebleau (France)
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