Une entrevue avec le metteur en scène Jean Turcotte et la

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Le spectacle
Montréal, le quartier Saint-Henri, 24 décembre
1933. La crise économique frappe durement. Une
poignée de Canadiens français se préparent à
réveillonner et c’est dans une ambiance festive
que Marguerite et Gédéon reçoivent la famille à
souper. Ailleurs, quatre orphelins se font jeter à
la rue, mais le charme des festivités opère et les
rencontres heureuses chassent les infortunes.
La solidarité des uns sauve les autres et un nouveau
nationalisme naît dans le cœur de ces Québécois
tournés vers l’avenir. La crise des années 1930
oblige ainsi à aborder les thèmes sombres de la
pauvreté, de la méfiance et du racisme. Or, Noël
1933 demeure avant tout un portrait lumineux de
la famille.
L’intégration simultanée de l’histoire et des
harmonies vocales au théâtre confère à la pièce
un caractère unique.
Information tirée du dossier de presse de la
compagnie Théâtre Exaltemps http://www.theatreexaltemps.ca/wp-content/
uploads/2012/03/NOEL1933_dp2012_br.pdf
© Maxime Tremblay
Originaire de Québec, Chantal Grenier est l’un des membres fondateurs du
Théâtre Exaltemps. La pièce Noël 1933 a émergé de ses idées et passions.
En 2009, elle a tenu le rôle de Marie dans le court métrage La Mort de Marie
de Jacob Larochelle. Le court métrage ROXXX du réalisateur Guillaume
Monette, pour lequel elle a prêté sa voix, a gagné le prix du jury du concours
américain Real Rock Tour 2010. Elle exerce aussi ses talents de chanteuse
au sein du Cabaret fourre-tout depuis mai 2011 et de la production Un Noël
Exaltemps en 2011. En 2012, elle signe Peau d’âne, la princesse sans nom,
un théâtre musical inspiré du conte de Charles Perrault au sein duquel
elle interprète le rôle de la Fée marraine. Chantal effectue avec bonheur
scénarisation et mise en scène auprès de différents organismes dont le Mouvement national des
Québécoises et Québecois, la Maison nationale des Patriotes et le Réseau ArtHist. Depuis avril 2013,
elle joint sa voix à Annick Lessard et Andrée Gibeau au sein du groupe jazz-swing Les Charlottes.
Elle tient le rôle de Rose dans la pièce Noël 1933 depuis sa création en 2009.
page 56 / NOËL 1933
Jean Turcotte termine sa formation en art dramatique à l’UQÀM en 1985.
Depuis on a pu le voir jouer dans près d’une quarantaine de productions
théâtrales et ce, sur presque toutes les scènes de théâtre montréalaises,
mais aussi en tournées québécoises, canadiennes et européennes. Il a joué
autant des textes de répertoire, que des créations contemporaines et des
adaptations littéraires pour la scène. Associé depuis ses débuts au travail
de recherche et de création du Groupe de la Veillée, il joue aussi avec
plusieurs autres compagnies de théâtre montréalaises. Depuis l’automne
2001, il enseigne aussi le jeu à l’Option Théâtre du Collège Lionel-Groulx.
© Michel Auclair
ENTRETIEN AVEC CHANTAL GRENIER, CONCEPTRICE
ET JEAN TURCOTTE, METTEUR EN SCÈNE
© Richard Hachem
Racontez-moi un peu la genèse de ce
spectacle…
Chantal Grenier – Notre compagnie a été fondée en
mai 2009 en ayant le mandat de combiner théâtre et
histoire, deux grandes passions de ma vie ! Notre
premier projet était de monter Berlin, ton danseur est
la mort d’Enzo Cormann, une pièce se déroulant en
Allemagne en 1932 et 1946. Nous avons donc réussi
à obtenir le Studio-théâtre de la Place des Arts
comme lieu de présentation. Mais une succession
d’événements a fait en sorte que ce projet n’était
pas encore prêt en août 2009. Nous avons alors
pris la décision de nous rabattre sur quelque
chose d’un peu moins complexe, mais toujours en
gardant un aspect historique à la création. Quelques
années auparavant, nous avions déjà monté un
spectacle très léger autour du thème de Noël, et
plusieurs arrangements de chansons du temps
des Fêtes étaient déjà réalisés. De plus, les dates
de présentation (soit en décembre) tombaient à
pic… Donc, nous sommes partis de cette première
mouture et très rapidement, nous avons écrit le
spectacle, trouvé la distribution et finalisé les
arrangements musicaux.
Cette idée de créer une pièce se situant au Québec
en 1933 revenait constamment dans nos réunions
et échanges. Le parallèle à faire entre une période
de crise économique, une période assez sombre
de notre histoire, et la période traditionnellement
festive de Noël produisait une sorte d’opposition
intéressante à exploiter. Ainsi est née la première
version du spectacle : Noël 1933, portrait d’une
époque en parlures et en chansons.
Bien sûr, cette première version n’était pas tout à
fait parfaite : certaines scènes étaient peut-être
un peu décousues, l’intégration des chansons de
Noël semblait parfois un peu maladroite, certains
personnages restaient à définir…
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Et vous avez procédé en 2010 à l’écriture
d’une nouvelle version ?
CG – En effet. Lors de la réécriture du spectacle, nous
nous sommes fixé trois objectifs. Premièrement, le
fil dramatique de la pièce devait être plus précis.
Deuxièmement, les onze personnages devaient
être clarifiés et plus approfondis. Et finalement,
les quatorze chansons choisies devaient bien
entendu soutenir ce même fil dramatique et aider à
individualiser les personnages… Tout ça en moins
d’une heure et demi de spectacle !
N’était-ce pas périlleux de demander aux
comédiens de chanter a cappella toutes les
chansons du spectacle ?
CG – Chanter a cappella, c’est un créneau que
nous aimons beaucoup. Nous adorons le style
barbershop, les arrangements vocaux, les chorales…
En tant qu’interprète, nous considérons comme
assez unique l’expérience du chant a cappella
en chœur de Noël 1933. Il est rare qu’on nous
demande ce type de performance dans un spectacle
théâtral. Personnellement, rien ne me fait plus
frissonner que de chanter ma partie et d’entendre
soudainement l’effet d’ensemble de toutes les
autres voix combinées…Je ne deviens ainsi qu’un
instrument dans toute cette formation musicale
complexe. C’est merveilleux !
© Richard Hachem
En faisant le choix d’une distribution d’une dizaine
de personnes, ça va un peu dans ce sens-là, dans
cet esprit choral du spectacle. Avec une distribution
plus restreinte, il est évident que le spectacle
deviendrait plus abordable, plus facile à vendre,
plus facile à faire tourner, mais les harmonies ne
seraient pas aussi riches.
page 58 / NOËL 1933
Jean Turcotte – De plus, dans toutes ces
harmonisations vocales, il y a comme une sorte
de « monde idéal », celui de toutes ces différences
vocales qui réussissent, le temps d’une chanson, à
CG – Oui. Dès le début, nous voulions concevoir
une scénographie assez sobre, mais avec l’arrivée
de Jean à la mise en scène en 2010, nous avons
davantage assumé ce choix.
CG – Le chant a cappella nous permet aussi une
plus grande solidarité entre comédiens sur scène.
Nous sommes toujours en groupe, vocalement
prêts à nous supporter les uns les autres.
JT – En effet, tout est très dépouillé pour être en
résonance avec ce qui se passe dans le spectacle.
Mais je dois avouer que cela est aussi en lien avec
mes premières amours du théâtre. Parfois, les
scénographies trop réalistes me lèvent le cœur… et
m’enlèvent bien du plaisir en tant que spectateur.
Cela ne veut pas dire que je n’aime pas aussi le
spectaculaire, mais n’oublions pas que le pouvoir
du théâtre, c’est le pouvoir de l’évocation.
La scénographie du spectacle est très
dépouillée. Est-ce voulu pour rejoindre les
thèmes de la pauvreté et de la privation
présents dans la pièce ?
© Richard Hachem
se rencontrer, à s’assortir et à s’enrichir dans cette
communauté sonore. À travers les interprétations
a cappella, il se produit là un effet fabuleux et très
prenant.
NOËL 1933 / page 59
© Richard Hachem
En allant bien souvent dans le « rien », il y a quelque
chose de spectaculaire qui peut se produire. La
théâtralité est alors affirmée, laissant toute la place
aux acteurs.
CG – À la blague, nous avons presque pensé intituler
ce spectacle « Huit caisses et onze comédiens » !
Plus sérieusement, nous nous sommes dit que
le texte et les costumes étaient suffisamment
réalistes… nul besoin alors d’en ajouter avec des
effets scénographiques pouvant nous éloigner du
propos dramatique.
Chantal, en 2010, vous proposez à Jean
Turcotte de se joindre au projet en tant que
metteur en scène. Pourquoi aller chercher
quelqu’un de l’extérieur pour un spectacle
qui avait déjà été créé un an auparavant ?
page 60 / NOËL 1933
CG – Parmi les idéateurs initiaux du projet,
Dominique Grenier, ma sœur jumelle, conseillée
par Anne-Marie Olivier, a procédé à la réécriture
du texte. David Leboeuf a quant à lui pris en charge
la partie musicale et moi, la mise en scène. Tout
à coup, je me rendais compte que jouer dans un
spectacle, chanter dans un spectacle et le produire
tout en en faisant la mise en scène… tout cela
commençait à peser beaucoup sur mes épaules.
Je crois aussi qu’à ce moment charnière de
l’évolution du projet, il nous fallait une personne
de l’extérieur qui pourrait nous guider, et qui aurait
aussi cette facilité à diriger des acteurs.
J’avais vu Jean Turcotte jouer dans le spectacle
L’Amour incurable à l’Espace Libre et je suis tombée
amoureuse de lui ! Sans le connaître, en le voyant
sur scène, je me suis dit que c’était exactement
le style de jeu que je voulais pour Noël 1933. Y
allant avec mon instinct, j’ai pris alors le pari qu’il
pouvait nous amener à ce style de jeu.
très bien passé. La réception a été superbe. Cela
nous a confirmé que nous avions un spectacle
gravitant bien sûr autour du thème de Noël, mais,
comme l’a dit Jean, sans être « sur » Noël.
JT – Quand Chantal m’a appelé pour me confier la
mise en scène, je n’en revenais tout simplement pas.
Qu’elle ait pensé à moi de cette façon particulière
m’a vraiment touché… Je me disais que cette fille-là
avait des intuitions qu’elle n’hésitait pas à suivre.
Cette façon de travailler me plaisait et m’interpellait
beaucoup.
Faire une mise en scène quand vous n’êtes
pas de l’équipe originale de création, est-ce
difficile ?
J’ai de surcroît une fascination personnelle pour
l’Histoire, ayant étudié pendant deux années
dans un programme d’histoire à l’Université de
Montréal. Le fait que cette pièce se déroule dans
un milieu ouvrier en pleine crise économique et
que le spectacle comporte tout ce côté folklorique
avec des chansons a fini par me convaincre. Voilà
en somme pourquoi j’ai accepté cette audacieuse
proposition.
JT – Pour avoir eu le pur bonheur de travailler
avec la metteure en scène Brigitte Haentjens,
je me disais bien souvent qu’elle a cette force
d’avoir l’air de ne rien diriger. Mais elle fait des
choix de départ les plus justes qui soient. Je me
disais que si un jour je faisais moi aussi de la
mise en scène, je me rappellerais cette leçon de
Brigitte. Quand Chantal m’a approché, c’était tout
le contraire, tous les choix importants étaient déjà
faits… j’ai alors pensé aux alpinistes qui disent
« écouter la roche » pour trouver le passage, le
chemin de leur ascension. J’avais alors envie, et
je m'en sentais capable, de m’amuser avec ça en
Et le côté magique de Noël vous a peut-être
aussi séduit…
JT – Étrangement, non ! Contrairement à Chantal,
je ne suis pas vraiment un fervent de Noël. Quand
j’étais jeune, j’avais des éruptions de boutons quatre
mois avant que le temps des Fêtes commence…
Je détestais malheureusement Noël à m’en
confesser. Bon, ne vous inquiétez pas, j’ai réussi à
me réconcilier avec cette fête au cours des années.
© Richard Hachem
Mais il faut noter qu’il ne s’agit pas tout à fait d’un
spectacle uniquement « sur » Noël, mais plutôt sur
l’époque, sur la crise économique. En fait, Noël
est un prétexte dans cette pièce.
CG – L’an dernier, nous avons présenté la pièce le
15 janvier à Terrebonne et nous nous demandions
alors comment elle serait reçue. Le public était-il
déjà las d’entendre parler de Noël ? Et tout s’est
NOËL 1933 / page 61
plus d’avoir une grande confiance en Chantal et
en toute la distribution.
Est-ce que cette version du spectacle que
vous allez présenter à la Salle Fred-Barry
en 2012 est différente de celle que vous
avez présentée auparavant ?
CG – C’est sensiblement la même que celle
que nous avons présentée depuis 2010. Il y a eu
plusieurs arrangements musicaux faits par David
Leboeuf. En fait, douze chansons sur quatorze
sont arrangées originalement par David. Seules
les chansons « Le Cantique des cloches » et « Les
Douze Jours de Noël » n’ont pas été réarrangées.
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Ce qui est agréable à Fred-Barry, c’est que nous
adorons ce genre de salle, car c’est très intime.
Il y a une grande proximité avec le public. Nous
serons aussi contents d’initier ou de rafraîchir la
mémoire par rapport à l’histoire du Québec sans
prétention pédagogique. Nous voulons ainsi allumer
l’intérêt du public sur cette partie de notre histoire.
Vous souvenez-vous de Camilien Houde ? Et qui
était Louis-Alexandre Taschereau ? Y avait-il de
l’antisémitisme à cette époque au Québec ? Voilà
le genre de questionnements que le spectateur
pourra se poser au cours de la représentation…
Propos recueillis et mis en forme
par Étienne Liblanc.
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