Noesis
13 | 2008
Quine, Whitehead, et leurs contemporains
Whitehead et les pères fondateurs de lacanique
quantique
bastien Poinat
Édition électronique
URL : http://noesis.revues.org/1628
ISSN : 1773-0228
Éditeur
Centre de recherche d'histoire des idées
Édition imprimée
Date de publication : 15 mars 2008
Pagination : 175-191
ISBN : 2-914561-46-6
ISSN : 1275-7691
Référence électronique
Sébastien Poinat, « Whitehead et les pères fondateurs de la mécanique quantique », Noesis [En ligne],
13 | 2008, mis en ligne le 15 décembre 2009, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://
noesis.revues.org/1628
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Whitehead et les pères fondateurs de la
mécanique quantique
bastien Poinat
Introduction
1 Le contraste est frappant entre les textes de Whitehead traitant de la théorie de la
relativité et ceux consacrés à la mécanique quantique1 : autant les premiers sont longs et
nombreux, autant les seconds sont rares et, en ral, assez brefs. Dans Procès et Réalité,
le texte majeur de Whitehead, on ne trouve que quelques allusions aux pnones
quantiques ; il en va de même des autres ouvrages de Whitehead où les remarques sur la
canique quantique sont finalement assez marginales. La seule exception concerne La
Science et le monde moderne, un chapitre d’une dizaine de pages est consac à la
canique quantique. En revanche, Whitehead ne, à plusieurs reprises, des discussions
très seres de la théorie de la relativité, notamment dans Le Concept de nature et dans La
Science et le monde moderne. De même, Whitehead évoque très souvent le nom d’Einstein, à
propos de ses travaux sur la relativité, alors que ceux de Bohr, de Heisenberg, ou de
Schdinger n’apparaissent pas dans les ouvrages qu’on vient de citer. Cette absence de
mention explicite est d’autant plus remarquable que Whitehead écrit ses principaux
ouvrages de philosophie au moment même la mécanique quantique est en train de
naître, c’est-à-dire dans les anes 1920–1930.
2 Toutefois, en suivant les éléments de réflexion dons par Whitehead à propos de la
canique quantique, il est possible de tisser des liens avec la nouvelle physique et les
scientifiques qui l’ont tie. Ces derniers ont en effet été amenés à réfléchir sur des
questions que l’on retrouve dans la philosophie de Whitehead : quels sont les composants
ultimes de la nature ? Quel est le rapport entre les ondes et les corpuscules ? Qu’est-ce
que la réalité ? La mécanique quantique est en effet une théorie physique mais la
signification profonde des formules qu’elle contient est si licate à saisir qu’elle nous
oblige à repenser ces grandes questions de métaphy sique et d’épistémologie.
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3 Ce que nous nous proposons de faire ici, c’est justement d’expliciter ces liens, de
construire les éléments d’un débat qui n’eut malheureusement pas lieu directement. Pour
cela, nous suivrons progressivement les éléments de réflexion donnés par Whitehead sur
la canique quantique ; nous pourrons ainsi les confronter aux analyses des pères
fondateurs de la canique quantique, et voir comment Whitehead se situe dans les
bats qui les occurent au début du XXe siècle. Insistons sur ce point : il ne s’agira pas
ici de faire de nouveaux rapprochements entre la philosophie de Whitehead et la
canique quantique en général, mais de situer Whitehead par rapport aux physiciens de
son époque qui fondèrent la théorie quantique.
1. Les phénomènes quantiques et la physique
classique
4 Pour Whitehead, la mécanique quantique porte le dernier coup à la théorie matérialiste
de la nature. Dans La Science et le monde moderne, Whitehead la compare à la théorie des
épicycles :
La doctrine physique de l’atome est maintenant dans un état qui suggère fortement
celui de l’astronomie des épicycles avant Copernic2.
Autrement dit : il y a urgence à abandonner définitivement la doctrine matérialiste
ritée du XVIIe siècle.
5 Ici, la doctrine physique de l’atome renvoie à ce que Whitehead appelle le
« matérialisme » et qui est l’œuvre des grands physiciens du XVIIe siècle. Whitehead
formule plusieurs objections au matérialisme, en s’appuyant notamment sur les
veloppements de la science (en particulier ceux de la biologie et de la psychologie).
Dans cette perspective, la mécanique quantique appart comme la confirmation de
l’inaptitude du marialisme à décrire la nature. Plus précisément, les phénones
quantiques sont incompréhensibles, selon Whitehead, dès lors qu’on conserve le schéma
d’explication mécaniste qui est celui du marialisme.
6 Whitehead prend soin de détailler ce problème : au but du XXe siècle, la physique
connaît fondamentalement deux types d’enti: les ondes (électromagnétiques
principalement) et les corpuscules (les atomes, ou les composants des atomes). Le
marialisme vise alors à expliquer tous les phénomènes à partir des mouvements de ces
deux sortes d’entités. Or, ce schéma d’explication se heurte aux phénomènes quantiques.
Selon Whitehead, il en est un, en particulier, qui montre de façon définitive que la
conception marialiste du monde est passée : il s’agit de la quantification des
phénomènes. C’est ce phénomène qui fut à l’origine de la révolution quantique ; il est
apparu en 1900, alors que Max Planck s’intéressait au problème du rayonnement du corps
noir. Les physiciens constataient en effet que de nombreux phénomènes, lorsqu’on les
observe à l’échelle atomique, présentent des phénomènes de discontinuités. Autrement
dit, il faut quantifier les grandeurs de la physique atomique ; c’est ce que s’employa à faire
la nouvelle théorie physique en cours d’élaboration : la théorie quantique.
7 Cette quantification concerne principalement deux grandeurs : l’énergie et la fréquence
de la lumre émise par une molécule. En effet, une mocule qui émet de la lumière
n’émet pas cette lumre de façon continue mais par paquets, ou quanta de lumre (les
photons). L’énergie ne peut donc pas croître ou décroître de façon continue : il y a des
sauts. De me, les fréquences d’émission ne forment pas un ensemble continu ; la
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mocule qui émet ne peut pas émettre cette lumre à n’importe quelle fréquence : seules
quelques fréquences sont autorisées.
8 Cette question est intéressante pour Whitehead parce que les discontinuités sont
inexplicables s lors qu’on conçoit la molécule (ou l’atome) comme de la matière en
mouvement. En effet, on ne voit pas comment le mouvement des éléments de matière qui
la composent (les particules telles que l’électron ou le proton) pourrait produire des
discontinuités dans le rayonnement lumineux qui est émis. Il faudrait que le mouvement
lui-même présent des discontinuités. Mais pourquoi en serait-il ainsi ? Quelle raison
pourrait être à la base d’une quantification des grandeurs caractéristiques du mouvement
(la vitesse, la direction, etc.) ? Pour faire comprendre cette situation, Whitehead utilise
l’image suivante :
La difficulté avec la théorie quantique est que, d’après cette hypothèse, on doit se
représenter l’atome comme ne fournissant qu’un nombre limité de tracés bien
définis, qui sont les seuls chemins le long desquels une vibration peut avoir lieu,
alors que la représentation scientifique classique ne fournit aucun de ces tracés. La
théorie quantique exige des chariots suivant un nombre limité de routes, alors que
la représentation scientifique offre des chevaux galopant dans les prairies3.
Whitehead consire donc que la conception marialiste de la matière est incapable
d’expliquer les discontinuités et qu’il faut un changement radical de concepts pour
crire la matière. De ce point de vue, il se démarque des positions prises par Bohr
jusqu’en 1925, positions qui visent à conserver, autant qu’il est possible, les concepts
rités de la physique classique4. Ce conservatisme ontologique se manifeste d’abord en
1913, lorsque Bohr propose son mole de l’atome. Dans ce mole, on continue de
crire l’électron comme un corpuscule de matière, en orbite autour du noyau, mais on
ajoute des restrictions : les niveaux d’énergie sont quantifiés et l’électron ne peut occuper
que certains de ces niveaux d’énergie. C’est ce qui explique la discrétisation des
fréquences d’émission. Mais ce modèle apparaît comme une sorte de compromis instable
entre la conception mécaniste héritée de la physique classique et les exigences nouvelles
issues des phénomènes de discontinui: on n’explique pas vraiment pourquoi les
niveaux d’énergie sont quantifiés et soumis à des restrictions5. Autrement dit, on se
contente d’ajouter un postulat de quantification à une représentation qui demeure
fondamentalement liée à la physique classique. Le modèle est ainsi un compromis assez
insatis faisant de conservatisme et d’innovation conceptuelle.
9 On retrouve ce conservatisme ontologique dans le principe de corres pondance, que Bohr
adopta progressivement à partir de 1920 et jusqu’en 1925 environ. Ce principe préconisait
principalement « d’étendre le plus loin possible l’usage des concepts des théories
classiques de la mécanique et de l’électrodynamique »6. Autrement dit, il s’agissait de
maintenir, autant qu’il était possible, les outils hérités de l’ancienne physique. Le principe
de correspondance servit effectivement de guide, pendant les années de formation de la
canique quantique, à Bohr et à la plupart des physiciens qui travaillaient sur la
microphysique, et il permit de résoudre un certain nombre de problèmes7. Mais les
tensions conceptuelles qu’il induisait en raison de son conservatisme ne tarrent pas à
se faire sentir. Elles rendirent nécessaire de bâtir une théorie fondamentale nouvelle, à
l’aide de concepts nouveaux : la mécanique quantique.
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2. Les vibrations organiques et les ondes de
Schrödinger
10 Autour de l’année 1925, lorsque Whitehead publie La Science et le monde moderne, nous
sommes donc dans une riode de crise. Comme nous l’avons dit, la position de
Whitehead consiste à prôner la rupture et le changement radical de système conceptuel
pour crire les constituants et les processus de la nature.
11 La révolution ontologique propoe par Whitehead est la suivante : il faut considérer que
la nature est peuplée d’organismes, eux-mêmes éventuellement composés d’éléments
plus primitifs de différentes espèces, qu’il appelle des « organismes premiers » (primates).
Ce sont des orga nismes en raison de la dépendance des parties à l’égard du tout :
Les entités concrètes qui durent sont des organismes, de telle sorte que le plan du
tout influence le caractère même des divers organismes subordonnés qui entrent
dans sa composition8.
Les objets de la physique, notamment les protons du noyau atomique, les électrons, etc.,
sont ainsi des organismes composés d’« organismes premiers ». Ces complexes associatifs
sont plus ou moins stables et c’est cette propriéqui détermine la due de vie du tout
qu’ils forment :
Nous pouvons imaginer le noyau atomique comme étant composé d’un grand
nombre d’organismes premiers de différentes espèces, et peut-être avec plusieurs
organismes premiers de la même espèce, l’association tout entière favorisant leur
stabilité. On trouve un exemple d’une telle association dans l’association d’un
noyau positif avec un électron négatif pour obtenir un atome neutre9.
Or, ces « organismes premiers » sont fondamentalement des entités vibratoires. Il faut
comprendre ici que ce qui vibre, ce sont les formes des parties et donc aussi la forme du
tout : elles vibrent au sens elles sont soumises à des modifications périodiques (ou
approximativement gulières).
12 Le phénomène d’émission de la lumière peut alors s’expliquer de la façon suivante : la
stabilité du complexe qu’est l’atome peut être truite par un élément extérieur, ce qui
conduit à la perte d’une des particules atomiques qui constituaient le complexe initial.
Cette particule est elle-même constituée d’organismes premiers, d’entités vibratoires,
mais le complexe qu’elle forme n’est plus stable dans son nouvel environnement (c’est-à-
dire non plus le noyau, mais le milieu extérieur). De ce fait, elle en vient à se dissoudre en
ces différents constituants, à savoir les entités vibratoires, qui vont donner naissance à un
faisceau de lumre :
En physique moderne, des éléments certains indiquent que, pour assurer la
fonction d’organismes corpusculaires au fondement de la physique, nous avons
besoin d’entités vibratoires. De tels corpuscules seraient ainsi ceux détectés lors de
leur expulsion hors du noyau des atomes, et dissous alors en ondes de lumière.
Nous pouvons supposer qu’un tel corpuscule, quand il est isolé, est trop instable
pour perdurer. Il s’ensuit qu’un environnement défavo rable, conduisant à de
rapides changements dans son propre système d’espace-temps, c’est-à-dire un
environnement qui le secoue par de violentes accélérations, provoque
l’émiettement des corpuscules et leur dissolution en ondes lumineuses avec une
même période de vibration10.
Enfin, et c’était le probme que la physique classique ne parvenait pas à résoudre, la
quantification des fréquences d’émission peut être expliquée simplement, en associant
une fréquence à chaque organisme premier :
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