I/Lanthropologie des religions
Lorsquil sagit de restituer lanthropologie des religions àson
histoire et àses développements, ce sont deux versions diffé-
rentes quil est possible d’écrire. Soit elle mêle sans distinction
les contributions de philosophes, de sociologues, dhistoriens ou
de mythologues àcelles des ethnologues sans distinction : cest
la manière dont un Brian Morris [1987] brosse par exemple
le portrait historique des «études anthropologiques sur la reli-
gion »de Hegel àLévi-Strauss, en passant par les sociologues
Max Weber, Karl Marx et Émile Durkheim, et les psychologues
Sigmund Freud et Carl Gustav Jung. Soit, dans une tout autre
perspective, le champ de lanthropologie des religions se révèle
plus restrictif et se rattache àune tradition académique bien
particulière, celle de l’étude comparative des sociétés non occi-
dentales et de leurs systèmes de croyances. Entre la version
englobante et intégrative, et la version restrictive et exclusive,
tout est question de perspective. Et cest la seconde qui est
retenue ici, pour des raisons qui sexpliquent aisément.
Quelle « anthropologie » des religions ?
Préciser lidentitédu domaine d’étude ici retenu suppose de
clarifier préalablement ce quon entend par «anthropologie ».Le
terme connaît actuellement un engouement considérable : il y a
quantitéde domaines dans lesquels on rencontre de l’« anthro-
pologie », laquelle apparaît dans cet usage comme une caté-
gorie générique oùil est possible de sinclure sans autre forme de
procès, dès lors que le discours évoque lHomme (en général)
et prétend àun semblant duniversalité. Dans une acception
large, lanthropologie des religions inclurait toute œuvre parlant
des rapports de lhomme àla religion. Philosophie, histoire ou
théologie peuvent alors revendiquer de sinscrire dans une
anthropologie. Il sagit toutefois de savoir si ce discours «anthro-
pologique »est celui dune anthropologie religieuse ou dune
anthropologie de la religion.Lapremière ne cache rien de son
appartenance au registre du discours religieux, àla manière
dune Théologie de la culture, que Paul Tillich décrète entièrement
enracinée dans la religion [1972]. La seconde, moins suspecte
daccointances avec son objet, sinscrit plus fermement dans les
perspectives scientifiques des sciences de lhommeetdela
société. Quelques présupposésdenaturequasithéologique
émaillent pourtant, ici ou là, un domaine de connaissance qui
prétend paradoxalement instaurer une distance intellectuelle à
son objet et, parmi les plus repérables, on trouve par exemple
que lHomo sapiens est par nature religiosus, que le divin (theos)
serait a priori universel, et que les sociétés humaines sont néces-
sairement baignées de religion, quand ce nest pas la religion qui
bénéficie dune antérioritéhistorique sur la culture (comme chez
Ries [1992]). Une anthropologie des religions est, quant àelle,
et dans lacception ici retenue, un champ d’études savantes né
au XIXesiècle, dans le creuset dune anthropologie académique,
dont les ambitions rejoignent celles du second domaine précité
mais qui ne se confond pas avec le premier. Les rapports avec
ce dernier sont caractérisés par la suspicion réciproque : comme
le résume Mark K. Taylor, qui les a analysés, les tenants
dune anthropologie religieuse dénoncent le positivisme des
anthropologues des religions, alors que la plupart de ces derniers
repoussent fermement toute contamination du discours anthro-
pologique par des idées religieuses, en maintenant leur propos
dans une tradition théorique et méthodologique fondéesur
l’étude comparative des sociétés et des religions (en particulier
non occidentales) [1986, p. viii].
Quand bien même cette précision aurait étéfaite, la défini-
tion du domaine d’étude nest toutefois pas durablement établie
pour autant. Un certain flou terminologique pèse sur son iden-
titédisciplinaire et sur celle de ses objets. Pendant longtemps,
elle a étéconsidérée (en France) comme une sous-section dune
LANTHROPOLOGIE DES RELIGIONS 7
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