souvent jusqu’à priver l’étranger de ce dernier degré de réalité en en faisant un
« fantôme » ou une « apparition » .
Un exemple parmi tant d’autres : les Inuit étaient autrefois appelés Esquimaux.
En fait, ce dernier terme était un qualificatif péjoratif qui leur était donné par les
groupes indiens du Nord, les désignant ainsi comme ceux « qui mangent la
viande crue », c’est-à-dire les sauvages.
L’ethnocentrisme conduit fréquemment à l’affrontement, sauf s’il est canalisé
par le droit. Et aussi par des processus d’échange. On a ainsi pu démontrer à
l’aide de nombreux exemples historiques ou ethnographiques que la tendance au
conflit a été contrebalancée par un triple échange : celui des conjoints
(prohibition de l’inceste), des biens (commerce), des dieux (ou, sous une forme
plus moderne, des idéologies).
Le racisme est moins répandu. Dans l’Antiquité, les Romains étaient
ethnocentristes, dans la mesure où ils appelaient barbares tout ce qui n’était pas
gréco-romain. Mais ils n’étaient pas racistes. Le racisme apparaît à l’époque
moderne, et semble être le fait de principalement des Occidentaux, du moins
dans sa référence à une cause biologique d’infériorité. Mais il n’est pas leur
exclusive. En Afrique Noire, les conflits entre les Hutu et les Tutsi étaient bien
basés sur des critères raciaux. De même, dans les sociétés de la région Caraibe,
la graduation de la couleur de la peau a une grande importance et n’est pas le fait
que des Blancs.
Le multiculturalisme peut servir à définir un état de fait, ou une politique. Dans
le premier cas, on retombe dans le péril des définitions trop larges, dans la
mesure où toute société est plus ou moins multiculturelle suivant la définition
que l’on adopte du mot culture. Pour se borner à la France, il y a une culture des
travailleurs immigrés ; mais il y a aussi une culture parisienne et une culture
marseillaise.
Nous préférerons la seconde acception, plus restreinte, qui consiste à définir des
cultures et leurs éléments, ou à les nier, par le moyen de politiques publiques et
la mise en œuvre de critères juridiques.
En ce sens, que ce soit en droit interne ou international, l’élaboration ou la
négation d’un droit distinctif des minorités et des populations autochtones
fournit d’assez bons points de repères.
C. Lévi-Strauss, Race et Histoire, Paris, Denoel, 1987, 21.