Le bouddhisme en Chine
XAVIER WALTER
« Confucéisme, bouddhisme et taoïsme sont comme trois boutiques arborant trois
enseignes différentes. […] Si le magasin confucéen est plus grand, le bouddhique et
le taoïque plus petits, il n’y a rien de chacun que l’on ne retrouve chez les autres. […]
Si la Voie offre des différences de façades, ses éléments internes restent, au fond, iden-
tiques » (Lieou Ngo, Les Pérégrinations d’un clochard, Gallimard, Folio, 1988,
p. 160). Tel est l’univers religieux chinois orthodoxe : hier et aujourd’hui, par centaines
de millions, les Han se réclamant du taoïsme, du bouddhisme, à peine moins anciens,
ou de leurs pratiques mêlées. « La mythologie chinoise de la Chine moderne (compre-
nons la Chine de ces deux derniers millénaires) s’est formée au cours des siècles par
la juxtaposition d’éléments d’origine diverse : on y trouve pêle-mêle, à côté de vieilles
divinités indigènes, certaines grandes figures d’origine bouddhique, des héros historiques
divinisés à une époque récente, des personnages taoïstes, etc. Et comme il n’y a jamais
eu de groupement d’aucune sorte ayant charge spéciale de la religion, pour en diriger,
ou tout au moins, en codifier le développement, doctrine et mythologie se sont consti-
tuées sans coordination, acceptant les idées et les personnages qui frappaient l’imagi-
nation populaire en divers temps, non sans contradictions et doubles emplois » (Henri
Maspéro [1883-1945], Le Taoïsme et les religions chinoises, Gallimard, 1971, p. 89).
Formidable poids du temps, des usages. Quid du bouddhisme, hier et aujourd’hui ?
X. W.
«AUdébut des années 1980, le boud-
dhisme chinois connaît un nouvel
essor, tout en demeurant l’objet
d’une stigmatisation, héritage de près de trois
décennies de persécutions. Pour survivre et se
conformer à l’éthique imposée par le gouver-
nement, les moines étaient contraints de privi-
légier le “travail productif”. L’influence crois-
sante du bouddhisme parmi les laïcs et la
multiplication des échanges entre monastères
et croyants conduisent à une valorisation
progressive du capital culturel et religieux du
bouddhisme (1). » Ce récent témoignage réflé-
chit le destin du bouddhisme en Chine. Oui,
le bouddhisme a subi, à l’ère maozedong, un
traitement comparable à celui que toute reli-
COMMENTAIRE, N° 128, HIVER 2009-2010 933
(1) Zhe Ji, « La nouvelle relation État-bouddhisme », Perspectives
chinoises, n° 84, 2004.
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gion connaît sous toute dictature marxiste. En
1953, il a été créé une Association des boud-
dhistes de Chine, appelée à contrôler les
monastères et la pratique du bouddhisme,
comme étaient créés l’Association catholique
patriotique et le Conseil chrétien de Chine (dit
aussi Église des Trois-Autonomies) qui encadre
les protestants. Cette tolérance de la religion
encadrée préludait à son inéluctable dispari-
tion quand aurait triomphé la pensée-maoze-
dong… Ne remonter qu’à l’ère Mao fausse la
teneur de ces contrôles que l’histoire chinoise
commandait autant que la doctrine de Mao.
L’empereur Yongzheng, en 1727, justifie son
refus de tolérer le christianisme par le souve-
nir que l’orthodoxie attache à la mémoire des
souverains « coupables » d’avoir laissé s’im-
planter bouddhisme et lamaïsme, mille ans et
plus avant son règne (2). Accusation d’autant
plus significative que ce « Fils du Ciel » était
lui-même de religion lamaïste et que, de ce
fait, le bouddhisme tibétain, Vajrayâna
Véhicule de diamant ») (3), connaissait
alors une audience certaine ! Formidable
ambiguïté ? La réalité chinoise en est cousue !
Quand le bouddhisme
a-t-il touché la Chine ?
Quand le bouddhisme a-t-il touché la
Chine ? Longtemps, « les érudits hésitent à
dater [l’événement] à trois siècles près (4.
On en sait un peu plus aujourd’hui. Si la Chro-
nique des Han dit qu’il fut introduit en Chine
par Mingdi, des Han postérieurs (57-75 de
notre ère), suite à un songe qui lui avait fait
voir « un homme blond, à la tête auréolée de
lumière », et qui l’avait incité à envoyer vers
l’Inde orientale des sages qui en rapportèrent
les premiers sûtra – on date désormais l’évé-
nement du règne de Huandi (146-167) et on
le fait provenir de l’Inde occidentale par la
Route de la Soie. Fojiao, l’« enseignement
(chinois) de Bouddha », ou bouddhisme fo –
Foto, abrégé Fo –, procède du Mahayana, le
« Grand Véhicule » constitué lors du concile
rassemblé, en 135, par l’empereur kouchan
Kanishka Ier, qui opéra une scission d’avec le
bouddhisme originel dit Hinayana, « Petit
Véhicule ». La paix relative établie entre
Kouchans et Chinois au IIesiècle permet au
Mahayana de procéder vers la Chine occi-
dentale. Le Grand Empire connaît alors une
vague de curiosité à l’endroit de toute forme
de religion personnelle, face à une religion
officielle de plus en plus formelle et impropre
à répondre aux aspirations spirituelles des
Chinois. « Le mysticisme taoïste avait préparé
beaucoup d’entre eux à accueillir avec curio-
sité la propagande bouddhique (5). » Le
confucéisme officiel des lettrés (6) – qui est à
l’éthique du maître saint ce que l’augustinisme
politique est à l’Évangile – résista et eût sans
doute connu un total succès, empêchant le
bouddhisme de devenir jamais puissant, si,
trois siècles durant, l’Empire ne s’était
morcelé, au bénéfice souvent de dynasties
« barbares ». La civilisation nationale résista,
non la religion officielle ; ce fut la chance du
bouddhisme fo. La période des Six Dynasties
(265-589), pleine de troubles politiques,
« abonde en nouveautés ». Les arts chinois
dits classiques commencent à prendre corps et
c’est le temps d’un « formidable mouvement
de ferveur religieuse aux aspects divers et aux
vastes effets (7) ». Les troubles durent jusqu’à
l’avènement des Tang (618-907), forçant l’ho-
lisme chinois plutôt fermé aux apports exté-
rieurs et offrant au « Grand Véhicule » l’oc-
casion de se répandre, au prix – bien sûr ! –
de sa sinisation. Son Église représentera
bientôt une force politique considérable,
assise sur des monastères nombreux et
opulents, d’une part, une doctrine sans cesse
enrichie, d’autre part.
Les premiers sûtra traduits à Luoyang, capi-
tale des Han postérieurs (25-220), l’ont été en
178 par un Kouchan, Lokakséma. Cent ans
plus tard, un centre bouddhique important
voit le jour à Dunhuang (Gansu) et la
première traduction du Sûtra du Lotus est
établie par Dharmaraksa, un des principaux
traducteurs du Mahayana. Vers 360, près de
Dunhuang, est creusée la première grotte
XAVIER WALTER
934
(2) Cf. Père Antoine Gaubil, Correspondance de Pékin, éd. Renée
Simon, Genève, Droz, 1970, lettre du 27 juillet 1727, p. 142.
(3) « Véhicule du Diamant », Vajrayâna procède du Mahayana,
le « Grand Véhicule ».
(4) Marcel Granet, La Religion des Chinois [1922], PUF, 1951,
p. 137.
(5) Ibid., p. 138-139.
(6) Confucéisme formel affiché, car il y a, bien sûr, des lettrés
qui « écoutent l’intuition de leur cœur » et observent avec fidélité
le ren, prôné par Confucius : « vertu d’humanité, bienveillance
envers autrui, libérale, universelle et désintéressée, participation de
l’homme à la vertu du Ciel » ; mais ils réservent, en général, cette
éthique à leur vie familiale.
(7) Jacques Gernet, Le Monde chinois, Armand Colin, 1972,
p. 180.
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« aux cent bouddhas » ; en 386, les Wei du
Nord (386-534), au Shenxi, adoptent le boud-
dhisme fo comme religion officielle ; en 399,
le moine Faxian (337-422) part, par l’ouest,
visiter les lieux saints du bouddhisme, en
revient par l’est et la mer ; en Inde, il a copié
des textes et rencontré des sages bouddhistes
que la réaction hindouiste n’a pas encore jetés
dehors. En 404, Huiyuan, supérieur du
monastère de Donglin, au Jiangxi, revendique
l’indépendance totale des communautés
bouddhistes. Andi, des Jin orientaux (8),
refuse et lance une persécution qui tourne
court… En 489, les Wei du Nord s’installent
à Luoyang (9). Dans le dessein toujours de
mieux connaître la doctrine, en 518, l’impéra-
trice douairière Hou envoie aux Indes un
ambassadeur et quelques moines ; l’empereur
Yang, des Sui (605-616), en fait autant. L’aire
du bouddhisme s’étend, ses textes en chinois
se multiplient. « Le plus savant de tous les
bouddhistes de la Chine (10) » est Xuanzang,
alias Tripitaka (11). En 629, l’empereur
Taizong, des Tang (626-649), a missionné l’il-
lustre moine qui, au cours de son voyage,
visite des princes de toutes races, multiplie les
relations diplomatiques. De même fit Wang
Xuanze, sous Gaozong (649-683). « Les Tang,
reprenant la politique d’expansion des Han,
surent utiliser à des fins politiques la foi que
les dynasties barbares avaient laissée s’établir
en Chine (12). » Dès la fin désastreuse de l’ère
Xuanzong (712-754) longtemps brillante, les
Tang déclinent. En 763, les Tibétains prennent
Chang’an et monnaient cher leur départ, puis
les Ouïghours attaquent le Gansu. Wuzong,
des Tang encore (840-846), taoïste, veut
renflouer les finances et occuper réellement le
trône ; il ferme les sanctuaires bouddhistes,
disperse 250 000 moines, confisque leurs
biens : c’est le Grand Interdit de 845. Or, son
fils (846-859) qui lui succède l’année suivante
le lève… Xizong (874-888) voit le début de la
révolte de Huang Chao, lettré bouddhiste qui
veut « réparer les injustices » et va dévaster le
pays. En 880, Huang prend la capitale.
Xizong, en dernier recours, fait appel à un
« barbare » du Gobi, Li Keyong qui liquide
Huang (884) et les Tang (907). Contestable,
la constante intrusion des bouddhistes dans le
pouvoir ? Oui. Mais le bouddhisme, ce n’est
pas que cela. C’est aussi l’initiative de Bai-
zhang Huaihai (749-814) qui insiste sur la
nécessité pour les moines de vivre du fruit de
leur travail aux champs. Baizhang, il est vrai,
est maître chan.
Le bouddhisme chan
et la civilisation chinoise
« Sitôt que le bouddhisme fut bien en cour,
la haute société chinoise trouva, dans les
doctrines de l’une de ses sectes, les éléments
d’un mysticisme distingué en faveur duquel
l’avait prédispoe la fréquentation des philo-
sophes taoïstes. Dès le VIesiècle, un boud-
dhisme contemplatif, le dhyâna, fut introduit en
Chine (13). » Dhyâna, l’oreille chinoise l’entend
chan na ; l’usage l’abrège en chan (14). Fondé
vers 520 par un moine indien, le chan est en
vogue sous les Tang. Lisez Wang Wei (701-759),
poète et peintre jugé sublime ! Chanshi,
« Maître de Contemplation », il recherche dans
sa poésie un état de communion quasi amou-
reuse avec la nature, ses vers appellent au
recueillement. Même quête chez le peintre :
Wang, maître du shanshui (15), s’y abandonne à
la rêverie… Si « l’honnête homme » du confu-
isme original « fait fond sur les ressources de
son cœur (16) », le chan est « intuition du
cœur », dit Marcel Granet. « Ce qui donna
quelque solidité à l’engouement mondain en
faveur du bouddhisme fut le sentiment de la
valeur que possède comme principe d’inspira-
tion artistique l’intuition contemplative (17) »
Confucius n’est pas loin, ni le taoïsme. Phéno-
ne comparable sous les Song du Nord (960-
1126). Su Dongpo (XIesiècle), « lettré confu-
en vivant dans un retirement bouddhiste, sans
pour autant vivre en moine (18) », poète et
LE BOUDDHISME EN CHINE
935
(8) Leur capitale est à Jiankang (Nankin) ; ils règnent de 317 à
419. Andi règne de 361 à 365.
(9) Ils régnaient au Shanxi, à Datong, depuis 386 ; ils disparaî-
tront sous le coup des Sui (589-618) en 586.
(10) Paul Demiéville, Manuel des études indiennes. L’Inde clas-
sique, Imprimerie nationale, 1953, p. 404.
(11) Le héros du célébrissime Xiyou ji, « La Pérégrination vers
l’Occident » – titre donné à l’édition de La Pléiade, traduction
d’André Lévy. Le Xiyou ji, écrit au XIVesiècle (dynastie mongole
des Yuan) a été revu et augmenté au XVIe(dynastie des Ming) par
Wu Cheng’en (vers 1500-vers 1582).
(12) Marcel Granet, op. cit., p. 141.
(13) Marcel Granet, op. cit., p. 142.
(14) Zen en japonais.
(15) Shan, montagne, shui, eau : paysages dont l’art naît sous les
Six Dynasties (265-589).
(16) Confucius, Lunyu, IV, 11.
(17) Marcel Granet, op. cit., p. 152.
(18) Lin Yutang (1895-1976), My Country & My People, Londres,
Heinemann Ltd, 1938, p. 118.
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peintre, se disait juzu, – « complet ! ». Les pein-
tres « méditent la nature », en « dégagent
l’âme ». Sous les Song du Sud (1126-1279), le
chan souffle sur le shanshui et les portraits.
Combien de Paysage(s) du soir, monochromes,
respirent chanji – « libération de l’esprit liées à
la contemplation » ! Chan sourit à la nature
sentimentale des Han, la libère élégamment de
la raideur des convenances.
Le bouddhisme a influencé tous les arts
chinois. Ta, la pagode, a pour premier sens
stupa, « tour » bouddhique dans laquelle on
conservait reliques et écrits. Au Sichuan, la
plus grande effigie de bouddha du monde date
des Tang. Le plus ancien texte imprimé (868)
est un Sûtra du diamant. L’iconographie ?
« Jamais les Chinois n’avaient eu affaire à des
dieux aussi concrets et aussi prochains », mais
qualité et originalité de leurs icônes n’en sont
pas les caractéristiques majeures. « Si, aux
premiers temps de l’art bouddhique en Chine,
les dieux gardent encore, avec de la beauté,
quelques traits individuels, une uniformité
médiocre devint vite la règle. Les inscriptions
votives sont de la plus parfaite monoto-
nie (19). » Conformisme ? Pudeur aussi. Les
figures les plus représentées et vers lesquelles
va de préférence la dévotion des Chinois sont
Amitofo, le bouddha Amitabha, « l’Éclat
Infini » qui préside au « Royaume de
Pureté », et le bodhisattva Guanshiyin – dit(e)
couramment Guanyin, « qui prête attention
aux voix du monde ». Cet Avalokiteçvara
féminisé est dit(e) souvent « déesse de la
Miséricorde ». L’invoquer concourt à protéger
le voyageur des brigands, des démons, à
rendre les serpents sans venin, la foudre sans
danger, à donner aux familles de beaux
enfants. Source de toute miséricorde, elle
conduit les âmes au Paradis (20)… Milefo,
aussi, image du bouddha Maitreya, souriant et
débordant de graisse : image du bonheur
repoussé à des milliards d’années ! Le boud-
dhisme populaire multiplie figurines propitia-
toires, images porte-bonheur sur papier,
atteint la musique vulgaire qui en diffuse la
règle.
Le bouddhisme populaire peut revêtir un
aspect élaboré. Dans Jin Ping Mei (XVIIesiècle),
censé se dérouler au XIIesiècle, Dame-Lune,
maîtresse de maison attentive, a rassemblé les
femmes de la maisonnée. « Elle voulait écouter
la nonne Xué expliquer la Loi du Bouddha et
réciter les commentaires du Sûtra du
Diamant. » La lecture entourée d’un rituel
raffiné n’est pas du goût de toutes. « La grande
ur raffole de ce genre d’activités : pourtant
personne n’est mort (21)!» dit la concubine
Lotus-d’Or qui a conservé un sens utilitaire de
la religion ! L’utilitarisme est le principal obsta-
cle qu’a rencontré le bouddhisme en Chine : la
civilisation chinoise est profondément terre à
terre. En dépit de l’exceptionnel concours des
pressions barbares, des ruines successives de
l’État chinois et alors que, entre le Veet le
Xesiècles, de l’autre côté de l’Asie, sous l’effet
conjugué des barbares et de religions nouvelles,
le « Grand Occident » change radicalement, la
Chine baignée par le synctisme du « Grand
Véhicule » évolue, mais ne rompt pas. « Le
bouddhisme fo a emprunté de nombreux
éléments à la tradition chinoise. […] Le boud-
dhisme primitif met l’accent sur le salut de l’in-
dividu, ce qui porte à négliger les devoirs fami-
liaux. La tradition chinoise impose le régime
patriarcal, l’irvérence envers le pouvoir impé-
rial, assimilée à une atteinte à la piété filiale,
est faute grave. Ce constat incita le bouddhisme
chinois à évoluer vers le confucéisme, il ensei-
gna à ses adeptes à faire montre de piété filiale
et à être donc fidèles sujets de l’empereur (22). »
La Chine choisit toujours ce qu’elle prend à
l’étranger et s’empresse de le siniser !
Chan et néo-confuisme
Le chan n’en a pas moins atteint la pensée
chinoise dans ses principes. Zhu Xi (1130-
1200), éminent lettré se disant soucieux de
« revenir à la Voie de Confucius », met en
rapport les trois principes du Maître : « faire
briller en soi les vertus, renouveler les autres
hommes, se fixer pour terme la perfection »,
et les « Huit Interdictions » bouddhistes (23);
pour lui, si la régénération de la société passe
par la discipline de chacun, ces « Interdic-
tions » sont propres à y contribuer. Ména-
XAVIER WALTER
936
(19) Marcel Granet, op. cit., p. 153.
(20) Par exemple le domaine de Xiwangmu, « la Mère Reine de
l’Ouest », « paradis » (plutôt taoïste) des Immortels.
(21) Jin Ping Mei, Gallimard, La Pléiade, t. 2, p. 29 et p. 33.
(22) Que sais-je de la Chine ? Religions et vie religieuses en Chine,
Pékin, China International Press, 2004, p. 67.
(23) « 1. Ne pas tuer, 2. Ne pas voler, 3. Ne pas commettre d’actes
impurs, 4. Ne pas mentir, 5. S’abstenir d’alcool, 6. Ne pas faire
usage de parfums, ne pas se parer, s’abstenir des danses et spec-
tacles, 7. Ne pas faire usage de lits ou de sièges très élevés, 8. Ne
prendre aucune nourriture hors des temps prévus. »
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geant dans l’enseignement une place essen-
tielle à l’intuition immédiate, quand Confu-
cius assurait (Lunyu, XVII, 18) : « Le culte de
l’intelligence sans le goût de l’étude tourne à
la frivolité », il soutient que cette intuition est
sans rapport avec l’« illumination subite » du
chan, mais influencé par Zhang Zai (1020-
1077), Zheng Yi (1033-1107) et Zheng Hao
(1032-1085) pour qui la « raison universelle
(li) est principe transcendant de toute chose »,
il substitue ce li au Ciel – Tian. Pourquoi ? Le
Ciel, dit Confucius, « substance visible et
action invisible », a une volonté (yi), laquelle
contrarie l’intuition immédiate ! Et ce li, des
Zheng, fait mieux que voisiner avec le boud-
dhisme et sa « alité Ultime » : le même
idéogramme (li) traduit l’un et l’autre. Ces
innovations ne passent pas sans mal, mais
passent. Si Zhu Xi meurt en disgrâce, Tianyi,
« la volonté du Ciel » ne l’emporte pas sur le
ou les li ! Sous les Ming (1368-1644), Wang
Yangming (1472-1528) réprouve le « détermi-
nisme mécaniste » de Zhu Xi, mais, recourant
au concept de « bonté innée de l’homme » de
Mencius (24), il établit que, si la conscience
morale représente notre participation aux lois
de l’univers (le li toujours), l’étude objective
(valeur confucéenne cardinale !) est moins
importante que « l’intuition qui communie
avec l’essence des choses ». Encore le chan !
La pensée se renouvelle au XVIIesiècle. Les
Mandchous qui renversent les Ming en 1644
et se donnent le nom de Qing « Pureté »
sont lamaïstes. Or, leur qualité d’étrangers
leur impose de paraître « plus chinois que les
Chinois ». Si Shunzhi (1644-1662), être tour-
menté, meurt à vingt-cinq ans après être
devenu le moine bouddhiste Fulin, Kangxi
(1662-1722), Yongzheng (1722-1735) et Qian-
long (1735-1799) sont jalousement confu-
céens. Gu Yanwu (1613-1680) lie la fin des
Ming à l’interprétation aberrante de la pensée
de Zhu Xi sous l’influence du bouddhisme
chan et revient aux textes confucéens. Avec
Wang Zongxi (1610-1695) et Kaozhengxue,
l’« École de la recherche des preuves », il
refuse les « bavardages sentimentaux ». Kao-
zhengxue occupe longtemps des hommes d’une
érudition rigoureuse (25). Si les premiers ne
rompent pas avec le li des Zheng et de
Zhu Xi, Dai Zhen (1724-1777) le dénonce.
S’autorisant de la conception chinoise du
monde et de la continuité matière/esprit, il
tire à boulets rouges sur l’ascèse bouddhique.
Pour lui, la morale la plus élevée est dérivée
de nos désirs, nos instincts. « Vouloir les
supprimer est plus dangereux que de vouloir
arrêter le cours d’un fleuve. » La vertu ne
consiste pas à brimer le désir, elle réside dans
son usage harmonieux. Les travaux de Kao-
zhengxue sont publiés en 1829, sans grand
écho. Au XXesiècle, Feng Youlan (1895-
1990) (26) voit le chan comme un mouvement
social autant que religieux, une école indivi-
duelle de la vie, de peu de poids face à un
Ciel dont il affirme (comme Confucius) qu’il
est « doté d’une volonté ».
Mouvement sectaire d’origine étrangère, le
bouddhisme était deux fois suspect aux lettrés.
Fan Ye (398-445) constatait : « Pour étudier
et commenter les textes bouddhiques, il est
nécessaire de purifier son cœur, de cultiver le
“vide” ; les livres taoïstes prescrivent la même
voie. Aimer d’un amour altruiste et répugner
à tuer, se purifier soi-même et honorer la
vertu, n’est-ce pas la voie par laquelle le
junzi (27) fait montre de sa moralité et peut
communiquer aux autres le damo [dharma] ?
Malgré cela, les bouddhistes sont de formida-
bles hâbleurs, leurs propos n’ont aucune
assise. » Le propos reflète ce que, d’âge en
âge, le lettré modéré pense de la doctrine de
Fo et de sa prédication, le vulgaire étant
moins sensible à ce que la loi de Fo a de
commun avec la morale du junzi ou « les livres
taoïstes » qu’aux contes que propagent les
« formidables hâbleurs » ! Ces contes le fami-
liarisent avec la métempsycose, par exemple,
que les métamorphoses animales paraissent
illustrer. Une littérature d’origine indienne,
florissante quand le sanscrit devient familier
aux religieux chinois, concourt à illustrer la
doctrine du karma (ye en chinois) que l’on
façonne, positif ou négatif, suivant l’état d’es-
prit qui détermine l’action. Le ye donnera ses
fruits dans cette vie ou dans une vie future,
LE BOUDDHISME EN CHINE
937
(24) S’affirmant disciple de Confucius, Mencius, IVesiècle avant
notre ère, le plagie et le trahit. Renversant le propos du Maître :
« La bonté est le commencement et la fin des êtres. Il n’y a pas
d’être qui absolument ne soit pas bon » (Zhongyong, 27), il affirme,
se réclamant de Confucius, que « tous les êtres sont naturellement
bons » trahison !
(25) Citons Wang Fuzhi (1619-1692), Hu Wei (1633-1714), Yan
Yuan (1635-1704), Yan Ruoqu (1635-1704), Hui Dong (1672-1742),
Dai Zhen (1723-1777), Wang Niansun (1744-1832).
(26) Son Traité de l’homme, 1943, est une phénoménologie de la
conscience individuelle.
(27) Junzi ? Le « gentilhomme » ou « honnête homme », selon
Confucius.
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