Rééducation de la mémoire de travail

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Avant-propos
Rééducation de la mémoire de travail
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Claire Vallat-Azouvi 1,2
Antenne UEROS- UGECAMIF, Hôpital Raymond Poincaré, Garches
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INSERM-UPMC 731
Remerciements à tous ceux qui ont participé à la réalisation et à la validation de ce matériel :
A Madame Catherine Tessier, orthophoniste,
Au Docteur P. Pradat-Diehl et au Professeur P. Azouvi
Aux étudiants orthophonistes : R. Meffert, H. Ardisson, B. Martin, M. Bonnaud, diplômés
depuis.
A Adeline Kernin et Catherine Chasles, pour leur collaboration.
Et bien sûr à CPP, AC, C, CDA et tous les patients qui ont participé aux études permettant de
valider l’efficacité de ce matériel.
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Après avoir situé le cadre théorique, nous exposerons le principe général de ce programme de
rééducation ainsi que quelques études de cas permettant d’illustrer les rééducations réalisées
dans un cadre expérimental, validant l’efficacité et la spécificité du matériel. Pour une revue
plus détaillée, voir le chapitre « Rééducation cognitive de la mémoire de travail » in Neuropsychologie de la mémoire de travail (Vallat-Azouvi, C. , Azouvi, P., Pradat-Diehl, P., 2007).
Cadre théorique
Le concept de mémoire à court terme a progressivement laissé place à celui de «mémoire de
travail» permettant de rendre compte du maintien et du traitement simultané des informations. La mémoire de travail a donc pour fonction de maintenir temporairement une petite
quantité d’information pendant la réalisation d’opérations cognitives plus ou moins complexes. Elle joue un rôle clé dans différentes activités de vie quotidienne, comme le raisonnement, la compréhension du langage oral et écrit, l’apprentissage du vocabulaire ou encore
la lecture… Les plaintes des patients pouvant évoquer un trouble de la mémoire de travail
sont nombreuses et variées. Pour exemple, citons : la perte rapide d’information, les difficultés à maintenir ou à comprendre une conversation, les difficultés pour lire de façon suivie sans
être obligé de revenir en arrière, les problèmes de calcul mental, les difficultés de prise de note
(en réunion, au téléphone, en cours pour les étudiants), la perte d ’informations en cours
d’activités, la difficulté de gestion des interruptions ou des éléments distracteurs dans la réalisation d’une tâche, les difficultés en doubles tâches.
Baddeley et ses collègues décrivent un modèle de mémoire de travail comportant trois composantes : un système central, à capacité limitée (administrateur central) et deux systèmes esclaves (la boucle phonologique et le calepin visuo-spatial). L’administrateur central
s’apparente à un système de contrôle attentionnel, comparable au système de supervision attentionnel décrit dans le modèle des fonctions exécutives de Norman et Shallice.
L’administrateur central supervise et coordonne la régulation du flux d’information, et sert
d’interface avec les systèmes esclaves, permettant le maintien et le traitement des informations. Il est impliqué par exemple dans des tâches de raisonnement, de calcul mental, de compréhension de texte, et intervient notamment dans les situations de doubles tâches et
d’interférences. La boucle phonologique permet le maintien et le traitement de l’information
verbale. Plusieurs études récentes suggèrent que la boucle phonologique soit impliquée dans
le contrôle verbal de l’action et n’ait donc pas uniquement un rôle «passif», mais aussi une
fonction exécutive plus active. Le calepin visuo-spatial permet le maintien et la manipulation
d’images mentales. Baddeley propose également en 2000, d’ajouter une quatrième composante à ce modèle. Il s’agit d’une mémoire tampon épisodique (ou «buffer épisodique») constituant un système à capacité limitée, permettant le stockage temporaire d’informations
multimodales et l’intégration au sein d’une représentation épisodique d’une part, des informations venant des systèmes esclaves et de la mémoire à long terme d’autre part. Cette composante constituerait donc une interface avec la mémoire épisodique à long terme.
Les troubles de la mémoire de travail sont fréquents (Azouvi P. et al, 2007) après lésion cérébrale
acquise (traumatismes crâniens, accidents vasculaires cérébraux, tumeurs) ou dans les pathologies dégénératives. Dans la littérature, peu d’études concernent la rééducation de ces troubles.
Ce matériel a été conçu dans une approche cognitive de rééducation de la mémoire de travail,
et il nous a semblé pertinent de se situer dans une conception proche de ce qui avait été fait dans
le domaine de l’attention puisque l’administrateur central est comparable à une composante attentionnelle, et donc de tenter d’appliquer le même type d’approche thérapeutique dans les cas
de déficits de l’administrateur central.
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Un certain nombre de travaux portant sur la rééducation des troubles de l’attention chez des
patients cérébrolésés adultes ont conduit, ces dernières années, à des résultats positifs. Sturm
et al. avaient montré l’intérêt d’une rééducation spécifique des composantes de l’attention
chez des patients victimes d’accidents vasculaires cérébraux et de traumatismes crâniens. De
même, des études récentes (Couillet, 2002) ont montré l’efficacité de techniques de rééducation de l’attention divisée, qui est une des fonctions classiquement attribuées à l’administrateur central de la mémoire de travail.
Une des premières études publiées concernant la rééducation de la mémoire de travail après
traumatisme crânien est celle de Cicerone (2002). Cette étude a porté sur un groupe de
quatre patients traumatisés crâniens légers en phase subaiguë (plus de trois mois après l’accident). Les patients étaient sélectionnés sur la base de plaintes subjectives et d’un échec à au
moins deux tests attentionnels sur six. Ils étaient comparés à un groupe de contrôle de patients non rééduqués (car domiciliés trop loin du centre) appariés en âge, sexe, durée d’éducation, et délai depuis l’accident (8,25 vs. 7 mois). Le programme de rééducation était centré
sur les opérations d’allocation et de régulation des ressources attentionnelles. Les tâches visuelles de type n-back (1-, 2-, et 3- back) étaient effectuées soit en tâche unique soit avec des
tâches interférentes de complexité variable : générations aléatoires ou tâches reproduisant des
situations de vie quotidienne individualisées (prise de notes, vérification d’inventaire…). La
rééducation était proposée au rythme d’une séance d’une heure par semaine, durant 11 à 27
semaines selon les cas. Les résultats montraient une amélioration sur 58,3% des mesures
pour les quatre patients traités (vs. 12,5% des mesures dans le groupe contrôle). Une amélioration était constatée sur un test de mémoire de travail (Paced Auditory Serial Addition
Test, PASAT) et sur un test mesurant la vitesse de détection automatique ou contrôlée (Test
2 & 7), mais il n’existait pas d’effet sur la vitesse de traitement évaluée par le Trail Making
Test. Il faut cependant souligner que les déficits cognitifs étaient relativement peu importants
chez ces patients. Les auteurs montraient par ailleurs, une diminution des difficultés en vie
quotidienne évaluées avec l’échelle d’évaluation des comportements attentionnels, comparativement au groupe de contrôle pour qui les difficultés restaient stables.
Coyette et al. ont décrit une rééducation de l’administrateur central chez un patient traumatisé crânien grave en phase chronique, présentant un déficit électif de l’administrateur central
avec préservation des systèmes esclaves. Cette rééducation, basée sur des mécanismes de restauration, était réalisée pendant 15 mois, à raison de deux séances hebdomadaires et proposait des tâches au sein desquelles la charge en mémoire de travail augmentait progressivement.
Il s’agissait de tâches de mémorisation en situation d’interférence (type Brown Peterson), de
mémorisation avec charge mentale (impliquant un stockage et un traitement simultané) et de
simulation informatisée d’une activité professionnelle du patient (relevés de mesures topographiques). Les résultats post-thérapeutiques montraient une amélioration sensible dans des
tests de mémoire de travail mais avec une fluctuation des performances et des scores qui ne
s’étaient pas normalisés. A noter qu’en parallèle à cet entraînement, il était proposé au patient
une approche plus écologique ayant pour objectif de lui apprendre à pallier les difficultés de
mémoire de travail en situation de vie courante.
Plus récemment, un groupe italien a rapporté une étude de rééducation de l’administrateur central de la mémoire de travail chez neuf patients traumatisés crâniens sévères . Les patients étaient
comparés à un groupe de contrôle de six patients appariés en âge et en sévérité du traumatisme,
présentant un ralentissement cognitif mais sans atteinte de l’administrateur central. La méthodologie utilisait une première mesure cognitive de ligne de base avant tout traitement, puis une
phase de pré-traitement, comprenant un « entraînement métacognitif » reposant sur un travail
de la conscience du trouble et l’anxiété. Une deuxième évaluation cognitive était alors réalisée
à la fin de cette phase, puis les patients recevaient l’entraînement cognitif proprement dit, repo5
sant sur une tâche de PASAT dont les intervalles inter-stimuli étaient progressivement diminués.
Les auteurs rapportent une amélioration après entraînement cognitif sur des tâches variées (attention divisée, n-back, fluences verbales, mémoire épisodique) alors que les épreuves de vigilance et de vitesse de traitement ne s’amélioraient pas. Cette amélioration dans des domaines
variés, y compris sur des épreuves ne mettant pas spécifiquement en jeu l’administrateur central,
pose toutefois la question de la spécificité du traitement.
Une équipe suédoise a réalisé plusieurs travaux portant sur l’entraînement de la mémoire de travail couplé à des études d’imagerie fonctionnelle cérébrale dans différentes pathologies, ainsi
que chez des sujets sains. Ces auteurs ont étudié en imagerie cérébrale l’effet de l’entraînement
cognitif de la mémoire de travail chez des sujets sains. Dans la première partie de cette étude,
trois sujets étaient entraînés à réaliser trois tâches de mémoire de travail visuo-spatiale pendant
cinq semaines. A la fin de la période d’entraînement, il existait une amélioration significative
(par comparaison avec un groupe non entraîné) sur des tâches non travaillées : l’empan visuospatial, la vitesse de réalisation du test de Stroop et les Matrices de Raven. L’IRMf montrait une
augmentation de l’activité dans le cortex préfrontal et pariétal après entraînement. Dans la
deuxième partie de cette étude, huit sujets sains réalisèrent cinq IRMf au cours de la période
de cinq semaines d’entraînement. Les performances des sujets sur la tâche de mémoire de travail
visuo-spatiale utilisée en IRMf (plus difficile que lors de la première étude) s’améliorèrent significativement avec l’entraînement, tant en terme de vitesse que de précision. La plupart des
sujets (6/8) rapportaient ne pas avoir changé de stratégie au cours de l’entraînement, utilisant
d’emblée une stratégie de « chunking » (regroupement des items en une entité globale). L’IRMf
montrait par ailleurs une augmentation d’activité corrélée avec l’amélioration des performances
dans les régions préfrontale et pariétale ainsi que dans le thalamus et le noyau caudé. Ces résultats sont intéressants car ils démontrent une plasticité cérébrale induite par l’entraînement
dans des régions cérébrales impliquées dans la mémoire de travail, en particulier dans le gyrus
frontal moyen et dans les régions pariétales supérieure et inférieure.
Cette équipe a réalisé également des études de rééducation de la mémoire de travail chez des
enfants souffrant d’un déficit d’attention avec hyperactivité (ADHD), montrant également
une amélioration significative se généralisant à des épreuves non travaillées ainsi que sur le
comportement évalué par les parents.
Ce même groupe a récemment présenté une rééducation informatisée des troubles de la mémoire de travail dans des cas de lésions cérébrales variées (vasculaires ou traumatiques) . Les
résultats montraient une amélioration des performances dans les tâches entraînées et également dans des tests d’attention et d’inhibition (test de Stroop). Une étude anatomo-fonctionnelle en IRMf (Wersterberg H., et Klingberg T., 2007) a été également réalisée pour un
des patients, montrant une augmentation de l’activité cérébrale dans la région du striatum du
côté de la lésion, après la rééducation.
Principe général du programme de rééducation
Ce protocole expérimental de rééducation de la mémoire de travail a fait l’objet d’études
expérimentales démontrant son efficacité. La thérapie repose sur une hypothèse de restauration des processus de mémoire de travail avec une méthodologie de type réentraînement
spécifique. Les différentes tâches proposées mettent en jeu à la fois les opérations de stockage
et de traitement et sollicitent :
- la boucle phonologique et l’administrateur central pour une partie des tâches : reconstitution de mots sur épellation orale, reconstitution de mots sur épellation orale avec lettres
manquantes, épellation orale, reconstitution de mots à partir des syllabes, estimation du
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nombre de lettres dans un mot, arrangement de mots dans l’ordre alphabétique, acronymes,
défilés de mots et de questions, et empan de Daneman ;
- le calepin visuo-spatial et l’administrateur central pour une autre partie : déplacement sur
un échiquier, déplacement dans un cube, et défilés de cartes.
Dans l’objectif d’augmenter progressivement la charge mentale requise pour réaliser les tâches,
chaque tâche comprend plusieurs niveaux de difficulté. Les niveaux de difficultés ont été définis et hiérarchisés en fonction de la longueur des items, du niveau de traitement, du degré
d’imagerie, de la fréquence d’utilisation dans la langue française et pour certaines tâches, de
la vitesse de présentation. Les listes de mots sont différentes d’un exercice à l’autre.
A noter que nous avons étudié la faisabilité de ce matériel avant de le proposer aux patients
cérébrolésés et afin de réajuster les niveaux de difficultés.
Le schéma expérimental pour démontrer l’efficacité et la spécificité de la méthode de rééducation était une étude en cas unique consistant en une ligne de base multiple selon les comportements (multiple baseline across behaviours). Il comportait deux mesures pré-thérapeutiques
pour évaluer le déficit et sa stabilité, et deux mesures post-thérapeutiques pour évaluer l’efficacité et la spécificité de la méthode ainsi que la stabilité des progrès. A chaque évaluation, plusieurs variables correspondant à des fonctions différentes étaient mesurées : des variables
« cibles » spécifiques non entraînées (empans auditivo-verbaux et visuo-spatiaux, empans de lettres et de mots, tâches de Brown-Peterson, Tâches de Corkin), des variables « cibles » non spécifiques (tâche informatisée d’attention divisée, résolution orale de problèmes arithmétiques,
compréhension orale de texte) et des tâches non cibles (temps de réaction simple et à choix,
rappel de figures complexes et de listes de mots). L’intérêt d’utiliser plusieurs types de variables
étaient d’évaluer différents effets : un effet de spécificité avec une amélioration des variables
cibles après la rééducation sans modification des variables non cibles ; un effet de généralisation
avec une amélioration des variables cibles non spécifiques ; un effet de transfert dans la vie
quotidienne avec une diminution des plaintes évaluées avec des questionnaires écologiques :
l’Echelle de Communication Verbale de Bordeaux (ECVB) , l’Echelle d’évaluation du comportement attentionnel et le questionnaire de mémoire de travail.
Ca s 1
Une première étude a porté sur la rééducation de l’administrateur central et de la boucle
phonologique chez un patient victime d’un accident vasculaire cérébral. Le patient, CCP, âgé
de cinquante-trois ans, avait présenté un infarctus pariétal gauche responsable d’une aphasie
de conduction et avait bénéficié d’une rééducation classique de l’aphasie pendant un an. A
un an de l’accident vasculaire cérébral, il avait une bonne récupération du langage mais il
gardait des plaintes en vie quotidienne : difficultés pour maintenir et comprendre une
conversation, difficultés de calcul mental (par exemple pour évaluer le coût des achats ou
la monnaie dans les magasins).
La rééducation expérimentale a débuté quatorze mois après l’accident vasculaire cérébral, à
raison de trois séances par semaine pendant six mois. Les exercices utilisés ciblaient l’administrateur central et la boucle phonologique.
Les tests ont montré des déficits avant rééducation spécifique et une évolution après rééducation. Les tâches cibles spécifiques de mémoire de travail, à savoir les empans de chiffres auditivo - verbaux endroit et envers et l’évaluation de l’administrateur central par l’épreuve de
Brown Peterson avec des tâches interférentes de suppression articulatoire et de calcul mental,
montraient des performances diminuées par rapport aux contrôles en pré-thérapie, et une
amélioration significative en post-thérapie, montrant ainsi l’efficacité de la rééducation de la
mémoire de travail. Pour les tâches cibles non-spécifiques, impliquant la mémoire de travail,
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les performances du patient en résolution de problèmes arithmétiques étaient très basses en
pré-thérapie, mais furent améliorées de façon significative après rééducation, ce qui confirmait la généralisation de la rééducation. Dans les deux questionnaires écologiques : l’Echelle
de Communication Verbale de Bordeaux (ECVB) et le questionnaire de mémoire de travail,
le patient rapportait avant la rééducation des difficultés dans toutes les situations de vie quotidienne, particulièrement lors de la conversation, de l’utilisation du téléphone et des courses;
ce qui contrastait avec un bilan de langage «instrumental» préservé. Une amélioration significative a été constatée après la thérapie spécifique. En ce qui concerne les tâches cognitives
non-cibles, le rappel de figures complexes n’était pas amélioré après rééducation ; ce qui
montrait la spécificité de la rééducation. Le patient a repris après la rééducation, spécifique
une activité professionnelle à temps plein à son niveau antérieur, ce qui était un argument en
faveur du transfert en vie quotidienne.
Cette première étude expérimentale, en cas unique, a permis de montrer l’efficacité et la spécificité de cette rééducation.
Ca s 2
Une deuxième étude de cas a permis de confirmer l’efficacité de la rééducation ciblant la boucle
phonologique / l’administrateur central et d’évaluer l’efficacité des tâches ciblant le calepin visuospatial / l’administrateur central. La patiente, AC, 38 ans, était seconde dans une agence bancaire.
Elle a été victime d’un accident vasculaire sylvien gauche et présentait initialement un mutisme
avec apraxie bucco-faciale. La compréhension orale était relativement bonne sauf pour les
phrases complexes et les textes. L’évolution s’était fait vers un tableau d’aphasie de conduction.
Une rééducation de l’aphasie avait alors été proposée et l’évolution avait été plutôt favorable mais
des plaintes persistaient surtout en situation de tâches multiples. La rééducation spécifique a débuté 4 ans et 3 mois après l’AVC. Lors de la première ligne de base, elle ne présentait pas de trouble spécifique de l’attention en dehors d’un léger ralentissement dans les épreuves d’attention
sélective. L’évaluation montrait un déficit isolé de la mémoire de travail mais global –ce qui
n’était pas le cas de CCP-, avec une atteinte de l’administrateur central, de la boucle phonologique et du calepin visuo-spatial. Dans un premier temps, nous avons proposé à AC le même protocole qu’à CCP, avec la même méthodologie. Au bout de 6 mois, on constatait : une
amélioration de la boucle phonologique ; une amélioration de l’administrateur central mais avec
néanmoins la persistance de difficultés dans la tâche de Brown Peterson pour les délais longs avec
une tâche interférente complexe ; et la persistance, sans amélioration, d’un trouble au niveau du
calepin visuo-spatial. Nous avons donc proposé, dans un second temps, les tâches adressant plus
spécifiquement le calepin visuo-spatial et l’administrateur central. On constatait, après cette seconde période, une amélioration nette des tâches évaluant le calepin visuo-spatial et l’administrateur central, sans amélioration des tâches non-cibles. Cette rééducation confirmait l’efficacité
de la thérapie chez une patiente ayant présenté un accident vasculaire cérébral et posait la question d’une spécificité modulaire de la thérapie.
Cas 3 : Etude de cas chez un patient traumatisé crânien sévère
Les troubles de la mémoire de travail sont très fréquents chez des patients traumatisés crâniens
(Azouvi, P., Vallat-Azouvi C., Couillet, J., Asloun, S., 2007) persistent dans le temps et ont des
conséquences majeures dans l’insertion socio-professionnelle. Les plaintes sont très fréquentes,
et même souvent à distance de l’accident. Nous avons donc voulu évaluer l’efficacité et la spécificité de cette thérapie chez des patients traumatisés crâniens graves en phase chronique. Plusieurs études de cas (soumis) nous ont permis de confirmer ces hypothèses.
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Monsieur CDA, 28 ans, a été victime d’un traumatisme crânien grave. Un bilan neuropsychologique effectué à deux mois de l’accident montrait des difficultés importantes d’attention et de
mémoire à court terme avec de bonnes capacités de mémoire à long terme et une relative préservation des fonctions exécutives. Monsieur CDA a alors bénéficié d’une prise en charge orthophonique en libéral. Il a tenté de reprendre son activité professionnelle relativement tôt, à 6
mois de son accident. Il a rencontré alors des difficultés importantes lors de cette reprise et a été
licencié. Monsieur CDA occupait un poste de contrôleur de gestion au moment de son accident ;
il est diplômé d’une école de commerce.
Il est reçu à l’Antenne UEROS-UGECAM (Antenne rattachée à une Unité d’évaluation, de réentraînement et d’orientation sociale et professionnelle pour personnes cérébrolésées) dans le cadre
de sa réinsertion professionnelle, à presque trois ans de son accident. Lors du premier entretien,
Monsieur CDA avait des plaintes typiques d’un trouble de mémoire de travail : difficultés pour
prendre des notes, pour retenir des informations à court terme, difficultés de concentration,
difficultés pour soutenir une conversation et fatigabilité «intellectuelle». Monsieur CDA avait le
sentiment de faire des efforts en permanence pour soutenir son attention.
L’examen neuropsychologique réalisé à ce moment-là, à un délai de trois ans, montrait un trouble
de l’attention affectant surtout l’attention divisée mais aussi l’attention sélective alors que la
composante «intensité« de l’attention était préservée. On constatait également la persistance
d’un déficit de la mémoire de travail plutôt centré sur l’administrateur central et la boucle phonologique et contrastant avec de bonnes capacités de mémoire à long terme et d’apprentissage.
Monsieur CDA rencontrait également des difficultés de résolution de problèmes arithmétiques
présentés oralement et de compréhension dans le dialogue élaboré et rapide. L’examen des fonctions exécutives et l’efficience globale correspondait au niveau attendu, comparativement à l’âge
et au niveau d’étude.
Etant donné que Monsieur CDA présentait un déficit relativement isolé de la mémoire de travail
en rapport avec ses plaintes et difficultés exprimées en vie quotidienne, nous lui avons proposé
ce protocole de rééducation de la mémoire de travail. La thérapie spécifique a démarré trois ans
après l’accident, au rythme de deux séances hebdomadaires pendant 8 mois et nous avons proposé les épreuves adressant la boucle phonologique, le calepin visuo-spatial et l’administrateur
central.
Comme dans les études précédentes, les résultats montraient une stabilité des performances pour
toutes les évaluations avant la thérapie et une amélioration spectaculaire des performances pour
les tâches spécifiques après la thérapie, et notamment pour les empans envers auditivo-verbaux
et pour le Brown Peterson verbal, témoignant de l’efficacité de la thérapie cognitive.
Une diminution des plaintes dans les échelles comportementales après la thérapie suggérait un
transfert du traitement dans la vie quotidienne. Le maintien des performances après l’arrêt du
traitement sur toutes les mesures a permis de montrer la stabilité des progrès à distance de la rééducation. Les performances de Monsieur CDA ne se différenciaient plus d’un sujet de contrôle
apparié pour une majorité des mesures et l’analyse des résultats obtenus par le patient avant et
après la thérapie confirmaient les hypothèses d’efficacité et de spécificité de la thérapie cognitive
pour les patients traumatisés crâniens également.
Des résultats similaires, positifs, sont retrouvés pour d’autres patients traumatisés crâniens mais
certaines prises en charge nous ont permis de discuter les limites de cette rééducation spécifique.
Les limites
L’anosognosie et les troubles dysexécutifs séquellaires associés ne semblent pas être une limite
rédhibitoire à l’efficacité de cette rééducation. En revanche, d’autres cas, pour lesquels cette
rééducation n’a pas permis d’améliorer les capacités de mémoire de travail ni de diminuer les
plaintes des patients, permettent de penser que le manque d’investissement (pour des raisons
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d’anosognosie ou de déni), la dépression et/ou l’anxiété, la sévérité des troubles cognitifs associés ou des troubles du comportement sont des facteurs limitants de ce type de thérapie cognitive.
La question de proposer ce matériel en phase précoce reste ouverte mais probablement à
évaluer en clinique, en fonction des facteurs limitants.
Conclusion
Ces différentes études ainsi que celles rapportées dans la littérature, montrent qu’une thérapie
cognitive spécifique de la mémoire de travail peut être efficace chez des patients cérébrolésés
avec lésions focales ou diffuses.
Cette thérapie pourrait également être proposée dans d’autres pathologies en adaptant le
matériel et les modalités de passation, notamment chez l’enfant ou l’adolescent et chez des
patients présentant des pathologies dégénératives.
Quelques conseils
Il est conseillé :
- d’évaluer de façon spécifique le déficit de mémoire de travail et son retentissement dans la
vie quotidienne avant de proposer cette rééducation aux patients, afin de guider les choix
des tâches à travailler,
- de proposer cette thérapie de façon individuelle à un rythme suffisant (deux à trois séances
hebdomadaires d’une heure environ pour les études de cas publiées par exemple),
- de proposer des exemples pour chaque tâche et chaque niveau,
- de ne pas changer de niveau si le patient n’obtient pas environ 90 % de bonnes réponses
pour le niveau considéré,
- de proposer une ou deux séances préliminaires consacrées à l’explication du concept de
mémoire de travail, des liens entre les tâches proposées et les difficultés exprimées par les
plaintes ainsi que des objectifs de la rééducation.
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