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de la météo au climat
6 - Surveiller le manteau neigeux
ENJEUX
La neige doit être
étudiée à toutes
les échelles pour
comprendre et prévoir
les phénomènes
qui lui sont associés.
© Pascal Taburet/Météo-France
FOCUS
Les chercheurs
de Météo-France ont
évalué l’impact du
changement climatique
sur l’enneigement
en montagne.
Station automatique
Le Joseray, Savoie.
Tous les deux mois, ce cahier spécial vous permet de comprendre les enjeux de la recherche sur
la prévision du temps et du climat. Il est réalisé avec le soutien des chercheurs de Météo-France.
enjeux Surveiller le manteau neigeux
de la météo au climat
Température /
Humidité de l’air
Vent
Rayonnement
solaire
Rayonnement
infrarouge
Pluie
Neige
ATMOSPHÈRE
Modèle monocouche
accumulation
Modèle de complexité intermédiaire
Résolution : quelques
dizaines de km (climat)
ou 2,5 km (prévision
numérique du temps)
accumulation
En général 3 couches,
résolution 8 km
accumulation
tassement
regel
percolation
ruissellement
échanges
thermiques
ruissellement
infiltration
infiltration
Modèle détaillé, Crocus
percolation
infiltration
Relief conceptuel, nombre de couches
variable, jusqu’à 50 en général,
prend en compte l'altitude, la
pente et l’exposition.
tassement
regel
métamorphose
échanges
thermiques
neige fraîche
particules
reconnaissables
ruissellement
ruissellement
grains fins
© Météo-France
faces planes
gobelets
grains ronds
Nord
altitu
de
Sud
Utilisé pour :
- la prévision et la recherche hydrologiques
à moyenne et grande échelles
- les études d’impact du changement
climatique sur l’enneigement
Utilisé pour :
- la prévision numérique du temps
- les simulations climatiques
Utilisé pour :
- la prévision du risque d’avalanche
- les études d’impact du changement climatique sur
l’enneigement
- les études hydrologiques en zones de relief
La neige dans tous ses états
Météo-France étudie la neige sous toutes ses coutures, du flocon aux
crues nivales. Les enjeux sont multiples : assurer la sécurité en montagne,
améliorer la précision des bilans hydrologiques, affiner la prévision
numérique du temps et les projections climatiques.
22
C’est le nombre
de victimes
d’avalanches durant
la saison 2011-2012
(source ANENA :
Association
nationale pour les
études de la neige
et des avalanches).
*
CNRM-GAME
Centre national de
recherches météorologiquesGroupe d’études de
l’atmosphère météorologique
A
lbertville, février 1992. La neige est
tombée et les médailles pleuvent. En
coulisse, de tout nouveaux outils pour
la prévision du risque d’avalanche tournent pendant toute la durée des Jeux olympiques. Baptisés
Safran, Crocus et Mepra, ces modèles ont été
mis au point par Météo-France afin de veiller à
la sécurité des sites où se déroulent les épreuves.
Vingt ans plus tard, les recherches en nivologie
ont encore progressé. Les trois logiciels ont été
affinés dans le but d’améliorer continuellement
la prévision de ce risque. « Ce sont les avalanches
involontairement provoquées par l’homme qui sont
les plus meurtrières », rappelle Pierre Etchevers, responsable du Centre d’études de la neige (CEN),
l’une des équipes du CNRM-GAME*.
Si les scientifiques n’arrivent pas à prévoir leur
déclenchement dans un couloir donné, ils peuvent
en revanche évaluer les conditions propices au
phénomène. Ils surveillent donc en continu les
variables du manteau neigeux (profils de température, types de grain et cohésion de la neige au
sol, etc.) et celles de l’atmosphère (température,
56 • Les Dossiers de la Recherche | DÉCEMBRE 2012 • N° 1
humidité, vent, précipitations). Avec ces informations et les prévisions météorologiques, la structure
du manteau neigeux peut être modélisée, et le
risque d’avalanche évalué. « Pour cela, nous devons
connaître les propriétés physiques de la neige, de la
manière la plus détaillée possible », souligne Samuel
Morin, chercheur au CEN. Aussi les scientifiques
travaillent-ils à différentes échelles, à commencer
par la plus fine : le grain de neige.
« Une des difficultés est d’estimer la taille de ces
grains, explique Pierre Etchevers. Ils ont chacun
des dimensions différentes ou des formes biscornues.
Plusieurs méthodes de mesure ont été mises au point.
Au CEN, nous avons été parmi les premiers à faire
des images en 3D de grains par tomographie X,
grâce à la proximité du synchrotron* de Grenoble .
À l’heure actuelle, la résolution des images est de
l’ordre de 10 microns, mais plusieurs projets visent
à l’augmenter dans les années à venir. » Un défi
technique demeure : celui de conserver intact un
échantillon de neige de la taille d’un sucre dans
des conditions froides, alors que le laboratoire
du synchrotron est à température ambiante.
Prévoir la neige en plaine
© Pascal Taburet/Météo-France
Prévision du temps ou du risque
d’avalanche, études climatiques et
hydrologiques : selon les cas, les
chercheurs utilisent des modèles de
complexités différentes pour simuler
l’évolution du manteau neigeux.
En route pour mieux prévoir la neige en plaine
La neige en hiver ne surprend pas les automobilistes qui vivent dans les massifs
montagneux. Mais en plaine, l’or blanc des sommets devient souvent une peste noire.
Comment faire pour mieux prévoir les chutes de neige là où elles restent des événements
rares, mais où leur impact est plus grand ? « En plaine, où les températures sont souvent
proches de 0° C, une erreur de prévision de quelques dixièmes de degré peut être suffisante
pour générer une erreur sur la prévision de pluie ou de neige », explique Ludovic Bouilloud,
chercheur à la Direction de la prévision de Météo-France. Lorsque cette dernière arrive sur
la chaussée, les échanges thermiques et hydriques entre la route et les cristaux vont être
importants pour déterminer si elle va fondre, tenir, se transformer en verglas, etc. « Afin
d’améliorer nos prévisions, nous avons développé le modèle Isba-Route-Crocus, poursuit
Ludovic Bouilloud. Il modélise les transferts d’eau et d’énergie entre la route
et la neige et simule avec précision le comportement de la neige sur la chaussée.
Il sera expérimenté au cours de l’hiver 2012-2013. »
*
ALBÉDO
Quantité d’énergie
provenant du Soleil réfléchie
par une surface.
Conductivité
thermique
Capacité plus ou moins
grande d’une substance à
transporter de la chaleur.
*
ESRF
European Synchrotron
Radiation Facility
Des puits dans la neige. Sur le terrain, les
chercheurs collectent depuis 1961 des données
météorologiques et nivologiques au site expérimental du col de Porte, à 1 325 m d’altitude,
dans le massif de la Chartreuse. « Sur ce site, ainsi
qu’à d’autres endroits dans les Alpes, nous creusons
des puits afin d’étudier in situ les propriétés de la
neige au niveau de chacune des couches du manteau
neigeux », poursuit Pierre Etchevers. Ces mesures
ont servi à mettre au point le modèle Crocus, qui
simule l’évolution des différentes couches de neige
en fonction des conditions météorologiques. En
2010, un projet a aussi été lancé afin de moderniser l’instrumentation utilisée pour l’observation de
la neige (voir « Trois questions à… » page suivante).
Car le manteau neigeux change continuellement : l’eau qu’il contient passe sans cesse de
l’un à l’autre de ses trois états : solide, liquide,
gazeux. Les processus liés à ces transformations
ont été intégrés dans le modèle Crocus. Plusieurs
propriétés importantes en sont déduites, parmi
lesquelles l’albédo* et la conductivité thermique*.
« Les grains de neige se transforment en permanence
selon le bilan énergétique à la surface et le transfert
interne d’énergie, continue Samuel Morin. Une
neige fraîche réfléchit par exemple près de 90 % de
l’énergie solaire visible car les cristaux, qui ont alors
des formes plutôt dendritiques, possèdent un fort pou-
voir diffusant. Quand ils évoluent, ils s’arrondissent
et des impuretés se déposent à la surface de la neige,
ce qui fait que l’albédo d’une neige ancienne est plus
faible. » Au sein du manteau neigeux, la température varie suivant la verticale, ce qui influe sur
les transformations morphologiques des grains
et donc sur la cohésion des couches de neige. À
cela s’ajoute l’effet de la pente. « Pour comprendre le
comportement mécanique du manteau neigeux, il faut
imaginer que l’on superpose du papier de verre, qui
représente le sol, du sucre et de la farine, qui représentent des couches de neige de comportements mécaniques
différents, compare Samuel Morin. On tasse puis
on incline le tout, et on observe alors la façon dont les
éléments se comportent. »
Des bulletins pour 36 massifs. Aux si-
mulations de Crocus sont intégrées les prévisions
météorologiques fournies par le système Safran.
En complément, la stabilité mécanique de la neige
par rapport à une pente donnée est évaluée par le
modèle Mepra. Cette chaîne de systèmes, baptisée
Safran-Crocus-Mepra, estime les risques d’avalanche dans les trois principaux ensembles montagneux français. « Les modèles divisent les Alpes,
les Pyrénées et la Corse en zones dont le climat est
considéré comme homogène, explique Daniel Goetz,
chercheur au CEN. Ce sont des régions d’une
N° 1 • DÉCEMBRE 2012 | LES DOSSIERS DE LA RECHERCHE • 57
Quel type de données est important
pour faire avancer les recherches
sur les propriétés physiques de la neige ?
Il nous manque des mesures objectives sur
la forme des cristaux et sur leur taille. Nous
avons voulu documenter ces variables et
les intégrer dans une nouvelle version du
modèle détaillé Crocus dans le cadre du
projet Quaspper* (QUantitative Assessment and modelling of the Snow Physical
PropERties), que nous avons commencé
en 2010. Le modèle décrira alors de façon
plus objective l’évolution des propriétés
physiques des couches de neige sous l’effet
des conditions météorologiques de surface.
À l’aide de quels instruments
allez-vous faire les études de terrain ?
En parallèle avec les approches conventionnelles utilisées de longue date au CEN, nous
utilisons des outils issus de la recherche
menée en amont sur les propriétés optiques
ou mécaniques de la neige, par exemple
surface comprise entre 400 et 1 000 km². Les
Alpes sont ainsi découpées en 23 massifs, les Pyrénées
en 11, et la Corse en 2. Au sein de ces massifs, le risque
d’avalanche est calculé par palier d’altitude de 300
mètres et pour chaque exposition de pente. » La phase
opérationnelle au cours de laquelle sont émis
les bulletins d’estimation du risque d’avalanche
(BRA) dure de novembre à mi-juin. Ce travail
est fait en étroite collaboration avec les centres
montagne de Météo-France, responsables des
prévisions opérationnelles du risque d’avalanche.
Le CEN forme les prévisionnistes avalanche,
coordonne leur travail quotidien et recueille leur
expérience, ce qui contribue à l’amélioration des
systèmes de simulation et des connaissances sur
ce phénomène.
Un autre facteur est à prendre en compte dans
la prévision du risque d’avalanche : le transport
de la neige par le vent. Il est à l’origine de la
formation de la majorité des plaques, ces mêmes
plaques dont le déclenchement accidentel est
la cause de la plupart des victimes d’avalanche.
En collaboration avec IRSTEA, le CNRMGAME étudie ce phénomène au col du Lac
blanc, non loin de l’Alpe-d’Huez. À 2 720 m
d’altitude, des capteurs mesurent les hauteurs
de neige qui diminuent ou augmentent de part
et d’autre de la station balayée par les vents. « Les
données nous servent à mettre au point des modèles
qui calculent les quantités de neige transportées selon
les conditions météorologiques et la nature des grains
en surface du manteau neigeux », détaille Pierre
Etchevers. Cette nouvelle approche a été intégrée à Safran et Crocus, et est expérimentée cet
hiver sur quelques massifs en Isère.
58 • Les Dossiers de la Recherche | DÉCEMBRE 2012 • N° 1
le SnowMicroPen (développé au WSL-SLF,
Davos, Suisse) et plusieurs instruments développés à Grenoble, qui mesurent la réflectance de la neige dans le proche infrarouge
jusqu’à un ou deux mètres de profondeur.
Le travail de terrain est complémentaire
d’études en chambre froide pour lesquelles
plus de variables peuvent être contrôlées.
Sur quelle autre expertise
vous appuyez-vous ?
Nous collaborons étroitement sur ces
aspects avec la communauté de recherche
locale (Observatoire des sciences de
l’Univers de Grenoble – OSUG). Le LGGE
(Laboratoire de glaciologie et géophysique
de l’environnement) a apporté une contribution importante à ce projet en développant
un profileur de « rayon optique » des grains
de neige.
* Le projet a associé le CNRM-GAME/CEN et le LGGE,
et a été financé par l’Institut national des sciences de
l’Univers (INSU-LEFE).
Quand la neige fond. En aval de ces
études, les chercheurs établissent le bilan d’eau
correspondant à la quantité de neige fondue. C’est
notamment le travail d’Éric Martin, du CNRMGAME, à Toulouse : « Nous cherchons à prévoir
l’apport d’eau lié à la fonte de la neige au printemps,
mais aussi les crues nivales qui peuvent se produire
durant cette période. » Pour simuler les bilans d’eau
et d’énergie de surface, un outil de modélisation
a été développé : la chaîne Safran-Isba-Modcou.
Safran analyse les conditions météorologiques à
l’échelle de la France. Isba représente les échanges
entre l’atmosphère et la surface à la résolution
de 8 km, en incluant le manteau neigeux via un
modèle de complexité intermédiaire (voir infographie p.56), le ruissellement de surface et le
drainage profond. Ses données sont reprises par
Modcou, qui calcule le débit des rivières. « C’est
une modélisation dont les enjeux économiques sont
importants, souligne Éric Martin. L’agriculture,
l’industrie, les villes sont concernées par la disponibilité de la ressource en eau. Nous continuons à
développer les actions de recherche dans ce sens, la
dernière en date étant Scampei. » (voir focus) •
© BM
de la météo au climat
« Décrire et modéliser de façon plus objective l’évolution
des propriétés physiques des couches de neige. »
Trois questions à
samuel morin
chercheur et responsable
de l’équipe Manteau
neigeux au Centre
d’études de la neige du
CNRM-GAME depuis
2009
• Thèse au LGGE,
Grenoble, Université ParisEst (2005-2008)
• Magistère de sciences
de la Terre à l’ENS Paris Université Paris VI
(2002-2005)
50
Jusqu’à
couches peuvent
être représentées
dans le modèle
Crocus pour
simuler finement un
manteau neigeux
épais d’un ou deux
mètres.
à retenir
• Des études à l’échelle du grain sont nécessaires pour améliorer
la compréhension des transformations de la neige.
• La chaîne de modèles de Météo-France donne une estimation
de plus en plus fine du risque d’avalanche dans les Alpes,
les Pyrénées et en Corse.
• Les scientifiques tiennent compte de l’effet de la neige et de
sa fonte pour calculer les bilans hydrologiques.
© Météo-France
focus Enneigement et changement climatique
Modèle Aladin
scénario de gaz à effet de serre A1B
Modèle Aladin
scénario de gaz à effet de serre A2
Hauteurs de neige simulées pour les hivers de la fin du xxie siècle
Simulations effectuées dans le cadre du projet Scampei.
Le scénario A2 est associé aux concentrations de gaz à effet de serre les plus élevées.
Des degrés en plus,
de la neige en moins
Les températures de l’atmosphère ont un impact important
sur l’enneigement, et vice versa.
L
a question taraude les
esprits à l’heure du
changement climatique : y aura-t-il encore de la
neige à Noël (et pas seulement) en France dans les
décennies à venir ? Pour y
répondre avec des perspectives
chiffrées, l’Agence nationale de
la recherche a financé le projet
Scampei (Scénarios climatiques adaptés aux zones de
montagnes), lancé en 2009 et
coordonné par le CNRMGAME*. L’objectif était de
faire des simulations à des
résolutions beaucoup plus fines
que celles des modèles climatiques. Les tailles de maille
actuelles, de l’ordre de la
centaine de kilomètres, sont
trop grandes pour donner des
détails sur les massifs montagneux – à cette échelle, les
Alpes et les Pyrénées ne font
figure que de collines sur les
plateaux continentaux. Les
chercheurs ont donc mis au
point dans le cadre du projet
Scampei plusieurs méthodes
qui s’appuient sur des scénarios
de changement climatique
à grande échelle. En utilisant
des techniques de descente
d’échelle (régionalisation),
ils ont obtenu des scénarios
à la résolution très fine
de 8 kilomètres. La chaîne
de modèles Safran-CrocusMepra a apporté sa contribution en affinant ces
informations en fonction
de l’altitude et de l’exposition
dans les Alpes françaises. Une
tendance générale a été
dégagée : les projections
indiquent qu’en dessous de
2 000 m d’altitude l’enneige-
ment va diminuer significativement d’ici à la fin du siècle.
« Nous ne pouvons pas encore
quantifier précisément l’impact
versant par versant, mais ces
scénarios à 8 km sont une réelle
avancée car c’est la première fois
que l’ensemble des massifs
français est étudié », commente
Éric Martin, du CNRMGAME. Une diminution
globale de l’enneigement aurait
des conséquences à l’échelle de
la planète, comme le rappelle
Samuel Morin, du CEN :
« La neige est une des composantes
du système climatique, avec des
effets rétroactifs sur l’atmosphère.
En effet, la présence de neige au
sol modifie les échanges d’énergie
entre l’atmosphère et la surface.
Si la couverture neigeuse diminuait en Amérique du Nord et en
Eurasie, toutes autres compo-
santes du système climatique
demeurant égales par ailleurs,
nous n’aurions plus d’hivers aussi
froids. » Les cartes établies lors
du projet Scampei sont
disponibles sur le site www.
cnrm.meteo.fr/scampei/ •
* Le projet a associé les
chercheurs du Laboratoire de
météorologie dynamique (LMD),
du Centre européen de recherche
et de formation avancée en
calcul scientifique (Cerfacs), du
Laboratoire de géographie physique (LGP) et du Laboratoire de
glaciologie et de géophysique de
l’environnement (LGGE).
• Comité éditorial : Directions
de la Recherche et de la
Communication de Météo-France
• Rédaction : Myriam Détruy
• Conception graphique
et réalisation : A noir,
N° 1 • DÉCEMBRE 2012 | LES DOSSIERS DE LA RECHERCHE • 59
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