petit. L’eau des lacs glaciaires arrive en fait dans les vallées porteuses de grandes quantités de
sédiments. Ceux-ci tapissent les lits des cours d’eau, qui ont tendance à devenir de plus en
plus plats, favorisant ainsi les débordements. Lorsque le niveau de l’eau redescend, certaines
rivières ont adopté un nouveau tracé, ce qui contraint des populations entières à quitter leur
région et à recommencer leur vie ailleurs. La seule exception à ce phénomène, c’est la région
du nord-est, qui devient de plus en plus sèche. Mais, dans ce cas précis, peut-être s’agit-il de
la variabilité naturelle… Même si d’autres phénomènes que les changements climatiques
peuvent intervenir, j’estime que cette évolution a déjà poussé cinq cent mille personnes à
quitter leur région pour trouver refuge à Dacca.
- La montée du niveau de la mer d’un mètre (!) à la fin de ce siècle, vous y croyez ?
Non seulement, j’y crois, mais je crains que le phénomène se produise plus tôt que prévu, vers
2050-2075. En effet, les prévisions du GIEC n’ont pas entièrement tenu compte des études les
plus récentes sur la fonte des glaces polaires. Si l’eau monte « seulement » de quarante-cinq
centimètres, ce n’est pas seulement l’écosystème côtier du Bangladesh qui sera affecté - avec
la disparition totale des plus grandes mangroves du monde en cas d’élévation d’un mètre -,
mais surtout les conditions de vie de trente-cinq millions de personnes. Les travaux du GIEC
ont montré que la production de riz pourrait décliner de 8 % à l’horizon 2050, celle du blé de
32 % ! Or la population aura probablement doublé à cette échéance. Les captures de poissons
pourraient, elles aussi, décliner.
- Avec quels effets sur la pauvreté et la sortie du pays de son état de sous-développement ?
C’est le problème majeur. Depuis les années quatre-vingt, le Bangladesh connaît une certaine
sécurité alimentaire. Toute relative, selon les années, mais bon… C’est cet effort-là qui risque
d’être balayé par le réchauffement du climat et la multiplication des phénomènes extrêmes. Il
faut bien se rendre compte des effets concrets pour des millions de familles. Sur le plan
nutritionnel, elles sont déjà « à la limite », à peine capables de remplir les tâches liées à leur
profession d’agriculteur, d’éleveur, de pêcheur, etc. Un seul cyclone, une seule inondation
peut faire rebasculer dans la pauvreté des gens qui, à la force du poignet, ont réussi à nouer les
deux bouts sur le plan alimentaire, à envoyer leurs enfants à l’école, à relever la tête... Sur le
plan de la santé, cinq études différentes ont démontré qu’à part le recul de la malaria dans
certaines régions du pays, la santé des Bangladais sera durement affectée, notamment à cause
de la progression de la dengue et des diarrhées entraînées par la dégradation des conditions
sanitaires. Tout cela, les gens des campagnes le "sentent". Quelque chose ne tourne plus
rond : leurs semis ne prennent pas, les plantes n’arrivent plus à maturité à l’époque habituelle,
il y a trop de pluies au moment de la récolte, etc. Tous ces impacts - santé, sécurité
alimentaire, hausse du niveau de la mer, salinisation, météo de plus en plus capricieuse - ne
sont pas homogènes, mais se font sentir à peu près partout à des degrés divers.
- Pensez-vous que votre pays est suffisamment armé pour lutter contre les effets du
réchauffement climatique ?
Il y a dix ans, les seules personnes qui parvenaient à se faire entendre à propos du sort du
Bangladesh étaient Al Gore, Bill Clinton et Kofi Annan. Personne, à l’intérieur du pays, ne se
sentait concerné. Aujourd’hui, tout a changé, nous avons fait des progrès énormes : le
changement climatique a envahi les discussions au parlement, au gouvernement, dans les
rédactions, etc. Les autorités ont consacré des moyens importants à l’étude du phénomène et
ses effets, si bien que nous sommes plus avancés dans l’observation et l’analyse que les
Indiens ou les Américains ! En 2009, le « Plan d’action stratégique contre le réchauffement
climatique » (BCCSAP) a défini quarante-quatre programmes et cent quarante-cinq projets
d’adaptation d’ici à 2018. Mais il manque cette prise de conscience selon laquelle la lutte
contre le climat doit être inscrite au cœur de toutes les politiques de développement : tant