Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège Les mystères de l'oreille cassée 25/11/10 Et s'il devenait possible d'empêcher la destruction des cellules ou des neurones qui, dans l'oreille interne, sont responsables de surdité ? Ou même de régénérer ces cellules ? Pour tenter d'y parvenir un jour, Brigitte Malgrange et son équipe traquent - entre autres- le rôle du gène Sox10. Dans le monde, 17 % de la population sont sourds ou malentendants. Après 65 ans, ce problème touche 50 % des personnes. Dans les années à venir, en raison du vieillissement de la population mais, aussi, des multiples sollicitations de nos oreilles exposées à des bruits inappropriés, cette proportion risque d'augmenter drastiquement. Pour tenter de contrer de telles perspectives, l'équipe du Dr Brigitte Malgrange, docteur en pharmacie, directeur de recherche au FNRS et responsable du Giga neurosciences à l'université de Liège, cherche à percer les secrets de l'oreille interne. Pour cet organe, certains mécanismes moléculaires sont impliqués au stade embryonnaire à la fois dans le développement des cellules qui seront liées à l'audition et à la surdité et, aussi, dans la régénération de ces cellules. L'une des idées de base des deux études qu'elle vient de publier avec son équipe consiste à étudier ces facteurs impliqués dans le développement. Et d'y trouver de nouvelles pistes thérapeutiques… © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 21 April 2017 -1- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège Dans l'oreille interne Les déficits auditifs sont classés en deux catégories : les surdités dites de transmission, et celles de perception. Les premières, dues à une lésion de l'oreille moyenne ou externe, sont aussi les moins fréquentes. Pour elles, il existe des traitements chirurgicaux ou des techniques de suppléance de la fonction auditive allant de la lecture labiale à la langue des signes et des prothèses auditives aux implants cochléaires. De leur côté, les surdités de perception se présentent presque toujours comme la conséquence de lésions de certaines cellules de l'oreille interne. Il s'agit des cellules ciliées de l'organe de Corti (la portion auditive de l'oreille interne) et/ou des neurones auditifs, localisés, eux, dans le ganglion spiral. Elément essentiel : quand les cellules ciliées et les neurones sont détruits, ils ne régénèrent pas spontanément. En fait, ils ne sont ni réparés ni remplacés. Les surdités de perception concernent des personnes qui reçoivent des traitements médicamenteux ototoxiques (toxiques pour l'oreille) comme, par exemple, certains anticancéreux ou même, entre autres produits, certains antibiotiques. Mais la surdité peut aussi résulter de certaines maladies (méningite, oreillon, sclérose en plaques, etc.) ou découler d'une maladie dégénérative d'évolution lente et progressive touchant spécifiquement l'oreille et liée, par exemple, au vieillissement et/ou à une exposition indue aux bruits. © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 21 April 2017 -2- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège Comme l'explique Brigitte Malgrange, pour les surdités de perception, aucun traitement ne permet de restaurer la fonction auditive (seule la pose d'un implant cochléaire, pour autant qu'il reste des neurones du ganglion spiral fonctionnel, peut parfois être envisagée). « Les recherches sur l'oreille interne sont difficiles, constatet-elle. Actuellement, nous sommes encore confrontés à un grand nombre d'inconnues. Elles concernent, par exemple, le développement de cet organe et le rôle des différents facteurs qui y contribuent. Or, une meilleure connaissance de ces facteurs permettrait de développer de nouvelles pistes thérapeutiques contre la surdité. En effet, nous pourrions nous servir de ces mécanismes moléculaires pour en faire des cibles médicamenteuses axées sur la régénération cellulaire. » Voilà pourquoi, même si les deux études récemment publiées sous sa direction ressemblent à s'y méprendre à des recherches pointues en neurosciences (ce qu'elles sont bel et bien), leurs implications, elles, pourraient bien déboucher, à moyen ou long terme, sur des recherches cliniques de thérapies novatrices. Elles seraient susceptibles d'améliorer la qualité de vie d'un très grand nombre de personnes touchées par un problème auditif. © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 21 April 2017 -3- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège L'embryon, mais après ? Chez les mammifères, la régénération des cellules ciliées et des neurones semble limitée à la période du développement embryonnaire. L'une des idées fortes des recherches de l'équipe de Brigitte Malgrange ? Ne pas se contenter d'un tel constat d'irréversibilité et tenter de le modifier. Pour y parvenir, elle cherche donc à identifier des acteurs moléculaires permettant la différenciation de cellules progénitrices (ou cellules souches) en cellules ciliées et/ou en neurones du ganglion spiral, ainsi que leur prolifération. Identifier ces acteurs de poids n'est cependant pas une mince affaire… Presque toutes les cellules de l'oreille interne dérivent de la placode otique, qui regroupe un ensemble de cellules identiques. Un grand nombre de gènes et de facteurs sont impliqués dans ce développement. Dans l'organe de Corti, ils conduisent à une phase de prolifération cellulaire puis de différenciation cellulaire en deux © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 21 April 2017 -4- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège types de cellules : les cellules ciliées (ou cellules sensorielles) et les cellules non-sensorielles (ou cellules de soutien). D'autres recherches - déjà menées par Brigitte Malgrange - ont permis de révéler la présence de progéniteurs de cellules ciliées dans l'organe de Corti néonatal. Or, la persistance de ces précurseurs immatures suggère leur possibilité de développement en période postnatale. Mais pour pouvoir se servir d'une telle opportunité, encore faut-il d'abord déterminer les signaux moléculaires qui, dans l'épithélium sensoriel de l'oreille interne, contrôlent le nombre de ces cellules progénitrices, leur différenciation en deux types cellulaires, et leur organisation. A défaut, comment pouvoir imaginer stimuler, un jour, ces progéniteurs ? Et comment développer l'espoir de prévenir ou de bloquer, chez l'homme, la dégénérescence des cellules ou, même, de parvenir à régénérer les cellules essentielles à l'audition ? « Nous avons divisé le travail de recherche en deux, détaille Brigitte Malgrange. Morgan Bodson, qui réalisait sa thèse, et le Docteur Ingrid Breuskin ont été très impliqués dans la réalisation de ces deux études. Un des articles est consacré spécifiquement à l'organe de Corti. Dans cet organe de l'audition, les cellules ciliées également appelées cellules sensorielles- permettent la transmission des informations auditives. La seconde publication s'est penchée sur les neurones auditifs ou neurones du ganglion spiral. Ils constituent le premier relai nerveux entre l'organe de Corti et le système nerveux central. » Un pari sur Sox 10 En fait, les chercheurs se sont focalisés sur un des facteurs de différenciation des progéniteurs. « En particulier, nous avons choisi d'étudier le rôle d'un de ces facteurs de transcription, celui du gène Sox 10, précise Brigitte Malgrange. La famille des Sox compte plus d'une vingtaine de membres. Ils jouent des rôles importants dans divers processus au cours du développement et, plus spécialement encore, dans la différenciation cellulaire. Or Sox 10 s'exprime très fortement, au stade embryonnaire, dans la placode otique dont presque toutes les cellules de l'oreille interne vont ensuite dériver : ce gène se fixe sur des promoteurs de toute une série de facteurs impliqués dans la différenciation et la survie des cellules de l'oreille interne. Nous voulions mieux comprendre son rôle… et nous y sommes parvenus. » La recherche a été effectuée sur des souris dont le gène Sox10 avait été invalidé, c'est-à-dire qu'il ne s'exprimait plus. Ces souris avaient été fournies par le laboratoire du Pr Wegner, à l'Université d'Erlangen, en Allemagne. Dans l'organe de Corti, l'étude a montré que Sox 10 était nécessaire à la survie des progéniteurs des cellules ciliées. En l'absence de Sox 10, les chercheurs ont constaté un raccourcissement drastique de l'organe de Corti, une augmentation de la mort cellulaire, et une baisse importance des cellules progénitrices. « En revanche, nous avons confirmé le fait que Sox 10 n'était pas nécessaire à la survie des cellules gliales qui accompagnent les neurones dans le ganglion. La nouveauté apportée par notre recherche ? Dans les autres ganglions du système nerveux périphérique, les neurones privés de cellules gliales ne survivent pas. Or, dans l'oreille interne, ils y parviennent. En fait, les cellules ciliées sécretent alors les facteurs trophiques indispensables à la survie des neurones et en particulier de l'un d'entre eux, le Brain-Derived Neutrophic Factor, BDNF. Dans ce cas, la survie neuronale est donc tout à fait spécifique à l'oreille interne. En définitive, nos deux études permettent donc de conclure que Sox 10 constitue bel et bien un facteur fondamental pour le développement de la partie auditive de l'oreille interne », explique Brigitte Malgrange. Une autre nouveauté découle également des travaux de l'équipe liégeoise. Le gène Sox 10 est impliqué dans une maladie orpheline (ou maladie rare), le syndrome de Waardenburg-Shah. La surdité fait partie des différents symptômes liés à cette affection. « Jusqu'à présent, on estimait que cette surdité était liée à une © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 21 April 2017 -5- Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège absence de mélanocytes (une cellule épithéliale de la couche basale de l'épiderme) dans des structures de l'oreille interne. En effet, les mélanocytes sont indispensables à l'audition : ils recyclent le potassium permettant la transmission de l'information sonore électrique. Nos travaux ne démentent pas formellement ce constat. Cependant, en mettant en lumière du rôle de Sox 10 dans le développement de l'oreille interne, nous ouvrons une autre piste d'interprétation : chez les personnes concernées, l'absence de Sox 10 et ses conséquences sur les progéniteurs ainsi que sur les cellules gliales s'ajouteraient peut-être au problème des mélanocytes ou, même, le supplanterait », précise la chercheuse. Pour la qualité de vie Au final, l'équipe de Brigitte Malgrange ne s'est donc pas contentée d'identifier, à son échelle, le rôle et la place d'un acteur important du développement de l'oreille interne. « A terme, l'objectif consiste à pouvoir moduler Sox10 afin de permettre une survie des progéniteurs de l'organe de Corti, détaille Brigitte Malgrange. En sur-exprimant Sox 10, en enrayant ainsi la mort des progéniteurs, on pourrait alors peut-être stopper, par exemple, la dégénérescence auditive progressive, maladie encore mal connue qui entraîne une surdité chez de nombreuses personnes âgées. » Brigitte Malgrange ne s'attend pas à voir apparaître demain -ni même après-demain- de molécule miracle ressuscitant ou protégeant de l'altération les cellules ciliées et les neurones d'autant que les recherches et les études cliniques sur l'oreille interne restent difficiles et relativement peu nombreuses. Son équipe a néanmoins ouvert une nouvelle piste à suivre : celle d'un produit « boostant » ou modulant les progéniteurs, et donc susceptible de protéger ou de régénérer les cellules ciliées et les neurones. Ce produit pourrait, par exemple, être déposé dans l'oreille interne lors de la pose d'un implant cochléaire : l'efficacité de ces implants sophistiqués serait améliorée, puisque leur performance dépend du « pool » neuronal dans lequel il se trouve. La surdité n'est pas un problème vital. Mais la diminution ou la stabilisation de ce handicap rendrait quand même la vie plus belle à un nombre impressionnant de personnes… © Université de Liège - http://reflexions.ulg.ac.be/ - 21 April 2017 -6-