Université du Littoral - Calais Unité d’ouverture: Océanographie Alexei Sentchev, MCF, ULCO Laboratoire d’Océanographie et de Géosciences (LOG) [email protected] Table des matières: Introduction 1.1 Propriétés physiques de l'eau de mer 1.2 Notion de masse d'eau. Masses d'eau océaniques, leur formation, caractérisation, propagation 1.3 Circulation thermohaline 1.4 Transport de la chaleur et des traceurs biogéochimiques 2 Circulation océanique depuis la surface jusqu’au fond 2.1 Courants géostrophiques 2.2 Courants dû au vent, Phénomène d’upwelling 2.3 Marée océanique 3. Méthodes de mesures en mer, télédétection 4. Méthodes de modélisation et prévision 5. Ressources des océans: énergies, biomasse, … 1 2 Bilan radiatif Exemple de circulation thermique 3 1.1 Propriétés physiques de l'eau de mer L'océan est un milieu stratifié, c'est-à-dire constitué de couches successives horizontales et verticales de caractéristiques différentes (température, salinité et densité). Les variations spatiales et temporelles de la température et de la salinité fournissent des informations précieuses sur la circulation des eaux. Nous nous intéressons aux distributions typiques des caractéristiques de l'eau de mer pour étudier ensuite la propagation des masses d'eau. Température, T, est un paramètre très important et contribue fortement dans la variation spatiale de la densité, ρ. Max ρ est pour T = 3.98°C. La relation ρ = ρ(T) est légèrement non-linéaire. La distribution verticale de T révèle l'existence de trois couches différentes dans l'océan : La couche de surface (ou couche de mélange) de 50 à 200 m d'épaisseur où les températures sont à peu près celle de la surface, La couche thermocline de 200 à 1000 m d'épaisseur, dans laquelle la température décroît rapidement avec la profondeur (sauf aux grandes latitudes où la température de surface est voisine de celle du fond), La zone profonde, qui s'étend jusqu'au fond, caractérisée par des températures faibles et homogènes Distribution verticale de la température (°C) le lo ng d'une section méridionale à l'ouest de l'Atlantique. 4 Cette évolution de la température avec la profondeur est illustrée par 3 profils de températures moyennes dans l'océan Atlantique à différentes latitudes (figure de gauche) et une section méridionale (sud-nord) de la température (page précédente). L'importance de la couche thermocline varie en fonction de la latitude, mais aussi en fonction des saisons, on peut avoir une thermocline permanente ou saisonnière ou pas de thermocline du tout. Un exemple est donné sur la figure de droite. Il montre le cycle annuel de la couche thermocline, en Méditerranée. Distribution verticale Cycle saisonnier 5 Quantité de chaleur reçue par m2 de surface océanique (en septembre 1985) et température de l’eau de surface 6 Salinité. Composition chimique de l'eau de mer Définition: La salinité, S, est la quantité totale des résidus solides (en grammes) contenu dans 1 kg d'eau de mer. L'océan contient en moyenne 35 g de sel par kg d'eau de mer, soit 48 millions de milliards de tonnes de sel (si l'on considère le volume total de l'océan 1370 millions de km3), soit 95 tonnes par m² du globe. La présence de sel dans l'eau modifie certaines propriétés (densité, compressibilité, point de congélation, température du maximum de densité). D'autres (viscosité, absorption de la lumière) ne sont pas influencées de manière significative. Enfin certaines sont essentiellement déterminées par la quantité de sel dans l'eau (conductivité, pression osmotique). Les principaux composants d'une eau de mer de salinité 35 : Anions (en g/kg) Chlore ClSulfate SO4-Bicarbonate HCO3Brome BrFluor F- 18,9799 2,6486 0,1397 0,0646 0,0013 Cations (en g/kg) Sodium Na+ Magnésium Mg++ Calcium Ca++ Potassium K+ Strontium Sr++ 10,5561 1,2720 0,4001 0,3800 0,0135 On a décelé dans l'eau de mer 60 des 92 corps simples existant à l'état naturel. Certains n'ont peut-être pas encore étés découverts, car ils existeraient en trop faible quantité. En effet certains corps ne sont décelables qu'après avoir été concentrés par des organismes marins ayant un pouvoir de concentration de 103 à 107 , citons par exemple le cobalt (homards et moules), le nickel (certains mollusques), le plomb (cendres d'organismes marins). Le PH de cette solution est voisin de 8,2 (légèrement alcalin). Les gaz dissous sont constitués à 64% d'azote et 34% d'oxygène. La proportion de CO2 est 60 plus forte dans la mer que dans l'air (1,8% au lieu de 0,03%). L'océan apparaît donc comme un régulateur de la teneur en CO2 de l'atmosphère. Un aspect important de l'eau de mer est que si la concentration totale des sels dissous varie en fonction du lieu, la proportion des composants les plus importants reste à peu près constante. Cela tend à prouver que sur une échelle de temps géologique, les océans ont été bien mélangés, c'est à dire que malgré les circulations particulières à chaque océan, l'eau circule entre 7 les différents océans. Estimation de la salinité Il est très difficile d'estimer la salinité par analyse chimique directe (séchage et pesée du résidu solide). La première relation entre la salinité et la chlorinité a été définie en 1902 à partir de nombreuses mesures de laboratoires sur des échantillons provenant de toutes les mers du globe. La chlorinité étant la quantité (en g/kg) d'ions chlore, brome et iode qui tout trois sont précipités lors du titrage au nitrate d'argent. S = 0,03 + 1,805 Cl S salinité , Cl chlorinité. Depuis 1978 l'échelle pratique de salinité définie la salinité en terme de rapport de conductivité : La salinité pratique (symbole S), d'un échantillon d'eau de mer, est définie en fonction du rapport K de la conductivité électrique de cet échantillon d'eau de mer à 15°C et à la pression atmosphérique normale, et de celle d'une solution de chlorure de potassium dans laquelle la fraction en masse de KCl est 0,0324356, à la même température et même pression. Une valeur de K égale à 1 correspond par définition à une salinité pratique égale à 35. La formule correspondante est : S = 0,0080 -0,1692 K1/2 + 25,3853 K + 14,0941 K3/2 - 7,0261 K2 + 2,7081 K5/2 On peut trouver quelques différences entre ces définitions, mais elles sont en général négligeables. Par contre dans le cas où la composition de l'eau de mer n'est pas "standard", (par exemple à proximité des fleuves) seule l'analyse chimique (séchage et pesée) donne un résultat valable. Unité – sans Unité Depuis l'introduction de l'échelle pratique de salinité, la salinité n'est plus définie comme un rapport de masse et s'exprime sans unité (comme par exemple le PH). On trouve encore dans la littérature des valeurs de salinité exprimées en o/oo ou en g/kg ou encore en psu (practical salinity unit). 8 Variations de la salinité Les variations de la salinité dans tous l'océan sont relativement faibles. S varie de 32 à 37 ppm loin des côtes. Une variation de salinité de 1 ppm a un effet sur ρ cinq fois supérieur à celle provoquée par une variation de température, T, de 1°C. Alors que la température est en général décroissante de la surface jusqu'au fond, la salinité peut suivre n'importe quelle évolution. Dans les régions équatoriales, tropicales et subtropicales de l'hémisphère sud, on observe un minimum de salinité à une profondeur comprise entre 600 et 1000 m, aux grandes latitudes, la salinité est faible en surface et croît avec la profondeur. Le premier facteur qui détermine la salinité est le bilan évaporation – précipitation, qui est moins zonal que l'ensoleillement. De ce fait La répartition de la salinité en surface est moins zonale que celle des températures. Distribution verticale de salinité Coupe verticale de salinité en Atlantique sud 9 Salinité de surface (moyenne annuelle) Bilan précipitation - évaporation (moyenne annuelle) 10 Densité (masse volumique), ρ ≈ 1000 kg m-3 La densité est fonction de la température et de la salinité. Dans la majorité des situations la densité suit les évolutions de la température et augmente avec la profondeur à mesure que la température diminue. Les eaux les plus denses se trouvant naturellement au fond des océans. L'évolution de la densité avec la profondeur n'est toutefois pas uniforme. Dans les régions équatoriales et tropicales, il existe une couche d'eau près de la surface de densité presque constante, puis une couche dans laquelle la densité croit très rapidement avec la profondeur. Cette couche dite pycnocline correspond en général à la thermocline. Aux profondeurs plus importantes la densité potentielle évolue lentement pour atteindre une valeur voisine de 1027,9 kg m-3 au fond des océans, quelque soit la latitude. Aux grandes latitudes la densité de surface dépasse 1027, l'évolution verticale est donc faible et la pycnocline est moins facile à distinguer. On ne fait pas de mesure de ρ, on la calcule en fonction de T, S et P. Les variations horizontales des propriétés de l'eau sont beaucoup plus faibles que les variations verticales. Les mécanismes qui modifient la température ou la salinité de l'eau en un lieu sont : le rayonnement solaire, l'évaporation et les précipitations (très localement l'apport des fleuves), les mouvements d'eau. 11 Les deux premiers mécanismes n'agissent qu'a la surface des océans, seuls les mouvements d'eau influent sur les caractéristiques de l'eau en profondeur. 1-2. Notion de masse d'eau Masses d'eau océaniques, leur formation, caractérisation, propagation. Les masses d'eau qui constituent les océans possèdent des caractéristiques différentes et leurs densités très diverses les empêches de se mélanger. En fait, toute l'eau des océans acquiert ses propriétés en surface en fonction du climat. En certain lieu l'eau de surface peut s'enfoncer lorsque sa densité devient plus importante que celle des eaux avoisinantes (l'eau est soumise au refroidissement ou à l'évaporation) . En profondeur, il n'existe pas de mécanisme susceptible de faire varier les caractéristiques de l'eau de mer. Seul le mélange (difficile) de deux masses d'eaux de densités voisines peut émousser ses caractéristiques au cours d'un long séjour sous l'eau. Donc les masses d'eau peuvent être définis et identifiées par leur caractéristiques propres lorsque les courants les écartent de leur origine. Elle peuvent parcourir plusieurs de milliers de km à travers l'océan, gagner des zones plus ou mois profondes. Formation des masses d'eau soumises au refroidissement ou réchauffement suite à l'échange de la chaleur avec l'air. Définition: masse d'eau est un terme océanographique qui fait référence à un grand volume d'eau dont la densité est très différente de celle des eaux environnantes (suite aux différences de températures et de salinité), ce qui empêche le mélange. La masse d'eau conserve ses propriétés distinctives au cours de propagation depuis la région de formation vers d'autres régions océaniques. 12 On défini un certain nombre de masses d'eau types associés à un lieu de production en surface, par exemple, l'eau méditerranéenne, l'eau d'origine antarctique et encore d'autres. Dans chaque masse d'eau la température diminue à mesure que profondeur augmente. La salinité varie aussi. On peut établir un graphique de la température et de la salinité en fonction de la profondeur, ou un graphique faisant intervenir uniquement la température et la salinité pour obtenir la courbe caractéristique de chaque masse d'eau. Ces courbes sont dénommées diagrammes T-S. Ainsi, la couche intermédiaire antarctique se distingue encore dans la mer des Caraïbes au large de l'Amérique du Sud grâce à sa courbe T,S très particulière. Les biologistes s'intéressent aux masses d'eau, car chacune peut être habitée par un type particulier d'animaux planctoniques dénommés "espèce indicatrice". La présence de ces espèces permet d'identifier les masses d'eau sans avoir à dresser de diagramme T,S. 13 Prenons l'exemple de la mer Méditerranée qui est bassin de concentration de sel. En effet, en Méditerranée les apports d'eau douce (précipitations et rivières) sont inférieurs à l'évaporation. La conservation de la masse (ou du volume) d'eau nous indique qu'il doit y avoir un apport d'eau douce en provenance de l'océan Atlantique. La conservation du sel conduit à un départ de sel vers l'Atlantique. Ces échanges d'eau douce et de sel se font au niveau du détroit de Gibraltar grâce à des mouvements d'eau inverses en surface et en profondeur comme l'illustre la figure ci-dessous. Salinités et mouvements d'eau au dessus du seuil de Gibraltar. Les échanges au niveau du seuil sont très important et vont modifier de façon notable la distribution des salinités dans l'océan Atlantique à des profondeurs voisines de 1000 mètres. 14 Distribution des salinités dans l'Atlantique Nord à 1000 mètres de profondeur. Eaux profondes d'origine antarctique et arctique Régions de formation et de propagation La convection thermohaline affecte l'ensemble des océans. Cependant la formation d'eau profonde est très localisée et n'a lieu que dans deux régions du globe : • l'Atlantique Nord (mer de Norvège, et dans une moindre mesure mers du Groenland et du Labrador) • l'Antarctique (mer de Weddell et, dans une moindre mesure, mer de Ross) Température potentielle en-dessous de 4000 m de profondeur dans l'Atlantique. Elle permet de déduire des chemins de propagation de l'eau de fond d'origine 15 antarctique. (Adapté de Wüst, 1935) 1.3 Circulation thermohaline: circulation forcée par les contrastes de température et de salinité 16 Expérience de la plongé d'eau froide Commentaire scientifique d'un extrait du film Le courant des profondeurs, Eisuke SEKI , par Vincent DANIEL et Benoit URGELLI OBJECTIFS Il s'agit de faire l'analogie avec la circulation thermohaline : les glaçons sont l'équivalent des glaces de l'Arctique. RESULTATS EXPLICATION PHYSIQUE L'eau en surface à droite du bassin est refroidie par la présence de la glace. Ce refroidissement se fait par conduction (contact avec un corps froid) et par transfert de chaleur latente (pour fondre, la glace doit recevoir de l'énergie de la part de l'eau). L'eau ainsi refroidie est plus dense que l'eau environnante. Elle plonge le long de la paroi droite du bassin et va être remplacée par de l'eau située à la même hauteur. En effet, en minimisant le travail des forces de pesanteur, l'eau colorée située à la même hauteur va prendre la place de l'eau qui a plongée. 17 18 Trajectoires des masses d'eau dans un modèle de circulation générale (tapis roulants) Auteur Sabrina Speich LPO/UBO Université de Brest (http://www.ifremer.fr/lpo) CONSEQUENCES L'océan affecte le climat car les courants transportent de la chaleur. Ainsi, les courants chauds des couches de surface peuvent réchauffer le climat d'une région. A l'inverse, les eaux froides qui remontent des profondeurs modèrent la température des eaux des régions tropicales. L'océan joue un rôle essentiel pour la régulation du climat de notre planète et assure un transport méridien de la chaleur aussi important que l'atmosphère. 19 Présentation schématique des masses d'eau dans l'océan Atlantique Sections méridionales dans la partie ouest de l'océan Atlantique. (a) Température potentielle (°C), (b) salinité, (c) oxygène (ml/l) mettant en évidence la direction de propagation et les volumes occupés par des masses d'eau d'origine différente: l'eau de fond d'origine antarctique (AABW), l'eau intermédiaire d'origine antarctique (AAIW), l'eau profonde de l'Atlantique nord (NADW), l'eau méditerranéenne (EMW), l'eau de la mer de Labrador (LS). 20 21 Distribution de substances dissoutes Localisation des profils Teneur en oxygène dans l'Atlantique équatorial et méridional Dans la partie nord, on peut voir deux noyaux enrichis à 1700 et 4000m environ, et le fond de l'océan est d'autre part tapissé d'un autre noyau provenant de l'Antarctique et disparaissant entre 10°S et l'équateur. Ces noyaux sont les signatures de masses d'eau profondes, relativement jeunes, car polluées par les fréons., intercalées dans une eau profonde globalement non marquée (zone en blanc sur la figure 2), d'origine circumpolaire. Ainsi, on retrouve à 1700 m une masse d'eau provenant de la Mer du Labrador, formée en hiver par convection profonde. De même, la masse d'eau à 4000 m, plus dense, est formée dans l'hémisphère nord, 22 plus précisément dans la mer du Groenland. Enfin le signal du fond a pour origine la masse d'eau la plus dense et la plus froide de l'océan mondial , formée dans la Mer de Weddell. On vérifie bien que les eaux de surface ont des teneurs en 02 plus élevées que l'océan profond. Les Eaux Antarctiques Intermédiaires sont caractérisées par des valeurs élevées au sud en 02. Contrairement à la salinité, le signal disparaît rapidement en allant vers le nord. En effet, lors de leur déplacement, la matière organique contenue dans ces eaux, soit sous forme dissoute, soit provenant de la surface sous forme particulaire, va être oxydée par l'activité bactérienne : les teneurs en 02 vont donc diminuer. Au niveau de l'équateur, des veines en 02 très faibles au niveau de la subsurface caractérisent des eaux très mal ventilées, en outre siège d'une minéralisation importante provenant de matière organique formée dans les eaux relativement productives de la région équatoriale . On voit aussi une langue très épaisse de maximum en oxygène au niveau des profondeurs des Eaux Profondes Nord Atlantique (la Mer du Groenland). Par rapport aux eaux environnantes, provenant du Courant Circumpolaire, ces eaux sont plus jeunes, et n'ont donc pas subi une oxydation aussi intense. Globalement, la distribution 23 en N03 est anticorrélée à la distribution d'oxygène. Bilan radiatif terrestre et flux de la chaleur Les mouvements de l'atmosphère et de l'océan trouvent leur origine dans le contraste thermique tropiques-hautes latitudes Par ces mouvements, l'atmosphère et l'océan transportent les énormes quantités de chaleur nécessaires à équilibrer en latitude le bilan radiatif terrestre. Même si l'atmosphère est extrêmement rapide dans ses mouvements face à l'océan, beaucoup plus lent, ces deux milieux fluides sont également efficaces dans le transport de chaleur depuis les régions 24 équatoriales vers celles polaires. Schéma de circulation générale en Atlantique nord. 25 26 En profondeur, le courant connaît une circulation caractérisée par sa lenteur (souvent mm/sec). L'eau qui remonte le Pacifique Nord est la même que celle qui est descendue de l'Atlantique Nord il y a quelques centaines ou milliers d'années. Les océans peuvent être assimilés à la «mémoire à long terme» du climat. La vapeur d’eau demeure dans l’atmosphère pendant 10 ans en moyenne (avant de se déplacer vers une autre partie de la biosphère), mais la durée moyenne de «résidence» de l’eau profonde dans les océans serait d'environ 3.000 ans. L'âge des eaux profondes de l'océan vers 3000 m. Cette âge est calculé à partir de la décroissance de concentration du 14C (D'après Duplessy, 1996) 27