L`interprétation législative au Canada : la théorie à l`épreuve de la

L’interprétation législative au
Canada : la théorie à l’épreuve
de la pratique*
Jeanne SIMARD**
*L’auteure tient à exprimer sa très grande reconnaissance au professeur Pierre-
André Côté sans lequel cette démarche n’aurait pas trouvé sou aboutissement.
Toutefois, l’auteure assume l’entière responsabilité des matières contenues
dans cet article. Que tous ceux et celles qui nous ont appuyée reçoivent ici l’ex-
pression de notre gratitude.
** Avocate, LL.D., professeure de droit au Département des sciences écono-
miques et administratives de l’Université du Québec à Chicoutimi.
Résumé
L ’ a u t e u re examine jusqu’à quel
point le modèle d’interprétation tra-
ditionnel rend compte de toute la dé-
m a rche interprétative effectuée, en
pratique, par les juristes canadiens
depuis quelques années. L’auteure
soutient que ces derniers déro g e n t
r é g u l i è rement aux présupposés de
ce modèle dont l’objectif principal est
la découverte de l’intention histo-
rique du législateur. L’auteure sous-
crit à un modèle dinterprétation
plus évolutif qui, tout en re n d a n t
compte de la pertinence explicative
du modèle traditionnel, témoigne
des aspects pragmatiques, des
contraintes normatives et des préa-
lables herméneutiques qui inter-
agissent en vue d’une prise de
décision. Ainsi, la notion d’intention
historique du législateur ne sera pas
écartée, car ce serait nier l’évidence
de cro i re que celle-ci ne fera plus
Abstract
The author examines up to which
point the traditional interpre t a t i o n
model takes account of the interpre-
tative steps that are done, in prac-
tice, by the Canadian jurists. The
author sustains that the jurists
regularly derogate from the presup-
posed model that has, as principal
objective, to discover the historical
intention of the legislator. The author
subscribes to a more evolved inter-
p retation model that, while admit-
ting the relevance of the traditional
explicative model, evinces of the
pragmatic aspects, the norm a t i v e
restraints and of the hermeneutical
p re requisites that interact in the
objective of taking the decision.
T h e re f o re, the historical notion of
intention of the legislator will not be
d i s c a rded, because it would deny
the evidence to believe that that in-
tention would not be a part of the
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writing and interpretation strategies
of the Canadian jurists. The author
p roposes to rather replace that
notion in what should be its true per-
spective, in other words, an element
among others, having its part in the
construction of the meaning of all
rules of law.
partie des stratégies de rédaction et
d’interprétation des juristes cana-
diens. L’auteure propose plutôt de
replacer cette notion dans ce qui
devrait être sa véritable perspective,
c ’ e s t - à - d i re un élément parmi d’autre s
devant jouer dans la construction du
sens de toute règle de droit.
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Plan de l’article
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 553
I. La théorie traditionnelle et sa perti-
nence explicative de l’interprétation
juridictionnelle canadienne . . . . . . . . . . . . . . . 555
A. Les caractères déterminants de la théorie
traditionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 555
1. L’objectif poursuivi par l’interprétation
législative canadienne : la recherche de
l’intention du législateur . . . . . . . . . . . . . . . . . . 556
2. La non-influence des conséquences de
l’application sur l’interprétation . . . . . . . . . . . . . 563
B. Les principes d’interprétation utilisés par les
juristes canadiens afin d’atteindre les objectifs
visés par la théorie traditionnelle . . . . . . . . . . . . . . 570
1. La première étape de compréhension de la
loi : l’examen des termes de la loi . . . . . . . . . . . . 570
2. La deuxième étape de compréhension de la
loi : la prise en considération de différents
contextes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 583
a. Contexte de la loi et du corpus législatif . . . . . 584
b. Contexte d’énonciation . . . . . . . . . . . . . . . . . 585
i. Les travaux préparatoires . . . . . . . . . . . . . 585
ii. L’histoire législative . . . . . . . . . . . . . . . . . . 590
iii. La ratio legis ou le but visé par le
législateur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 591
iv. Les principes généraux du droit et
l’équité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 593
v. La jurisprudence et la doctrine pré-
existantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 594
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C. Les fonctions de l’utilisation de l’intention
du législateur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 597
1. Les fonctions pratiques de la théorie
traditionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 597
a. Les fonctions de régulation . . . . . . . . . . . . . . 598
b. Les fonctions de justification ou de
persuasion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 599
2. Les fonctions idéologiques de la théorie
traditionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 600
II. La critique de la théorie traditionnelle et
l’élaboration d’un modèle plus conforme
au phénomène interprétatif canadien . . . . . 604
A. La position critique adoptée par la doctrine :
un éventail de théories proposées . . . . . . . . . . . . . 605
1. La théorie du rôle supplétif de l’interprète . . . . . . 607
2. La théorie de la création sujette à des
contraintes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 612
B. La position adoptée par les tribunaux : une
évolution en dents de scie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 617
1. Le critère de l’interprétation déraisonnable en
droit administratif . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 618
2. Le cas des lois imprécises en droit social :
les affaires Nova Scotia et Canadien Pacifique . . . 622
3. L’interprétation des lois ordinaires : la
méthode contextuelle moderne . . . . . . . . . . . . . . 630
Conclusion : jalons d’un nouveau modèle
théorique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 645
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1Jean-Jacques R O U S S E A U, Du contrat social ou Principes du droit politique, texte
présen et commenté par J.-Marie Fataud, M.-C. Bartholy, Paris, Éditions
Bordas, 1985.
Dans le bloc de marbre, je vois
l’ange, et j’essaie de le délivrer.
Michel-Ange
La citation mise en exergue fait apparaître un parallèle des plus
i n t é ressant entre le travail du sculpteur, tel que le concevait Michel-
Ange à son époque, et celui de l’interprète des textes juridiques.
Dans les deux cas, il ne s’agit pas de créer un substrat, il s’agit de
t i re r, d’une matière amorphe, un être latent que le sculpteur ou
l’interprète mettra au jour donnant ainsi à la société artistique ou
juridique un ange à contempler ou une parole à voir.
C’est, à peu de chose près, ce que la doctrine traditionnelle du
d r oit canadien exige de l’interprète : quil se limite à extraire d’un
texte l’intention du législateur d’origine. Cette démarche, par trop
réductrice, nous semble mal adaptée à une société évolutive comme
la nôtre. Pourtant, c’est cette doctrine qui, depuis presque toujours,
est officiellement à la base du système juridique au Canada.
Cette approche repose sur deux grands principes philoso-
phiques : les bienfaits de la toute-puissance de la loi et le caractère
universel des solutions juridiques. Le modèle juridique classique,
toujours enseigné dans nos facultés de droit, voue un culte
indéniable au texte de loi. Un tel culte vient du fait que la loi doit
traduire les choix politiques et sociaux que l’État ou le législateur
a faits au nom de la volonté nationale. « Le contrat social fait que la
loi votée au nom de tous, est sensée s’appliquer également à tous
d’un commun accord »1, même si l’application de cette loi doit
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