concepts scientifiques — nos bienveillants
« intellectuels » ne parviendraient pas à rendre
au discours scientifique son intelligibilité ori-
ginelle. « De la concurrence d’innombrables
prémisses ne suivrait plus aucun raisonne-
ment. Des théories subjectivistes de la science
verraient le jour, que critiqueraient ceux pour
qui la vérité, dans ce qu’ils croient être la
science, est incompatible avec le subjecti-
visme » (loc. cit. p. 4)
En quoi l’imaginaire philosophique peut-il,
à travers cette fiction, jeter quelque lumière sur
les questions de morale et de justice ? « Mon
hypothèse est la suivante : dans notre monde
réel, le langage de la morale est dans le même
état de confusion que le langage des sciences
dans cet univers de fiction. » (ibid.). Voilà donc
la fameuse « proposition dérangeante » ; car,
en matière de morale, les choses sont pires,
puisque la réalité actuelle rejoint cette fiction.
Et MacIntyre de dénoncer l’enseignement uni-
versitaire de l’histoire et de la sociologie qui
renforcent cette amnésie culturelle, devenue
triste réalité : « Tout ce que l’historien — et
cette remarque vaut également pour le socio-
logue — pourrait percevoir selon les canons et
les catégories de sa discipline, c’est la succes-
sion des morales : le puritanisme du XVII°,
l’hédonisme du XVIII°, l’éthique victorienne
du travail, etc., mais le langage de l’ordre et
du désordre lui échapperait » (p. 6). Ne nous
laissons pas abuser par l’usage de l’imparfait,
car c’est l’état actuel du discours moral qui est
visé, un discours proche du flatus vocis, aussi
bien chez les « radicaux, libéraux ou conser-
vateurs ». Autre formulation de la « proposition
dérangeante » : « le langage et les apparences
de la morale persistent même si toute la subs-
tance de la morale a été largement fragmentée,
puis en partie détruite ». (p. 7).
La faute aux « Lumières »
D’où vient que notre époque se trouve ainsi
placée, à son insu, « après la vertu » ? La res-
ponsabilité en incombe à l’Histoire de la phi-
losophie, telle qu’elle s’est déroulée : c’est elle
qui a « largement chassé la morale », et no-
tamment à l’époque des Lumières. MacIntyre
rappelle que les Lumières diffèrent de l’Enligh-
tenment britannique et de l’Aufklärung alle-
mande, en ce qu’elles avaient moins
d’influence sur la vie sociale française. « Il
manquait aux Français trois choses : un arrière-
plan protestant sécularisé, une classe instruite
unissant les fonctionnaires, le clergé et les pen-
seurs laïques en un seul lectorat, et une uni-
versité moderne comme Königsberg à l’est ou
Edingbourg et Glasgow à l’ouest. En France,
les intellectuels formaient une intelligentsia,
un groupe instruit isolé… » (p. 38). Mais la
première phase de la Révolution française est
justement une tentative « d’abolir le fossé qui
sépare en France les idées de la vie politique
et sociale » (ibid.) ; fossé que comblera la Ré-
volution. Et l’auteur nous rappelle que le mot
actuel : « moral » était nouveau à l’époque, et
que le projet d’une justification rationnelle de
la morale, indépendamment de la théologie,
devint la préoccupation centrale de la culture
nord-européenne. Or, ce projet était voué à
l’échec : « L’une des thèses de ce livre est que
la ruine de ce projet offre l’arrière-plan histo-
rique devant lequel les difficultés de notre cul-
ture deviennent intelligibles » (p. 40).
Les conséquences de cet échec se lisent,
selon MacIntyre, dans le Ou bien… Ou bien…
de Kierkegaard, paru en 1842. L’ouvrage
consacre l’opposition entre le « stade esthé-
tique » (donjuanisme) et le « stade éthique »,
qui ne peut être tranchée par la raison, mais
Classement : 3Cc17 ** cf. le glossaire PaTer version 1.1 •02/ 2012
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