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La métaphysique : textes
Descartes Lettre-préface aux Principes de la philosophie
J’aurais voulu premièrement y expliquer ce que c’est que la philosophie, en commençant par les
choses les plus vulgaires, comme sont : que ce mot philosophie signifie l’étude de la sagesse, et que
par la sagesse on n’entend pas seulement la prudence dans les affaires, mais une parfaite connaissance
de toutes les choses que l’homme peut savoir, tant pour la conduite de sa vie que pour la conservation
de sa santé et l’invention de tous les arts ; et qu’afin que cette connaissance soit telle, il est nécessaire
qu’elle soit déduite des premières causes, en sorte que pour étudier à l’acquérir, ce qui se nomme
proprement philosopher, il faut commencer par la recherche de ces premières causes, c’est-à-dire des
principes ; et que ces principes doivent avoir deux conditions : l’une, qu’ils soient si clairs et si
évidents que l’esprit humain ne puisse douter de leur vérité, lorsqu’il s’applique avec attention à les
considérer ; l’autre, que ce soit d’eux que dépende la connaissance des autres choses, en sorte qu’ils
puissent être connus sans elles, mais non pas réciproquement elles sans eux ; et qu’après cela il faut
tâcher de déduire tellement de ces principes la connaissance des choses qui en dépendent, qu’il n’y ait
rien en toute la suite des déductions qu’on en fait qui ne soit très manifeste. Il n’y a véritablement que
Dieu seul qui soit parfaitement sage, c’est-à-dire qui ait l’entière connaissance de la vérité de toutes
choses ; mais on peut dire que les hommes ont plus ou moins de sagesse à raison de ce qu’ils ont plus
ou moins de connaissance des vérités plus importantes. Et je crois qu’il n’y a rien en ceci dont tous les
doctes ne demeurent d’accord.
(…) la vraie philosophie, dont la première partie est la métaphysique, qui contient les principes de
la connaissance, entre lesquels est l’explication des principaux attributs de Dieu, de l’immatérialité de
nos âmes, et de toutes les notions claires et simples qui sont en nous. La seconde est la physique, en
laquelle, après avoir trouvé les vrais principes des choses matérielles, on examine en général comment
tout l’univers est composé ; puis en particulier quelle est la nature de cette terre et de tous les corps qui
se trouvent le plus communément autour d’elle, comme de l’air, de l’eau, du feu, de l’aimant et des
autres minéraux. En suite de quoi il est besoin aussi d’examiner en particulier la nature des plantes,
celle des animaux, et surtout celle de l’homme, afin qu’on soit capable par après de trouver les autres
sciences qui lui sont utiles. Ainsi toute la philosophie est comme un arbre, dont les racines sont la
métaphysique, le tronc est la physique, et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres
sciences, qui se réduisent à trois principales, à savoir la médecine, la mécanique et la morale ;
j’entends la plus haute et la plus parfaite morale, qui présupposant une entière connaissance des autres
sciences, est le dernier degré de la sagesse.
Kant, Critique de la raison pure, Préface de la 2e édition
La métaphysique, cette science tout à fait à part, qui consiste dans des connaissances rationnelles
spéculatives, et qui s’élève au-dessus des instructions de l’expérience en ne s’appuyant que sur de
simples concepts (et non pas, comme les mathématiques, en appliquant ces concepts à l’intuition), et
où, par conséquent, la raison n’a d’autre maîtresse qu’elle-même, cette science n’a pas encore été
assez favorisée du sort pour entrer dans le sûr chemin de la science. Et pourtant elle est plus vieille que
toutes les autres, et elle subsisterait toujours, alors même que celles-ci disparaîtraient toutes ensemble
dans le gouffre de la barbarie. La raison s’y trouve continuellement dans l’embarras, ne fût-ce que
pour apercevoir à priori (comme elle a en la prétention) ces lois que con-firme la plus vulgaire
expérience. Il y faut revenir indéfiniment sur ses pas, parce qu’on trompe que la route qu’on a suivie
ne conduit pas l’on veut aller. Quant à mettre ses adeptes d’accord dans leurs assertions, elle en est
tellement éloignée qu’elle semble n’être qu’une arène exclusivement destinée à exercer les forces des
jouteurs, et aucun champion n’a jamais pu se rendre maître de la plus petite place et fonder sur sa
victoire une possession durable. Il n’y a donc pas de doute que la marche qu’on y a suivie jusqu’ici n’a
été qu’un pur tâtonnement, et, ce qu’il y a de pire, un tâtonnement au milieu de simples concepts.
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Le programme d’Aristote et son ambiguïté
La connaissance : « Tous les hommes désirent naturellement savoir » (Métaphysique A, 1)
- l’expérience (empeiria) : connaissance du particulier
- l’art (technè) : connaissance générale, de l’universel
- la science (épistémè) : connaissance de la cause, du pourquoi (dioti)
- la sagesse (sophia) : connaissance des premières causes et des premiers principes
La sagesse, science « recherchée », divine (A, 2). Opinions communes :
- connaissance de tout « autant qu’il est possible » (sans la science de chaque chose)
- connaissance des choses les plus difficiles
- connaissance la plus exacte des causes, plus capable d’enseigner
- connaissance pour elle-même, fin en soi
- science dominatrice
Donc science de ce qui est le plus universel : premiers principes, premières causes, fin de toute
chose, Souverain Bien
Science divine (cf. Avicenne : Liber de scientia divina) : a) seul Dieu peut vraiment la posséder, b)
Dieu est cause et principe (les réalités divines en général)
Les différentes réponses (A, 3-6)
o l’explication par la matière (Thalès : l’eau ; Anaximène et Diogène : l’Air ; Héraclite :
le Feu ; Empédocle : éléments simples.)
o l’explication par l’intelligence (Hermotime et Anaxagore de Clazomène)
o l’explication par les idées (Pythagore : les nombres, Platon : les Formes)
La science de l’être en tant qu’être :
- ce qui est commun à tout
- ce qui est propre à chaque chose en tant qu’elle est (existe, est une chose)
La science de la substance
- l’être être ») se dit en plusieurs sens : principalement de la substance, et de ce qui
est relatif à la substance (déterminations, causes, négations)
- Autant de parties de la philosophie qu’il y a de substances : philosophie première,
philosophie seconde
- Le philosophe spécule sur toutes choses (questions que ne traient pas les sciences
particulières) : par exemple, l’identité de Socrate et de Socrate assis.
- Objet : les substances et leurs attributs (généraux : antérieur et postérieur, genre et
espèce, tout et partie)
- Les premiers principes le principe de contradiction
La science de la première substance : Dieu théologie
- la science première a pour objet ce qui est éternel, immatériel (séparé), divin
- La théologie comme science théorétique la plus haute
- « universelle parce que première »
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La philosophie, science première, des premières causes, libre, divine
Nous concevons d’abord le philosophe comme possédant la totalité du savoir, dans la mesure du possible,
mais sans avoir la science de chaque objet en particulier. Ensuite, celui qui arrive à connaître les choses ardues
et présentant de grandes difficultés pour la connaissance humaine, celui-là aussi est un philosophe (…) En
outre, celui qui connaît les causes avec plus d’exactitude et qui est plus capable de les enseigner est, dans toute
espèce de science, le plus philosophe ; et, parmi les sciences, celle que l’on choisit pour elle-même, et à seule fin
de savoir, est plus philosophique qu’une science subordonnée : il ne faut pas, en effet, que le philosophe reçoive
des lois, il faut qu’il en donne ; il ne faut pas qu’il obéisse à autrui, c’est à celui qui est moins philosophe de lui
obéir.
(…) Il en résulte que la connaissance de toutes choses appartient nécessairement à celui qui possède la
science de l’universel, car il connaît, d’une certaine manière, tous les cas particuliers qui tombent sous
l’universel. Mais aussi il est extrêmement difficile pour les hommes d’arriver à ces connaissances les plus
universelles, car elles sont le plus en dehors de la portée des sens. - Les sciences les plus exactes sont celles qui
sont le plus sciences des principes, et celles qui partent de principes plus simples sont plus exactes que celles qui
partent de principes plus complexe, comme l’arithmétique est plus simple que la géométrie (…) Connaître et
savoir pour connaître et savoir : tel est le caractère principal de la science du suprême connaissable, car celui
qui veut connaître pour connaître choisira de préférence la science parfaite, c’est-à-dire la science du
connaissable par excellence. Or le connaissable par excellence, ce sont les principes et les causes : c’est par eux
et à partir d’eux que les autres choses sont connues, et ce ne sont pas les principes et les causes qui sont connus
par les autres choses qui leur sont subordonnées. La science la plus élevée, et qui est supérieure à toute science
subordonnée, est celle qui connaît en vue de quelle fin il faut faire chaque chose. Et cette fin est le bien de
chaque être, et, d’une manière générale, c’est le souverain Bien dans l’ensemble de la nature.
De toutes ces considérations il résulte que c’est à la même science que s’applique le nom de philosophie : ce
doit être, en effet, la science théorétique des premiers principes et des premières causes, car le bien, c’est-à-dire
la fin, est l’une de ces causes. Qu’elle ne soit pas une science poétique, c’est ce que montre l’histoire des plus
anciens philosophes. Ce fut, en effet, l’étonnement qui poussa, comme aujourd’hui, les premiers penseurs aux
spéculations philosophiques. Au début, ce furent les difficultés les plus apparentes qui les frappèrent, puis,
s’avançant ainsi peu à peu, ils cherchèrent à résoudre des problèmes plus importants, tels que les phénomènes de
la Lune, ceux du Soleil et des Etoiles, enfin la genèse de l’Univers. Apercevoir une difficulté et s’étonner, c’est
reconnaître sa propre ignorance (et c’est pourquoi aimer les mythes est, en quelque manière, se montrer
philosophe, car le mythe est composé de merveilleux). Ainsi donc, si ce fut pour échapper à l’ignorance que les
premiers philosophes se livrèrent à la philosophie, il est clair qu’ils poursuivaient la science en vue de connaître
et non pour une fin utilitaire (…) Mais de même que nous appelons homme libre celui qui est à lui-même sa fin
et n’est pas la fin d’autrui, ainsi cette science est aussi la seule de toutes les sciences qui soit libre, car seule elle
est sa propre fin.
Aussi est-ce à bon droit qu’on pourrait estimer plus qu’humaine la possession de la philosophie. De tant de
manières en effet la nature de l’homme est esclave que, suivant Simonide, « Dieu seul peut jouir de ce
privilège », mais il est indigne de l’homme de ne pas se contenter de rechercher la science qui lui est
proportionnée. Si, comme le prétendent les poètes, la divinité est naturellement jalouse, cette jalousie devrait
surtout vraisemblablement s’exercer à l’endroit de la philosophie, et tous les hommes qui y excellent devraient
être malheureux. Mais il n’est pas admissible que la divinité soit jalouse (selon le proverbe, « les poètes sont de
grands menteurs »), et on ne peut pas penser non plus qu’une autre science serait plus précieuse, et celle-ci est
seule la plus divine, à un double titre : une science divine est celle qu’il serait le plus digne pour Dieu de
posséder, et qui traiterait des choses divines. Or la philosophie, seule, se trouve présenter ce double caractère :
Dieu paraît bien être une cause de toutes choses et un principe, et une telle science, Dieu seul, ou du moins Dieu
principalement, peut la posséder. Toutes les autres sciences sont donc plus nécessaires qu’elle, mais aucune ne
l’emporte en excellence (Métaphysique A, 1)
La science de l’être en tant qu’être
Il y a une science qui étudie l’être en tant qu’être et les attributs qui lui appartiennent essentiellement. Elle
ne se confond avec aucune des science dites particulières, car aucune de ces autres science ne considère en
général l’être en tant qu’être, mais découpant une certaine partie de l’être, c’est seulement de cette partie qu’elles
étudient l’attribut essentiel ; tel est le cas des sciences mathématiques. Mais puisque nous recherchons les
principes premiers et les causes les plus élevées, il est évident qu’il existe nécessairement quelque réalité à
laquelle ces principes et ces causes appartiennent en vertu de sa nature propre. Si donc les philosophes qui
recherchaient les éléments des êtres recherchaient ces mêmes principes, il en résulte nécessairement que les
éléments de l’être sont éléments de l’être non pas en tant qu’accident, mais en tant qu’être. C’est pourquoi nous
devons aussi appréhender les causes premières de l’être en tant qu’être. (Aristote Métaphysique , 1)
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Il est évident qu’il appartient à une seule science d’étudier tous les êtres en tant qu’êtres. Or, la science a
toujours pour objet propre ce qui est premier, ce dont toutes les autres choses dépendent, et en raison de quoi
elles sont désignées. Si donc c’est la substance, c’est des substances que le philosophe devra appréhender les
principes et les causes.
Mais pour chaque genre, de même qu’il n’y a qu’une seule sensation, ainsi il n’y a qu’une seule science. Par
exemple, une science unique, la grammaire, étudie tous les mots. C’est pourquoi une science génériquement une
traitera de toutes les espèces de l’être en tant qu’être, et ses divisions spécifiques, des différentes espèces de
l’être. Maintenant, l’être et l’un sont identiques et d’une même nature, en ce qu’ils sont corrélatifs, sans qu’ils
soient cependant exprimés dans une même notion (…), et, en effet, il y a identité entre ‘un homme’, ‘homme
existant’ et ‘homme’, et on n’exprime pas quelque chose de différent, à raison du redoublement des mots ‘un
homme est’ au lieu de ‘homme est’ (…) – La philosophie aura d’ailleurs autant de parties qu’il y a de
substances et il y aura donc nécessairement, au nombre de ces branches de la philosophie, une philosophie
première, et après, une philosophie seconde. L’être et l’un tombent, en effet, immédiatement sous certains
genres, et c’est pourquoi les sciences aussi correspondront à ces genres ; car le philosophe est comme le
mathématicien, au sens ce mot est employé, car il y a aussi des parties dans les mathématiques ; il y a une
science première, une science seconde, et d’autres sciences dérivées.(…)
Il est donc évident (…) qu’une seule science doit donner la raison de ces notions, aussi bien que de la
substance ; c’était même une des difficultés que nous avions posées. Au reste, il appartient au philosophe de
pouvoir spéculer sur toutes ces choses. Si ce n’est pas l’office du philosophe, qui est-ce qui examinera si
‘Socrate’ est identique à ‘Socrate assis’, si une seule chose a un seul contraire, ce qu’est le contraire, en combien
de sens il est pris ? (…)
De plus, des deux séries de contraires, l’une est privation de l’autre : or tous les contraires se ramènent à
l’être et au non-être, à l’un et au multiple ; ainsi le repos appartient à l’un, le mouvement à la multiplicité.
Presque tous les philosophes s’accordent d’ailleurs à reconnaître que les êtres et la substance sont constitués de
contraires ; tous, du moins, prennent des contraires pour principes. Pour les uns, c’est l’Impair et le Pair, pour
d’autres le Chaud et le Froid, pour d’autres, la Limite et l’Illimité, pour d’autres enfin l’Amitié et la Haine. Tous
les autres contraires sont évidemment réductibles à l’un et au multiple (prenons comme accordée cette
réduction), et les principes des autres philosophes viennent alors s’y ranger sans exception, comme sous des
genres. Il résulte donc clairement de ces considérations aussi, qu’il appartient à une seule science de spéculer sur
l’être en tant qu’être (…) Ainsi donc, qu’il appartiennent à une science unique d’étudier l’être en tant qu’être,
et les attributs de l’être en tant qu’être, cela est évident ; et aussi cette même science théorétique étudiera non
seulement les substances, mais encore leurs attributs, tant ceux dont nous avons parque des concepts tels que
l’antérieur et le postérieur, le genre et l’espèce, le tout et la partie, et les autres notions de cette sorte. (ibid. 2,
1003b15-18)
Ontologie et théologie
S’il y a quelque chose d’éternel, d’immobile et de séparé, c’est évidemment à une science théorétique
(contemplative) qu’en appartient la connaissance. Toutefois cette science n’est assurément ni la physique (car la
physique a pour objet certains êtres en mouvement), ni la mathématique, mais une science antérieure à l’une et à
l’autre. La physique, en effet, étudie des êtres séparés, mais non immobiles, et quelques branches des
mathématiques étudient des êtres, immobiles, il est vrai, mais probablement inséparables de la matière, et
comme engagés en elle ; tandis que la science première a pour objet des êtres à la fois séparés et immobiles.
Maintenant, toutes les premières causes sont nécessairement éternelles, mais surtout les causes immobiles et
séparées, car ce sont les causes des choses visibles parmi les choses divines. Il y a donc trois sciences
théorétiques : la mathématique, la physique et la théologie. Nous l’appelons théologie : il n’est pas douteux, en
effet, que si le divin est présent quelque part, il est présent dans cette nature immobile et séparée. Et la science
par excellence doit avoir pour objet le genre par excellence. Ainsi, les sciences théorétiques sont les plus hautes
des sciences, et la théologie est la plus haute des sciences théorétiques. On pourrait, en effet, se demander si la
philosophie première est universelle, ou si elle traite d’un genre particulier et d’une seule réalité, distinction
qu’on rencontre, au surplus, dans les sciences mathématiques : la géométrie et l’astronomie ont pour objet un
genre particulier de la quantité, tandis que la mathématique nérale étudie toutes les quantités en général. Nous
répondrons que s’il n’y avait d’autre substance que celles qui sont constituées par la nature, la physique serait la
science première, mais s’il existe une substance immobile, la science de cette substance doit être antérieure et
doit être la philosophie première ; et elle est universelle de cette façon, parce que première. Et ce sera à elle de
considérer l’être en tant qu’être, c’est-à-dire à la fois son essence et les attributs qui lui appartiennent en tant
qu’être (E, 1, 1026a28-32)
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