Médecines d’ailleurs 69 La santé des sumotoris
— FONDAMENTALEMENT,
UN SUMOTORI DOIT SAVOIR
DÉPASSER LES LIMITES
DE SON CORPS. IL FAUT
APPRENDRE À RECEVOIR
DES COUPS.
INUI TOMOYUKI
∆ Entraînement à la beya
Dewanoumi.
représentant des lutteurs, et de nombreuses
bannières verticales bigarrées annoncent les
prochains combats. C’est en tout cas ce que je
suppose : malgré le carnet dans lequel je griffonne
quelques mots essentiels de la langue locale,
comme à chaque voyage, les kanji me demeurent
mystérieux ! Alors que je marche dans les avenues
de Ryogoku, les beya, pourtant nombreuses, sont
plutôt discrètes. Seuls des rikishi en kimono, à la
démarche pataude, m’indiquent que je suis au bon
endroit. Noyé dans la rumeur urbaine tokyoïte,
je distingue bientôt des cris, des claquements. Les sons du
sumo. En les suivant, j’apprendrai à repérer où se cachent
les beya, souvent dans des bâtiments anodins, au fond d’une
ruelle. Encore grisé par ma découverte de Tokyo, je parviens
à la beya Dewanoumi, qui a accepté de me livrer un peu de
son savoir. À l’entrée, les mêmes gémissements, les mêmes
bruits de chocs frontaux et de chutes des corps. Pour la pre-
mière fois, je vois des lutteurs à l’entraînement, presque nus,
seulement vêtus du mawashi, cette bande de tissu qu’ils
portent enroulée à la taille et à l’entrejambe et qui constitue,
pendant le combat, l’unique prise de l’adversaire. Leur ballet
tout en chair est impressionnant. Ma visite, comme nombre
d’aspects de la vie publique au Japon, est très codifi ée :
en effet, c’est le chef de la beya, un ancien lutteur dispen-
sant désormais des cours, qui décide où les visiteurs sont
autorisés à s’asseoir. On m’attribue un petit coussin posé
à plusieurs mètres des lutteurs, privilège des invités de
marque. Malgré tout, l’accueil que l’on me réserve est froid.
Je me sens tout à coup face à un univers impénétrable.
Ma curiosité reprend vite le dessus. De ma place, je peux
observer le dohyo, l’arène où se déroulent les combats. C’est
une plate-forme carrée d’argile tassée, haute de plusieurs
dizaines de centimètres. L’aire de jeu, circulaire, est délimi-
tée par des petits ballots de paille. Pendant de longues
minutes, je regarde les lutteurs s’empoigner, se tordre et
chuter lourdement, les visages grimacer, se déformer sous
l’effet de la douleur. Le souffl e est court. La pratique du sumo
malmène les corps, en profondeur. Chute après chute, la peau
des lutteurs se couvre d’une fi ne couche de poussière d’ar-
gile. Mais sous ce masque corporel, je décèle les plaies, les
lésions, les muscles et les articulations douloureuses.
DLM_MEDECINE_001_077 V16.indd 69 28/10/15 15:15