L’islam aux États-Unis : une nouvelle religion publique ?
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DOSSIER Islams d’Occident et d’ailleurs
représente est conservateur dans ses valeurs morales, et révolution-
naire en politique. Si les valeurs morales sont mises en œuvre directe-
ment sur le terreau américain, les idées politiques concernent, elles, la
terre d’origine. Les grandes devises de l’islam politique font le lien
entre ces deux points d’ancrage. L’islam est un deen, c’est-à-dire une
religion totalisante : religion universelle, fondement parfait d’un mode
d’organisation sociale, économique et politique.
Il s’agit donc bien alors d’insister sur la pratique quotidienne de l’islam,
qui définit un véritable way of life. Il n’est pas question d’islamiser
l’Amérique, ou l’État américain. Le rapide renouvellement de ses
membres, qui entrent sur le marché du travail, fait bientôt évoluer l’asso-
ciation étudiante au-delà de sa posture originelle. Insérés dans
l’Amérique professionnelle, ses membres fondent des familles, et stabi-
lisent de ce fait même l’existence d’une population musulmane aux
États-Unis. En 1983, la MSA, consciente de s’être développée au-delà
même de ses premiers objectifs, crée la Société islamique d’Amérique du
Nord (Islamic Society of North America ou ISNA) pour répondre à de
nouveaux besoins de représentation et d’organisation de la commu-
nauté musulmane7. Il s’agit d’« encourager l’unité et la fraternité parmi
les musulmans, d’élever leur conscience islamique, de commander le
bien et pourchasser le mal »8, dans le cadre d’une idéologie conservatrice
fondée sur l’islam qui doit beaucoup aux idées des Frères musulmans.
L’ISNA est établie d’emblée comme organisation religieuse activiste,
qui transforme progressivement l’indifférence (souvent mêlée d’un
regard craintif et très critique) de la première génération de la MSA
pour le terreau américain en un engagement dans l’entreprise de da’wa
ou de prosélytisme à l’égard de musulmans jugés assimilés et oublieux
de leur religion, ainsi que des non musulmans9. Il faut donc faire masse
autour d’une communauté homogène définie par son appartenance à
l’islam et une pratique intense, qui stabilisera et reproduira le groupe en
transmettant les valeurs religieuses à la jeune génération. Les mosquées
américaines, construites notamment à partir des années 1970, commen-
cent à s’affilier à l’ISNA, qui gagne en prépondérance et en centralité.
7. Sur les développements de la MSA et de l’ISNA, voir S. Nyang, « Islam in America : a Historical
Perspective », American Muslim Quarterly, vol. 2, n° 1, p. 7-38 ; J. Smith, Islam in America, New York,
Columbia University Press, 1999, p. 167-171 ; A. Saeed, « The American Muslim paradox, » in Y.
Haddad and J.I. Smith, Muslim Minorities in the West, Visible and Invisible, Walnut Creek (CA), Alta-
mira Press, 2002.
8. « Al amr bi-l ma`rûf wan-nahy `an al-munkar » (« la commanderie du bien et le pourchas du mal »)
était devenu la devise des activistes islamistes au Moyen-Orient à partir des années 1970.
9. L. Poston, Islamic Da`wah in the West, New York, Oxford University Press, 1992.
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