Séparation de phase magnétique dans les manganites résistives
Michel Viret1 Frédéric Ott2, Hans Glattli1 et Jean-Pierre Renard3
1DSM/DRECAM/SPEC, 2 DSM/DRECAM/LLB,
3Institut d'Electronique Fondamentale, Paris sud
Les manganites du type La1-xCaxMnO3 ont fait l'objet de nombreuses études ces dernières années
car ces composés sont le siège d'un très fort effet magnétorésistif maintenant qualifié de "colossal"
(CMR). Le dopage sur les sites de la terre rare (le paramètre x de la formule), ainsi que la distorsion de la
structure perovskite déterminent la nature des interactions magnétiques dominantes. Ces composés
montrent un nouveau type de mise en ordre magnétique original qui fait intervenir les propriétés de
transport électronique. Dans ces matériaux, les interactions
magnétiques résultent d'une compétition
entre super-échange globalement
antiferromagnétique, et double-échange
ferromagnétique [1]. Dans les dopages
proches de x=0.3, les composés sont
ferromagnétiques et présentent à champ fort
une grande magnétorésistance. Des calculs
théoriques montrent que la compétition entre
super-échange et double-échange est plutôt
instable et mène à une ségrégation en
gouttelettes ferromagnétiques dans une
matrice antiferromagnétique. Cette image,
plébiscitée par certains expérimentateurs, est
cohérente avec les énormes effets résistifs
qui peuvent être expliqués par une transition
de percolation : les gouttelettes
ferromagnétiques conductrices augmentent
en volume avec le champ magnétique.
Lorsque leur taille est suffisante, il y a
percolation dont la signature est une transition isolant-
métal. Des mesures par diffusion de neutrons aux petits
angles (spectromètre PAPOL du LLB) sont idéales pour
visualiser (dans l'espace réciproque) cette phase mixte car
les neutrons sont très sensibles au magnétisme.
Contrairement aux composés La0.7Sr0.3MnO3 qui sont de
"bons" ferromagnétiques [2], les mesures (Figure 1) sur
des manganites "distordues" de type Pr0.67Ca0.33MnO3
montrent clairement la présence, dans ce composé, d'une
séparation de phase magnétique. Comme pour les
polymères solvatés, le flux de neutrons diffusé décroît en
fonction du vecteur de diffusion selon une loi de
puissance ~q-5/3 (Figure 1) qui est la signature d'une
phase filamentaire (Figure 2).
La compréhension physique d'une telle géométrie
est confirmée par des simulations magnétiques "Monte-
Carlo" qui donnent une indication qualitative sur la
nature de l'échange magnétique. Dans ces composés très
résistifs, les porteurs de charges semblent être
principalement localisés sur les ions magnétiques Mn3+.
0.01 0.1 1
q (nm-1 )
Intensity (a.u.)
H = 0
H = 1.5 T
H = 3 T
H = 4.5 T
H = 6 T
slope = -5/3
slope = -2
10-4
10-6
10-7
10-5
Figure 1: Pr0.67Ca0.33MnO3 : Intensité d'origine magnétique pour
des champs entre 0 et 6 T après refroidissement sans champ. Ligne
continue : ~ q-5/3 marquant la frontière entre les états conducteur et
isolant. Insert : Spectre représentatif de diffusion neutronique sur le
cristal dans un champ de 2.5 T. Le spectre est la somme d'une
contribution magnétique en sin2α et d'une diffusion d'origine
nucléaire (désordre chimique) isotrope.
Figure 2: Simulations Monte-Carlo : le long
filament jaune représente une phase à spin aligné
sur
le champ extérieur. Le petit filament vert contient des
Mn dont le spin est orienté à 25° du champ.